"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

06/11/2009

Carte mexicaine n°5, Plan-neuf, avril 2009

Histoires d’eaux amères (4/4)

La fève de cacao serait née au Mexique et pourtant pour beaucoup de Mexicains, le chocolat est européen et à croquer. Depuis un peu plus d’un an, la chocolaterie d’Aguascalientes tente de regagner le palais des Mexicains. Parmi les chocolatiers nous avons rencontré Olivier, un Français converti à la culture du chocolat, loin de l’industrie où de petites mains, de marmottes ou non, emballent des tablettes par dizaines de milliers.


En refermant les portes de la chocolaterie et après avoir découvert les étapes de la fabrication de ce chocolat millénaire, une petite comparaison s’impose avec la tablette de chocolat si chère aux papilles du village global.
Pour les peuples précolombiens, le cacao était un don des dieux, la fève était respectée. Chez les Mayas c’était aussi une monnaie d’échange. « Avec une fève de cacao par exemple, tu pouvais acheter un tamal (1)… un avocat valait trois fèves. Un lapin 20 fèves. » Chez les Aztèques c’était plutôt la noblesse, les prêtres, les messagers et les guerriers qui avaient accès au chocolat. « C’est un aliment qui permet de résister à la chaleur et à de longues journées de marche. C’est pour ça que les guerriers et les messagers en consommaient beaucoup. » Mais ils ne croquaient pas dans une tablette. Ils le buvaient ! « Le chocolat original, c’est le chocolat avec de l’eau. Le mot chocolat vient du nahuatl xocolatl, qui veut dire eau amère. »

Un chocolat bien éloigné de celui à croquer qui prédomine en Europe. Alors que le chocolat à boire a 4000 ans d’histoire, le chocolat à croquer n’en a que 150. De passage en France il y a quelques mois, Olivier et sa compagne, Salma, ont comparé. « Le meilleur chocolatier de 2007 ne produit pas de chocolat. Il achète de grands blocs de chocolat à une entreprise qui s’appelle Valrhona, à Lyon, qui achète d’énormes quantités de chocolat, le broie et le revend. Ils sont rares les chocolatiers qui font eux-mêmes leur chocolat, qui le torréfient, le broient. » La plupart ne font que travailler le produit final.


« On a regardé les ingrédients. On a vu que le cacao venait du Mexique. On s’est dit que c’était du cacao qui devait être de bonne qualité… Il y avait du cacao, du beurre de cacao, du lait en poudre, de la lécithine de soja. Et ça c’est considéré comme le meilleur chocolat ?! » Olivier considère que ce cacao de bonne qualité voit tout de même son goût altéré par l’ajout de beurre de cacao. Le chocolat de mauvaise qualité utilise en outre des matières grasses végétales comme l’huile de palme, de karité ou l’huile de coco… et la lécithine de soja, qui sert d’émulsifiant pour faciliter le mélange entre la fève et le beurre. Une loi européenne autorise l’appellation de chocolat à des produits où il ne reste parfois pas grand-chose de la fève originale. Tout en parlant Olivier en fait passer une entre ses doigts. « La fève de cacao, ici présente, contient deux éléments principaux, le beurre de cacao et la poudre. Le chocolat authentique utilise uniquement la fève de cacao. Mais c’est difficile de la travailler car c’est une matière pâteuse. En Europe ils extraient par alcalinisation la matière grasse, le beurre, et ils en ajoutent encore un certain pourcentage à la poudre qui reste. Cette poudre, le cacao débarrassé du beurre, appelée la cocoa, c’est le Van Houten. C’est lui qui a inventé ce procédé d’extraction.» En ajoutant des matières grasses et du sucre, l’industrie obtient un mélange beaucoup plus liquide, plus fluide et plus facile à travailler à la chaîne que celui qu’on voit lorsqu’on passe rue Nieto, qu’on franchit une fois encore les portes de cette chocolaterie artisanale et que le processus de fabrication est lancé… Sous l’œil un peu inquiétant de la tête Toltèque qui veille sur le breuvage divin offert par Quetzalcoatl à son peuple.


1 : Le tamal est une papillote amérindiennne préhispanique préparée à partir de farine de maïs.

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