"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

26/02/2010

Hommage à Howard Zinn

"You can’t be neutral in a moving train."

Mort au début de l'année, Howard Zinn a radicalement changé la façon de percevoir les USA... à l'image de l'Empire il a su substituer le patchwork d'un pays aux multiples visages. Son œuvre la plus connue, et reconnue, "Une histoire populaire des États-Unis" est à lire et à relire pour ne pas oublier que dénoncer "'impérialisme des USA n'est pas dénoncer son peuple.
Merci à ce grand homme qui a toujours su rester auprès des petits.

(Re)découvrez cet homme à travers une série d'émission de "Là-bas, si j'y suis" de Daniel Mermet:
Des huitres au tabasco I
Des huitres au tabasco II
Des huitres au tabasco III
Des huitres au tabasco IV

24/02/2010

Ciudad Juarez, la terreur au quotidien

L’exécution d’une quinzaine d’adolescents fin janvier à Ciudad Juarez par un commando armé reflète toute la violence que la ville jumelle d’El Paso (USA), subit depuis plusieurs décennies. Connue pour le féminicide qui a commencé dans les années 90, la ville est aujourd’hui submergée par une vague de violence que rien ne semble pouvoir arrêter. L’arrivée de milliers de fédéraux dans le cadre du plan de lutte contre le crime organisé initié par Calderon ne semble pas en mesure d’y mettre un terme. Au contraire, l’armée et la PFP sont régulièrement mises en cause par les associations de défense des Droits de l’Homme et par les militants associatifs.

Dans la nuit du 30 au 31 janvier, un commando d'une quinzaine d'hommes masqués et armés jusqu'aux dents ont abattu 16 personnes à Ciudad Juarez, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. « Règlement de compte entre narcos » se sont empressé de commenter les autorités. Mais en fait, la majorité des victimes étaient de simples lycéens et étudiants qui fêtaient l'anniversaire de l'un d'entre eux. La soixantaine de jeunes occupaient une maison inhabitée prêtée par le propriétaire, car avec la vague de violence les jeunes ont déserté les discothèques et autres lieux de la vie nocturne. Reste la sauvagerie d'un tel massacre que les témoignages qui ont afflué sur les blogs et autres pages perso confirment: « Ils ont tué presque tous mes amis. » « Tout s’est passé en moins d’une minute. » « Ils sont d’abord rentré là où il y avait la fête et ensuite ils sont allés dans les deux autres maisons. » « Ils ne cherchaient pas à tuer les filles, ils ne leur tiraient que dans les bras et les jambes. Mais les garçons, ils leur tiraient dans la tête, dans la poitrine. Ils ont tiré plusieurs fois dans la tête des plus grands jusqu’à les défigurer. » « L’un des garçons s’est caché dans ce vieux téléviseur et il y est resté jusqu’à ce qu’ils soient partis. » Juste après le massacre sont venues les questions. Les habitants de ce quartier populaire de la ville jumelle d'EL Paso s'en sont alors pris aux forces de l’ordre, manquant de peu de les lyncher sur place. « Comment c’est possible que sept camionnettes remplies d’hommes masqués et armés jusqu’aux dents circulent en ville et que ni les militaires, ni ceux de la PFP ne se rendent compte de rien alors qu’ils sont partout. » « Ils arrivent toujours après, quand tout est fini, ils ramassent les douilles, prennent des photos et voilà. » « Les agents arrivent et nous demandent ce qui s’est passé, mais c’est bien ce que nous voulons savoir. »

Les habitants de Ciudad Juarez côtoient pourtant l’horreur au quotidien. Depuis plus de quinze ans plusieurs centaines de femmes y ont été tuées, torturées, violées ou ont disparu sans qu’aucune réponse ne soit apportée aux familles des victimes. Mais depuis que le président mexicain, Felipe Calderon, a lancé sa guerre contre le crime organisé, la violence a explosé à Ciudad Juarez, comme dans le reste du pays. Selon Carlos Yéffim Fong Ronquillo, dit Geronimo, étudiant en sociologie et militant du Front National Contre la Répression, de l’Assemblée Citoyenne de Juarez et du Comité Universitaire de Gauche, « 2009 a été l’année la plus violente puisqu’on a compté un peu plus de 2600 assassinats. » Entre fin 2007 et fin 2009 la moyenne des morts violentes quotidiennes est passée de 2 à 7 ! Et 2010 ne semble pas vouloir inverser la tendance puisque le seul mois de janvier a mené aux cimetières plus de 250 personnes assassinées. « Mais le plus curieux, affirme Geronimo, c’est qu’hormis une vingtaine de cas, ces meurtres ne résultent pas d’affrontements entre les cartels, ni entre militaires et sicaires. Il s’agit presque exclusivement d’exécutions dans les rues de la ville par des professionnels circulant dans des véhicules de luxe. Et tout ça alors que la ville est complètement militarisée. » Ce sont en effet plus de 5 000 militaires, et plusieurs milliers d’agents de la Police Fédérale Préventive qui surveillent la ville et ses quelques 1,3 millions d’habitants.

« À Ciudad Juarez on vit dans une terreur quotidienne, explique Geronimo. Beaucoup d'entre nous vivent ici parce que pendant des années ce bout de frontière était la seule ville à offrir le plein emploi. Avec la crise beaucoup d'usines étrangères ont fermé, laissant les gens sans emploi. Et tout cela coïncide avec le début de la guerre de Calderon contre le crime organisé. La ville, de par sa position frontalière, a traditionnellement été utilisée comme champ d’expérimentation (zone de libre commerce en 1885, trafic d’alcool en 1920, plan d’installation d’usines tournevis en 1965…). La ville est très touchée aujourd’hui par la militarisation et la terreur que nous subissons depuis des décennies. » Comme dans le reste du pays, la corruption des forces de police est omniprésente. L'armée et la PFP sont régulièrement mises en cause dans des affaires d'extorsion de petits commerçants, d'enlèvements, de fusillades dans des centres de la vie nocturne. Le journaliste d'EL Diario, Armando Rodríguez el Choco, qui avait relayé des témoignages compromettants pour l'armée, a été assassiné par un commando en sortant de chez lui.

Aujourd'hui, beaucoup de militants voient derrière ces assassinats l'apparition de véritables escadrons de la mort. Et il est vrai que les cibles des commandos meurtriers (des centres d'aides aux drogués, les quartiers populaires, les lieux de vie nocturne...) semble bel et bien laisser penser à « une guerre contre les pauvres » comme le suggère Gero. Il ne faut pas oublier non plus que le parti au pouvoir (PAN) depuis la transition démocratique de 2001 est noyauté jusqu'au plus haut niveau par le Yunke (l'Enclume), une organisation d'extrême droite discrète mais très influente qui a formé nombres de groupes universitaire paramilitaire pour lutter contre l'influence de la gauche parmi les étudiants.

Geronimo lui, a subi la pression de l’armée. Le 24 janvier, les militaires frappent à sa porte pour procéder à une fouille de la maison. La mère de Gero leur refuse l’entrée car les soldats n’ont pas de mandat. Ces derniers prétendent pouvoir obtenir l’ordre du juge dans la demi-heure. Pourtant, l’arrivée de militants et de la presse fera fuir les soldats. Trois autres maisons, toutes situées dans le même pâté de maisons auront, elles, été fouillées, les habitants connaissant mal leurs droits et craignant de résister aux militaires. Selon Gero, avec la militarisation de l'État est apparu un autre phénomène: l'assassinat de militants sociaux par des commandos paramilitaires. « A Ciudad Juarez, Geminis Ochoa a été assassiné. Leader des commerçants ambulants du centre de la ville, il avait, quelques jours plus tôt, appelé à une manifestation contre les forces fédérales. L'universitaire Manuel Arroyo participait à des recherches sur les violences lorsqu'il a été assassiné. Il y a quelques semaines dans la Vallée de Juarez, ce fut le tour de Josefina Reyes, activiste locale qui avait déjà été menacée par les militaires pour avoir pris position contre la militarisation. Elle avait été l'une des organisatrices de la première Marche contre la Militarisation, la Répression et pour le Respect des Droits Humains. » Gustavo de la Rosa Hickerson, enquêteur de la Commission Nationale des Droits Humains a lui été menacé par des militaires et a dû partir se refugier au Texas. Selon la presse locale, ces menaces répétées envers un représentant de la CNDH pourraient remettre en cause l’aide financière que les Etats-Unis versent au Mexique dans le cadre de la lutte contre les cartels de la drogue.

Cette militarisation du pays et de Juarez, qui constitue l’un des principaux points de passage de la drogue vers les Etats-Unis, se fait dans le cadre du Plan Mérida. « En peu de mots, résume Gero, c’est un accord (entre le Mexique et les USA, ndla) qui permet à l’armée américaine une ingérence directe sur les forces armées mexicaines, comme cela se fait en Colombie. » Afin de rendre compte de cet accord, l’opération Conjunto Chihuahua, lancé début 2008, a été rebaptisé opération Coordinado Chihuahua. Pourtant devant la violence sourde qui plombe la ville, certains entrepreneurs locaux demandent l’intervention des casques bleus de l’ONU. « D’autres, plus radicaux, demandent la présence directe des troupes nord-américaines », précise Gero. Un point de vue que lui et d’autres militants ne partagent évidemment pas. « La militarisation c’est la stratégie que Felipe Calderon, qui est arrivé au pouvoir grâce à une fraude électorale, utilise pour s’y maintenir. » L’Assemblée Citoyenne de Juarez réclame donc la démission du président, le rendant responsable de la vague de violence qui ensanglante le pays. « C’est comme il y a 100 ans, à la veille de la Révolution mexicaine… Il y a un grand mécontentement dans tout le pays », prévient Gero.



Le dessin de militaire à Juarez, un "emprunt" à La Jornada du 27 février 2010, est signé Fisgon.

Quand ils sont venus chercher les sans-pap'

Quand ils sont venus chercher les communistes,

Je n’ai rien dit,

Je n’étais pas communiste.

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,

Je n’ai rien dit,

Je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus chercher les juifs,

Je n’ai pas protesté,

Je n’étais pas juif.

Quand ils sont venus chercher les catholiques,

Je n’ai pas protesté,

Je n’étais pas catholique.

Puis ils sont venus me chercher

Et il ne restait personne pour protester.

Martin Niemöller (1892-1984)