"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

29/03/2012

Anonymous: mouvement disséqué





Vidéo intéressante qui reprend, dans le plus pur style graphique du collectif d'hacktivistes, l'essai de Gabriella Coleman (traduction d'Elodie Chatelais), essai qui tente de comprendre le phénomène Anonymous.
Écoutez et faites-vous votre propre idée!




24/03/2012

Quand Les Anges nous donnent leurs ailes

Photos et impressions du concert de Salut les anges.

Salut les anges ont joué sur le fil... fil électrique, fil du temps.
Dans la salle, des anciens qui venaient retrouver leurs passés. Les Anges passent mais le public vient voir les ex-OTH. Pourtant ce n'est pas ce passé auréolé qui donne son aura aux Anges. C'est bien l'électricité qui anime ces clowns poétiques. Et allume le public de ses étincelles de sueur, étincelles d'un plaisir né de la scène.
A force de prières insistantes, le public sera exhaussé. Le temps de deux "reprises" - Sacré revanche et Sous le soleil du midi - les Anges soufflent sur les braises encore chaudes du passé et embrasent le public clairsemé.
Samedi soir à Limoges, ce ne sont pas les démons du passé qui se sont réveillés mais ses anges rebelles, à la chaleur si humaine.













23/03/2012

Au Mexicque Anonymous défend un Etat laïc

Le Pape est en voyage au Mexique. La venue de Benoît XVI provoque une série de protestations de la part d'Anonymous. Ce jour @IberoAnon annonçait avoir touché plus de 80 sites de puis le début de #OpFariseo. Parmi lesquels, lundi la page de l'Archevêché du Mexique ou ce soir d'une organisation catholique mexicaine. Jeudi c'était la page du gouvernement de l'Etat du Guanajuato qui a été mise hors-service quelques heures.
Des infos en espagnol sur le blog Anonymous Iberoamerica.
L'hebdo Proceso rendait compte de cette attaque contre le site du gouvernement du Guanajuato. Voici une traduction de l'article dont vous pouvez lire la version originale sur le site de Proceso ici.
Article publié le 22 mars


Anonymous fait tomber le portail du gouvernement du Guanajuato pour la venue du Pape.


Le groupe d'hacktivistes Anonymous a fait tomber la page du gouvernement de (l'Etat) du Guanajuato, manière de protester contre la venue du Pape Benoît XVI.
L'attaque a eu lieu vers 10h, au travers de l'opération nommée "Fariseo", toute fois 20 minutes plus tard, l'administration avait rétabli le service sur son portail.
Pendant l'attaque, le collectif de hackers a "affiché" sur le site web du gouvernement de Guanajuato un message dans lequel il défendait l'état laïc.
« Anonymous s'oppose à cela (la venue de Benoît XVI) parce que nous pensons que le Mexique, avant d'être toujours fidèle devrait être le Mexique toujours laïc. »
« Nous respectons la foi mais nous ne respectons pas l'imposition, c'est pour cela que nous avons laissé cette phrase, comme allusion à un État laïc, invitant l’Église à ne pas se mêler des affaires de l'État, respectant les idées et croyances éloignées des siennes. Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est Dieu », expliquait le message.
Anonymous a lancé une série de protestations numériques contre la venue du Pape, avec comme argument que le gouvernement fédéral ternit l’État Laïc et également en opposition à l'activisme politique de Benoît XVI.
Anonymous voit dans la venue du Pape un appui au PAN à quelques jours de l'ouverture de la compagne présidentielle.
"Non à la visite du pape http://www.guanajuato.gob.mx Hacked #OpFariseo”, ont publié les hacktivistes sur le compte Twitter @MexicanH vers 10h.
De plus, en lien avec les Anonymous d'Italie, les hackers mexicains ont essayé de mettre une nouvelle fois hors-service le site web du Vatican.
"TANGO DOWN #OPITALY & #OPMEXICO http://www.vatican.va", ont-ils publié par @OperationItaly.
Ils ont également mené des actions pour faire tomber le portail http://sedetur.vamosaguanajuato.com, mais n'ont réussi que de manière intermittente.
Le gouverneur Juan Manuel Oliva s'est abstenu de commenter la cyberattaque. 








22/03/2012

Le journalisme libre de Camus

Le manifeste censuré de Camus

Texte publié sur le site du Monde.fr le


"L'article que nous publions devait paraître le 25 novembre 1939 dans "Le Soir républicain", un quotidien limité à une feuille recto verso que Camus codirige à Alger. L'écrivain y définit "les quatre commandements du journaliste libre" : lucidité, refus, ironie et obstination. Notre collaboratrice Macha Séry a retrouvé ce texte aux Archives nationales d'outre-mer, à Aix-en-Provence (lire son enquête page 2). Camus dénonce ici la désinformation qui gangrène déjà la France en 1939. Son manifeste va plus loin. Il est une réflexion sur le journalisme en temps de guerre. Et, plus largement, sur le choix de chacun, plus que celui de la collectivité, de se construire en homme libre".

Il est difficile aujourd'hui d'évoquer la liberté de la presse sans être taxé d'extravagance, accusé d'être Mata-Hari, de se voir convaincre d'être le neveu de Staline.
Pourtant cette liberté parmi d'autres n'est qu'un des visages de la liberté tout court et l'on comprendra notre obstination à la défendre si l'on veut bien admettre qu'il n'y a point d'autre façon de gagner réellement la guerre.
Certes, toute liberté a ses limites. Encore faut-il qu'elles soient librement reconnues. Sur les obstacles qui sont apportés aujourd'hui à la liberté de pensée, nous avons d'ailleurs dit tout ce que nous avons pu dire et nous dirons encore, et à satiété, tout ce qu'il nous sera possible de dire. En particulier, nous ne nous étonnerons jamais assez, le principe de la censure une fois imposé, que la reproduction des textes publiés en France et visés par les censeurs métropolitains soit interdite au Soir républicain (le journal, publié à Alger, dont Albert Camus était rédacteur en chef à l'époque), par exemple. Le fait qu'à cet égard un journal dépend de l'humeur ou de la compétence d'un homme démontre mieux qu'autre chose le degré d'inconscience où nous sommes parvenus.
Un des bons préceptes d'une philosophie digne de ce nom est de ne jamais se répandre en lamentations inutiles en face d'un état de fait qui ne peut plus être évité. La question en France n'est plus aujourd'hui de savoir comment préserver les libertés de la presse. Elle est de chercher comment, en face de la suppression de ces libertés, un journaliste peut rester libre. Le problème n'intéresse plus la collectivité. Il concerne l'individu.
Et justement ce qu'il nous plairait de définir ici, ce sont les conditions et les moyens par lesquels, au sein même de la guerre et de ses servitudes, la liberté peut être, non seulement préservée, mais encore manifestée. Ces moyens sont au nombre de quatre : la lucidité, le refus, l'ironie et l'obstination. La lucidité suppose la résistance aux entraînements de la haine et au culte de la fatalité. Dans le monde de notre expérience, il est certain que tout peut être évité. La guerre elle-même, qui est un phénomène humain, peut être à tous les moments évitée ou arrêtée par des moyens humains. Il suffit de connaître l'histoire des dernières années de la politique européenne pour être certains que la guerre, quelle qu'elle soit, a des causes évidentes. Cette vue claire des choses exclut la haine aveugle et le désespoir qui laisse faire. Un journaliste libre, en 1939, ne désespère pas et lutte pour ce qu'il croit vrai comme si son action pouvait influer sur le cours des événements. Il ne publie rien qui puisse exciter à la haine ou provoquer le désespoir. Tout cela est en son pouvoir.
En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d'opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu'un esprit un peu propre accepte d'être malhonnête. Or, et pour peu qu'on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s'assurer de l'authenticité d'une nouvelle. C'est à cela qu'un journaliste libre doit donner toute son attention. Car, s'il ne peut dire tout ce qu'il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu'il ne pense pas ou qu'il croit faux. Et c'est ainsi qu'un journal libre se mesure autant à ce qu'il dit qu'à ce qu'il ne dit pas. Cette liberté toute négative est, de loin, la plus importante de toutes, si l'on sait la maintenir. Car elle prépare l'avènement de la vraie liberté. En conséquence, un journal indépendant donne l'origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l'uniformisation des informations et, en bref, sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu'elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu'aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge.
Nous en venons ainsi à l'ironie. On peut poser en principe qu'un esprit qui a le goût et les moyens d'imposer la contrainte est imperméable à l'ironie. On ne voit pas Hitler, pour ne prendre qu'un exemple parmi d'autres, utiliser l'ironie socratique. Il reste donc que l'ironie demeure une arme sans précédent contre les trop puissants. Elle complète le refus en ce sens qu'elle permet, non plus de rejeter ce qui est faux, mais de dire souvent ce qui est vrai. Un journaliste libre, en 1939, ne se fait pas trop d'illusions sur l'intelligence de ceux qui l'oppriment. Il est pessimiste en ce qui regarde l'homme. Une vérité énoncée sur un ton dogmatique est censurée neuf fois sur dix. La même vérité dite plaisamment ne l'est que cinq fois sur dix. Cette disposition figure assez exactement les possibilités de l'intelligence humaine. Elle explique également que des journaux français comme Le Merle ou Le Canard enchaîné puissent publier régulièrement les courageux articles que l'on sait. Un journaliste libre, en 1939, est donc nécessairement ironique, encore que ce soit souvent à son corps défendant. Mais la vérité et la liberté sont des maîtresses exigeantes puisqu'elles ont peu d'amants.
Cette attitude d'esprit brièvement définie, il est évident qu'elle ne saurait se soutenir efficacement sans un minimum d'obstination. Bien des obstacles sont mis à la liberté d'expression. Ce ne sont pas les plus sévères qui peuvent décourager un esprit. Car les menaces, les suspensions, les poursuites obtiennent généralement en France l'effet contraire à celui qu'on se propose. Mais il faut convenir qu'il est des obstacles décourageants : la constance dans la sottise, la veulerie organisée, l'inintelligence agressive, et nous en passons. Là est le grand obstacle dont il faut triompher. L'obstination est ici vertu cardinale. Par un paradoxe curieux mais évident, elle se met alors au service de l'objectivité et de la tolérance.
Voici donc un ensemble de règles pour préserver la liberté jusqu'au sein de la servitude. Et après ?, dira-t-on. Après ? Ne soyons pas trop pressés. Si seulement chaque Français voulait bien maintenir dans sa sphère tout ce qu'il croit vrai et juste, s'il voulait aider pour sa faible part au maintien de la liberté, résister à l'abandon et faire connaître sa volonté, alors et alors seulement cette guerre serait gagnée, au sens profond du mot.
Oui, c'est souvent à son corps défendant qu'un esprit libre de ce siècle fait sentir son ironie. Que trouver de plaisant dans ce monde enflammé ? Mais la vertu de l'homme est de se maintenir en face de tout ce qui le nie. Personne ne veut recommencer dans vingt-cinq ans la double expérience de 1914 et de 1939. Il faut donc essayer une méthode encore toute nouvelle qui serait la justice et la générosité. Mais celles-ci ne s'expriment que dans des coeurs déjà libres et dans les esprits encore clairvoyants. Former ces cœurs et ces esprits, les réveiller plutôt, c'est la tâche à la fois modeste et ambitieuse qui revient à l'homme indépendant. Il faut s'y tenir sans voir plus avant. L'histoire tiendra ou ne tiendra pas compte de ces efforts. Mais ils auront été faits.

18/03/2012

Vive la sociale!!!

Poème de Victor Hugo en hommage à Louise Michel et à la Commune de Paris (18 mars 1871)




Ayant vu le massacre immense, le combat
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
La pitié formidable était dans tes paroles.
Tu faisais ce que font les grandes âmes folles
Et, lasse de lutter, de rêver de souffrir,
Tu disais : « j’ai tué ! » car tu voulais mourir.
Tu mentais contre toi, terrible et surhumaine.
Judith la sombre juive, Aria la romaine
Eussent battu des mains pendant que tu parlais.
Tu disais aux greniers : « J’ai brûlé les palais ! »
Tu glorifiait ceux qu’on écrase et qu’on foule.
Tu criais : « J’ai tué ! Qu’on me tue ! - Et la foule
Écoutait cette femme altière s’accuser.
Tu semblais envoyer au sépulcre un baiser ;
Ton œil fixe pesait sur les juges livides ;
Et tu songeais pareille aux graves Euménides.
La pâle mort était debout derrière toi.
Toute la vaste salle était pleine d’effroi.
Car le peuple saignant hait la guerre civile.
Dehors on entendait la rumeur de la ville.
Cette femme écoutait la vie aux bruits confus
D’en haut, dans l’attitude austère du refus.
Elle n’avait pas l’air de comprendre autre chose
Qu’un pilori dressé pour une apothéose ;
Et, trouvant l’affront noble et le supplice beau
Sinistre, elle hâtait le pas vers le tombeau
Les juges murmuraient : » Qu’elle meure !
C’est juste Elle est infâme -
A moins qu’elle ne soit Auguste
« Disait leur conscience. Et les jugent, pensifs
Devant oui, devant non, comme entre deux récifs
Hésitaient, regardant la sévère coupable.
Et ceux qui, comme moi, te savent incapable
De tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que si l’on te disait : »
D’où viens tu ? « Tu répondrais : »
Je viens de la nuit ou l’on souffre ;
Oui, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain
Le lit de sangle avec la table de sapin
Ta bonté, ta fierté de femme populaire.
L’âpre attendrissement qui dors sous ta colère
Ton long regard de haine à tous les inhumains
Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche
Méditaient, et malgré l’amer pli de ta bouche
Malgré le maudisseur qui, s’acharnant sur toi
Te jetai tout les cris indignés de la loi
Malgré ta voix fatale et haute qui t’accuse
Voyaient resplendir l’ange à travers la méduse.
Tu fus haute, et semblas étrange en ces débats ;
Car, chétifs comme tous les vivants d’ici-bas,
Rien ne les trouble plus que deux âmes mêlées
Que le divin chaos des choses étoilées
Aperçu tout au fond d’un grand cœur inclément
Et qu’un rayonnement vu dans un flamboiement. 




Merci à @NetLibertaire d'avoir twitté cet hommage à la grande Louise Michel. 



Pour se replonger dans cet épisode révolutionnaire du peuple de France on peut visiter le site des archives de la radio télévision suisse. Pour le centième anniversaire de la semaine sanglante (1971), Henri Guillemin présentait en 13 épisodes (presque 30 minutes chacun) cette page rouge de l'histoire du peuple.
De quoi se programmer quelques soirées télé intelligente...
                       ====> VERS LA COMMUNE DE PARIS <====

16/03/2012

Tunisie: Anonymous cible des salafistes

Mardi je publiais la vidéo des Anonymous tunisiens dans laquelle ils mettaient en garde les groupes salafistes du pays pour leurs attaques contre la liberté d'expression. La vidéo avait été postée le 9 mars. Le 12 mars, La Tribune de Genève publiait un article sur le piratage de sites islamistes.

La vidéo des Anon tunisiens:





Et l'article pré-cité:

Sites islamistes piratés par des disciples d'Anonymous

Mis à jour le 12.03.2012
Des sites islamistes tunisiens ont été piratés par un groupe se réclamant des activistes informatiques d'Anonymous.

Plusieurs pages Facebook islamistes tunisiennes ont été piratées au cours du week-end par un groupe affirmant appartenir aux activistes informatiques d'Anonymous, qui a notamment posté un message vidéo promettant de "stopper les agissements" des salafistes en Tunisie.
"Nous ne sommes pas contre la religion, nous sommes musulmans, mais nous défendons la liberté dans notre pays", écrivent les pirates sur les pages Facebook islamistes, notamment celles du Hizb Ettahrir, un parti non légalisé qui réclame la restauration du califat.
Des photos du drapeau tunisien et un message vidéo à destination des salafistes ont également été publiés.
"Nous luttons contre vous désormais (...) vos mails, vos comptes bancaires et transactions seront épluchés, vos disques durs seront copiés. Ceci n'est qu'un début", déclare un homme portant le masque habituel des Anonymous.
"Si le gouvernement tunisien ne stoppera pas vos agissements dans les semaines à venir, Anonymous le fera", ajoute l'homme, en rappelant les incidents liés aux salafistes depuis plusieurs mois en Tunisie.
Le groupe de pirates informatiques Anonymous, à l'origine de plusieurs coups d'éclat contre des sites américains ou tout récemment de sites liés au Vatican, se présente comme un défenseur des libertés sur internet.

(afp/Newsnet)

15/03/2012

Enfants du web....

Je continue la série de texte tirés de framablog.org avec cette traduction du texte "Nous, les enfants du web", du poète blogueur polonais Piotr Czerski. Depuis sa parution dans un journal de Poméranie, son texte a pris des allures de manifeste pour celles eu ceux qui luttent pour un net libre...
A vous de lire.


Nous les enfants du Web

Piotr Czerski (translated by Marta Szreder) - 11 février 2012 - CC by-sa
(Traduction Framalang : Clochix, Goofy, Lamessen et Xavier)


Il n’existe probablement pas de mot dont on a davantage usé et abusé dans le cirque médiatique que celui de « génération ». J’ai essayé un jour de compter le nombre de « générations » qui ont été claironnées au cours des dix dernières années, à commencer par la fameuse « génération perdue» ; je pense en avoir dénombré une bonne douzaine. Elles avaient toutes un point commun : elles n’existaient que sur le papier. La réalité ne nous a jamais fourni le moindre signe tangible, symbolique et inoubliable d’une expérience commune qui nous permettrait de nous distinguer des générations précédentes. Nous l’avons attendu, mais en fait le véritable séisme est passé inaperçu, venant avec la télé par câble, les téléphones mobiles et surtout, l’accès à Internet. Ce n’est qu’aujourd’hui que nous pouvons appréhender pleinement à quel point les choses ont radicalement changé depuis les quinze dernières années.
Nous, les enfants du Web; nous qui avons grandi avec Internet et sur Internet, nous sommes une génération qui correspond aux critères de ce qu’est une génération subversive. Nous n’avons pas vécu une nouvelle mode venue de la réalité, mais plutôt une métamorphose de cette réalité. Ce qui nous unit n’est pas un contexte culturel commun et limité, mais la conviction que le contexte est défini par ce que nous en faisons et qu’il dépend de notre libre choix.
En écrivant cela, je suis conscient que j’abuse du pronom « nous », dans la mesure ou ce « nous » est variable, discontinu, nébuleux. Il signifie alors « beaucoup d’entre nous » ou « la plupart d’entre nous ». Quand j’écris « nous sommes » c’est pour dire que nous le sommes souvent. Je n’emploie « nous » que pour être en mesure de parler de la majorité d’entre nous.
 

Premièrement

Nous avons grandi avec Internet et sur Internet. Voilà ce qui nous rend différents.
Voilà ce qui rend la différence décisive, bien qu’étonnante selon notre point de vue : nous ne « surfons » pas et Internet n’est pas un « espace » ni un « espace virtuel ». Internet n’est pas pour nous une chose extérieure à la réalité mais en fait partie intégrante : une couche invisible mais toujours présente qui s’entrelace à notre environnement physique, une sorte de seconde peau
Nous n’utilisons pas Internet, nous vivons sur Internet et à ses côtés. Nous nous sommes fait des amis et des ennemis en ligne, nous avons préparé des antisèches en ligne pour passer des examens. nous avons prévu des soirées et des sessions de travail en ligne, nous sommes tombés amoureux et avons rompu en ligne. Le Web n’est pas pour nous une technologie que nous avons dû apprendre et sur laquelle nous aurions mis la main. Le Web est un processus en constante évolution sous nos yeux ; avec nous et grâce à nous. Les technologies voient le jour puis deviennent obsolètes, des sites web sont élaborés, ils émergent, s’épanouissent puis meurent, mais le Web continue, parce que nous sommes le Web ; c’est nous, en communiquant ensemble d’une façon qui nous est devenue naturelle, plus intense et efficace que jamais auparavant dans l’histoire de l’espèce humaine.
Nous avons grandi avec le Web et nous pensons de façon différente. La faculté de trouver les informations est pour nous aussi évidente que peut l’être pour vous la faculté de trouver une gare ou un bureau de poste dans une ville inconnue. Lorsque nous voulons savoir quelque chose — depuis les premiers symptômes de la varicelle jusqu’aux raisons de la hausse de notre facture d’eau, en passant par les causes du naufrage de « l’Estonia » — nous prenons nos marques avec la confiance du conducteur d’une voiture équipée d’un système de navigation par satellite. Nous savons que nous allons trouver l’information dont nous avons besoin sur de nombreux sites, nous savons comment nous y rendre, nous savons comment évaluer leur crédibilité. Nous avons appris à accepter qu’au lieu d’une réponse unique nous en trouvions beaucoup d’autres, et dégager de celles-ci la plus réponse la plus probable, en laissant de côté celles qui ne semblent pas crédibles. Nous choisissons, nous filtrons, nous nous rappelons, et nous sommes prêts à échanger les informations apprises contre une autre, meilleure, quand elle se présente.
Pour nous, le Web est une sorte de disque dur externe. Nous n’avons pas besoin de nous souvenir des détails qui ne sont pas indispensables : dates, sommes, formules, clauses, noms de rues, définitions détaillées. Il nous suffit d’avoir un résumé, le nécessaire pour traiter l’information et la transmettre aux autres. Si nous avons besoin de détails, nous pouvons les consulter en quelques secondes. De la même façon, nous n’avons pas besoin d’être expert dans tous les domaines, car nous savons où trouver les spécialistes de ce que nous ne connaissons pas et en qui nous pouvons avoir confiance. Des gens qui vont partager leur savoir avec nous non pas pour l’argent, mais en raison de cette conviction partagée que l’information existe en mouvement, qu’elle doit être libre, que nous bénéficions tous de l’échange d’informations.
Et ce tous les jours : pendant nos études, au travail, lors de la résolution de problèmes quotidiens ou lorsque ça nous intéresse. Nous connaissons la compétition et nous aimons nous y lancer, mais notre compétition, notre désir d’être différents, sont construits sur le savoir, dans la capacité à interpréter et à traiter l’information, et non dans sa monopolisation.

Deuxièmement

Participer à la vie culturelle n’est pas quelque chose d’extraordinaire pour nous : la culture globale est le socle de notre identité, plus important pour nous définir que les traditions, les récits historiques, le statut social, les ancêtres ou même la langue que nous utilisons.
Dans l’océan d’évènements culturels que nous propose Internet, nous choisissons ceux qui nous conviennent le mieux. Nous interagissons avec eux, nous en faisons des critiques, publions ces critiques sur des sites dédiés, qui à leur tour nous suggèrent d’autres albums, films ou jeux que nous pourrions aimer. Nous regardons des films, séries ou vidéos, que nous partageons avec nos proches ou des amis du monde entier (que parfois nous ne verrons peut-être jamais dans la vie réelle). C’est pourquoi nous avons le sentiment que notre culture devient à la fois individuelle et globale. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin d’y accéder librement (NdT : le mot polonais original, swobodnego, semble bien faire référence à la liberté et non la gratuité).
Cela ne signifie pas que nous exigions que tous les produits culturels nous soient accessibles sans frais, même si quand nous créons quelque chose, nous avons pris l’habitude de simplement et naturellement le diffuser. Nous comprenons que la créativité demande toujours des efforts et de l’investissement, et ce malgré la démocratisation des techniques de montage audio ou vidéo. Nous sommes prêts à payer, mais les énormes commissions que les distributeurs et intermédiaires demandent nous semblent de toute évidence exagérées. Pourquoi devrions-nous payer pour la distribution d’une information qui peut facilement et parfaitement être copiée sans aucune perte de qualité par rapport à l’original qui n’est en rien altéré par l’opération ? Si nous ne faisons que transmettre l’information, nous voulons que le prix en soit adapté. Nous sommes prêts à payer plus, mais nous attendons en échange une valeur ajoutée : un emballage intéressant, un gadget, une meilleure qualité, la possibilité de regarder ici et maintenant, sans devoir attendre que le fichier soit téléchargé. Nous pouvons faire preuve de reconnaissance et nous voulons récompenser le créateur (depuis que l’argent a arrêté d’être sur papier pour devenir une suite de chiffres sur un écran, le paiement est devenu un acte d’échange symbolique qui suppose un bénéfice des deux cotés), mais les objectifs de vente des grandes sociétés ne nous intéressent pas pour autant. Ce n’est pas notre faute si leur activité n’a plus de sens sous sa forme traditionnelle, et qu’au lieu d’accepter le défi en essayant de proposer quelque chose de plus que nous ne pouvons pas obtenir gratuitement, ils ont décidé de défendre un modèle obsolète.
Encore une chose. Nous ne voulons pas payer pour nos souvenirs. Les films qui nous rappellent notre enfance, la musique qui nous a accompagnés dix ans plus tôt. Dans une mémoire mise en réseau, ce ne sont plus que des souvenirs. Les rappeler, les échanger, les remixer, c’est pour nous aussi naturel que pour vous les souvenirs du film Casablanca. Nous trouvons en ligne les films que nous regardions enfants et nous les montrons à nos propres enfants, tout comme vous nous racontiez les histoires du Petit chaperon rouge ou de Boucle d’Or. Pouvez-vous vous imaginer que quelqu’un vous poursuive pour cela en justice ? Nous non plus.

Troisièmement

Nous avons l’habitude de payer automatiquement nos factures du moment que le solde de notre compte le permet. Nous savons que pour ouvrir un compte en banque ou changer d’opérateur téléphonique il suffit de remplir un formulaire en ligne et signer une autorisation livrée par la poste. Nous sommes capables d’organiser de longs voyages en Europe en à peine 2 heures. En tant qu’administrés nous sommes de plus en plus dérangés par les interfaces archaïques. Nous ne comprenons pas pourquoi, pour nos impôts par exemple, nous devrions remplir plusieurs formulaires papiers où le plus gros peut comporter plus de cent questions. Nous ne comprenons pas pourquoi nous devons justifier d’un domicile fixe (il est absurde de devoir en avoir un) avant de pouvoir entreprendre d’autres démarches, comme si les administrations ne pouvaient pas régler ces choses sans que nous devions intervenir.
Il n’y a pas trace en nous de cet humble consentement dont faisaient preuve nos parents, convaincus que les questions administratives étaient de la plus haute importance et qui considéraient les interactions avec l’État comme quelque chose à respecter obséquieusement. Ce respect ancré dans la distance entre le citoyen solitaire et la hauteur majestueuse dans laquelle réside la classe dominante, à peine visible là-haut dans les nuages, nous ne l’avons plus. Nous avons l’habitude d’entamer des discussions avec n’importe qui, qu’il s’agisse d’un journaliste, maire, professeur ou une pop star, et nous n’avons besoin d’aucun diplôme lié à notre statut social pour cela. Le succès des interactions dépend uniquement de savoir si le contenu de notre message sera considéré comme important et digne d’une réponse. Et si, par la coopération, l’esprit critique, la controverse, la défense de nos arguments, etc. nous avons l’impression que nos opinions sur de nombreux sujets sont bonnes voire meilleures, pourquoi ne pourrions-nous pas envisager de dialoguer sérieusement avec nos gouvernements ?
Nous ne ressentons pas un respect religieux pour les « institutions démocratiques » dans leur forme actuelle, nous ne croyons pas à l’irrévocabilité de leurs rôles comme tous ceux qui considèrent que les institutions démocratiques comme des objets de vénération qui se construisent d’elles-mêmes et à leur propre fin. Nous n’avons pas besoin de ces monuments. Nous avons besoin d’un système qui soit à la hauteur de nos attentes, un système qui soit transparent, flexible et en état de marche. Et nous avons appris que le changement est possible, que tout système difficile à manier peut être remplacé par un plus efficace, qui soit mieux adapté à nos besoins en offrant plus d’opportunités.
Ce qui nous importe le plus, c’est la liberté. La liberté de s’exprimer, d’accéder à l’information et à la culture. Nous croyons qu’Internet est devenu ce qu’il est grâce à cette liberté et nous pensons que c’est notre devoir de défendre cette liberté. Nous devons cela aux générations futures comme nous leur devons de protéger l’environnement.
Peut-être que nous ne lui avons pas encore donné de nom, peut-être que nous n’en sommes pas encore complètement conscient, mais ce que nous voulons est une vraie et réelle démocratie. Une démocratie qui n’a peut-être jamais été rêvée par vos journalistes.




12/03/2012

L' archipel pirate 2.0

Voici le texte que j'ai distribué lors de l'Anonymact.Vous pouvez le télécharger en PDF en cliquant ---> ici!


On a tous en mémoire cette image du jeune chinois face au tank sur la place Tian'anmen.Ou des photos du mur de Berlin, du premier pas de l'humanité sur la Lune. Si ces images ont façonné un imaginaire collectif, elles étaient pourtant encore porteuses d'une caractéristique du passé, elles nous étaient mise à disposition par des journaux, des gouvernements... souvent dans un but de propagande ou de marketing. Aujourd'hui, le porte-voix a changé de sens. Il ne porte plus la parole d'en haut vers le bas. L'Histoire ne reflète plus l'éclat des puissants, elle conte la vie de la multitude. Le mégaphone ne porte plus même la voix du bas vers le haut, mais horizontalement. Il est aujourd'hui possible de suivre en direct une manifestation à l'autre bout du monde, d'en partager les images sans passer par un quelconque intermédiaire plus ou moins indépendant. C'est l'émergence, non plus d'un imaginaire collectif, mais bien d'une conscience collective qui est ici à l’œuvre.


L'utilisation des réseaux sociaux comme outil de mobilisation est un bon exemple de hack réussi. Dans sons sens premier, le hack est le détournement de la fonction de l'objet qu'on nous vend. Ni Facebook, ni Twitter n'ont été créés pour fomenter les révolutions arabes, pour permettre aux indignés d'occuper le haut du pavé ou pour faciliter l'organisation d'#Op anonymes.
Pourtant, le rôle des réseaux sociaux a été déterminant et le sera à n'en pas douter de plus en plus. Le problème relève dès lors du droit d'auteur. C'est à dire qu'en nous vendant des objets, les entreprises nous vendent une fonction, un concept. Car si on veut l'appareil qui fait ce qu'on fait faire à l'objet inapproprié, il existe et si par mésaventure il n'existait pas encore, les pourvoyeurs de nos désirs se feraient un plaisir de nous en pondre un. ACTA et toutes les lois similaires à travers le globe ne sont rien d'autre qu'une surveillance du Net pour que les grandes entreprises puissent s'assurer que nous utilisions les objets dans leur "juste" fonction et que nous ne n'utilisions pas les objets qu'ils nous vendent à des fins qui pourraient aller à l'encontre de leur économie moribonde. Dans le monde réel (semences, médicaments génériques...) aussi bien que dans le monde virtuel (criminalisation du partage de l'information...).
Jusqu'à présent le hack consistait donc à détourner le concept, pas l'objet lui-même. Maintenant imaginez un monde où des imprimantes 3D seraient capables de reproduire couche à couche un objet scanné. Dès à présent, The Pirate Bay a commencé à mettre à disposition les données d'objets numérisés en 3D (1). Imaginez, à terme, la révolution que cela peut représenter en terme d'auto-organisation de la production. Imaginez comment réagiront les gouvernements et leurs lobbys si le moyen de reproduire un objet du quotidien était à portée de la main. Imaginez les problèmes de propriété intellectuel qui découleront de ces pratiques. L'un des levier de l'économie capitaliste s'en trouverait menacée comme le fait remarquer Adrian Bowyer (2). Si la satisfaction de nos besoin matériel peut s'autonomiser de « l'offre » du patronat, en organisant pourquoi pas des FabLab (3) municipaux pour les besoins communs, un peu à la manière des fours des villages du Moyen-Âge. Des lieux où chacun pourrait venir reproduire un objet mettraient à bas l'industrie. Dans le même ordre d'idée, Jeremy Rifkin (4) applique cette décentralisation de la production à l'énergie, renvoyant le centralisme nucléaire ou des énergies fossiles au statut de formes passéistes... des fossiles d'un autre âge de l'humanité. Son exemple s’appuie sur l'adaptation de nos lieux de vie à des normes écologiques où chaque immeuble doit pourvoir à ses propres besoins énergétique et, à terme, à une forme d'échange d'énergie à la manière dont nous
partageons aujourd'hui l'information.
Adapter en temps réel l'offre à la demande et non cette concurrence faussée par le fric qui domine les société depuis la première révolution industrielle. Un échange, un potlach de l'ère numérique, pair à pair. Une remise en cause de la propriété privé qui régit des biens de la communauté. La propriété c'est le vol : propriété des moyens de productions, propriété industrielle, propriété intellectuelle. Vive l'échange entre pairs, ce socialisme du XXIe siècle comme le définit Michel Bauwens (5). Ce ne sont donc plus seulement les intermédiaires de l'industrie du divertissement – ciné, musique – qui voient leur rôle remis en cause. Avec cet outil formidable d'auto-organisation qu'est l'Internet, c'est une économie qui peut naître. Une économie dans le sens noble du terme, c'est à dire non pas le gaspillage dangereux de l'ère industrielle et de la consommation de masse, l'ère de l'offre avec son flux constant de publicité pour écouler leur came dans les veines de la société. Cette ère de l’obsolescence programmée. Cette économie nouvelle sera une ère de la récupération, de la bidouille, une ère où la consommation tendra à ne plus être de masse, mais au contraire individualisé, une ère de la demande.
Ce changement de paradigme de la consommation tient son pendant dans la production, avec la possibilité de faire appel à la communauté pour travailler sur un projet. A l'image du Chaos Computer Club (6) et de son projet de lancer des satellites pirates pour accéder au réseau sans censure. A l'image aussi de Pirate Bay qui en offrant à la communauté ses scannes 3D espère bien stimuler la participation et développer le concept. A l'image de Wikipedia, qui prouve la validité d'une encyclopédie basé sur un savoir mutualisé en lieu et place d'un savoir spécialisé. A l'image dont "vivent" les logiciels libres, toujours améliorable par la communauté. A l'image du CopyLeft ou des licences Creative Commons... Des modèles où l'échange monétaire laisse la place à une satisfaction plus personnelle. Des modèles où les classes tendent à disparaître. Le prolo ne vend plus sa force de travail. Le patron ne fait plus son beurre en prélevant la différence entre la simple addition des travaux individuels et la démultiplication engendrée par l'effort collectif... privant les prolétaires du beurre qui égaie l'assiette d'épinards.
Pas facile de se reconnaître dans toutes ses images. Parfois certaines facettes semblent même incompatibles. Mais on en revient là, à cette diversité foisonnante de l'expérimentation. Internet est une communauté, le fameux village
global. Ce village s'est construit autour du partage. Mais contrairement à la vie réelle, le partage sur Internet n'est pas division, mais multiplication. Lorsqu'on offre un document à la communauté virtuelle, on n'en est pas dépossédé. Partage des connaissances. Partage du divertissement. Les jeux en réseau évidemment, le
partage de fichiers culturels. Partage de talent. Jetez un œil ou deux sur des sites de photos. Le talent n'est pas l'apanage d'une élite. L'exposition médiatique d'un travail donnait l'illusion de la rareté. Mais quand on voit certaines photo "d'amateurs", elle n'ont souvent rien à envier à celles de professionnels. Internet révèle la multitude des talents. Ce qui ne signifie en rien que par la magie du réseau chacun peut prétendre à posséder tous les talent. Non, mais le net permet l'exposition médiatique qui jusqu'alors était aux mains d'une caste – ah tiens ça me rappelle un certain Gutenberg. Encore un intermédiaire qui saute. Comme dans les Amaps ou dans les Systèmes d'échanges locaux. Comme dans la scène punk qui fut capable de créer son réseau de salles de concerts, ses fanzines... Du producteur au consommateur. C'est tout le système économique qui est à revoir. Passer à une économie de la participation, en faisant l'économie des intermédiaires. Passer "du consumérisme toxique à une économie de la contribution" comme le suggère le philosophe Bernard Stiegler (7). Une économie du Do It Yourself qui existe déjà, en petits îlots épars. Interconnectons les initiatives et une nouvelle économie pourrait apparaître... Une économie qui menace dores et déjà l'économie capitaliste. Interconnectons ces îlots et nous voyons se dessiner un archipel pirate.

Un archipel pirate car ne nous voilons pas la face, cette dénomination de pirate est à rapprocher de certaines tentatives utopiques des prolétaires des océans qui s'étaient extrait de l'esclavage de leur temps. Mais s'ils sont restés dans l'Histoire comme des pirates, c'est parce que l'Histoire a été écrite par leurs vainqueurs. Renversons l'ordre établi et nous passerons du statut de pirate à celui de résistants, de pionniers. La plupart des frères de la côte ne faisaient pas de politique au sens partisan en usage à l'âge d'or de la piraterie. Comme aujourd'hui les Anonymous ne font pas de politique. Ils défendent les droits sur l'océan numérique, créant autant de TAZ (8) sur le réseau, autant d'associations libres et éphémères nécessaires à une opération.
De la même manière, le mouvement des indignés a mis en avant sa non appartenance à la politique partisane. C'est un retour de boomerang du monde virtuel vers la vie réelle. On ne cherche pas à se mettre d'accord ici et maintenant sur les solutions qu'apportent socialistes ou libéraux, progressistes ou conservateurs... des catégories que chacun de nous peut endosser et échanger au grès des sujets abordés. Anonymous, comme les Occupy ou les internautes tunisiens remettent en cause une fois de plus l'intermédiaire : l'homme et la femme politique. On réagit ensuite au besoins spécifiques de chaque situation. Car l'internaute accède à une masse d'information qui lui permet de se saisir des problématiques de la cité, de la Res Publica sans à priori idéologique mais par la bidouille, la pratique, l'expérimentation et le partage dans un cadre horizontal et non autoritaire.
En cela, cette (r)évolution pourrait être bien plus puissante qu'une révolution partisane. Elle n'est pas le fruit du passé, elle est la graine du rhizome de demain. Cette révolution ne cherche pas à prendre le pouvoir. Elle ne cherche même pas consciemment à détruire le pouvoir. Pourtant, en élargissant la base de la pyramide sociétale, elle fera tomber le sommet. Cette révolution ne cherche pas non plus à esquiver le débat, au contraire, elle veut le créer dans des conditions démocratiques réelles. On change le système d'exploitation et les logiciels, on passe en libre. On change d'échelle. On se dirige vers une démocratie globale et décentralisée. Mais nos données personnelles sont préservées. Nous gardons nos opinions, nos favoris. Simplement, n'attendez plus d'ordres d'un chef ni l'obéissance d'employés. C'est une démocratie de citoyens anonymes qui apprennent à se connaître. Mais des anonymes qui savent qu'ils ne veulent pas qu'on touche à la liberté qu'offre internet. Une liberté où la transparence des débats, des enjeux doit être la règle, comme le site Wikileaks l'a initié au grand damne des adeptes des secrets d’États ou industriels. En cela, le rapprochement de ces derniers jours entre le site de Julian Assange et de la nébuleuse Anonymous (9) est porteur de grandes terreurs pour les puissants dans les années à venir. Les citoyens anonymes ont appris à cohabiter au-delà des apparences. Dans un monde de transparence, les apparences s'effacent devant les faits. Dans cette Do-ocracie qui s'intéresse à la couleur de peau du gars, ou de la fille avec qui on butte des aliens dans un jeu en réseau ? Qui s'intéresse à la couleur politique du blogueur de Marmiton.org ? Quelle importance ont le sexe ou les préférences sexuelles de celles et ceux avec qui on participe à une attaque en déni de service ? Internet n'est pas le monde. Pas plus qu'il n'en serait un simple outil. Il est une extension du monde réel. Ce territoire s'est construit sur certaines bases : liberté d'expression et d'accès à l'information, neutralité du réseau, décentralisation et participation. Ajoutons-y le respect de la diversité et de la vie privée.
Si Internet est une extension du monde, il n'en est donc pas déconnecté et les deux mondes interagissent. Voilà peut-être une réponse à la morosité des milieux militants ces dernières années. Une explication plausible à l'abstention, au désintérêt apparent des jeunes pour la politique. Ils redéfinissaient - à leur propre insu - La Politique. Ces gamins bidouilleurs ne se forgeaient pas seulement une Histoire commune – avec des figures et des évènements de portée mondiale – mais ils se sont construit un présent commun. Un présent où la libre association est la règle. Un présent débarrassé de frontières, un monde où de chez soi on peut partager avec le monde entier. Un lieux où il n'y a plus ni peuples ni dirigeants, mais une multitude en interconnexion. Ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas de règle ou de cultures. Forums, commentaires de bas d'articles, salon de chat de jeux en réseau suivent des codes de bonnes conduites. En ce domaine aussi le réseau est moins un continent virtuel qu'un archipel numérique. Un monde, comme dirait les zapatistes, qui contiendrait tous les mondes.
La mutation due au succès récent d'Anonymous pose ainsi un problème éthique, comme on l'a vu avec l'attaque du site de l'Expresse. Anonymous ne s'attaque pas à la presse et l'a rappelé après que le site ait été mis hors service, suite à la provocation de son directeur à l'écharpe aussi rouge que la muleta d'un toréador. Les valeurs primordiales du vivre ensemble sur Internet doivent être transmises. L'absence de hiérarchie – l'anarchie - n'est pas l'absence de règles communes. Mais des règles discutées et acceptées par toutes et tous, pas des lois édictées par des intermédiaires plus ou moins démocratiques. Si on peut se mettre d'accord là-dessus, on aura franchi un cap. Après, que le débat démocratique de chaque communauté – virtuelles ou réelles – ait lieu. Chacun défendra ses positions, mais au moins le débat ne sera-t-il plus faussé.
Bien sûr, le village global possède les défauts de tous villages. Tout le monde se connaît et il est bien difficile de passer inaperçu lorsqu'on va acheter ses premières capotes dans la pharmacie où votre mère supérieure cherche l’onguent pour soigner ses varices, ou des longues OCB chez le buraliste où votre grand frère - Big Brother - achète son quotidien préféré. Mais la "petitesse" du village - Internet aboli les distances - facilite aussi les solidarités. Et si l'anonymat peut être une réponse aux inconvénients, elle n'entrave en rien la solidarité. L'anonymat n'est ici qu'un masque protégeant la vie privée, tandis que pour nos intermédiaires en sursis le masque est celui des apparences, un miroir aux alouettes. Nous, nous savons ce qui se cache derrière le masque de notre anonymat...

Si le cerveau est une interface entre l'être et l'avoir - c'est à dire entre le monde intérieur et le monde extérieur - avec Internet, le cerveau est aussi devenu l'interface être/savoir. Heureusement pour nous, les intermédiaires ne nous vendent pas (encore) nos cerveaux, il n'est pas encore interdit de le hacker, de détourner notre cerveau du droit chemin, de la fonction que nos dirigeants nous aimeraient lui voir attribuer... un réceptacle vendu à la pub. De cette bataille du net, par effet de miroir entre les facettes de nos cerveaux, dépendront les interconnexions entre l'être, l'avoir et le savoir... entre nos mondes intimes, les mondes virtuels et le monde réel. C'est aussi là que réside l'importance des batailles à venir autour de la manière dont se développera l'Internet dans les prochaines années, entre modèle marchand et modèle coopératif. Entre un réseau propriétaire et un réseau libre.
Les intermédiaires capitalistes ont fini par confondre leur image avec la réalité. Ils ont oubliés qu'ils n'ont été qu'une réponse à un moment donné de l'histoire du
développement de l'humanité. Ils ont fini par confondre l'être et l'avoir en oubliant le savoir. Face à un miroir devenu une fenêtre ouverte sur la transparence, leur masque de rigueur n'est plus que triste figure.

Bas les masques !



1 : Sur les imprimantes 3D et l'émergence d'objets « open-source », lire http://owni.fr/2010/08/20/vers-des-objets-open-source/
2 : Ingénieur, mathématicien et inventeur de la RepRap. Lire par exemple: http://owni.fr/2011/09/15/imprimer-le-reel-a-portee-de-main/
3 : Fabrication Laboratory, sorte de mini-usine collaborative. Lire par exemple : http://owni.fr/2012/02/23/fab-lab-la-pharmacopee-anti-crise/
5: Théoriciens des systèmes pair-à-pair, à l'origine de la Fondation pour les alternatives peer-to-peer. Lire l'article que Rue89 lui consacre : http://blogs.rue89.com/greensiders/2012/01/16/bauwens-le-peer-peer-est-le-socialisme-du-xxie-siecle-226170
6 : Au sujet du projet de satellites pirates lire par exemple, le billet sur mon blog : http://portapluma.blogspot.com/2012/01/satellite-pirate.html
8 : TAZ de Hakim Bey peut être consulté en ligne ici : http://www.lyber-eclat.net/lyber/taz.html
Si ces sujets vous intéresse vous pourrez trouver des réflexions intéressantes sur les sites suivants: owni.fr, reflets.info, sur framablog.org, sur le site de la Quadrature du net, le blog de Bluetouff...
Vous pouvez également chercher par vous-même, le Do It Yourself étant un bon début pour vous plonger dans ces réflexions ;-)




Photos: Anonymact, samedi 10 mars 2012 @el_portaplumas
Dessin: emprunté sur la toile

07/03/2012

Socialisme 2.0

Après le texte sur la fin du capitalisme, voici le deuxième texte qui lui évoque l'émergence d'un socialisme 2.0. Ce texte me semble bien plus soumis à débat que le précédent tant il est bien plus difficile de s’étendre sur ce qui se construit que sur ce qui s'effondre. Toutefois il me semblait intéressant de mettre en lien ces deux texte qui ont en commun de mettre en lumière des mécanismes qui travaillent aujourd'hui notre monde globalisé.
D'ici quelques jours, je vous proposerai un troisième texte - lui aussi trouvé sur framablog - qui me semble aller de pair avec ce texte et le précédent. Vous pouvez retrouver ce texte sur le site framablog.
Bonne lecture



Le socialisme nouveau est arrivé


Le socialisme est mort, vive le socialisme ? À l’instar de Is Google making us stupid? c’est une nouvelle traduction de poids que nous vous proposons aujourd’hui.
Un socialisme nouveau, revu et corrigé, est en train de prendre forme sur Internet. Telle est l’hypothèse de Kevin Kelly, célèbre éditorialiste du célèbre magazine Wired. Et l’on ne s’étonnera guère d’y voir le logiciel libre associé aux nombreux arguments qui étayent son propos.
Vous reconnaissez-vous dans ce « socialisme 2.0 » tel qu’il est présenté ici ? Peut-être oui, peut-être non. Mais il n’est jamais inutile de prendre un peu de recul et tenter de s’interroger sur ce monde qui s’accélère et va parfois plus vite que notre propre capacité à lui donner du sens.

Le nouveau Socialisme : La société collectiviste globale se met en ligne

Kevin Kelly - 22 mai 2009 - Wired
(Traduction Framalang : Poupoul2, Daria et Don Rico)


Bill Gates s’est un jour moqué des partisans de l’Open Source avec le pire épithète qu’un capitaliste puisse employer. Ces gens-là, a-t-il dit, sont « une nouvelle race de communistes », une force maléfique décidée à détruire l’incitation monopolistique qui soutient le Rêve Américain. Gates avait tort : les fanatiques de l’Open Source sont plus proches des libertariens que des communistes. Il y a pourtant une part de vérité dans son propos. La course effrénée à laquelle on se livre partout sur la planète pour connecter tout le monde avec tout le monde dessine doucement les contours d’une version revue et corrigée du socialisme.
Les aspects communautaires de la culture numérique ont des racines profondes et étendues. Wikipédia n’est qu’un remarquable exemple de collectivisme émergeant parmi d’autres, et pas seulement Wikipédia mais aussi toute le système des wikis. Ward Cunningham, qui inventa la première page web collaborative en 1994, a recensé récemment plus de cent cinquante moteurs de wiki différents, chacun d’entre eux équipant une myriade de sites. Wetpaint, lancé il y a tout juste trois ans, héberge aujourd’hui plus d’un million de pages qui sont autant de fruits d’un effort commun. L’adoption massive des licences de partage Creative Commons et l’ascension de l’omniprésent partage de fichiers sont deux pas de plus dans cette direction. Les sites collaboratifs tels que Digg, Stumbleupon, the Hype Machine ou Twine poussent comme des champignons et ajoutent encore du poids à ce fantastique bouleversement. Chaque jour nous arrive une nouvelle start-up annonçant une nouvelle méthode pour exploiter l’action communautaire. Ces changements sont le signe que l’on se dirige lentement mais sûrement vers une sorte de socialisme uniquement tourné vers le monde en réseau.
Mais on ne parle pas là du socialisme de votre grand-père. En fait, il existe une longue liste d’anciens mouvements qui n’ont rien à voir avec ce nouveau socialisme. Il ne s’agit pas de lutte des classes. Il ne s’agit pas d’anti-américanisme. Le socialisme numérique pourrait même être l’innovation américaine la plus récente. Alors que le socialisme du passé était une arme d’État, le socialisme numérique propose un socialisme sans État. Cette nouvelle variété de socialisme agit dans le monde de la culture et de l’économie, plutôt que dans celui de la politique… pour le moment.
Le communisme avec lequel Gates espérait salir les créateurs de Linux est né dans une période où les frontières étaient rigides, la communication centralisée, et l’industrie lourde et omniprésente. Ces contraintes ont donné naissance à une appropriation collective de la richesse qui remplaçait l’éclatant chaos du libre marché par des plans quinquennaux imposés par un politburo tout puissant.
Ce système d’exploitation politique a échoué, c’est le moins que l’on puisse dire. Cependant, contrairement aux vieilles souches du socialisme au drapeau rouge, le nouveau socialisme s’étend sur un Internet sans frontières, au travers d’une économie mondiale solidement intégrée. Il est conçu pour accroître l’autonomie individuelle et contrecarrer la centralisation. C’est la décentralisation à l’extrême.
Au lieu de cueillir dans des fermes collectives, nous récoltons dans des mondes collectifs. Plutôt que des usines d’État, nous avons des usines d’ordinateurs connectées à des coopératives virtuelles. On ne partage plus des forêts, des pelles ou des pioches, mais des applications, des scripts et des APIs. Au lieu de politburos sans visage, nous avons des méritocracies anonymes, où seul le résultat compte. Plus de production nationale, remplacée par la production des pairs. Finis les rationnements et subventions distribués par le gouvernement, place à l’abondance des biens gratuits.
Je reconnais que le terme socialisme fera forcément tiquer de nombreux lecteurs. Il porte en lui un énorme poids culturel, au même titre que d’autres termes associés tels que collectif, communautaire ou communal. J’utilise le mot socialisme parce que techniquement, c’est celui qui représente le mieux un ensemble de technologies dont l’efficience dépend des interactions sociales. L’action collective provient grosso modo de la richesse créée par les sites Web et les applications connectées à Internet lorsqu’ils exploitent du contenu fourni par les utilisateurs. Bien sûr, il existe un danger rhétorique à réunir autant de types d’organisation sous une bannière aussi provocatrice. Mais puisqu’il n’existe aucun terme qui soit vierge de toute connotation négative, autant donner une nouvelle chance à celui-là. Lorsque la multitude qui détient les moyens de production travaille pour atteindre un objectif commun et partage ses produits, quand elle contribue à l’effort sans toucher de salaire et en récolte les fruits sans bourse délier, il n’est pas déraisonnable de qualifier ce processus de socialisme.
À la fin des années 90, John Barlow, activiste, provocateur et hippie vieillissant, a désigné ce courant par le terme ironique de « point-communisme » (NdT : en référence au point, dot, des nom de domaines des sites Web comme framablog point org). Il le définissait comme une « main d’œuvre composée intégralement d’agents libres », « un don décentralisé ou une économie de troc où il n’existe pas de propriété et où l’architecture technologique définit l’espace politique ». En ce qui concerne la monnaie virtuelle, il avait raison. Mais il existe un aspect pour lequel le terme socialisme est inapproprié lorsqu’il s’agit de désigner ce qui est en train de se produire : il ne s’agit pas d’une idéologie. Il n’y a pas d’exigence de conviction explicite. C’est plutôt un éventail d’attitudes, de techniques et d’outils qui encouragent la collaboration, le partage, la mise en commun, la coordination, le pragmatisme, et une multitude de coopérations sociales nouvellement rendues possibles. C’est une frontière conceptuelle et un espace extrêmement fertile pour l’innovation.


Dans son livre publié en 2008, Here Comes Everybody (NdT : Voici venir chacun), le théoricien des médias Clay Chirky propose une hiérarchie utile pour classer ces nouveaux dispositifs. Des groupes de personnes commencent simplement par partager, puis ils progressent et passent à la coopération, à la collaboration et, pour finir, au collectivisme. À chaque étape, on constate un accroissement de la coordination. Une topographie du monde en ligne fait apparaître d’innombrables preuves de ce phénomène.

I. Le partage

Les masses connectées à l’Internet sont animées par une incroyable volonté de partage. Le nombre de photos personnelles postées sur Facebook ou MySpace est astronomique, et il y a fort à parier que l’écrasante majorité des photos prises avec un appareil photo numérique sont partagées d’une façon ou d’une autre. Sans parler des mises à jour du statut de son identité numérique, des indications géographiques, des bribes de réflexion que chacun publie çà et là. Ajoutez-y les six milliards de vidéos vues tous les mois sur Youtube pour les seuls États-Unis et les millions de récits issus de l’imagination de fans d’œuvres existantes. La liste des sites de partage est presque infinie : Yelp pour les critiques, Loopt pour la géolocalisation, Delicious pour les marque-pages.
Le partage est la forme de socialisme la plus tempérée, mais elle sert de fondation aux niveaux les plus élevés de l’engagement communautaire.

II. La coopération

Lorsque des particuliers travaillent ensemble à atteindre un objectif d’envergure, les résultats apparaissent au niveau du groupe. Les amateurs n’ont pas seulement partagé plus de trois milliards de photos sur Flickr, ils les ont aussi associées à des catégories ou des mots-clés ou les ont étiquetées (NdT : les tags). D’autres membres de la communauté regroupent les images dans des albums. L’usage des populaires licences Creative Commons aboutit à ce que, d’une façon communautaire, voire communiste, votre photo devienne ma photo. Tout le monde peut utiliser une photo, exactement comme un communiste pourrait utiliser la brouette de la communauté. Je n’ai pas besoin de prendre une nouvelle photo de la tour Eiffel, puisque la communauté peut m’en fournir une bien meilleure que la mienne.
Des milliers de sites d’agrégation emploient la même dynamique sociale pour un bénéfice triple. Premièrement, la technologie assiste directement les utilisateurs, en leur permettant d’étiqueter, marquer, noter et archiver du contenu pour leur propre usage. Deuxièmement, d’autres utilisateurs profitent des tags et des marque-pages des autres… Et tout ceci, au final, crée souvent une valeur ajoutée que seul le groupe dans son ensemble peut apporter. Par exemple, des photos d’un même endroit prises sous différents angles peuvent être assemblées pour former une reproduction du lieu en 3D stupéfiante. (Allez voir du côté de Photosynth de Microsoft). Curieusement, cette proposition va plus loin que la promesse socialiste du « chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins », puisqu’elle améliore votre contribution et fournit plus que ce dont vous avez besoin.
Les agrégateurs communautaires arrivent à d’incroyables résultats. Des sites tels que Digg ou Reddit, qui permettent aux utilisateurs de voter pour les liens qu’ils souhaitent mettre en évidence, peuvent orienter le débat public autant que les journaux ou les chaînes de télévision (pour info Reddit appartient à la maison mère de Wired, Condé Nast). Ceux qui contribuent sérieusement à ces sites y consacrent plus d’énergie qu’ils ne pourront jamais en recevoir en retour, mais ils continuent en partie à cause du pouvoir culturel que représentent ces outils. L’influence d’un participant s’étend bien au-delà d’un simple vote, et l’influence collective de la communauté surpasse de loin le nombre de ses participants. C’est l’essence même des institutions sociales, l’ensemble dépasse la somme de ses composants. Le socialisme traditionnel visait à propulser cette dynamique par le biais de l’État. Désormais dissociée du gouvernement et accrochée à la matrice numérique mondiale, cette force insaisissable s’exerce à une échelle plus importante que jamais.

III. La collaboration

La collaboration organisée peut produire des résultats dépassant ceux d’une coopération improvisée. Les centaines de projets de logiciel Open Source, tel que le serveur Web Apache, en sont le parfait exemple. Dans ces aventures, des outils finement ciselés par la communauté génèrent des produits de haute qualité à partir du travail coordonné de milliers ou dizaines de milliers de membres. Contrairement à la coopération traditionnelle, la collaboration sur d’énormes projets complexes n’apporte aux participants que des bénéfices indirects, puisque chaque membre du groupe n’intervient que sur une petite partie du produit final. Un développeur motivé peut passer des mois à écrire le code d’une infime partie d’un logiciel dont l’état global est encore à des années-lumière de son objectif. En fait, du point de vue du marché libre, le rapport travail/récompense est tellement dérisoire (les membres du projet fournissent d’immenses quantités de travail à haute valeur ajoutée sans être payés) que ces efforts collaboratifs n’ont aucun sens au sein du capitalisme.
Pour ajouter à la dissonance économique, nous avons pris l’habitude de profiter du fruit de ces collaborations sans mettre la main à la poche. Plutôt que de l’argent, ceux qui participent à la production collaborative gagnent en crédit, statut, réputation, plaisir, satisfaction et expérience. En plus d’être gratuit, le produit peut être copié librement et servir de socle à d’autres produits. Les schémas alternatifs de gestion de la propriété intellectuelle, parmi lesquelles Creative Commons ou les licences GNU, ont été créés pour garantir ces libertés.
En soi, la collaboration n’a bien sûr rien de spécialement socialiste. Mais les outils collaboratifs en ligne facilitent un style communautaire de production qui exclut les investisseurs capitalistes et maintient la propriété dans les mains de ceux qui travaillent, voire dans celles des masses consommatrices.

IV Le collectivisme

Alors qu’une encyclopédie peut être rédigée de façon coopérative, nul n’est tenu pour responsable si la communauté ne parvient pas au consensus, et l’absence d’accord ne met pas en danger l’entreprise dans son ensemble. L’objectif d’un collectif est cependant de concevoir un système où des pairs autogérés prennent la responsabilité de processus critiques, et où des décisions difficiles, comme par exemple définir des priorités, sont prises par l’ensemble des acteurs. L’Histoire abonde de ces centaines de groupes collectivistes de petite taille qui ont essayé ce mode de fonctionnement. Les résultats se sont révélés peu encourageants (quand bien même on ne tienne pas compte de Jim Jones et de la « famille » de Charles Manson).
Or, une étude approfondie du noyau dirigeant de Wikipédia, Linux ou OpenOffice, par exemple, montre que ces projets sont plus éloignés de l’idéal collectiviste qu’on pourrait le croire vu de l’extérieur. Des millions de rédacteurs contribuent à Wikipédia, mais c’est un nombre plus restreint d’éditeurs (environ mille cinq cents) qui est responsable de la majorité de l’édition. Il en va de même pour les collectifs qui écrivent du code. Une myriade de contributions est gérée par un groupe plus réduit de coordinateurs. Comme Mitch Kapor, membre fondateur de la Mozilla Open Source Code Factory, le formule : « au cœur de toutes les anarchies qui marchent, il y a un réseau à l’ancienne ».
Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Certaines formes de collectivisme tirent avantage de la hiérarchie, alors que d’autres en souffrent. Des plateformes tels qu’Internet et Facebook, ou même la démocratie, qui servent de substrat à la production de biens ou à la fourniture de services, profitent de l’absence quasi totale de hiérarchie, laquelle réduit les obstacles à l’intégration et permet la répartition équitable des droits et responsabilités. Lorsque des acteurs puissants émergent, la structure dans son ensemble souffre. D’un autre côté, les organisations bâties pour créer des produits ont souvent besoin de dirigeants forts, et de hiérarchies organisées capable de se projeter dans l’avenir : l’un des niveaux se concentre sur les besoins immédiats, l’autre sur les cinq années à venir.
Par le passé, il était quasi impossible de construire une organisation qui exploitait la hiérarchie tout en maximisant le collectivisme. Désormais, les réseaux numériques fournissent l’infrastructure nécessaire. Le Net donne la possibilité aux organisations concentrées sur le produit de fonctionner collectivement, tout en empêchant la hiérarchie d’en prendre totalement le pouvoir. L’organisation qui conçoit MySQL, une base de données Open Source, n’est pas animée par un refus romantique de la hiérarchie, mais elle est bien plus collectiviste qu’Oracle. De la même manière, Wikipédia n’est pas un bastion d’égalité, mais elle est largement plus collectiviste que l’encyclopédie Britannica. Le cœur élitiste que nous trouvons au centre des collectifs en ligne est en fait un signe que le socialisme sans État peut fonctionner à grande échelle.
La plupart des occidentaux, moi y compris, ont été endoctrinés par l’idée que l’extension du pouvoir des individus réduit forcément le pouvoir de l’État, et vice versa. Pourtant, dans la pratique, la plupart des politiques socialisent certaines ressources et en individualisent d’autres. Les économies de marché ont pour la plupart socialisé l’éducation, et même les sociétés les plus socialisées autorisent une certaine forme de propriété privée.
Plutôt que de voir le socialisme technologique comme une sorte de compromis à somme nulle entre l’individualisme du marché libre et une autorité centralisée, on peut le considérer comme un système d’exploitation culturel qui élève en même temps l’individu et le groupe. Le but, largement désarticulé mais intuitivement compréhensible, de la technologie communautaire consiste à maximiser l’autonomie individuelle et le pouvoir de ceux qui travaillent ensemble. Ainsi, on peut voir le socialisme numérique comme une troisième voie rendant les vieux débats obsolètes.
Ce concept de troisième voie est également rapporté par Yochai Benkler, auteur de The Wealth of Networks (NdT : La richesse des réseaux), qui a probablement réfléchi plus que quiconque aux politiques des réseaux. Il affirme voir « l’émergence de la production sociale et de la production collective comme une alternative aux systèmes propriétaires et fermés, basés sur l’État ou le marché », notant que ces activités « peuvent accroître la créativité, la productivité et la liberté ». Le nouveau système d’exploitation, ce n’est ni le communisme classique et sa planification centralisée sans propriété privée, ni le chaos absolu du marché libre. C’est au contraire un espace de création émergeant, dans lequel la coordination publique décentralisée peut résoudre des problèmes et créer des richesses, là où ni le communisme ni le capitalisme purs et durs n’en sont capables.
Les systèmes hybrides qui mélangent les mécanismes marchands et non marchands ne sont pas nouveaux. Depuis des décennies, les chercheurs étudient les méthodes de production décentralisées et socialisées des coopératives du nord de l’Italie et du Pays Basque, dans lesquelles les employés sont les propriétaires, prennent les décisions, limitent la distribution des profits et sont indépendants du contrôle de l’État. Mais seule l’arrivée de la collaboration à bas prix, instantanée et omniprésente que permet Internet a rendu possible la migration du cœur de ces idées vers de nombreux nouveaux domaines telle que l’écriture de logiciels de pointe ou de livres de référence.
Le rêve, ce serait que cette troisième voie aille au-delà des expériences locales. Jusqu’où ? Ohloh, une entreprise qui analyse l’industrie de l’Open Source, a établi une liste d’environ deux cent cinquante mille personnes travaillant sur deux cent soixante-quinze mille projets. C’est à peu près la taille de General Motors et cela représente énormément de gens travaillant gratuitement, même si ce n’est pas à temps complet. Imaginez si tous les employés de General Motors n’étaient pas payés, tout en continuant à produire des automobiles !
Jusqu’à présent, les efforts les plus importants ont été ceux des projets Open Source, dont des projets comme Apache gèrent plusieurs centaines de contributeurs, environ la taille d’un village. Selon une étude récente, la version 9 de Fedora, sortie l’année dernière, représenterait soixante mille années-homme de travail. Nous avons ainsi la preuve que l’auto-assemblage et la dynamique du partage peuvent gouverner un projet à l’échelle d’une ville ou d’un village décentralisé.
Évidemment, le recensement total des participants au travail collectif en ligne va bien au-delà. YouTube revendique quelques trois cent cinquante millions de visiteurs mensuels. Presque dix millions d’utilisateurs enregistrés ont contribué à Wikipédia, cent soixante mille d’entre eux sont actifs. Plus de trente-cinq millions de personnes ont publié et étiqueté plus de trois milliards de photos et vidéos sur Flickr. Yahoo héberge près de huit millions de groupes sur tous les sujets possibles et imaginables. Google en compte près de quatre millions.
Ces chiffres ne représentent toujours pas l’équivalent d’une entière nation. Peut-être ces projets ne deviendront-ils jamais grand public (mais si Youtube n’est pas un phénomène grand public, qu’est-ce qui l’est ?). Pourtant, la population qui baigne dans les médias socialisés est indéniablement significative. Le nombre de personnes qui créent gratuitement, partagent gratuitement et utilisent gratuitement, qui sont membres de fermes logicielles collectives, qui travaillent sur des projets nécessitant des décisions collectives, ou qui expérimentent les bénéfices du socialisme décentralisé, ce nombre a atteint des millions et progresse en permanence. Des révolutions sont nées avec bien moins que cela.
On pourrait s’attendre à de la démagogie de la part de ceux qui construisent une alternative au capitalisme et au corporatisme. Mais les développeurs qui conçoivent des outils de partage ne se voient pas eux-mêmes comme des révolutionnaires. On n’est pas en train d’organiser de nouveaux partis politiques dans les salles de réunions, du moins pas aux États-Unis (en Suède, le Parti Pirate s’est formé sur une plateforme de partage, et il a remporté un piètre 0,63% des votes aux élections nationales de 2006).
En fait, les leaders du nouveau socialisme sont extrêmement pragmatiques. Une étude a été menée auprès de deux mille sept cent quatre-vingt-quatre développeurs Open Source afin d’analyser leurs motivations. La plus commune d’entre elles est « apprendre et développer de nouvelles compétences ». C’est une approche pratique. La vision académique de cette motivation pourrait être : « si je bosse sur du code libre, c’est surtout pour améliorer le logiciel ». En gros, la politique pour la politique n’est pas assez tangible.
Même ceux qui restent et ne participent pas au mouvement pourraient ne pas être politiquement insensibles à la marée montante du partage, de la coopération, de la collaboration et du collectivisme. Pour la première fois depuis des années, des pontes de la télévision et des grands magazines nationaux osent prononcer le mot tabou « socialisme », désormais reconnu comme une force qui compte dans la politique des États-Unis. À l’évidence, la tendance à la nationalisation de grosses portions de l’industrie, à l’établissement d’un système de santé public et à la création d’emplois avec l’argent du contribuable n’est pas dû en totalité au techno-socialisme. Ainsi les dernières élections ont démontré le pouvoir d’une base décentralisée et active sur le Web, dont le cœur bat au rythme de la collaboration numérique. Plus nous tirons les bénéfices d’une telle collaboration, plus nous nous ouvrons la porte à un avenir d’institutions socialistes au gouvernement. Le système coercitif et totalitaire de la Corée du Nord n’est plus, le futur est un modèle hybride qui s’inspire de Wikipédia et du socialisme modéré de la Suède.
Jusqu’où ce mouvement nous rapprochera-t-il d’une société non capitaliste, Open Source, à la productivité collaborative ? Chaque fois cette question apparue, la réponse a été : plus près que nous le pensons. Prenons Craigslist, par exemple. Ce ne sont que des petites annonces classées, n’est-ce pas ? Pourtant, ce site a démultiplié l’efficacité d’une sorte de troc communautaire pour toucher un public régional, puis l’a amélioré en intégrant des images et des mises à jour en temps réel, jusqu’à devenir soudain un trésor national. Fonctionnant sans financement ni contrôle public, connectant les citoyens entre eux sans intermédiaire, cette place de marché essentiellement gratuite produit du bien et du lien social avec une efficacité qui laisserait pantois n’importe quel gouvernement ou organisation traditionnelle. Bien sûr, elle ébranle le modèle économique des journaux, mais en même temps il devient indiscutable que le modèle de partage est une alternative viable aux entreprises à la recherche permanente de profits et aux institutions civiques financées par les impôts.
Qui aurait cru que des paysans précaires pourraient obtenir et rembourser des prêts de cent dollars accordés par de parfaits étrangers vivant à l’autre bout du monde ? C’est ce que réussit Kiva en fournissant des prêts de pair-à-pair. Tous les experts de santé publique ont déclaré sous le sceau de la confidentialité que le partage, ça convenait pour les photos, mais que personne ne partagerait son dossier médical. Pourtant, PatientsLikeMe, où les patients mettent en commun les résultats de leurs traitements pour échanger et mieux prendre soin d’eux-mêmes, a montré que l’action collective peut contredire les médecins et leurs craintes concernant la confidentialité.
L’habitude de plus en plus répandue qui consiste à partager ce que vous pensez (Twitter), ce que vous lisez (StumbleUpon), ce que vous gagnez (Wesabe), bref tout et n’importe quoi (le Web) est en train de prendre une place essentielle dans notre culture. En faire de même en créant des encyclopédies, des agences de presse, des archives vidéo, des forges logicielles, de façon collaborative, dans des groupes rassemblant des contributeurs du monde entier sans distinction de classe sociale, voilà ce qui fait du socialisme politique la prochaine étape logique.
Un phénomène similaire s’est produit avec les marchés libres du siècle dernier. Chaque jour, quelqu’un demandait : « Y a-t-il quelque chose que les marchés ne peuvent pas faire ? ». Et on établissait ainsi une liste de problèmes qui semblaient nécessiter une planification rationnelle ou un mode de gouvernance paternaliste en leur appliquant une logique de place de marché. Dans la plupart des cas, c’était la solution du marché qui fonctionnait le mieux, et de loin. Les gains de prospérité des décennies récentes ont été obtenus en appliquant les recettes du marché aux problèmes sociaux.
Nous essayons aujourd’hui d’en faire de même avec la technologie sociale collaborative, en appliquant le socialisme numérique à une liste de souhaits toujours plus grande (jusqu’aux problèmes que le marché libre n’a su résoudre) pour voir si cela fonctionne. Pour l’instant, les résultats ont été impressionnants. Partout, la puissance du partage, de la coopération, de la collaboration, de l’ouverture, de la transparence et de la gratuité s’est montrée plus pragmatique que nous autres capitalistes le pensions possible. À chaque nouvelle tentative, nous découvrons que le pouvoir du nouveau socialisme est plus grand que nous ne l’imaginions.
Nous sous-estimons la capacité de nos outils à remodeler nos esprits. Croyions-nous réellement que nous pourrions construire de manière collaborative et habiter des mondes virtuels à longueur de temps sans que notre perception de la réalité en soit affectée ? La force du socialisme en ligne s’accroît. Son dynamisme s’étend au-delà des électrons, peut-être même jusqu’aux élections.