"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

23/08/2012

Mexique : de la cagoule de Marcos au masque d'Anonymous



Le 1er juillet dernier, le candidat du PRI, Parti Révolutionnaire Institutionnel, de centre gauche, Enrique Pena Nieto a été élu président du Mexique. Des soupçons de fraude pèsent une fois de plus sur l'élection présidentielle mexicaine. Le candidat du Parti de la Révolution Démocratique (PRD, gauche), Andres Manuel Lopez Obrador dit AMLO a d'ailleurs annoncé déposer un recours contre l'élection de son rivale. En 2006 AMLO avait déjà perdu l'élection présidentielle face à Felipe Calderon (PAN, droite chrétienne). AMLO et ses partisans avaient alors refuser de reconnaître Calderon comme leur président, bloquant pendant plus d'un mois le centre de la capitale mexicaine. A l'époque, de vives critiques s'étaient faites entendre contre Marcos et les zapatistes, accusés d'avoir fait perdre le candidat de la gauche, en ne lui épargnant aucune critiques et en refusant d'appeler à voter pour lui. Lors de l'élection de 2006, l'EZLN avait organisé l'Autre Campagne qui tentait de construire à la base un programme de lutte, utilisant le temps électoral pour tenter de créer à l'échelle du pays des liens entre les luttes, tout en refusant de jouer le jeu électoral.
En 2012, Marcos s'est fait plus discret au sujet du scrutin présidentiel. Il faut dire que la situation mexicaine a, entre temps, basculé dans l'horreur. Mais d'autres masques donnent à la révolte un nouveau visage, celui des Anonymous.




Petit retour en arrière pour mieux éclairer le présent :
1994, l'EZLN fait la Une des journaux du monde entier en prenant des villes du Chiapas le 1er janvier. La date se voulait symbolique puisqu'il s'agissait de l'entrée en vigueur de l'ALENA, accord portant sur une zone de libre échange réunissant le Canada, les USA et le Mexique. Très vite l'armée zapatiste se rend à l'évidence, militairement ils ne tiendront pas. Mais ils ont un atout sous leurs cagoules : le sous-commandant insurgé Marcos, un universitaire parti au Chiapas amener la révolution marxiste aux indiens. Mais les peuples du Chiapas ne sont pas nés de la dernière pluie. Marcos et d'autres révolutionnaire doivent apprendre à connaître ces peuples avant de pouvoir les mener à la lutte. L'idéologie de celui qui allait devenir le porte-parole de l'EZLN s'en verra modifiée par les tendances libertaires des modes de vie indigènes. De la même manière les indigènes commenceront une remise en cause de certaines de leurs pratiques, notamment sur la place et le rôle des femmes dans la vie des communautés.
Marcos devient, grâce à son talent littéraire, une nouvelle icône révolutionnaire mondiale. L'EZLN parvient grâce à une utilisation habile des armes de la communication et grâce au développement d'Internet a gagner la sympathie de l'opinion public mondiale. L'EZLN organise par exemple en 1996 les rencontres intergalactiques qui réunissent des milliers de militants du monde entier. Ces rencontres peuvent être perçues, avec le recul, comme les prémices du mouvement altermondialiste qui éclatera au grand jour lors du sommet de Seattle, en 1999.
L'année suivante, en 2000, le Mexique connaît pour la première fois depuis sa révolution l'alternance politique. Après 71 ans de règne sans partage, le PRI cède le pouvoir. Le Parti d'Action Nationale et Vincente Fox offrent aux mexicains l'illusion démocratique. Mais en 2006 les vents semblent porter AMLO vers la victoire. Les places des villes où il tient meeting sont noires de monde et beaucoup pensent possible sa victoire. Le charismatique maire de Mexico est perçu comme le candidat des pauvres. Le PAN conserva toute fois la présidence grâce à la victoire de Calderon. Les résultats du vote qui donnèrent quelques milliers de voix d'avance au candidat du PAN jettent le doute sur les résultats. Certains observateurs de la vie politique mexicaine voient d'ailleurs dans la présidence autoritaire de Calderon un façon de gagner la légitimité qu'il n'avait pas su gagner avec son élection.

Le pouvoir fort de Calderon,
une façon de gagner la légitimité qu'il n'a pas tirée des urnes.

Pendant la mandature de Calderon, AMLO a continuer à construire son mouvement. Les partisans d'AMLO se sont organisés en comités de quartier, ils ont lancé un journal appelé Regeneracion, en hommage à la publication anarchiste de Ricardo Flores Magon. D'une certaine manière on pourrait presque dire qu'AMLO reprenait certains éléments de l'Autre Campagne zapatiste. Pourtant certains de ses partisans se sont détournés de sa candidature, jugeant qu'il délaissait les couches populaires. Et surtout l'irruption sanglante des cartels de la drogue dans le quotidien des mexicains a bouleversé la donne.
Le PRI au pouvoir fut un parti autoritaire, corrompu. Mais son autoritarisme avait permis de contenir les velléités des narcos. La corruption a ceci de troublant qu'il devient vite très difficile de discerner le corrupteur du corrompu. Beaucoup estiment aujourd'hui que sous couvert de sa guerre à la drogue, Calderon a tenté de reprendre la méthode du PRI, favorisant un cartel afin d'éviter toute violence entre rivaux. Pourtant en n'apportant aux problèmes posés par les cartels qu'une simple réponse militaire, Calderon a fait voler en éclat ce qui pouvait subsister de coexistence pacifique entre les barons de la drogue. Si Fox avait su utiliser les vieilles méthodes du PRI pour arriver au pouvoir, au moins avait-il laissé de côté les aspects autoritaires les plus saillants. Calderon a lui un caractère plus martial. Il aurait voulu être à la tête d'une police militarisée unique pour l'ensemble des états mexicains. Mais il sera finalement amener à sortir l'armée des casernes face à l'incurie et la corruption des services de police locaux comme fédéraux. Malgré un déni de la gravité de la situation, le Mexique est réellement entrée dans une guerre où les territoires passent sous contrôle des uns et des autres. En 2010 certains spécialistes des narcos estimaient que près de 75% du pays était contrôlé par les cartels.
La guerre se joue à tous les niveaux : entre cartels, entre cartels et flics, entre cartels et armée, entre flics locaux et fédéraux. Les narcos ont infiltré le pouvoir politique, la police et aujourd'hui ils sont si puissants qu'ils imprègnent l'ensemble du tissus social déjà mis à mal par les inégalités sociales. Un tissus que la violence et la terreur qu'ils font vivre à la population mexicaine est en train de déchirer.
Il est difficile de dire si l'élection de Pena Nieto est plus irrégulière que celle de Calderon ou d'autres présidents du Mexique. L'écart de voix est bien plus importante que lors de l'élection de 2006. Mais il n'est pas improbable que certains mexicains se soient mis à regretter le pouvoir autoritaire du PRI face aux narcos... Et pourtant. Et pourtant, la campagne présidentielle s'était installée dans un ronronnement gênant pour qui veut croire possible de desserrer l'étau qui tient en tenailles la société civile mexicaine entre de multiples bras armés.
Car malgré tout, la société civile mexicaine résiste. Cette société civile sur laquelle l'EZLN a appuyé sa légitimité et qui aujourd'hui reçoit à son tour le soutien des zapatistes. Car en bas à gauche, loin des pots de vins et des magouilles politico-mafieuses, les enfants du zapatisme reprennent le flambeaux de la révolte que les zapatiste avaient porté et derrière le quelle ils s'étaient rangés. Déjà en 2006, alors que l'EZLN mené son Autre Campagne, Oaxaca avait incarné une nouvelle révolte. Suite au conflit de la section locale du syndicat national des travailleurs de l'éducation (SNTE) – contre l'avis des instances nationales du syndicat tenu par Mme Gordillo, ancienne secrétaire générale du PRI – Oaxaca s'était révolté contre le pouvoir autoritaire du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz (PRI). Le SNTE, comme tous les syndicats ont très longtemps été lié au parti unique, le PRI. Pendant de longues semaines, l'Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca a tenté d'instaurer une commune libre. Cette lutte populaire a notamment visé les moyens de communication. La radio universitaire a servi de moyen d'organisation aux insurgés. Les actions de soutien qui ont alors été organisés dans tout le pays ont souvent pris pour cible Televisa, principale chaîne du pays, accusée de présenter une vision tronquée de la réalité. En 2006 toujours, lors d'une autre révolte les médias télévisés sont à nouveaux mis en accusation. En mai la répression de marchands de fleur près de San Salvador Atenco provoque de violents affrontements qui se terminent par deux morts, des centaines d'arrestations et de nombreuses disparitions. Lorsque le conflit éclate, les révoltés demandent à avoir un temps d'antenne afin de s'expliquer. Face au refus des chaînes, de nombreuses femmes réquisitionnent et font tourner les télévisions libérées.
Mais dans le Mexique de ce début de siècle, si la société civile est évidemment en but à un pouvoir autoritaire et à une militarisation du pays, elle est également confrontée à la violence qui a fait depuis 2006 entre 60 et 80 000 morts. Le déchaînement de violence provoqué par les cartels s'affichent en photos chocs en Une de la presse à sensation : décapitations, démembrements, charniers, fosses communes... Les cartels eux aussi manient la com' avec dextérité. Des messages sont souvent laissés sur les victimes. Les vidéos de narcorridos (chansons populaires à la gloire de narcos) abondent sur YouTube avec des vidéos d'enlèvements, d'agressions... Parmi ces cartels, les Zetas sont les plus violents. Formé d'anciens policiers et militaires d'élites, ils ont d'abord servi de sicaires à d'autres cartels avant de prendre leur autonomie, flirtant avec le terrorisme, dans le sens où la population civile est prise pour cible afin que s'y insinue un état de terreur. Le mouvement incarné par Javier Sicilia, journaliste et poète dont le fils a été abattu, mouvement qui demande notamment que des réponses sociales soient apportées à la violence qui gangrène le Mexique, est parvenu à cristalliser la révolte des mexicains contre la violence qu'ils subissent. Violence que de plus en plus de médias refusent de couvrir par peur des représailles. En 2010, le Mexique était encore le deuxième pays le plus dangereux pour les journalistes, juste derrières l'Irak. Face à cette désinformation, la société civile s'organise aussi sur le net et les réseaux sociaux. Des blogueurs, des internautes sont maintenant des cibles de la répression de l'état et de la violence meurtrière des cartels.

La plume plus forte que l'épée

Fin 2011 c'est le collectif de hackers Anonymous qui offre un nouveau visage à la révolte, après les visages cagoulés des zapatistes. Un hacktivistes avait été enlevé par les Zetas alors qu'il participait une distribution de tracts durant l'été. Quelques mois plus tard, Anonymous publie un vidéo-tract dans lequel ils menacent clairement les Zetas de donner les noms de certains de leurs relais dans la police, les journaux, si le cartel ne relâche pas l'hacktiviste. Après quelques hésitations au sein d'Anonymous sur le bien fondé de leur démarche, les Zetas libéreront finalement l'anon tout en menaçant à leur tour de s'en prendre à la famille de leur ex-otage si Anonymous rendait public leurs informations. Anonymous a démontrer que l'information était une arme efficace même contre les sanguinaires narcos.
La désinformation c'est cette absence d'information liée aux dangers d'aborder les thèmes de la guerre de la drogue et c'est aussi la présentation partisane de la réalité, par Televisa notamment. La BBC a mis en cause dans un article une entente entre le média et le PRI pour présenter son candidat sous un jour favorable. La revendication d'une information plus équilibrée a été – est encore – portée pendant la campagne par le mouvement né sur internet YoSoy132 (je suis le 132e). Tout a commencé par la visite du candidat du PRI dans une université privé du pays. Enrique Pena Nieto est chahuté et doit quitter les lieux sous les quolibets. Le PRI et la presse présente ça comme le fait de gauchistes n'appartenant même pas à l'université. Le lendemain 131 étudiants de la dite université réfutent la thèse officielle. Très vite sur le net se monte un site où d'autres jeunes revendiquent être le/la 132e. Le mouvement refuse d'être partisan mais revendique une plus grande transparence dans la vie démocratique du pays. Des manifestations regroupant des dizaines de milliers de personnes sont organisées dans le pays. Le mouvement a, dans de nombreux endroits, veiller au bon déroulement du vote. De nombreux cas de fraudes plus ou moins grossières ont été répertoriées.
Il y a fort à parier que l'élection de Pena Nieto sera définitivement actée prochainement, mais il est tout aussi certain que le nouveau président n'en a pas fini avec les mouvements d'hacktivistes puisqu'à peine quelques jours après la mise en place de l'équipe de transition, le Mexique a décidé de signer le traité anti-contrefaçon ACTA. Ce même traité que le parlement européen a définitivement rejeté le 4 juillet dernier face à la mobilisations des défenseur d'un internet libre dans de nombreux pays européens.