Le 1er juillet dernier, le candidat du
PRI, Parti Révolutionnaire Institutionnel, de centre gauche, Enrique
Pena Nieto a été élu président du Mexique. Des soupçons de
fraude pèsent une fois de plus sur l'élection présidentielle
mexicaine. Le candidat du Parti de la Révolution Démocratique (PRD,
gauche), Andres Manuel Lopez Obrador dit AMLO a d'ailleurs annoncé
déposer un recours contre l'élection de son rivale. En 2006 AMLO
avait déjà perdu l'élection présidentielle face à Felipe
Calderon (PAN, droite chrétienne). AMLO et ses partisans avaient
alors refuser de reconnaître Calderon comme leur président,
bloquant pendant plus d'un mois le centre de la capitale mexicaine. A
l'époque, de vives critiques s'étaient faites entendre contre
Marcos et les zapatistes, accusés d'avoir fait perdre le candidat de
la gauche, en ne lui épargnant aucune critiques et en refusant
d'appeler à voter pour lui. Lors de l'élection de 2006, l'EZLN
avait organisé l'Autre Campagne qui tentait de construire à la base
un programme de lutte, utilisant le temps électoral pour tenter de
créer à l'échelle du pays des liens entre les luttes, tout en
refusant de jouer le jeu électoral.
En 2012, Marcos s'est fait plus discret
au sujet du scrutin présidentiel. Il faut dire que la situation
mexicaine a, entre temps, basculé dans l'horreur. Mais d'autres
masques donnent à la révolte un nouveau visage, celui des
Anonymous.
Petit retour en arrière pour mieux
éclairer le présent :
1994, l'EZLN fait la Une des journaux
du monde entier en prenant des villes du Chiapas le 1er janvier. La
date se voulait symbolique puisqu'il s'agissait de l'entrée en
vigueur de l'ALENA, accord portant sur une zone de libre échange
réunissant le Canada, les USA et le Mexique. Très vite l'armée
zapatiste se rend à l'évidence, militairement ils ne tiendront pas.
Mais ils ont un atout sous leurs cagoules : le sous-commandant
insurgé Marcos, un universitaire parti au Chiapas amener la
révolution marxiste aux indiens. Mais les peuples du Chiapas ne sont
pas nés de la dernière pluie. Marcos et d'autres révolutionnaire
doivent apprendre à connaître ces peuples avant de pouvoir les
mener à la lutte. L'idéologie de celui qui allait devenir le
porte-parole de l'EZLN s'en verra modifiée par les tendances
libertaires des modes de vie indigènes. De la même manière les
indigènes commenceront une remise en cause de certaines de leurs
pratiques, notamment sur la place et le rôle des femmes dans la vie
des communautés.
Marcos devient, grâce à son talent
littéraire, une nouvelle icône révolutionnaire mondiale. L'EZLN
parvient grâce à une utilisation habile des armes de la
communication et grâce au développement d'Internet a gagner la
sympathie de l'opinion public mondiale. L'EZLN organise par exemple
en 1996 les rencontres intergalactiques qui réunissent des milliers
de militants du monde entier. Ces rencontres peuvent être perçues,
avec le recul, comme les prémices du mouvement altermondialiste qui
éclatera au grand jour lors du sommet de Seattle, en 1999.
L'année suivante, en 2000, le Mexique
connaît pour la première fois depuis sa révolution l'alternance
politique. Après 71 ans de règne sans partage, le PRI cède le
pouvoir. Le Parti d'Action Nationale et Vincente Fox offrent aux
mexicains l'illusion démocratique. Mais en 2006 les vents semblent
porter AMLO vers la victoire. Les places des villes où il tient
meeting sont noires de monde et beaucoup pensent possible sa
victoire. Le charismatique maire de Mexico est perçu comme le
candidat des pauvres. Le PAN conserva toute fois la présidence grâce
à la victoire de Calderon. Les résultats du vote qui donnèrent
quelques milliers de voix d'avance au candidat du PAN jettent le
doute sur les résultats. Certains observateurs de la vie politique
mexicaine voient d'ailleurs dans la présidence autoritaire de
Calderon un façon de gagner la légitimité qu'il n'avait pas su
gagner avec son élection.
Le pouvoir fort de
Calderon,
une façon de gagner la légitimité qu'il n'a pas tirée
des urnes.
Pendant la mandature de Calderon, AMLO
a continuer à construire son mouvement. Les partisans d'AMLO se sont
organisés en comités de quartier, ils ont lancé un journal appelé
Regeneracion, en hommage à la publication anarchiste de Ricardo
Flores Magon. D'une certaine manière on pourrait presque dire
qu'AMLO reprenait certains éléments de l'Autre Campagne zapatiste.
Pourtant certains de ses partisans se sont détournés de sa
candidature, jugeant qu'il délaissait les couches populaires. Et
surtout l'irruption sanglante des cartels de la drogue dans le
quotidien des mexicains a bouleversé la donne.
Le PRI au pouvoir fut un parti
autoritaire, corrompu. Mais son autoritarisme avait permis de
contenir les velléités des narcos. La corruption a ceci de
troublant qu'il devient vite très difficile de discerner le
corrupteur du corrompu. Beaucoup estiment aujourd'hui que sous
couvert de sa guerre à la drogue, Calderon a tenté de reprendre la
méthode du PRI, favorisant un cartel afin d'éviter toute violence
entre rivaux. Pourtant en n'apportant aux problèmes posés par les
cartels qu'une simple réponse militaire, Calderon a fait voler en
éclat ce qui pouvait subsister de coexistence pacifique entre les
barons de la drogue. Si Fox avait su utiliser les vieilles méthodes
du PRI pour arriver au pouvoir, au moins avait-il laissé de côté
les aspects autoritaires les plus saillants. Calderon a lui un
caractère plus martial. Il aurait voulu être à la tête d'une
police militarisée unique pour l'ensemble des états mexicains. Mais
il sera finalement amener à sortir l'armée des casernes face à
l'incurie et la corruption des services de police locaux comme
fédéraux. Malgré un déni de la gravité de la situation, le
Mexique est réellement entrée dans une guerre où les territoires
passent sous contrôle des uns et des autres. En 2010 certains
spécialistes des narcos estimaient que près de 75% du pays était
contrôlé par les cartels.
La guerre se joue à tous les niveaux :
entre cartels, entre cartels et flics, entre cartels et armée, entre
flics locaux et fédéraux. Les narcos ont infiltré le pouvoir
politique, la police et aujourd'hui ils sont si puissants qu'ils
imprègnent l'ensemble du tissus social déjà mis à mal par les
inégalités sociales. Un tissus que la violence et la terreur qu'ils
font vivre à la population mexicaine est en train de déchirer.
Il est difficile de dire si l'élection
de Pena Nieto est plus irrégulière que celle de Calderon ou
d'autres présidents du Mexique. L'écart de voix est bien plus
importante que lors de l'élection de 2006. Mais il n'est pas
improbable que certains mexicains se soient mis à regretter le
pouvoir autoritaire du PRI face aux narcos... Et pourtant. Et
pourtant, la campagne présidentielle s'était installée dans un
ronronnement gênant pour qui veut croire possible de desserrer
l'étau qui tient en tenailles la société civile mexicaine entre de
multiples bras armés.
Car malgré tout, la société civile
mexicaine résiste. Cette société civile sur laquelle l'EZLN a
appuyé sa légitimité et qui aujourd'hui reçoit à son tour le
soutien des zapatistes. Car en bas à gauche, loin des pots de vins
et des magouilles politico-mafieuses, les enfants du zapatisme
reprennent le flambeaux de la révolte que les zapatiste avaient
porté et derrière le quelle ils s'étaient rangés. Déjà en 2006,
alors que l'EZLN mené son Autre Campagne, Oaxaca avait incarné une
nouvelle révolte. Suite au conflit de la section locale du syndicat
national des travailleurs de l'éducation (SNTE) – contre l'avis
des instances nationales du syndicat tenu par Mme Gordillo, ancienne
secrétaire générale du PRI – Oaxaca s'était révolté contre le
pouvoir autoritaire du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz (PRI). Le SNTE,
comme tous les syndicats ont très longtemps été lié au parti
unique, le PRI. Pendant de longues semaines, l'Assemblée Populaire
des Peuples de Oaxaca a tenté d'instaurer une commune libre. Cette
lutte populaire a notamment visé les moyens de communication. La
radio universitaire a servi de moyen d'organisation aux insurgés.
Les actions de soutien qui ont alors été organisés dans tout le
pays ont souvent pris pour cible Televisa, principale chaîne du
pays, accusée de présenter une vision tronquée de la réalité. En
2006 toujours, lors d'une autre révolte les médias télévisés
sont à nouveaux mis en accusation. En mai la répression de
marchands de fleur près de San Salvador Atenco provoque de violents
affrontements qui se terminent par deux morts, des centaines
d'arrestations et de nombreuses disparitions. Lorsque le conflit
éclate, les révoltés demandent à avoir un temps d'antenne afin de
s'expliquer. Face au refus des chaînes, de nombreuses femmes
réquisitionnent et font tourner les télévisions libérées.
Mais dans le Mexique de ce début de
siècle, si la société civile est évidemment en but à un pouvoir
autoritaire et à une militarisation du pays, elle est également
confrontée à la violence qui a fait depuis 2006 entre 60 et 80 000
morts. Le déchaînement de violence provoqué par les cartels
s'affichent en photos chocs en Une de la presse à sensation :
décapitations, démembrements, charniers, fosses communes... Les
cartels eux aussi manient la com' avec dextérité. Des messages sont
souvent laissés sur les victimes. Les vidéos de narcorridos
(chansons populaires à la gloire de narcos) abondent sur YouTube
avec des vidéos d'enlèvements, d'agressions... Parmi ces cartels,
les Zetas sont les plus violents. Formé d'anciens policiers et
militaires d'élites, ils ont d'abord servi de sicaires à d'autres
cartels avant de prendre leur autonomie, flirtant avec le terrorisme,
dans le sens où la population civile est prise pour cible afin que
s'y insinue un état de terreur. Le mouvement incarné par Javier
Sicilia, journaliste et poète dont le fils a été abattu, mouvement
qui demande notamment que des réponses sociales soient apportées à
la violence qui gangrène le Mexique, est parvenu à cristalliser la
révolte des mexicains contre la violence qu'ils subissent. Violence
que de plus en plus de médias refusent de couvrir par peur des
représailles. En 2010, le Mexique était encore le deuxième pays le
plus dangereux pour les journalistes, juste derrières l'Irak. Face à
cette désinformation, la société civile s'organise aussi sur le
net et les réseaux sociaux. Des blogueurs, des internautes sont
maintenant des cibles de la répression de l'état et de la violence
meurtrière des cartels.
La plume plus forte que l'épée
Fin 2011 c'est le collectif de hackers
Anonymous qui offre un nouveau visage à la révolte, après les
visages cagoulés des zapatistes. Un hacktivistes avait été enlevé
par les Zetas alors qu'il participait une distribution de tracts
durant l'été. Quelques mois plus tard, Anonymous publie un
vidéo-tract dans lequel ils menacent clairement les Zetas de donner
les noms de certains de leurs relais dans la police, les journaux, si
le cartel ne relâche pas l'hacktiviste. Après quelques hésitations
au sein d'Anonymous sur le bien fondé de leur démarche, les Zetas
libéreront finalement l'anon tout en menaçant à leur tour de s'en
prendre à la famille de leur ex-otage si Anonymous rendait public
leurs informations. Anonymous a démontrer que l'information était
une arme efficace même contre les sanguinaires narcos.
La désinformation c'est cette absence
d'information liée aux dangers d'aborder les thèmes de la guerre de
la drogue et c'est aussi la présentation partisane de la réalité,
par Televisa notamment. La BBC a mis en cause dans un article une
entente entre le média et le PRI pour présenter son candidat sous
un jour favorable. La revendication d'une information plus équilibrée
a été – est encore – portée pendant la campagne par le
mouvement né sur internet YoSoy132 (je suis le 132e).
Tout a commencé par la visite du candidat du PRI dans une université
privé du pays. Enrique Pena Nieto est chahuté et doit quitter les
lieux sous les quolibets. Le PRI et la presse présente ça comme le
fait de gauchistes n'appartenant même pas à l'université. Le
lendemain 131 étudiants de la dite université réfutent la thèse
officielle. Très vite sur le net se monte un site où d'autres
jeunes revendiquent être le/la 132e. Le mouvement refuse
d'être partisan mais revendique une plus grande transparence dans la
vie démocratique du pays. Des manifestations regroupant des dizaines
de milliers de personnes sont organisées dans le pays. Le mouvement
a, dans de nombreux endroits, veiller au bon déroulement du vote. De
nombreux cas de fraudes plus ou moins grossières ont été
répertoriées.
Il y a fort à parier que l'élection
de Pena Nieto sera définitivement actée prochainement, mais il est
tout aussi certain que le nouveau président n'en a pas fini avec les
mouvements d'hacktivistes puisqu'à peine quelques jours après la
mise en place de l'équipe de transition, le Mexique a décidé de
signer le traité anti-contrefaçon ACTA. Ce même traité que le
parlement européen a définitivement rejeté le 4 juillet dernier
face à la mobilisations des défenseur d'un internet libre dans de
nombreux pays européens.
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