"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

29/04/2011

La Bestia, train de l'enfer (3)

Et la troisième et dernière partie.

Vous pourrez retrouver dès dimanche cette nouvelle, sa version espagnole, ainsi que des liens, des photos, des vidéos, des cartes sur le sujet de la Bestia, des migrants au Mexique sur un nouveau blog: La Bestia en Mexico.

Bonne lecture.


Le bon, la belle et la Bête

Dernière partie

Ernesto parcourait la Bête, prenant en notes des centaines d’histoires sur un cahier d’écolier. L’histoire d’un gosse de 13 ans qui lui confessa avoir tué un homme et qui depuis fuyait de fourgon en wagon. Celle d’un autre gamin qui fut violé et qui pour oublier ses bourreaux et ses peurs cherchait sur le parcours de la Bête l’amour d’une femme. Celle encore de ce gars s’étant donné pour mission de protéger les migrants de ceux qui ne le sont pas mais qui font tout pour leur ressembler afin de leur voler jusqu’à leur dernier souffle. Chaque nuit, à la lumière de la lune Ernesto lisait à América l’une de ces histoires qui remplissaient son carnet. Quelques jours après le Defectuoso, Ernesto rencontra son destin, sous les traits d’un jeune homme d’à peine 20 ans. Il s’appelait Alejandro et c’était le cousin d’un des oncles de sa femme. Lorsqu’ils se reconnurent ils pleurèrent comme des enfants. Mais après la joie des retrouvailles vinrent les doutes et les questions. Ernesto voulut savoir pourquoi il n’avait pas appelé ni envoyé de nouvelles. Il voulut savoir s’il avait su pour Maria. Ce qu’il faisait encore sur la Bête. Pourquoi ? Comment ?

Alejandro lui raconta tout. Après quelques semaines sur le dos de la Bête, lui et Maria étaient arrivés au Tamaulipas, près de Nuevo Laredo. Ils pensaient toucher au but quand ils furent enlevés. L’Etat du Tamaulipas peut être considéré comme le QG des Zetas en ce qui concerne le trafic d'hommes. « Ils nous ont d’abord conduit dans un hôtel et ensuite, avec près de 100 autres migrants, dans une maison sécurisée à San Fernando. Pendant le transfert, on a vu une patrouille. Les flics se sont retournés, ils ont vu qu’on était sous la menace d’armes et pourtant ils ont continué droit devant eux. Circulez, y’a rien à voir ! Dans la maison ils nous ont attaché les pieds et les mains, ils nous ont bâillonnés et voilé les yeux. Ils ne nous donnaient rien de plus à manger qu’un bout de pain sec de temps en temps. On n'avait pas d’autre choix que de se chier dessus, couchés à même le sol. Ils nous insultaient à longueur de temps. Après une éternité, ils nous ont demandé les numéros de nos proches aux Etats-Unis. Ils ont exécuté ceux qui n’avaient personne pour les aider. Les femmes, ils les violaient chaque jour, jusqu’à épuisement… alors ils les achevaient d’une balle dans la tête. J’ai vu mourir je ne sais plus combien de compagnons d’infortune. Maria refusait de donner le numéro de ses parents. Elle a été très courageuse, vraiment très courageuse. Ils l’ont tuée au bout cinq jours de torture. Ils lui avaient coupé les mains parce qu’elle avait griffé le troisième gars qui avait voulu la violer. Tout ce stress provoqua un accouchement prématuré. Ils ont donné des coups de pieds au bébé jusqu’à le tuer face à Maria. Elle, ils l'ont laissée mourir à petit feu parce qu’ils ne lui ont pas enlevée le placenta. Elle se vidait de son sang, lentement. Quelques heures plus tard, on est parti de San Fernando parce que l’armée était sur le point d’arriver. Alors seulement El Coyote l’a achevée. On a laissé plus de soixante corps derrière nous. Nous, les survivants, ils nous ont emmenés dans une autre maison, et encore une autre à Matamoros. » Les yeux d’Alejandro se remplissaient de larmes alors que ceux d’Ernesto s’embrasaient de haine.

Ils ne tuèrent pas Alejandro car son frère accepta de payer près de 2000 dollars. Mais lorsqu’une fois libre, il voulut dénoncer les faits auprès de l’INM, le pire commença. Les agents de l’immigration le revendirent aux Zetas. « Ils ont payé les agents en cash, je l’ai vu comme je te vois, dans cette même maison où il y avait des dizaines de personnes retenues prisonnières. Cette maison était située juste derrière les bureaux de l’INM. Les agents travaillaient avec le chef local des Zetas et le laissaient entrer au poste et emporter certains détenus. Lorsque les Zetas détenaient des migrants sans l’sous et que ceux de la migra étaient solvables, avec de la famille aux States, ils se les échangeaient. » Après une nouvelle semaine de captivité, de tortures physiques et psychologiques, ils lui proposèrent de travailler pour eux. « Moi j’en pouvais plus. Je voulais que ça s’arrête, c’est tout. Chaque cellule de l’organisation, ils les appellent les pieux, en plus de l’Alpha et des soldats, compte un boucher chargé de faire disparaître les corps. Celui qui officiait dans mon groupe s’appelait Gustavo Diaz. Je l’ai vu assassiner, puis dépecer et enfin brûler dans un bidon plus d’une centaine de victimes. Un jour il m’a avoué aussi être spécialisé en lechada. Il avait appris cette technique à Ciudad Juarez pendant l’apothéose du féminicide. Tu ne peux pas imaginer. Il s’agit de plonger les corps, morts ou vifs, dans un liquide composé de chaux vive et d’acide. En peu de temps ça ronge toute la matière organique sans laisser la moindre trace. Il m’a menacé si souvent de me donner un dernier bain corrosif… Oh, mon Dieu, tu ne peux pas imaginer… Alors je suis devenu une taupe, un mouchard. Depuis je parcours la route des migrants, je dors dans les mêmes auberges, je gagne leur confiance pour mieux les trahir ensuite. Pour chacun de ceux qu’ils ont enlevés grâce à mes infos, je revis la mort de Maria. Je te jure, je souffre, c’est horrible. »

Il fallut presque cinq nuits à Alejandro pour révéler toutes les vérités cachées dans le labyrinthe de sa mémoire. Il y avait d’autres taupes des Zetas et Alejandro ne les connaissait pas toutes. Par sécurité il retrouvait Ernesto la nuit. Ils se cachaient. Ernesto semblait s’éloigner d’América et elle en éprouvait beaucoup de peine. La Bête rugissait, passant le Querétaro, San Luis Potosi et enfin Nuevo León. Ils n’étaient plus qu’à quelques jours de Matamoros. Mais peu avant le point de séparation entre les voies qui vont à Nuevo Laredo et celles qui prennent la direction de Matamoros, le Bête eut à subir une attaque. Durant de longues heures les passeurs indépendants affrontèrent les Zetas. Les sans-pap’ se cachaient, craignant une nouvelle fois pour leurs vies. Les assaillants formaient un groupe de quinze tueurs avec à leur tête El Coyote. Bien que valeureux, les passeurs n’avaient pas la puissance de feu de leurs adversaires. Les Zetas parvinrent à monter et parcoururent le convoi. Ils commencèrent à amasser leur butin et regrouper les migrants signalés par les balances. Ernesto reconnut tout de suite El Coyote. Il était grand et portait ses éternelles lunettes infrarouges, fumait le cigare et ne se séparait jamais de son AK-47 plaqué argent. Une cicatrice barrait sa joue droite. Il avait les cheveux courts et ses yeux étaient plus noirs que la nuit. Il avait perdu une oreille en même temps que son indépendance. Le passeur cruel s’était métamorphosé en porte-flingue docile des Zetas. Alejandro lui avait tant de fois décrit l’assassin de Maria qu’Ernesto aurait pu le reconnaître parmi mille autres visages. Ernesto avait un poignard et envie de l’utiliser, de le planter dans le cœur de l'assassin. Alejandro accompagnait El Coyote et son garde du corps, récoltant les portables, les montres et l’argent des pauvres rêveurs de l’American way of life.

América était cachée dans le ventre de la Bête. Elle respirait à peine. El Coyote alluma ses lunettes et la débusqua malgré l’obscurité de son refuge. La chaleur de son corps, la vie même avait trahi América. El Coyote ne put réprimer un sourire sournois en voyant la peau blanche de la jeune femme. Alors qu’il l’attrapait par le cou, Ernesto bondit à découvert. Il se jeta lame en avant mais ne put poignarder son ennemi ; El Coyote para l’attaque avec la culasse de sa corne de bouc. Le regard brutal du Coyote se posa sur Ernesto, puis sur América. Ernesto. América. El Coyote leva la gueule de son AK-47 et la ficha dans celle d’América. De brutal, le sourire du Coyote devint féroce. Soudain Alejandro se jeta sur le garde du corps de son chef. Il parvint à le désarmer et à le descendre. Il retourna alors son arme vers El Coyote mais celui-ci le tenait déjà en joue. Une rafale et Alejandro tomba raide mort, mais El Coyote ne put entendre Ernesto se remettre debout sur sa droite. Ernesto se saisit de l'AK-47 et retourna l'arme vers l’assassin de Maria. Il tira. La tête du Zeta explosa, sa cervelle vola en éclats. Le corps du Coyote retomba lourdement, ses yeux fixes interrogeaient l'éternité.

América et Ernesto étaient restés de longues heures assis main dans la main, le regard sur la frontière, cette ligne qui divisait le monde en deux. Le soleil était sur le point de se coucher et incendiait l’horizon. Ils s'embrassèrent. Ni l’un ni l’autre n’aurait su dire de quel côté se trouvait leur futur, leur passé. Au loin la Bête rugissait toujours.



Break on through to the other side !


Fin

28/04/2011

La Bestia, train de l'enfer (2)

Et voici la suite, deuxième partie de la nouvelle Le bon, la belle et la Bête. La suite demain.

Bonne lecture


Le bon, la belle et la Bête


Deuxième partie

América marchait comme un zombie. Elle se sentait perdue. La seule chose qu’elle connaissait un peu par ici c’était les ruines de l’antique cité Maya. Son sac sur le dos, elle prit la direction de Palenque. Elle y rencontrerait, pensait-elle, quelqu’un pour la conduire jusqu’à un village, et de là trouverait le moyen de remonter sur la Bête. La forêt était dense et la protégeait des rayons du soleil. Après une heure de marche, elle s’arrêta pour manger quelque chose. Elle eut une fois de plus la sensation d’entendre le cri de la Bête ou ceux de Chava. Elle pleura. Assise sur le tronc d’un arbre tombé, elle entendait mille bruits. Elle eut peur tout d’un coup de se retrouver face à un jaguar ou tout autre animal sauvage. Mais non, ce fut un homme trapu à lunettes qu’elle vit sortir des profondeurs de la forêt. Il portait des moustaches et une machette mais sur son visage América pu lire l’étendue des sentiments qui font de l’être humain un animal civilisé. Il s’appelait Ricardo. Il l’invita chez lui. Ricardo lui offrit à manger, un repas chaud. América put profiter d’un lit. Elle put même se baigner dans le ruisseau qui courait derrière la cabane. Ensuite América s’endormit et ne se réveilla que le lendemain matin.

Le soleil était déjà haut dans le ciel. Ricardo et son frère Enrique imperméabilisaient le toit. Ils l’accueillirent par de grands sourires. Dans l’après-midi Ricardo l’emmena jusqu’à la nouvelle Palenque. Là, en face de l’arrêt des bus nationaux, dans une ruelle au sol en terre battue, América trouva une boulangerie et acheta un petit pain. Puis elle alla au bout de la rue principale, sur la place de l’église. Elle s’assit sur un banc en attendant Ricardo. "Je vais te présenter quelqu’un." Avec son frère, ils faisaient partie d’une communauté zapatiste et connaissaient des activistes susceptibles de l’aider. Ricardo revint avec un curé. Le père Emiliano avait une soixantaine d’années, d’énormes moustaches et un sombrero en paille. Ses yeux brillants semblaient voir au-delà des apparences. Ils allèrent boire un coup. Le curé offrit le café à América. "Attention, tous ceux qui voyagent sur la Bête ne sont pas des migrants. Enfin, peut-être l’ont-ils été un jour. Puis les Zetas les ont enlevés et de victimes ils sont devenus indics de leurs bourreaux. Ils sont très dangereux parce qu’ils parlent comme toi et te mettent en confiance. C’est pourquoi vraiment, si tu as de la famille de l’autre côté, ne parle jamais d’eux, tu m’entends, à personne. Parce que si ces mouchards découvrent que tu as de l’argent, ils préviennent leurs chefs… Dans le cinquième wagon, avec un sweat vert et une casquette Nike, voyage une Hondurienne avec de la thune." Les yeux d’Emiliano brillaient. América sourit. Il l’accompagna jusqu’à une auberge. "Tu peux attendre la Bête ici. Elle ne devrait pas trop tarder à se montrer." Au large des côtes du Yucatan, un ouragan empêchait le débarquement des marchandises. Les bateaux ne pouvaient pas approcher des ports et la Bête dormait encore de son sommeil de fer. Elle dut attendre que le vent se calme. "Beaucoup de ceux qui viennent ici se ressemblent, comme toi ils sont à la recherche d'une vie de rêve. Mais n’oublie pas América, n’oublie jamais que les rêves sont des fleurs qui naissent de ta chair, pas de la terre que tu foules."

Les migrants étaient nombreux à l’auberge. Ils se réunissaient le soir, pour cuisiner, discuter pour oublier l’attente. C’était tout le sous-continent qui se retrouvait dans le petit salon. América rencontra des compatriotes. Elle parla aussi avec Ernesto. Il en était à son deuxième essai pour gagner les USA. Il n’était pas très loquace. Les traits de son visage étaient emprunts d’une infinie tristesse. Les cheveux longs sur son visage brun étaient comme une pluie battante sur une terre noire. Puis il y eut des rumeurs. Elles disaient que la Bête allait enfin revenir. Troisième nuit blanche de veille. Mais finalement, alors que le soleil était encore loin de se lever, les coqs se réveillèrent. Beaucoup de ceux qui avaient dormi au pied des voies s’approchaient maintenant de l’auberge. Deux activistes essayaient d’interdire l’accès au train à ceux qui portaient des armes, demandaient aux migrants d’où ils venaient. "Vous avez été attaqués jusqu’ici ?" Le cri de la Bête approchait. América se répétait: "Tous ceux qui voyagent sur la Bête ne sont pas des migrants."

Juchée sur le dos de la Bête, sur sa colonne de fer, América avait retrouvé Ernesto. Les conseils du prêcheur de la théologie de la Libération lui revenaient. Pourtant elle avait envie de se confier à lui ; quelque chose dans les traits d’Ernesto le lui rendait sympathique. Peut-être cette tristesse qu’il portait comme un fardeau sur l’épaule. Peut-être ces yeux qui brillaient malgré tout sur un visage sombre. Mais América redoutait de trouver derrière ses traits d’ange déchu l’histoire terrible qui l’aurait converti en balance. América avait déjà vu beaucoup de violence et elle ne voulait plus voir couler le sang. Elle garda donc le silence. Emiliano lui avait conseillé de descendre de la Bête un peu avant d’arriver à Medias Aguas. "C’est l’un des endroits où il y a le plus d’enlèvements. Les voies du Chiapas et du Oaxaca se joignent là-bas." avait dit le prêtre. "Ma fille, essaie de sauter de la Bête quand elle avance plus lentement, vers Matias Romero par exemple. Si tu peux, essaie de convaincre le machiniste d’arrêter le train, mais pour l’amour de Dieu ne continue pas jusqu’à Medias Aguas. Mieux vaut arriver tard que jamais !" Depuis les hauteurs de son trône, chaire de la Bête de fer, le chauffeur avait répondu : "M’arrêter là-bas ? Pourquoi ? Enfin bon, on verra…" Tous ne travaillaient pas pour les Zetas, mais tous obéissaient sous la menace.

Après de longues heures avec comme unique perspectives la terre du Chiapas puis celle du Veracruz, après avoir longé le bleu de la mer du Golf à Coatzacoalcos, la Bête s’enfonça une fois de plus dans l’intérieur des terres. Alors qu’ils arrivaient vers Matias Romero, América attrapa ses affaires et s’accrocha aux flancs de la Bête. Elle aperçut alors Ernesto surveillant des types qui tournaient un volant jaune entre deux wagons. Lentement la Bête s’arrêta en hurlant, projetant des étincelles sur la voie. América allait descendre lorsqu’elle sentit une main sur son épaule. Ernesto lui interdisait la descente. Elle voulut crier mais il posa son doigt sur ses lèvres. "N’aie pas peur. Regarde !" Ils virent descendre cinq silhouettes. "Ce sont des espions des Zetas. Ils vont tout dire à leurs chefs." Ils attendirent un petit peu et descendirent lorsque la Bête reprit sa course vers le Nord. Ils commencèrent à marcher. Ernesto semblait savoir ce qu’il faisait. Il commença alors à raconter son histoire à América, peut-être pour lui donner confiance. Pas grand-chose à voir avec celle qu’il lui avait servie à l’auberge. C’était bien la deuxième fois qu’il montait la Bête, mais il ne cherchait pas à passer de "l’autre côté ". Sa femme avait été enlevée et assassinée alors qu’elle voyageait vers les USA il y a quelques mois. "Elle était enceinte et on devait partir pour avoir une autre vie, plus digne. Elle est partie d’abord et moi je devais attendre son coup de fil avant de la rejoindre là-bas. Mais elle n’a jamais appelé. Elle a disparu quelque part dans le Nord, peu avant la frontière. Après plusieurs semaines passées à la chercher, après avoir suivi ses traces, je suis rentré chez moi. Deux mois après, l’ambassade m’a envoyé des photos. Sur l’une d’elles j'ai reconnu le cadavre de Maria, ma fiancée. Ils lui avaient coupé les mains. Ils ne l'avaient même pas enterrée dans une fosse commune. Non, ses assassins l'avaient posée sur un tas de cadavres, ceux de soixante-dix autres migrants, dans l’Etat du Tamaulipas. Je suis revenu au Mexique pour tuer ses assassins."

Ils marchaient et chaque pas les menait sur des terres toujours plus intimes. Ernesto offrit à América les mots qui définissaient la tristesse de ses traits. Les derniers doutes qu’elle avait encore s’étaient dissous en chemin et elle ne tarda pas à se confier à son tour. Un gars en 4x4 les prit en stop jusqu’à un bled après Medias Aguas. Ils y attendirent la Bête deux jours de plus. Le cri du train manquait à América. Lorsqu’il retentit par un après-midi nuageux, ils attrapèrent leurs affaires et se dirigèrent vers les voies. Une heure plus tard, la Bête arriva de son pas lent et bruyant. Ils grimpèrent une nouvelle fois sur son dos. On apercevait des silhouettes sur chaque wagon, semblables à ces oiseaux qui sautillent sur le dos des rhinocéros. Avec la lune, les migrants sortirent de leurs cachettes. América et Ernesto changèrent de wagon. Ils trouvèrent un fourgon qui les protégerait des nuits à la belle étoile.

Entre les deux fleuves, le Suchiate au Sud et le Rio Bravo au Nord, le train traverse forêts, montagnes, vallées et déserts. Il passe par des zones où les températures, de négatives peuvent atteindre les 50° à l’ombre. Et de jour comme de nuit la Bête rugit. Pour atteindre "l’autre côté" les émigrants parcourent sur son dos près de 5000 kilomètres. Le voyage peut durer presque un mois. Pour eux, le Mexique devient infini parce que la Bête zigzague sur tout le territoire sans horaires ni fréquences fixes, mais toujours en poussant ses rugissements lugubres. La Bête peut mesurer jusqu’à deux kilomètres et avance à presque 70 km/h dans les zones inhabitées. Celle que chevauchaient América et Ernesto mesurait un peu plus d’un kilomètre et semblait suivre les caprices de ses propres démons. Elle comptait quatre locomotives, près de 120 wagons et n’arrêtait pas de rugir. Elle transportait un bon millier de migrants. Seuls quatre de chaque centaine arriveront de l’autre côté.

América et Ernesto descendirent encore plusieurs fois de la Bête. América souffrait de crises d’angoisse et ils durent lui trouver des médicaments. Puis ce fut Ernesto qui se sentit mal. Mais à chaque fois, après quelques jours loin du dos de métal, ils montaient une nouvelle Bête. Ils dormirent sous des ponts, couchaient à côté des voies. Ils furent contraints de mendier leur nourriture. Ils avaient peu d’argent, encore moins d’informations et portaient sur leurs épaules de lourdes menaces appelés police et Zetas. América avait les pieds en compote à cause des longues marches. Les jours et les nuits s’enchaînaient pour les mener de Veracruz à Puebla puis de Puebla jusqu’à Tultitlan au Nord du Defectuoso. Le cri de la Bête faisait partie de leur vie, résonnait dorénavant en eux. Le froid avait remplacé la chaleur et la pluie tombait sur les migrants comme plus tôt les rayons ardents du soleil. Le fer de la carapace de la Bête ne brûlait plus, il était devenu glissant et chaque pas sur l’échine du train pouvait être le dernier. Plusieurs hommes endormis tombèrent sur les voies. Quelques jours durant América avait souffert de la faim. Elle était restée sans force, déshydratée. Heureusement, dans quelques villages, parmi les plus misérables du pays, ils virent des femmes, postées le long des rails et offrant des repas, de l’eau aux migrants. Elles se levaient avant l’aube pour cuisiner. Ensuite, alors que les heures défilaient lentement, elles attendaient le passage de la Bête pour nourrir plus pauvres qu’elles. Peut-être le rugissement de la Bête de fer leur rappelait-il un frère, un mari ou un fils parti il y a bientôt dix ans. Un être disparu qu’elles ne voyaient plus que sur les photos qu’elles portaient collées sur le cœur. En pensant à un être cher descendu de la Bête dans les plantations de tabac de Caroline, dans les ranchs du Texas, dans le Sasabe ou trempé par les eaux du Rio Grande, ces femmes redonnaient du sens à leur vie.



A suivre...

27/04/2011

La Bestia, train de l'enfer

Comme promis il y a quelques mois, voici enfin la nouvelle que j'avais écrite à la suite de la découverte, en août 2010, à San Fernando (état du Tamaulipas au nord-est du Mexique) d'un charnier de 72 corps de migrants exécutés par les Zetas.
Il y a quelques jours, San Fernando était une nouvelle fois sous les projecteurs de l'actualité avec la découverte de fosses clandestines... et plus de 170 corps.

Voici donc la première partie (de trois) de la nouvelle intitulée Le bon, la belle et la Bête.
La version espagnol de la nouvelle a été publiée sur le blog d'Aguascalientes el invitad@ incomod@.

Le 1er mai, j'ouvrirais un blog consacré à la Bestia, où vous pourrez retrouver ma nouvelle en français et en espagnol, ainsi que de nombreux liens sur les migrants, la Bête... Vous y trouverez également des vidéos, des photos, etc...

Bonne lecture



Le bon, la belle et la Bête

Première partie

Soldaderas (1) en armes et en jupes. Sombrero et cartouchières croisées sur la poitrine. Figures féminines de la révolution mexicaine. Silhouettes guerrières sur les trains d’il y a cent ans. Images qui telles des fantômes hantent les rêves d’América. Mais le présent n’avait pas la charge révolutionnaire du passé et les trains ne servaient plus qu’aux marchandises, parcourant le pays du sud jusqu’au nord en lançant leurs cris lugubres.


"Ici commence le règne de la Bête. Et elle aime dévorer bras et jambes." Une soixantaine de personnes, hommes et femmes, souvent jeunes, parfois plus mûrs, écoutaient bouches-bées celui qui parlait, le passeur qui leur ouvrirait les portes du rêve américain. El Santo, porte-flingue à gueule d’ange, avait collecté l’argent de son groupe. "Elle sort de l’obscurité en rugissant, avec ses yeux brillant dans la nuit et son haleine chaude et fétide. Parfois elle s’arrête l’espace d’un instant, dans un vacarme de métal assourdissant, comme pour laisser une chance aux plus faibles, aux vieux, aux femmes, aux enfants de grimper sur son dos. Mais souvent elle ne s’arrête même pas et ne fait que se traîner lentement, alors seuls les plus forts réussissent à monter sur son dos." América sentit un frisson parcourir son échine. Les soldaderas seraient dévorées par la Bête dans les rêves de la nuit. Une nuit pleine de lumières et de bruits. Mais il faudrait dormir car le repos serait rare pendant le voyage. "Si vous vous endormez, vous risquez de tomber sur les voies et de perdre une jambe, vos rêves ou la vie." avait ajouté El Santo. Il s’éloigna en clopinant jusqu’à l’un des stands plantés là par les habitants de Tenosique. América s’approcha et commanda un coca. Le campement avait l’apparence surréaliste d’une fête foraine. Il ne manquait plus que le train fantôme.

A 27 ans, Pedro avait perdu une jambe et toutes ses illusions en chevauchant la Bête. Il était mexicain et avait passé quelques années de l’autre côté, "à Gringolandia, le Gabacho comme vous dites chez vous. Pas vrai ?" "Oui, c’est comme ça qu’on appelle les Etats-Unis dans mon pays." dit la hondurienne. "Tu sais, c'est pas pour devenir riche que je veux y aller. Ma famille est mon seul trésor. C'est simplement pour ne plus être pauvre. Avec Zelaya un espoir s’était levé… mais ils nous l’ont enlevé et maintenant je ne crois plus que mon pays connaîtra la justice. C’est pour ça que je veux partir. Pour aider ma famille avec ce que je gagnerai là-bas."

Quelques heures plus tard, dans cette nuit agitée le rugissement de la Bête se fit entendre. Les commerçants ramassèrent leurs marchandises et démontèrent les stands. Les sans-papiers, des centaines d’hommes avec l'espérance pour seul bagage, et des femmes avec parfois un enfant pleurnichant sur le dos, formèrent des files des deux côtés des voies. América, aux côtés de Pedro, attendait le moment exact pour sauter sur la Bête. Le soleil était sur le point de se lever mais ce fut de l’obscurité qu'elle surgit. La Bête les appelait. La locomotive commença à se frayer un chemin entre les files. Les sans-papiers rompaient les rangs. La course avait commencé. Beaucoup criaient pour se donner du courage. Une course qui les sortirait de la misère ou les séparerait à tout jamais d’un ami, d’un frère… América courait à en perdre haleine. Ses pieds tremblaient sur le ballast. Elle ne voyait rien d’autre que la carapace de fer de la Bête. Des larmes coulaient de ses yeux. Elle allait tomber quand elle sentit la main ferme de Pedro. Il la rattrapa. Elle courait pour s’accrocher à ses rêves. Elle attrapa enfin la Bête. Elle monta sur son dos et depuis ce qui lui apparut comme un moment de bonheur total, elle ouvrit les yeux et aperçut tous ceux qui n’étaient pas encore montés à bord. Elle vit deux corps mutilés, les membres arrachés que les mâchoires de fer de la Bête broyaient sur les rails. Elle cria… Tous criaient et mêlaient au rugissement du train le bonheur, la peur ou la douleur.

Le soleil se cachait derrière sa couverture nuageuse. Le vert-émeraude de la forêt de la Sierra Nord du Chiapas se profilait à l’horizon. Le vent était froid et América mit la capuche de son sweat, se pelotonna contre Pedro. El Santo ! Il avait gagné son surnom en sauvant il y a quelques années le bébé d’une jeune femme qui allait tomber sur les voies. América voulait en savoir plus sur la Bête. "Ses maîtres sont gringos depuis la privatisation des Chemins de Fer en 1999. Elle transporte de l’huile, du charbon, de la cellulose, des véhicules assemblés, du riz, du combustible..." La gueule d’ange de Pedro contrastait avec sa voix rocailleuse et le neuf millimètres à la ceinture qui rappelait à tous qu’il était un tueur. L’un des quatre qui travaillaient avec le fameux Balam Negro. Bien que "saint", il ne faisait preuve d’aucune pitié lorsqu’il s’agissait de refuser l’accès à la Bête. "Qui ne paie pas, ne voyage pas ! Le business c’est le business !" avait-il appris du Balam Negro. Le chef de la bande était une légende. Il avait 35 ans. Il était né dans le Yucatan mais avait grandi au Guatemala. Selon les autorités son âme était aussi sombre que sa peau. Il était svelte et portait cheveux longs et moustaches. Pour lui les frontières n’existaient pas. "Je ne comprends pas ce que sont les frontières. Les gringos nous ont chouré la moitié du pays et maintenant ils nous interdisent de marcher sur notre terre… Qu’ils aillent se faire foutre ! On a tous le droit de circuler partout sur la Terre." Balam Negro avait fait du passage de postes de contrôle et de barrages, de l’esquive de radars, de caméras infrarouges et même de drones - les yeux de l’Oncle Sam dans le ciel mexicain - un véritable art. Et son talent se payait cher… jusqu’à 5000 dollars ! Son sourire était jaune, comme ses dents d’or et de tartre. Armé de sa corne de bouc (2), de son flingue et de sa machette, il déambulait avec souplesse sur la colonne de fer. Les sans-papiers s’étaient installés comme ils avaient pu sur les toits et sur les balcons, entre les wagons. Les plus chanceux avaient une place dans un wagon à bestiaux. Les passeurs se retrouvèrent, eux, dans le fourgon central.

Peu après, vers Palenque le train ralentit. La Bête hurlait, s’efforçant d’avancer à travers le terrain accidenté. Neuf hommes profitèrent de son pas nonchalant pour y grimper. Chava, jeune cuisinier du Nicaragua les vit monter sur son wagon. "Du calme, nous aussi on va vers le nord." Mais après quelques minutes pour reprendre leur souffle, ils sortirent machettes et 9mm. Quatre d’entre eux avaient des AK-47. Ils enfilèrent leurs passe-montagnes et sautèrent sur le wagon suivant pour en détrousser les occupants. Chava les suivit de loin. En arrivant sur le wagon d’América ils emportaient déjà un joli butin et trois jeunes femmes. Ils fouillèrent les passagers du wagon et les délestèrent de leurs économies. Lorsqu’ils aperçurent América et son teint pâle, c’est une montagne verte dollars qu’ils virent. L’un des assaillants la tira par les cheveux. "Viens ici !" América pensa à son amie qui lui avait conseillé, avant de passer le Suchiate, de prendre la pilule. "Au cas où…" Comme América gardait la tête basse, le type lui posa la main sur la nuque. "Si t’es bien sage ma jolie, il ne t’arrivera rien." Mais un autre gars, plus âgé, commença à crier en pointant son flingue sur tout le monde. "Baisse ton putain de froc! Grouille !" Le vieux avait de grands yeux, le nez aquilin et une cicatrice qui lui barrait la joue gauche. Le jeune assaillant, lui, baissait déjà son froc. América figea son regard dans celui du vieux. "Vous êtes les Zetas (3), pas vrai ?" Le jeune se raidit et jeta un œil au vieux. Lui s’approcha d’elle et la braqua. América cracha. « Bande de lâches ! Les plus rats d’entre les rats ! Vous êtes tout juste bons à enlever des sans-pap’ mais vous n’auriez jamais les couilles de vous en prendre à un Carlos Slim. Et… Sur quoi on voyage, hein ? On est assis sur des marchandises qui valent je n’sais même pas combien mais la seule chose qui vous intéresse c’est le peu de thune qu’on a sur nous. Pauvres connards." Le vieux était sur le point de lui tirer une balle entre les yeux quand Chava sortit de l’ombre. "Ne la tue pas l’ami ! La belle blanche vaut bien plus vivante que morte !" Le vieux se retourna et braqua Chava. "Eh même, plutôt que de la vendre à un bordel tu pourrais la vendre comme pute de luxe à Juarez.Y'a sûrement tout un tas de rupins qui payeraient cher pour la culbuter." Le jeune reboutonnait son pantalon. Le vieux éclata d'un rire que couvrirent des coups de feu. La fusillade paraissait intense. Les autres assaillants étaient arrivés dans le wagon des passeurs. Ils avaient récupéré la thune mais Balam Negro et ses porte-flingues refusaient de les laisser partir avec les femmes. Le vieux envoya le jeune en avant voir ce qui se passait, et lui gardait un œil sur Chava et América. En passant entre les sans-pap’ le jeune planta un petit vieux, d’un coup de machette, puis le balança hors du train. Les détonations durèrent encore 15 minutes. Quand le jeune revint, il expliqua avoir vu un corps avec une cagoule tomber sur les voies. Puis le silence. Quelques instants plus tard le groupe d’hommes masqués arriva sur le wagon d’América. Ils descendirent tous, profitant une fois encore de la marche lente de la Bête. América les vit s’éloigner en camionnette. Au loin, les ruines de Palenque brillaient telles des perles mayas dans un écrin émeraude. Le rugissement de la Bête laissa les singes hurleurs sans voix.

Quelques 50 km plus loin, dans une zone connue sous le nom de La Aceitera, la Bête une fois de plus avançait au ralenti… jusqu’à l’arrêt total. Cinq camionnettes étaient garées le long des voies. Les tueurs, sans attendre, commencèrent à tirer sur le fourgon de la concurrence. Balam, Pedro et leurs compagnons étaient pris entre deux feux. Les sans-pap’ jetaient des regards affolés de tous côtés, essayaient de se cacher dans les entrailles de la Bête. Après 20 minutes, les armes cessèrent de cracher la mort. El Santo et Balam Negro déposèrent les armes et descendirent du train les mains en l’air. América et Chava virent leur exécution, d’une rafale en pleine tête, sans plus de pitié qu’un loup égorgeant un agneau.

Chava attrapa América par la manche de son sweat. "Tirons-nous ! On va pas attendre qu’ils viennent nous chercher." Ils pensaient gagner les derniers wagons, descendre et tenter de se réfugier dans les bois tout proches. Mais à peine avaient-ils posé pied à terre qu’ils entendirent rugir les AK-47. Une balle faucha Salvador (4). América se jeta au sol. Pendant qu’elle rampait pour se mettre à couvert, elle entendit arriver des hommes. Ils tombèrent sur Salvador à coups de pieds et de crosses de fusils. América s’aplatit au sol tout en se creusant un abri. Les cris de Chava remplaçaient ceux de la Bête. América aperçut le vieux qui l’avait visée avec son pistolet et le jeune qui l’avait braquée avec sa bite. Le vieux sortit un couteau, arracha les yeux et la langue de Salvador, les lui fourra dans la bouche, lui tira une balle dans chaque genoux et le laissa agoniser de longues minutes avant de l'achever d'une balle dans la tête. Les Zetas avaient fait monter dans des pick-up sans plaques la centaine de prisonniers, dont les femmes qu’ils avaient été contraints d’abandonner lors de la première fusillade. Le chef des Zetas, l'Alpha, donna une grosse liasse au machiniste. Il l’avait appelé par radio pour qu’il stoppe son train. La bande prit la poudre d'escampette, la Bête rugit et reprit elle aussi sa marche sanglante.


A suivre...


1: Surnom donné aux femmes ayant pris les armes pour la révolution mexicaine
2: cuerno de chivo est le surnom donné à l'AK47 au Mexique
3: Los Zetas est un gang formé d'anciens militaires et policiers qui servaient de bras armé au Cartel du Golf avant de prendre leur indépendance et de se spécialiser dans les enlèvements
4: Chava est le diminutif de Salvador


21/04/2011

Au Mexique c'est la démocratie qui disparaît

Dans le Libé d'hier, et donc aujourd'hui accessible à tous sur le site (et reproduit ci-dessous), une interview de l'avocat mexicain Santiago Corcuera, membre du groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées. Libé propose également un article sur les disparitions qui montre bien le mur dans lequel fonce le Mexique actuellement. Déjà plongées dans l'incertitude par la disparition d'un proche, les familles se heurtent également au mépris des autorités qui nient le phénomène, transforment les disparus en criminels, voir nient l’existence même des personnes disparues.

«Les militaires ont généré ce climat de violences»

Interview
Par EMMANUELLE STEELS (à Mexico)


Santiago Corcuera, avocat, membre du groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées :

L’avocat mexicain Santiago Corcuera a fait partie du Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées et involontaires (2004-2010).

Les organisations civiles mexicaines dénoncent plus de 3 000 disparitions forcées depuis le début de la présidence de Felipe Calderón, en décembre 2006. Ces estimations sont-elles fiables ?

Je crois qu’elles se situent en deçà de la réalité. Je ne peux pas donner de chiffre exact, mais je suis sûr, par expérience, qu’une grande partie des disparitions ne sont pas portées à la connaissance des autorités. On observe le même phénomène dans tous les pays où se produisent des disparitions forcées. Faire disparaître quelqu’un est une pratique propre à imposer la terreur. Les proches des victimes ne portent pas plainte car ils sont terrorisés. Les instances judiciaires ne leur inspirent aucune confiance car elles sont bien souvent complices de ces crimes. Il y a une intimidation des victimes. Souvent, il n’y a d’ailleurs pas d’enquête. La disparition forcée n’est même pas clairement définie dans le droit pénal mexicain.

Qui sont les «disparus» et qui les fait «disparaître» ?

Les autorités mexicaines doivent répondre à ces questions et poursuivre les coupables. Au lieu de cela, elles éludent leur devoir d’enquête, elles minimisent le phénomène et criminalisent les victimes, prétextant qu’il s’agit de personnes liées au crime organisé. C’est lamentable.

Quant aux auteurs, on peut attribuer des disparitions aux mafias de la drogue, mais aussi aux agents de l’Etat, policiers ou militaires. Des milliers de migrants centraméricains ont été enlevés au Mexique. Dans 10% des cas, les kidnappeurs bénéficient de la connivence de fonctionnaires. En ce qui concerne les 145 corps du charnier de San Fernando, découvert début avril (lire ci-contre), si la complicité des seize policiers arrêtés est démontrée, alors il s’agira aussi de disparitions forcées, qui doivent figurer comme telles dans les statistiques.

L’ONU a recommandé au gouvernement mexicain de retirer l’armée des zones d’opérations contre le crime organisé. Cette mesure contribuera-t-elle à éviter les disparitions forcées ?

Le déploiement des militaires a sans aucun doute généré le climat actuel de violence. Les soldats sont entraînés pour le combat, pas pour des opérations de sécurité publique. On les a envoyés exécuter une mission qu’ils ne sont pas aptes à remplir. Dans tous les pays où les militaires ont assumé des tâches policières, le groupe de travail des Nations unies a observé, durant ses trente ans d’expérience, une augmentation systématique du nombre de disparitions forcées. Cela peut signifier d’une part que les militaires sont les responsables directs de certaines disparitions, et d’autre part que l’utilisation des forces armées pour lutter contre le crime est une stratégie erronée, qui engendre davantage de violence de la part des cartels.

Pourquoi la gravité du phénomène des disparitions forcées ne provoque-t-elle pas de scandale au Mexique ?

C’est le cas dans tous les pays du monde qui vivent une guerre, comme celle que vit le Mexique actuellement : l’horreur des disparitions se dilue dans l’énormité du bilan total des victimes, les près de 40 000 morts de cette guerre. Pourtant, la souffrance causée par une disparition est unique. C’est l’horreur de ne pas savoir ce qui est arrivé à votre proche, d’ignorer même s’il est vivant ou mort.


Images: Une de l'hebdo d'investigation Proceso daté d'août 2010, date de la découverte d'un charnier de 72 migrants à San Fernando, Tamaulipas.

15/04/2011

Le panthéon clandestin du Mexique

Un article lu sur le site du quotidien La Jornada qui résume bien tout le drame vécu par les Mexicains aujourd'hui, coincés entre les morts de la guerre à la drogue, les victimes collatérales et les milliers de disparitions, d'enlèvements. Je vous en propose ici une traduction. Bonne lecture.


Fosses, mines et « pozoleros »,

le panthéon clandestin du Mexique

Le drame des disparus s'ajoute aux plus de 36000 assassinés depuis 2006 sous la présidence de Felipe Calderon, en pleine lutte contre les cartels de la drogue.


Il y a deux ans, un homme connu comme le Pozolero du Teo confessait aux autorités mexicaines avoir dissout 300 cadavres dans la soude caustique en huit années au service d'une faction du cartel de Tijuana.

Santiago Meza Lopez usait du surnom Le Pozolero à cause du pozole, un ragoût mexicain préparé avec du maïs et de la viande de poulet ou de porc.

Dans le cas qui nous occupe, le ragoût macabre servait à faire disparaître les corps de débiteurs ou d'ennemis du narcotrafiquant Teodor Garcia Simental.

Meza et son patron sont en prison, mais personne ne sut qui étaient ces 300 personnes disparus en tonneau.

Cette semaine les experts avaient du mal à s'en sortir, dans le nord-est du Mexique, pour identifier les 116 cadavres retrouvés dans plusieurs fosses à San Fernando, dans l'état du Tamaulipas.

Les autorités ont tout de suite attribué ces morts au gang des Zetas. Parmi les victimes, beaucoup furent sortis au hasard durant un voyage en car, à ce qu'il semble pour être recrutés ou extorqués, bien que les raisons n'en soient pas clairement établies.

« Ça date un peu, mais on ne peut rien dire. Il y a quelque chose comme un mois et demi ou deux ils nous ont arrêté sur la route, ils ont sorti les gens et les ont emmené. », témoigne à un journal de diffusion nationale un chauffeur de car du Tamaulipas.

« Ils circulent en camionnettes grises, sans sigles ni insignes, vitres teintées. Ils te coincent. Ils t'arrêtent. Un gars monte et choisit certains passagers : Toi, toi et toi, descendez. »

Des milliers de familles cherchent au Mexique des proches qui ont disparu sans laisser de traces. Dans le même temps, dans des fosses clandestines comme celles du Tamaulipas, du Sinaloa ou du Sonora, dans des bouches d'aération de mines, dans des sources souterraines et des décharges sont apparus des centaines de corps sans noms.

Le drame des disparus se rajoute aux plus de 36000 personnes assassinées depuis 2006 sous la présidence de Felipe Calderon, en pleine lutte contre les cartels de la drogue et le crime organisé.

La Commission National des Droits de l'Homme compte au Mexique depuis 5 ans 5397 "disparus", dont on ne connaît pas la cause de l'absence. D'un autre côté, il y a plus de 8800 cadavres non-identifiés.

Beaucoup de ces "disparus" peuvent n'être que des personnes ayant simplement perdus le contact avec leur famille. Il y a des migrants qui passent la frontière jusqu'aux États-Unis et dont on ne sait plus rien. Mais beaucoup d'entre eux ne parviennent pas à passer de l'autre côté.

Ce fut le cas en août dernier de 72 migrants centre et sud-américains, que l'on retrouva tués par balles, dans un ranch lui aussi situé à San Fernando, à 120 km de la frontière. Un survivant raconta que les Zetas les avaient tué parce qu'ils refusaient de travailler pour eux.

Parmi les victimes on comptait des guatémaltèques, des salvadoriens, des équatoriens, des brésiliens. Il en reste 14 au service médico-légal de la ville de Mexico qui n'ont pas été identifiés et quelque part des familles qui les recherchent probablement.

Le Groupe de Travail sur les Disparitions Forcées ou Involontaires de l'Organisation des Nations Unies a effectué une visite de travail au Mexique à la fin du mois de mars et a recueilli les témoignages de la tragédie.

A Saltillo, dans l'état du Coahuila, des organisations de disparus leur ont raconté leur drame avec un témoignage intitulé « La douleur est si grande qu'il n'existe pas de mots pour la décrire et la comprendre ».

« Les familles présentes vivent la même douleur causée par la disparition forcée d'un être cher, et sur notre chemin, nous avons tous eu à subir des abus, des vexations, des intimidations, des humiliations et des abus de pouvoir de la part des autorités judiciaires, nous avons du supporter la criminalisation de nos proches, étiquetés délinquants au lieu de les reconnaître comme victimes. »

Après le massacre du Tamaulipas, le gouvernement de Calderon s'est déclaré solidaire des familles, qui attendent attristées, photos à la main, au service médico-légal de Matamoros le moment d'identifier leurs proches.

« Maintenant nous sommes fatigués, vraiment. J'ai amené la photo de mon mari, mon beau-frère est venu pour un test ADN et ils me disent qu'avant vendredi ils ne pourront pas me montrer de photos pour voir si je le reconnais : c'est nous faire beaucoup souffrir », disait Rosa laura Davila à La Jornada.

Les experts ont réussi jusqu'à hier à réunir les preuves nécessaires à l'identification pour 72 cadavres. La mairie de Matamoros a promis d'héberger dans un hôtel proche les personnes qui arrivent d'autres états du pays afin qu'ils puissent se reposer et se laver, selon le directeur de la Protection Civil, Oscar de la Garza.

« Ce processus va prendre beaucoup de temps. »


Photo: 72 corps de migrants avaient été retrouvés en août 2010 à San Fernando, au nord du Mexique. (Proceso)

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Fosas, minas y "pozoleros", el panteón clandestino de México

El drama de los desaparecidos se suma a los más de 36 mil asesinados desde 2006 en el gobierno de Felipe Calderón, en medio de la lucha contra los cárteles del narco.

Dpa
Publicado: 13/04/2011 11:59

México, DF. Hace dos años, un hombre conocido como El Pozolero de El Teo confesó a las autoridades mexicanas cómo había disuelto 300 cadáveres en sosa cáustica en ocho años por encargo de una facción del cártel de Tijuana.

Santiago Meza López usaba el apodo de El Pozolero por el pozole, un guiso que se prepara en México con maíz y carne de pollo o cerdo.

En este caso, el guiso macabro consistía en hacer desaparecer los cuerpos de deudores o enemigos del narcotraficante Teodoro García Simental.

Meza y su jefe están detenidos, pero nadie supo quiénes eran esas 300 personas que desaparecieron en toneles.

Esta semana los peritos no se dan abasto en el noreste de México para identificar a 116 cadáveres encontrados en fosas en el municipio de San Fernando, en el nororiental estado de Tamaulipas.

Las autoridades atribuyen las muertes en principio al grupo de Los Zetas. Muchas de las víctimas fueron bajadas al azar de autobuses de pasajeros, al parecer para reclutarlos o extorsionarlos, aunque se desconoce la causa exacta.

"Esto viene de tiempo atrás, pero uno no puede decir nada. Desde hace como mes y medio o dos meses ya nos paraban en la carretera, bajaban a la gente y se la llevaban", relató a un diario de circulación nacional un chofer de un autobús de Tamaulipas.

"Viajan en camionetas grises, sin letras ni insignias, con vidrios polarizados. Se te cierran. Te paran. Sube un persona y escoge entre pasajeros: Tú, tú y tú, para abajo".

Miles de familias buscan en México a seres queridos que se esfumaron sin dejar rastro. Al mismo tiempo en fosas clandestinas como las de Tamaulipas, Sinaloa o Sonora, en respiraderos de minas, cenotes y basureros han aparecido cientos de cuerpos sin nombre.

El drama de los desaparecidos se suma a las más de 36 mil personas asesinadas desde 2006 en el gobierno de Felipe Calderón, en medio de la lucha contra los cárteles de las drogas y el crimen organizado.

La Comisión Nacional de Derechos Humanos tiene registro de 5 mil 397 personas "extraviadas" en México en cinco años, de las cuales se desconoce la causa de la ausencia. Además, hay más de 8 mil 800 cadáveres sin identificar.

Muchos de esos "extraviados" pueden ser personas que simplemente perdieron el contacto con su familia. Hay migrantes que cruzan la frontera hacia Estados Unidos y nunca más se sabe de ellos. Pero muchos no llegan a cruzarla.

Ese fue el caso en agosto del año pasado de 72 inmigrantes centro y sudamericanos, que aparecieron muertos a tiros, en un rancho situado también en San Fernando, a 120 kilómetros de la frontera. Un sobreviviente relató que los mataron Los Zetas porque se negaron a trabajar para ellos.

Entre las víctimas había guatemaltecos, salvadoreños, ecuatorianos, brasileños. Hay 14 que permanecen en el servicio médico forense de la ciudad de México sin identificar y en algún lado sus familias probablemente los buscan.

El Grupo de Trabajo sobre Desapariciones Forzadas o Involuntarias de la Organización de las Naciones Unidas hizo una visita de trabajo a México a finales de marzo y recogió testimonios de la tragedia.

En Saltillo, en el estado de Coahuila, organizaciones de desaparecidos les contaron su drama con un testimonio titulado "El dolor es tan grande que no existen palabras para describirlo y entenderlo".

"Las familias aquí presentes vivimos el mismo dolor causado por la desaparición forzada de un ser querido, y en nuestro caminar, todas y todos hemos sufrido abusos, vejaciones, intimidaciones, humillaciones y abuso de poder por parte de las autoridades que procuran justicia, teniendo que soportar la criminalización de nuestros seres queridos a quienes etiquetan como delincuentes en vez de reconocerlos como víctimas".

Después de la matanza de Tamaulipas, el gobierno de Calderón se solidarizó con las familias, que aguardan entristecidas y con fotos en la mano en el servicio médico forense de Matamoros que les toque el momento de identificar a los suyos.

"Ya no aguantamos, la verdad. Yo traje fotos de mi marido, ya vino mi cuñado a dejar muestra de ADN y como quiera me dicen que hasta el viernes no me podrán enseñar unas fotos a vr si lo reconozco: es mucho hacernos sufrir", dijo Rosa Laura Dávila a La Jornada.

Los peritos habían logrado hasta ayer concluir las muestras de 72 cadáveres, necesarias para la identificación. El ayuntamiento de Matamoros prometió hospedar en un hotel cercano a las personas que lleguen desde otras partes del país para que puedan descansar y bañarse, según el director de Protección Civil, Oscar de la Garza.

"Este proceso va a tardar muchos días".

12/04/2011

La France pue, y'a comme une sale odeur Marine !

L'insupportable banalisation médiatique du Front national

Article paru dans l'édition du Monde, le 12.04.11

Je ne sais pas si c'est dû à mon manque d'expérience de chroniqueuse sur la matinale de France Inter, mais je ne m'étais pas rendu compte que la ligne de démarcation séparant les bonnes et les mauvaises manières d'aborder le Front national (FN) avait bougé. Sérieusement bougé.

Mon boulot n'étant pas de rendre compte de ces glissements successifs mais plutôt de faire rire ou sourire les auditeurs d'Inter au moment où ils terminent de se brosser les dents, je ne mesurais pas mon ignorance avant de poser une babouche sur le terrain miné de l'extrême droite. Une babouche que je repris dans la figure avec une violence qui incite à la réflexion.

C'est donc à la suite d'une chronique que j'avais consacrée à Jean-Marie Le Pen que j'allais, pour la première fois, mesurer l'ampleur de ce phénomène. Pour Guy Carlier, chroniqueur à Europe 1, ma chronique était celle d'"une conne" d'une "vulgarité médiocre et pitoyable" et surtout j'étais coupable de "faire gagner 2 points au FN ". Pour le site de Marianne, je n'avais "pas la chance d'avoir de talent", préférant "l'attaque frontale convenue". Enfin, pour Le Figaro, j'étais "une tigresse" n'hésitant pas à "tirer sur l'ambulance" (Le Pen !), coupable de vouloir "faire gagner 12 % au FN".

Mais qu'avais-je donc pu faire pour mériter une telle acrimonie de la part d'une coalition aussi hétéroclite qu'efficace ? J'avais osé proposer à M. Le Pen "de faire la paix avec tous ceux qui avaient subi ses invectives et ses sarcasmes pendant des années et ce, avant que les vers et les pissenlits ne terminent le travail que le temps avait visiblement bien avancé." Ensuite, je l'ai attaqué sur l'héritage qu'il allait laisser sur terre en lui expliquant qu'il n'était finalement "qu'un thermomètre planté dans le derrière des Français pour mesurer leur degré de xénophobie".

Me voilà donc coupable de manquer de courtoisie à l'égard d'un homme qui... Qui quoi ? Qui aurait toujours pris soin de mesurer ses coups, que ce soit devant un micro ou dans la Villa des roses, à Alger ? C'est là que je dois promettre d'être sage ? A la limite je veux bien essayer de gagner en élégance, mais il y a des jours où elle vient à manquer.

La violence des réactions suscitées par cette chronique m'a laissé penser que je venais de commettre un crime largement plus important que celui de ne pas être drôle à leurs yeux. L'article de Marianne2.fr me permit également, grâce à l'évident manque de bonne volonté de son modérateur, de découvrir un échantillon des commentaires haineux que je pouvais susciter en éborgnant le leader frontiste.

Quant à la thèse de Guy Carlier et du Figaro selon laquelle je serais coupable de faire gagner des points au Front national, en toute logique, elle ne s'imposa pas auprès des commentateurs politiques comme une explication plausible de la montée de l'extrême droite en France.

Mais, pour élargir le débat au-dessus des motivations concurrentielles d'un chroniqueur sur le tard, d'un site en proie aux glissements de terrain et d'un journal soucieux de déculpabiliser une partie de son lectorat, j'aimerais aborder un argument qui m'a été opposé après la chronique que j'ai consacrée aux sympathisants frontistes, le 23 mars.

Après y avoir rappelé le discours ambiant sur la nécessité de ne pas stigmatiser une partie des Français votant FN, en évitant de les traiter de "gros cons" par exemple, je diffusais un extrait de propos tenus par un sympathisant frontiste qui me conduisait à penser que, même si je n'avais pas le droit de dire qu'il s'agissait "d'un gros con", c'était quand même pas mal imité.

Cette fois-ci, je venais, sans le savoir, de me rendre coupable d'un manque de compassion à l'égard des électeurs frontistes. L'heure n'est donc plus à l'"antiracisme autoproclamé", mais à la compassion envers "des Français de souche victimes d'une politique migratoire incontrôlée et à qui, comble de l'horreur, les commissaires du politiquement correct interdisent de mettre des mots sur leurs souffrances" ? Si je ne suis pas radicalement hostile à cette soudaine bienveillance, elle n'est pas sans risque puisqu'elle débouche sur deux principes contribuant à faire bouger les lignes : l'interdiction de dire trop fort ce que, selon moi, ils n'ont jamais cessé d'être ; répondre aux questions qu'ils posent mais en acceptant leur manière de la poser, ce qui n'est pas sans conséquence.

Ces nouveaux apôtres, qu'ils s'appellent Philippe Bilger, Philippe Cohen, Robert Ménard, Elisabeth Lévy et j'en passe, nous imposent leur soudaine lucidité et nous enjoignent d'arrêter de diaboliser ces victimes qui se tournent vers un parti censé "poser les bonnes questions, même s'il n'apporte pas toujours les bonnes réponses". Le risque c'est que, si vous prenez goût à poser les questions de la souffrance ou de la misère sociale à travers le prisme de la couleur de peau, de la culture ou la religion, alors vous allez adorer les solutions que sont le repli identitaire et la préférence nationale.

Du coup, j'ai beau écouter les trémolos dans la voix de Guy Carlier, rien n'y fait. J'ai toujours du mal à faire la différence entre un gros con et quelqu'un qui penserait que tous ces malheurs sont dus à la présence d'étrangers en France.

Voilà l'unique message de ma chronique du 23 mars. Je n'ai dit que ça. La rapidité avec laquelle certains se sont sentis concernés ne regarde qu'eux. Mais les lignes ont bougé et, sans le savoir, je venais de les franchir. Cette fois, Guy Carlier me traita de "petite conne", coupable de vouloir "faire le buzz pour remplir (m)es salles de spectacle". Mais, de manière plus inattendue, au milieu des insultes, il sortit sa traditionnelle pompe à mélo pour lire les messages des victimes de l'immigration. Il avait la sincérité des repentis de l'antiracisme qui ont enfin l'honnêteté de s'avouer troublés par tous ces témoignages. Son trouble était tel qu'à un moment j'ai eu peur qu'il n'abandonne la douche pour le Kärcher.

Sous la plume légère de Philippe Bilger, le site de Marianne en remet une louche, usant d'une violence à mon endroit qui interroge sur les arrière-pensées de ce magistrat soudainement spécialiste de l'humour radiophonique. On pourrait se demander ce que vient faire dans les colonnes de Marianne2.fr celui qui appelle à intégrer le Front national au sein de l'UMP ? Pas grand-chose si l'on oublie qu'au moment où son rédacteur en chef, Philippe Cohen, est contraint de s'expliquer devant sa rédaction pour son traitement étonnamment neutre du Front national, le site me consacre trois articles pour m'apprendre à éviter les attaques frontales à l'égard de Marine, Jean-Marie Le Pen et de leurs électeurs.

Il y a toujours eu un grand nombre de personnes favorables à la préférence nationale. Mais ce qui a changé, c'est qu'ils ont dans les médias des défenseurs à la fois organisés et actifs pour leur expliquer qu'il est tout à fait normal en ces temps de crise où la peur de l'autre devient la règle de penser que ces Français "d'origine musulmane" finissent quand même par poser pas mal de problèmes.

Quand l'origine et la couleur de peau deviennent les critères pour comprendre le monde, j'ai tendance à me raidir. C'est peut-être parce que je suis viscéralement attachée aux valeurs républicaines et laïques, ce qui, compte tenu de mes origines, doit les surprendre.


Sophia Aram, humoriste chroniqueuse sur France Inter

Voici la chronique incriminée, celle des "Gros cons?", datée du 23 mars:


Gros cons ? par franceinter


09/04/2011

Urbanisme

Un article trouvé sur Libé... entre sciences et science-fictions. Mais à quand une ville sans misère?

A quoi ressembleront les villes de demain?

Villes écolos, villes technos, immeubles mis en mouvement: tour d'horizon des concepts les plus audacieux, les plus fous, voire parfois un tantinet mégalo.


Des villes rêvées, ou cauchemardées. Des villes vertes, durables, productrices d'énergie, entièrement automatisées, à la pointe de la technologie, des cités aquatiques pour réfugiés climatiques posées au milieu de l'océan, etc. A quoi ressembleront les villes de demain? Tour d'horizon des concepts les plus audacieux, les plus fous, voire parfois un tantinet mégalos, à l'occasion de l'exposition «La ville fertile» de la cité de l'architecture, jusqu'au 23 juillet 2011.


06/04/2011

Hasta la madre!



36000 morts à cause d'une guerre que nous n'avons jamais demandé.
Plus de 1000 avaient moins de 17 ans
Plus de 3000 étaient des femmes
Plus de 12000 étaient des jeunes
Nous savons qui sont les responsables et nous allons les poursuivre!
Lecture libre en solidarité avec la marche citoyenne nationale en faveur de la paix. Mercredi 6 avril, place de la République, en face du Théâtre Morelos au centre d'Aguascalientes à 19h.

Une marche est également organisée à Paris à 20h place du Trocadero.
Pour en savoir plus sur ces marches pour la paix, cliquez ici.

Estamos hasta la madre...
(Carta abierta a los políticos y a los criminales)

El brutal asesinato de mi hijo Juan Francisco, de Julio César Romero Jaime, de Luis Antonio Romero Jaime y de Gabriel Anejo Escalera, se suma a los de tantos otros muchachos y muchachas que han sido igualmente asesinados a lo largo y ancho del país a causa no sólo de la guerra desatada por el gobierno de Calderón contra el crimen organizado, sino del pudrimiento del corazón que se ha apoderado de la mal llamada clase política y de la clase criminal, que ha roto sus códigos de honor.
No quiero, en esta carta, hablarles de las virtudes de mi hijo, que eran inmensas, ni de las de los otros muchachos que vi florecer a su lado, estudiando, jugando, amando, creciendo, para servir, como tantos otros muchachos, a este país que ustedes han desgarrado. Hablar de ello no serviría más que para conmover lo que ya de por sí conmueve el corazón de la ciudadanía hasta la indignación. No quiero tampoco hablar del dolor de mi familia y de la familia de cada uno de los muchachos destruidos. Para ese dolor no hay palabras –sólo la poesía puede acercarse un poco a él, y ustedes no saben de poesía–. Lo que hoy quiero decirles desde esas vidas mutiladas, desde ese dolor que carece de nombre porque es fruto de lo que no pertenece a la naturaleza –la muerte de un hijo es siempre antinatural y por ello carece de nombre: entonces no se es huérfano ni viudo, se es simple y dolorosamente nada–, desde esas vidas mutiladas, repito, desde ese sufrimiento, desde la indignación que esas muertes han provocado, es simplemente que estamos hasta la madre.

Estamos hasta la madre de ustedes, políticos –y cuando digo políticos no me refiero a ninguno en particular, sino a una buena parte de ustedes, incluyendo a quienes componen los partidos–, porque en sus luchas por el poder han desgarrado el tejido de la nación, porque en medio de esta guerra mal planteada, mal hecha, mal dirigida, de esta guerra que ha puesto al país en estado de emergencia, han sido incapaces –a causa de sus mezquindades, de sus pugnas, de su miserable grilla, de su lucha por el poder– de crear los consensos que la nación necesita para encontrar la unidad sin la cual este país no tendrá salida; estamos hasta la madre, porque la corrupción de las instituciones judiciales genera la complicidad con el crimen y la impunidad para cometerlo; porque, en medio de esa corrupción que muestra el fracaso del Estado, cada ciudadano de este país ha sido reducido a lo que el filósofo Giorgio Agamben llamó, con palabra griega, zoe: la vida no protegida, la vida de un animal, de un ser que puede ser violentado, secuestrado, vejado y asesinado impunemente; estamos hasta la madre porque sólo tienen imaginación para la violencia, para las armas, para el insulto y, con ello, un profundo desprecio por la educación, la cultura y las oportunidades de trabajo honrado y bueno, que es lo que hace a las buenas naciones; estamos hasta la madre porque esa corta imaginación está permitiendo que nuestros muchachos, nuestros hijos, no sólo sean asesinados sino, después, criminalizados, vueltos falsamente culpables para satisfacer el ánimo de esa imaginación; estamos hasta la madre porque otra parte de nuestros muchachos, a causa de la ausencia de un buen plan de gobierno, no tienen oportunidades para educarse, para encontrar un trabajo digno y, arrojados a las periferias, son posibles reclutas para el crimen organizado y la violencia; estamos hasta la madre porque a causa de todo ello la ciudadanía ha perdido confianza en sus gobernantes, en sus policías, en su Ejército, y tiene miedo y dolor; estamos hasta la madre porque lo único que les importa, además de un poder impotente que sólo sirve para administrar la desgracia, es el dinero, el fomento de la competencia, de su pinche “competitividad” y del consumo desmesurado, que son otros nombres de la violencia.

De ustedes, criminales, estamos hasta la madre, de su violencia, de su pérdida de honorabilidad, de su crueldad, de su sinsentido.

Antiguamente ustedes tenían códigos de honor. No eran tan crueles en sus ajustes de cuentas y no tocaban ni a los ciudadanos ni a sus familias. Ahora ya no distinguen. Su violencia ya no puede ser nombrada porque ni siquiera, como el dolor y el sufrimiento que provocan, tiene un nombre y un sentido. Han perdido incluso la dignidad para matar. Se han vuelto cobardes como los miserablesSonderkommandos nazis que asesinaban sin ningún sentido de lo humano a niños, muchachos, muchachas, mujeres, hombres y ancianos, es decir, inocentes. Estamos hasta la madre porque su violencia se ha vuelto infrahumana, no animal –los animales no hacen lo que ustedes hacen–, sino subhumana, demoniaca, imbécil. Estamos hasta la madre porque en su afán de poder y de enriquecimiento humillan a nuestros hijos y los destrozan y producen miedo y espanto.

Ustedes, “señores” políticos, y ustedes, “señores” criminales –lo entrecomillo porque ese epíteto se otorga sólo a la gente honorable–, están con sus omisiones, sus pleitos y sus actos envileciendo a la nación. La muerte de mi hijo Juan Francisco ha levantado la solidaridad y el grito de indignación –que mi familia y yo agradecemos desde el fondo de nuestros corazones– de la ciudadanía y de los medios. Esa indignación vuelve de nuevo a poner ante nuestros oídos esa acertadísima frase que Martí dirigió a los gobernantes: “Si no pueden, renuncien”. Al volverla a poner ante nuestros oídos –después de los miles de cadáveres anónimos y no anónimos que llevamos a nuestras espaldas, es decir, de tantos inocentes asesinados y envilecidos–, esa frase debe ir acompañada de grandes movilizaciones ciudadanas que los obliguen, en estos momentos de emergencia nacional, a unirse para crear una agenda que unifique a la nación y cree un estado de gobernabilidad real. Las redes ciudadanas de Morelos están convocando a una marcha nacional el miércoles 6 de abril que saldrá a las 5:00 PM del monumento de la Paloma de la Paz para llegar hasta el Palacio de Gobierno, exigiendo justicia y paz. Si los ciudadanos no nos unimos a ella y la reproducimos constantemente en todas las ciudades, en todos los municipios o delegaciones del país, si no somos capaces de eso para obligarlos a ustedes, “señores” políticos, a gobernar con justicia y dignidad, y a ustedes, “señores” criminales, a retornar a sus códigos de honor y a limitar su salvajismo, la espiral de violencia que han generado nos llevará a un camino de horror sin retorno. Si ustedes, “señores” políticos, no gobiernan bien y no toman en serio que vivimos un estado de emergencia nacional que requiere su unidad, y ustedes, “señores” criminales, no limitan sus acciones, terminarán por triunfar y tener el poder, pero gobernarán o reinarán sobre un montón de osarios y de seres amedrentados y destruidos en su alma. Un sueño que ninguno de nosotros les envidia.

No hay vida, escribía Albert Camus, sin persuasión y sin paz, y la historia del México de hoy sólo conoce la intimidación, el sufrimiento, la desconfianza y el temor de que un día otro hijo o hija de alguna otra familia sea envilecido y masacrado, sólo conoce que lo que ustedes nos piden es que la muerte, como ya está sucediendo hoy, se convierta en un asunto de estadística y de administración al que todos debemos acostumbrarnos.

Porque no queremos eso, el próximo miércoles saldremos a la calle; porque no queremos un muchacho más, un hijo nuestro, asesinado, las redes ciudadanas de Morelos están convocando a una unidad nacional ciudadana que debemos mantener viva para romper el miedo y el aislamiento que la incapacidad de ustedes, “señores” políticos, y la crueldad de ustedes, “señores” criminales, nos quieren meter en el cuerpo y en el alma.

Recuerdo, en este sentido, unos versos de Bertolt Brecht cuando el horror del nazismo, es decir, el horror de la instalación del crimen en la vida cotidiana de una nación, se anunciaba: “Un día vinieron por los negros y no dije nada; otro día vinieron por los judíos y no dije nada; un día llegaron por mí (o por un hijo mío) y no tuve nada que decir”. Hoy, después de tantos crímenes soportados, cuando el cuerpo destrozado de mi hijo y de sus amigos ha hecho movilizarse de nuevo a la ciudadanía y a los medios, debemos hablar con nuestros cuerpos, con nuestro caminar, con nuestro grito de indignación para que los versos de Brecht no se hagan una realidad en nuestro país.

Además opino que hay que devolverle la dignidad a esta nación.


Vous pouvez également lire une traduction française de cette lettre ouverte de Javier Sicilia sur le blog "pluie mexicaine".


En complément, voici deux vidéos:


Interview de Javier Sicilia


Marche contre la violence

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture des articles suivants,
sur le blog El invitad@ incomod@:
Hemos llegado al puerto del horror de Juan-Pablo de Avila
Lamentable de Adrián Gerardo Rodríguez.

sur le site de la Jornada:
Un texte très personnel de Hermann Bellinghausen et un autre sur la marche d'aujourd'hui contre la vague de violence qui n'en finit pas de submerger le quotidien des Mexicains. Un article où le procureur général de Morelos (état où vit la famille Sicilia) met en cause des militaires et des policiers dans le meurtre de Juan Francisco Sicilia.

Le Proceso de la semaine consacre sa Une et une grande partie de ses pages à la mort du fils du poète mexicain.

En anglais, vous pouvez lire l'article que consacre France24 à ce meurtre brutal.

Rejoignez le groupe Facebook qui s'est constitué pour exiger la justice et la fin de la violence.

En français, retrouvez quelques infos sur le site Wiki Noticia (c'est plutôt du presque français, qui ressemble un peu trop à de la traduction automatique mais à défaut d'autres choses...).