"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

31/12/2010

Réflexions autour de Wikileaks V

Pour éviter les maux de tête dus à des réflexions trop intenses en cette dernière journée de l'année (pour les maux de tête dus à un réveillon arrosé je ne peux rien), je vous propose un dessin, publié sur rue89 le 25 décembre dernier. Comme la série de textes piochés dans la presse, les traits d'Hervé Baudry esquissent, ici avec humour, les contours de ce nouvel Objet Virtuel Non Identifié qu'est Wikileaks.
Bonne année!



28/12/2010

Réflexions autour de Wikileaks IV

Après la pause de Noël, on retourne à nos réflexions sur Wikileaks, avec un article de rue89 traitant du manifeste de Julian Assange. Indispensable pour comprendre le phénomène Wikileaks.

Bonne lecture

" Aveugler la conspiration " : dès 2006, la conception de WikiLeaks


Photo : Julian Assange lors d'une conférence de presse à Genève, le 4 novembre 2010 (Valentin Flauraud/Reuters).


En 2006, alors qu'il s'apprêtait à lancer WikiLeaks, Julian Assange avait déjà théorisé sur son blog sa conception de la transparence, et l'importance de prendre le contrôle de l'information contre le pouvoir. Extraits de ce manifeste toujours d'actualité.
Le blog personnel de Julian Assange, Iq.org, n'est plus en ligne, mais il reste accessible via le site internet Archive. On y trouve notamment un texte daté du 3 décembre 2006, intitulé « De la conspiration comme mode de gouvernance ». Un manifeste annonçant les actions d'éclat de WikiLeaks, jusqu'à la révélation dimanche soir de milliers de documents sur les secrets de la diplomatie américaine.

Dans ce texte, Julian Assange estime que les régimes politiques « autoritaires » reposent sur des conspirations, et que ces conspirations tirent elles-mêmes leurs forces des informations dont elles disposent. Pour affaiblir ces régimes, il faudrait donc manipuler ces informations ou limiter leur circulation.

Avec WikiLeaks, Julian Assange est passé à la pratique. En allant plus loin : prendre le contrôle de l'information, ce n'est plus la manipuler pour tromper le pouvoir, mais la diffuser au plus grand nombre. F.K.


Lisez ici le document complet, en anglais, et un extrait en français ci-dessous:

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Pour changer radicalement le comportement d'un régime, nous devons penser avec clarté et audace, car si nous avons appris une chose, c'est que les régimes ne veulent pas être changés. Nous devons aller plus loin que ceux qui nous ont précédés et découvrir des technologies fournissant des moyens d'action dont nos prédécesseurs ne disposaient pas. […]

Des « conspirations » basées sur le secret

Lorsque nous disposons de détails sur le fonctionnement interne des régimes autoritaires, nous observons des interactions « conspirationnelles » au sein de l'élite politique, pas seulement destinées à obtenir des faveurs au sein du régime, mais constituant la principale méthode de planification pour maintenir ou renforcer le pouvoir autoritaire.

Les régimes autoritaires créent des forces qui s'opposent à eux, en repoussant les désirs de vérité, d'amour et d'accomplissement du peuple. Les plans destinés à préserver le régime autoritaire, lorsqu'ils sont dévoilés, suscitent encore davantage de résistance.

Le succès des pouvoirs autoritaires repose donc sur la dissimulation de ces procédés. […] Ce secret collaboratif, au détriment de la population, suffit à définir leur attitude comme celle de conspirateurs. […]

L'information circule d'un conspirateur à l'autre. Tous les conspirateurs ne se connaissent pas ou ne se font pas confiance, même s'ils sont tous connectés. Certains sont à la marge de la conspiration, d'autres sont au centre et communiquent avec beaucoup de conspirateurs, et d'autres ne peuvent connaître que deux conspirateurs mais constituer un lien entre des sections ou des groupes importants au sein de la conspiration. […]

Les conspirations utilisent des informations sur le monde dans lequel elles opèrent (l'environnement « conspirationnel »), les transmettent aux conspirateurs et ensuite agissent sur le résultat. Nous pouvons considérer les conspirations comme une machine dotée d'entrées (les informations sur l'environnement), d'un processeur (les conspirateurs et leurs liens les uns avec les autres) et de sorties (les actions destinées à changer ou à préserver l'environnement).

« Tromper ou aveugler les conspirations »

Puisqu'une conspiration est une sorte d'appareil cognitif qui agit sur des informations acquises dans son environnement, déformer ou restreindre ces données entrantes signifie que les actions basées sur celles-ci risquent de se révéler déplacées. Les programmeurs appellent cet effet le « garbage in, garbage out » [en français, « déchets à l'entrée, déchets à la sortie » : l'idée qu'introduire une donnée erronée risque d'aboutir à un résultat lui aussi erroné, ndlr]. […]

Un homme enchaîné comprend qu'il aurait dû agir plus vite, car sa capacité à influencer les actions de l'état s'est épuisée. Pour faire face aux actions « conspirationnelles » les plus puissantes, nous devons penser par anticipation et attaquer le processus qui conduit vers elles, puisque nous ne pouvons rien faire contre ces actions elles-mêmes.

Nous pouvons tromper ou aveugler une conspiration en déformant ou en restreignant l'information à laquelle elle a accès. […]

Une conspiration autoritaire qui ne peut pas penser n'a pas le pouvoir de se préserver contre les opposants qu'elle a elle-même générés.

Quand nous observons une conspiration autoritaire dans son ensemble, nous voyons un système d'organes qui interagissent, une bête avec des artères et des veines dont le sang peut être épaissi et ralenti jusqu'à ce qu'elle chute, frappée de stupeur, incapable de comprendre suffisamment et de contrôler les forces présentes dans son environnement. […]

Le 31 décembre 2006, Julian Assange revient sur le sujet avec un nouveau billet. Et, cette fois-ci, il souligne les « effets des fuites sur les systèmes de gouvernance injustes » :

Plus une organisation est secrète ou injuste, plus des fuites peuvent susciter la peur et la paranoïa au sein de ses dirigeants. […] Puisque les systèmes injustes, par leur nature même, génèrent des opposants, et peinent souvent à garder le contrôle de la situation, des fuites de masse les rendent extrêmement vulnérables. […]


Sur rue89 vous pouvez lire aussi:

Représailles de l'empire et contre-offensive des barbares

Wikileaks, la pire agence de renseignement du peuple

24/12/2010

Réflexions autour de Wikileaks III

Allez, aujourd'hui pas de prise de tête et on rigole un peu avec Wikileaks!
Voici un dessin de Martin Vidberg, dessinateur du Monde, auteur de la série l'actu en patates... chaudes!
Alors Wikileaks est-il dangereux?



23/12/2010

Réflexions autour de Wikileaks II

Troisième texte pour essayer de réfléchir autour des questions soulevées par Wikileaks, ses méthodes et cette transparence qui déchire, entre partisans et détracteurs... après avoir lever un coin du rideau derrière lequel les puissants tirent les ficelles d'un spectacle qui déplaît de plus en plus aux citoyens de moins en moins enclins à rester simple spectateurs de leur vie et de celle du monde.
Aujourd'hui je vous propose un texte d'Umberto Eco, paru dans le Libé des philosophes du 2 décembre. Dans le même numéro de Libé, lisez ou relisez:

La dictature de la transparence par Elisabeth Roudinesco

Ogre Internet et journalistes, un nouveau rapport de force par Jean-Claude Monod

Quand le citoyen se complaît dans le complot
par Françoise Gaillard


Bonne lecture...


Hackers vengeurs et espions en diligence

Umberto Eco


L’affaire WikiLeaks a une double valeur. D’un côté, elle se révèle un scandale apparent, un scandale qui n’apparaît comme scandale que devant l’hypocrisie qui régit les rapports entre les Etats, les citoyens et la presse. De l’autre, elle annonce de profonds changements au niveau international, et préfigure un futur dominé par la régression.

Mais procédons par ordre. Le premier aspect de WikiLeaks, c’est la confirmation du fait que chaque dossier constitué par un service secret (de quelque nation que ce soit) est composé exclusivement de coupures de presse. Les «extraordinaires» révélations américaines sur les habitudes sexuelles de Berlusconi ne font que rapporter ce qui depuis des mois pouvait se lire dans n’importe quel journal (sauf ceux dont Berlusconi est propriétaire), et le profil sinistrement caricatural de Khadafi était depuis longtemps pour les artistes de cabaret matière à sketch.
La règle selon laquelle les dossiers secrets ne doivent être composés que de nouvelles déjà connues est essentielle à la dynamique des services secrets, et pas seulement en ce siècle. Si vous allez dans une librairie consacrée à des publications ésotériques, vous verrez que chaque ouvrage répète (sur le Graal, le mystère de Rennes-le-Château, les Templiers ou les Rose-Croix) exactement ce qui était déjà écrit dans les ouvrages antérieurs. Et ce non seulement parce que l’auteur de textes occultes n’aime pas faire des recherches inédites (ni ne sait où chercher des nouvelles sur l’inexistant), mais parce que ceux qui se vouent à l’occultisme ne croient qu’à ce qu’ils savent déjà, et qui reconfirme ce qu’ils avaient déjà appris. C’est le mécanisme du succès de Dan Brown. Idem pour les dossiers secrets. L’informateur est paresseux, et paresseux (ou d’esprit limité) le chef des services secrets (sinon il pourrait être, que sais-je, rédacteur à Libération), qui ne retient comme vrai que ce qu’il reconnaît. Les informations top secret sur Berlusconi que l’ambassade américaine de Rome envoyait au Département d’Etat étaient les mêmes que celles que Newsweek publiait la semaine d’avant.
Alors pourquoi les révélations sur ces dossiers ont-elles fait tant de bruit ? D’un côté, elles disent ce que toute personne cultivée sait déjà, à savoir que les ambassades, au moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et depuis que les chefs d’Etats peuvent se téléphoner ou prendre un avion pour se rencontrer à dîner, ont perdu leur fonction diplomatique et, exception faite de quelques petits exercices de représentation, se sont transformées en centres d’espionnage. N’importe quel spectateur de films d’enquête sait très bien cela, et ce n’est que par hypocrisie que l’on fait semblant de l’ignorer. Toutefois, le fait de le répéter publiquement viole le devoir d’hypocrisie, et sert à placer sous une mauvaise lumière la diplomatie américaine. En second lieu, l’idée qu’un hacker quelconque puisse capter les secrets les plus secrets du pays le plus puissant du monde porte un coup non négligeable au prestige du département d’Etat. Aussi le scandale ne met-il pas tant en crise les victimes que les «bourreaux».
Mais venons-en à la nature profonde de ce qui est arrivé. Jadis, au temps d’Orwell, on pouvait concevoir tout pouvoir comme un Big Brother qui contrôlait chaque geste de ses sujets. La prophétie orwellienne s’était complètement avérée depuis que, pouvant contrôler chaque mouvement grâce au téléphone, chaque transaction effectuée, l’hôtel visité, l’autoroute empruntée et ainsi de suite, le citoyen devenait la victime totale de l’œil du pouvoir. Mais lorsque l’on démontre, comme ça arrive maintenant, que même les cryptes des secrets du pouvoir ne peuvent échapper au contrôle d’un hacker, le rapport de contrôle cesse d’être unidirectionnel et devient circulaire. Le pouvoir contrôle chaque citoyen, mais chaque citoyen, ou du moins le hacker - élu comme vengeur du citoyen -, peut connaître tous les secrets du pouvoir.
Comment un pouvoir qui n’a plus la possibilité de conserver ses propres secrets peut-il tenir ? Il est vrai, Georg Simmel le disait déjà, qu’un vrai secret est un secret vide (et secret vide ne pourra jamais être dévoilé) ; il est vrai, aussi, que tout savoir sur le caractère de Berlusconi ou de Merkel est effectivement un secret vide de secret, parce que relevant du domaine public ; mais révéler, comme l’a fait WikiLeaks, que les secrets de Hillary Clinton étaient des secrets vides signifie lui enlever tout pouvoir. WikiLeaks n’a fait aucun tort à Sarkozy ou à Merkel, mais en a fait un trop grand à Clinton et à Obama. Quelles seront les conséquences de cette blessure infligée à un pouvoir très puissant ? Il est évident que dans le futur, les Etats ne pourront plus mettre en ligne aucune information réservée - cela reviendrait à la publier sur une affiche collée au coin de la rue. Mais il est tout aussi évident qu’avec les technologies actuelles, il est vain d’espérer pouvoir entretenir des rapports confidentiels par téléphone. Rien de plus facile que de découvrir si et quand un chef d’Etat s’est déplacé en avion et a contacté l’un de ses collègues. Comment pourront être entretenus dans le futur les rapports privés et réservés ? Je sais bien que, pour l’instant, ma prévision relève de la science-fiction et est donc romanesque, mais je suis obligé d’imaginer des agents du gouvernement qui se déplacent de façon discrète dans des diligences aux itinéraires incontrôlables, en n’étant porteurs que de messages appris par cœur ou, tout au plus, en cachant les rares informations écrites dans le talon d’une chaussure. Les informations seront conservées en copie unique dans des tiroirs fermés à clef : au fond, la tentative d’espionnage du Watergate a eu moins de succès que WikiLeaks.
J’ai eu l’occasion d’écrire que la technologie avance maintenant en crabe, c’est-à-dire à reculons. Un siècle après que le télégraphe sans fil a révolutionné les communications, Internet a rétabli un télégraphe sur fils (téléphoniques). Les vidéocassettes (analogiques) avaient permis aux chercheurs en cinéma d’explorer un film pas à pas, en allant en avant et en arrière et en en découvrant tous les secrets du montage, alors que maintenant les CD (numériques) ne permettent que de sauter de chapitre en chapitre, c’est-à-dire par macroportions. Avec les trains à grande vitesse, on va de Rome à Milan en trois heures, alors qu’en avion, et les déplacements qu’il inclut, il faut trois heures et demie. Il n’est donc pas extraordinaire que la politique et les techniques de communications en reviennent aux voitures à cheval.
Une dernière observation. Autrefois, la presse essayait de comprendre ce qui se tramait dans le secret des ambassades. A présent, ce sont les ambassades qui demandent les informations confidentielles à la presse.


Traduit de l’italien par Robert Maggiori
Umberto Eco est titulaire de la chaire de sémiotique de l’université de Bologne. «De l’arbre au labyrinthe : Etudes historiques sur le signe et l’interprétation», Grasset, 2010. «Il Cimitero di Praga», Bompiani, 2010.

22/12/2010

Réflexions autour de Wikileaks

Avec ses fuites en séries, ses révélations qui parfois n'en sont pas vraiment, Wikileaks bouleverse les États, les démocraties et force la réflexion sur les notions de secret, de transparence.
La divulgation de documents sert-elle les citoyens ou au contraire renforce-t-elle en eux le sentiment de complots? Jusqu'à quel point ces divulgations ne sont-elles pas elles-mêmes des poisons (ou virus, terme plus adéquat) distillés par les États eux-mêmes? Wikileaks, en offrant l'anonymat à ses sources peut aussi devenir, dans un futur plus ou moins proche, un nouveau média manipulable par d'autres puissances que celles de citoyens luttant contre les abus d'états plus ou moins dictatoriaux ou démocratiques. Wikileaks est-il l'outil des citoyens pour "casser" les codes des élites et empêche-t-il alors les États, les dirigeants de plonger dans l'ombre une partie de ses agissements? La transparence est un absolu indépassable? Un absolu forcément opposé au secret? Ou transparence et ombre ne sont-ils que les faces opposées d'une même médaille?

Après le texte de Luis de Miranda "Qui règne par le code tombera par le code", je vous propose une série de textes piochés sur Libé, Le Monde, Rue89, ou d'autres... afin de voir plus clair dans cet afflux de lumières et éviter les dictatures du secrets ou celles de la transparence.
Commençons donc avec un article de Jean-Christophe Rufin: "Wikileaks ou la troisième révolte" Le texte d'un des co-fondateur de Médecins sans-frontières ne cherche pas à juger les agissements de Wikileaks, mais tente de l'inscrire dans le mouvements des organisations citoyennes qui décident de ne pas jouer le jeu des États et de leurs lois...

Bonne lecture



WikiLeaks ou la troisième révolte


Médecins sans frontières-WikiLeaks : mêmes méthodes, même combat ? Le rapprochement des deux mouvements peut choquer. Le premier est une association respectable et reconnue, saluée comme utile à l'humanité ; l'autre est un site Internet quasi clandestin, considéré, à la suite de ses dernières révélations, comme irresponsable.


A y regarder de plus près, il existe pourtant une parenté, voire une filiation, entre les deux démarches. L'une et l'autre se veulent l'émanation de citoyens refusant la raison d'Etat. L'une et l'autre ont pour ennemi la guerre et ses victimes car WikiLeaks, par-delà le sensationnalisme de ses dernières productions, est avant tout un site militant dont l'objectif est de mettre fin aux engagements militaires américains. L'une et l'autre enfin ont été créées sur l'idée que la justice est un impératif supérieur au droit, si bien qu'une juste cause rendrait licite l'usage de tout moyen d'action, fût-il illégal. Cette parenté n'est pas une coïncidence.
Elle est le fruit d'une histoire, la nôtre, depuis le sursaut libertaire de Mai 68 et la fin des grandes idéologies qui plaçaient l'intérêt de l'Etat au-dessus de celui des individus. L'âge des droits de l'homme est celui de la revanche du citoyen, dressé contre l'Etat et défendant, face à lui, ses libertés et ses droits. Ce mouvement citoyen a connu, depuis le début des années 1970, trois étapes successives. Chacune d'elles procède de l'échec de la précédente, échec réel ou supposé, mais qui nourrit la conviction que quelque chose de nouveau doit être inventé et tenté.


Manifestation en faveur de Julian Assange, fondateur de Wikileaks





LE PREMIER ÂGE FUT DOMINÉ PAR L'HUMANITAIRE
Il s'est construit sur une critique radicale du système caritatif en vigueur depuis le XIXe siècle et symbolisé par la Croix-Rouge. Le mouvement créé par Henri Dunant se caractérise par son respect des Etats, son désir de fonder et de garantir un droit dans la guerre, et enfin, une stricte neutralité. Cette méthode connaîtra à ses débuts de grands succès. Elle va toutefois être mise en échec tout au long du XXe siècle. Les Etats totalitaires se montrent inaccessibles à toute démarche d'humanité, la neutralité peut conduire, à l'extrême, à secourir le bourreau tout autant que la victime. Enfin, la guerre du Biafra montrera que le droit peut constituer non pas un outil pour soulager les souffrances mais au contraire un moyen pour empêcher les secours (au nom de la "souveraineté nationale").
De ces échecs va naître l'impulsion "sans-frontièriste". L'idée est simple : des citoyens libres, armés de leur seule conscience morale et des moyens que leur donnent d'autres citoyens informés par la presse, peuvent aller secourir des victimes où qu'elles se trouvent. On connaît l'immense fortune de cette démarche pendant les deux dernières décennies du siècle passé. La mobilisation humanitaire a changé le visage des conflits. Elle a élaboré des méthodes d'action que les autres, y compris la Croix-Rouge, se sont ensuite efforcés d'imiter. Elle a accompagné la généralisation du témoignage, formant avec la presse un couple efficace, permettant de faire connaître au monde le sort de ceux que l'on assassine, de l'Ethiopie au Cambodge, de l'Afghanistan à l'Amérique centrale.
Ce premier âge du mouvement citoyen est parvenu à son apogée au tournant du millénaire. Il reste vivant et actif. Pourtant, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'il connaît depuis quelques années une crise profonde. Crise paradoxale, d'ailleurs, qui procède plutôt d'un énorme succès. Car les associations "sans-frontièristes", après la mobilisation plus ou moins improvisée des débuts, sont devenues pour la plupart des organisations structurées et professionnelles. Robin des bois a de la graisse autour du ventre. L'humanitaire aujourd'hui est riche, et cette prospérité provient en grande partie des bailleurs de fonds internationaux. Certes, ces bailleurs ne sont pas des Etats mais néanmoins des institutions émanant d'eux, comme l'Union européenne, ce qui pose inévitablement le problème de l'indépendance, voire de la neutralité.
Les ONG fondées sur l'idée de la transgression du droit n'hésitent pas aujourd'hui à se placer elles-mêmes sous la protection de ce droit. Et paradoxalement, ce sont les Etats, en particulier le plus actif d'entre eux sur la scène internationale, les Etats-Unis, qui ont récupéré le thème de la transgression, retournant à leur profit l'idée d'un droit d'ingérence. On a ainsi vu des Etats invoquer des motifs humanitaires pour violer la souveraineté des autres, tandis que dans le même temps les ONG se montraient de plus en plus soucieuses de respecter la légalité internationale...
A cela s'ajoute le principal grief que les pacifistes ont toujours adressé aux humanitaires : leurs efforts pour humaniser la guerre n'ont aucun effet sur le déclenchement et la prolongation des conflits eux-mêmes. Jamais les organisations humanitaires ne sont parvenues à apporter la paix, elles ne contribuent pas non plus à réduire les inégalités entre riches et pauvres qui constituent le principal défi du sous-développement en marche ; elles n'ont aucune action sur la dégradation de l'environnement et son cortège de famines, d'exode rural et de menaces sur la santé. Bref, l'humanitaire n'est pas efficace sur le fond des problèmes. Peu importe que ce ne soit ni sa vocation ni son mandat : les espoirs qu'il a suscités ont généré des attentes auxquelles il est incapable de répondre.




DEUXIÈME ÂGE : L'ALTERMONDIALISME
Une deuxième génération de mouvements citoyens est contemporaine de ce constat d'échec. Elle est symbolisée par des groupes comme Attac, qui lutte contre les inégalités économiques, Greenpeace, dans le domaine écologique ou, en ce qui concerne la prévention des conflits, International Crisis Group ou la communauté Sant'Egidio. A leur manière différente, chacune de ces associations se fixe pour objectif d'agir sur les causes et non sur les effets, de se situer à la racine des problèmes et non à la surface des choses.
Mais, à cette différence près, le principe d'action reste le même : ces mouvements prétendent s'affranchir des règles de droit ou des contraintes politiques qui caractérisent les Etats et ils leur opposent la force et la liberté de la mobilisation citoyenne. Quand des faucheurs d'OGM pénètrent sur une propriété privée, quand Greenpeace fait naviguer ses bateaux dans des zones interdites par les militaires, quand la communauté Sant'Egidio fait voyager clandestinement des chefs de guerre recherchés par toutes les polices pour leur permettre de négocier avec leurs adversaires, le mouvement citoyen s'affranchit des règles, au nom de l'intérêt supérieur du but moral qu'il poursuit.
Ce type d'action a connu de grands succès. Cependant, la deuxième génération du mouvement citoyen marque elle aussi le pas. L'altermondialisme s'est fragmenté et affaibli, en jouant le jeu institutionnel. Entre, d'un côté, une écologie de gouvernement défendue par des partis politiques de plus en plus classiques et, d'un autre, un activisme antiétatique qui affirme sa volonté de prêcher la "décroissance", l'équilibre est de plus en plus difficile à trouver. Les contradictions sont profondes et nuisent à la cohérence du mouvement.
Enfin, dans le domaine de la prévention des conflits, si quelques succès ont pu être obtenus sur des guerres "périphériques", l'action citoyenne n'a pas trouvé le moyen de s'opposer efficacement aux guerres menées par les grandes puissances (Chine au Tibet, Russie dans le Caucase et Etats-Unis en Irak et en Afghanistan).




TROISIÈME ÂGE : ÉCOLOGIE RADICALE ET MILITANTISME VIRTUEL

C'est là qu'intervient la troisième génération des mouvements citoyens, celle que nous découvrons aujourd'hui par ses actions spectaculaires. L'écologie radicale avait déjà donné l'exemple. Des groupes militants défendant la cause animale ou l'intérêt de la planète se sont déjà illustrés, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, par des actions spectaculaires et totalement illégales. S'appuyant sur une philosophie élaborée (l'écologie dite "profonde"), ces mouvements n'hésitent pas à s'en prendre à l'homme en tant que représentant d'une espèce honnie, responsable à leurs yeux de tous les maux. Ils sont de plus en plus portés à l'action violente et attentent régulièrement à la sécurité des personnes ou des biens.
Dans les autres domaines, lutte contre les inégalités et prévention des conflits, une évolution analogue est perceptible. L'actualité de ces dernières semaines nous en a fourni plusieurs exemples qui vont du tragique au ridicule. Deux héros se sont partagé l'attention des médias : Julian Assange, d'un côté, avec sa fuite au retentissement planétaire ; Eric Cantona, de l'autre, avec une initiative dérisoire, mal préparée et mal pensée mais qui visait explicitement à démontrer la toute-puissance du citoyen face au "système" financier.
L'idée centrale de WikiLeaks appartient tout à fait à la logique du marketing. Il s'agit de donner à une activité jusque-là artisanale une dimension industrielle. Cette activité, c'est la fuite de documents sensibles ou de témoignages confidentiels. Elle a toujours été pratiquée, à petite échelle, par les journaux, certains s'en faisant une spécialité comme Le Canard enchaîné. Avec WikiLeaks, on change de dimension. La fuite porte sur des quantités de documents gigantesques et leur diffusion est assurée par le puissant relais de journaux de premier plan. La transgression, dans ce cas, change de nature. De moyen, elle devient une fin et constitue le coeur même de l'action. L'illégalité, la provocation, voire la clandestinité deviennent alors la règle et la méthode d'action. Vol de matériel, cyberattaques, témoignages de personnels soumis au devoir de réserve, tout est légitime, si c'est pour la cause.
Ce nouvel âge de l'action citoyenne est fortement marqué par l'influence croissante des réseaux virtuels. Ce n'est peut-être pas l'une des moindres causes de cette tendance à la transgression que sa dématérialisation dans l'espace cybernétique. Un vol réel par effraction, la destruction effective d'un bien appartenant à autrui sont des actes lourds et qui supposent une part difficile à assumer de violence physique. Au contraire, les aventuriers du Net se présentent volontiers comme des "doux".
Leur violence se déploie dans un espace proche de celui des jeux vidéo, espace où rien n'est vraiment grave, où le joueur dispose de plusieurs vies, où le désir de gagner écarte toute préoccupation morale.
Reste que si les méthodes sont nouvelles, les motivations, elles, restent classiques et placent ces nouvelles formes d'action dans la continuité de l'histoire de la révolte citoyenne commencée quarante ans plus tôt. Les ambitions de Julian Assange telles qu'on peut les comprendre sont de type altruiste (sans préjuger de la part trouble de manipulation qu'elles peuvent dissimuler). Il se revendique comme "militant". Ses premières actions avaient clairement pour but de discréditer dans l'opinion les opérations militaires américaines et de mettre un terme aux guerres dans lesquelles elles s'inscrivent. Dans son dernier "coup", spectaculaire, l'ambition s'est élargie. D'après un des correspondants français de WikiLeaks, Julian Assange aurait avoué vouloir "rendre le système meilleur". Ses prochaines cibles seraient d'ailleurs les institutions financières.
Qui a vécu, à trente ans de distance, la naissance de la première génération des mouvements citoyens sous la forme de l'action humanitaire reconnaîtra aisément dans cette rhétorique le même idéalisme qui sous-tendait la création des organisations "sans frontières". Voilà pourquoi j'ai la conviction qu'existe entre ces différentes démarches, malgré de profondes différences de culture, de moyens et surtout de génération, une profonde parenté.
Parenté ne veut pas dire adoption. Reconnaître la continuité de la démarche ne signifie pas y adhérer. Au contraire, les excès actuels de la révolte citoyenne font apparaître des contradictions que d'autres formes d'action plus consensuelles - en particulier l'humanitaire - laissaient dans l'ombre. Le problème de principe que pose ce type d'initiative est clairement celui des limites.
Quand la révolte citoyenne s'applique à un Etat totalitaire, sa légitimité est difficilement contestable, quelle que soit la forme que prend l'action. Il en va tout autrement dans les Etats démocratiques. La question de l'équilibre entre pouvoir d'Etat et contre-pouvoir citoyen est alors posée dans toute son acuité. Peut-on mettre en balance les institutions démocratiques, issues de la libre expression de la volonté populaire, et l'activisme d'un nombre, fût-il élevé, de protestataires. Un slogan, lu pendant les manifestations contre les retraites, résumait bien le problème : "Ce que 500 députés ont fait, trois millions de manifestants peuvent le défaire."


L'initiative citoyenne sous toutes ses formes, en particulier les centaines de milliers d'associations qui couvrent tous les champs d'activité, s'est à l'évidence constituée aujourd'hui en cinquième pouvoir dans les démocraties. La dernière génération de mouvements citoyens que symbolise WikiLeaks a le mérite de présenter de ce cinquième pouvoir un visage extrême et inquiétant qui interroge sur ses limites. Rétif par nature à tout contrôle, multiple, insaisissable, impossible à unifier et sans doute à réguler, ce cinquième pouvoir est en train d'acquérir une puissance qui menace tous les autres. En poussant sa logique au plus loin, il est possible d'imaginer que l'activité de ce cinquième pouvoir peut, à terme, rendre les démocraties impossibles à réformer et peut-être même à gouverner, les secrets impossibles à protéger, l'autorité, même émanant de la loi et garantie par la justice, impossible à exercer.

Par-delà l'intérêt de ses révélations, le mérite de WikiLeaks est de rendre ce débat nécessaire. Jusqu'où le citoyen est-il fondé à aller contre l'Etat dans un régime démocratique ? A partir de quel seuil passe-t-on de la mobilisation utile à la menace contre le contrat social ? Toutes ces questions étaient contenues en germe dans les formes d'action plus consensuelles. Elles sont dévoilées aujourd'hui par l'action désinhibée des petits-enfants de Mai 68.



Jean-Christophe Rufin, médecin, écrivain et diplomate. Né en 1952, il a été l'un des pionniers de Médecins sans frontières. De 2007 à 2010, Jean-Christophe Rufin a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie. Membre de l'Académie française depuis 2008, il est l'auteur de nombreux romans dont "Rouge Brésil" (Gallimard, 2001), qui lui a valu le prix Goncourt, et "Katiba" (Flammarion, 392 p., 20 €). Jean-Christophe Rufin, médecin, écrivain et diplomate


Article paru dans l'édition du Monde du 21.12.10

20/12/2010

El feminicidio sigue... la lucha tiene que seguir

El jueves pasado fue ejecutada en Ciudad Juarez la activista Marisela Escobedo frente a el Palacio de Gobierno mientras colocaba una manta para exigir justicia en el homicidio de su hija.
Marisela se convirtió en una importante activista luego de que el homicida confeso de su hija, Rubí Marisol Frayre Escobedo, fuera puesto en libertad luego del juicio.

Sergio Rafael Barraza Bocanegra asesinó a la joven hace dos años en ciudad Juárez, luego de ser arrestado aceptó haber cometido el crimen e incluso llevó a varios agentes policiacos hasta el lugar en el que prendió fuego al cuerpo.

Marisela Escobedo realizó una investigación por su cuenta y logró ubicar a Barraza en Fresnillo, Zacatecas, pero al no recibir apoyo de las autoridades de nuevo logró escapar.


Apenas la semana pasada se manifestó en un evento en el que se encontraba el gobernador César Duarte, en una gran manta plasmó su inconformidad por el hecho de que fuera aprendido el asesino de un sobrino del funcionario a solo cuatro meses de que cometió el crimen y además fuera sentenciado en menos de una semana.

"Justicia: privilegio del gobernador. ¿y para mi hija cuando?", señalaba un letrero que colocó frente al Palacio, antes de ser asesinada.



Aqui pueden ver una entrevista del 7 de diciembre en el palacio de gobierno. Declaró ante la prensa las amenazas de muerte en su contra y señaló "que me asesinen enfrente de Palacio, para vergüenza del gobierno".




Le féminicide continue... la lutte aussi doit continuer!

Jeudi dernier, l'activiste Marisela Escobedo a été exécutée devant le Palais du Gouvernement, alors qu'elle accrochait une banderole réclamant justice pour le meurtre de sa fille.
Marisela était devenue une militante connue après que le meurtrier , qui avait avoué, de sa fille (Rubí Marisol Frayre Escobedo) fut remis en liberté à l'issu du procès.

Sergio Rafael Barraza Bocanegra avait assassiné la jeune fille il y a deux. Après son arrestation il avait avoué l'avoir tué et avait également mené les policiers là où il avait brûlé le corps de sa victime.
Marisela Escobedo avait mené sa propre enquête et avait réussi à localiser l'assassin de sa fille à Fresnillo, dans l'Etat de Zacatecas. Mais à cause du manque d'appui des autorités locales, Sergio Rafael réussit à s'échapper une fois de plus.

La semaine précédent son assassinat Marisela fit parler d'elle lors d'un événement où était présent le gouverneur César Duarte, en déployant une banderole où elle exprimait son refus d'une justice à double vitesse, puisqu'elle y relatait l'arrestation d'un neveu d'un fonctionnaire après seulement 4 mois et son jugement à peine une semaine plus tard.
"Justice: privilège du gouverneur. Et quand pour ma fille?" pouvait-on lire sur la banderole qu'elle venait d'accrocher en face du Palais, avant d'être assassinée.


Otras fuentes:
en frances:

17/12/2010

La zone

Le soleil tapait fort sur les quelques personnes présentes au cimetière. Tonatiuh n’arrêtait pas de pleurer. Il aurait aimé voir le ciel pleuvoir. Mais non, le soleil demeurait aveuglant de préjugés, comme ces gens qui l’insultaient, maquillant leurs voix afin de masquer leur incapacité à comprendre la douleur qui le tenaillait. Pour eux, tout était clair, limpide comme le ciel et le Dieu qui y régnait. Les convictions de Tonatiuh se fissuraient. Sa représentation du monde se brouillait. Bien et mal s’entremêlaient dans sa morale. Le curé débitait ses âneries et Tonatiuh aurait eu envie de l’envoyer au diable, mais la tristesse et son épouse qui le tenait par la main, l’en empêchaient. Il ne pouvait croire que c’était sa fille, son bébé qui était enfermée là, dans cette boîte en bois. Il n’avait de cesse d’écouter le dernier message qu’elle lui avait laissé. Il se foutait bien des injures. Sa fille était bien moins putassière que n’importe lequel de ces politiciens qui vendent le bien commun pour une victoire.

Tôt dans la matinée étaient revenus les policiers. Ils dirent que les gamins qu’ils avaient arrêtés étaient maintenant libres comme l’air. Ils affirmèrent que Victoria, sa fille, ne travaillait pas dans la zone, qu’elle n’y était pas enregistrée, ni aucune de ces copines. Ils insinuèrent que l’affaire serait vite classée, sans suite. Tonatiuh se rendait compte que personne n’en avait rien à faire de la mort de trois putains. Comme pour le rassurer, ils ajoutèrent qu’elles s’étaient trouvées au mauvais endroit au mauvais moment… Le Mexique de 2010 ?

Dans la soirée, une fois leur fille incinérée, Tonatiuh, sa femme et quelques amis allèrent prendre des bières. En rentrant chez eux, devant l’église, des types éructaient leur haine des prostituées. Tonatiuh attrapa l’un d’eux. Il le chopa par le col. Un de ces gars qui n’a d’autre conscience que la croix qu’il porte. Il le plaqua contre le mur. Un de ces mecs qui vont à la zone le samedi soir et qui, le dimanche matin, s’en lavent les mains en famille à la messe. Il ne put le frapper. Il le laissa tomber à terre en petits morceaux de certitudes. Les traits de Nayeli l’avaient adouci. Elle avait toujours eu cet effet sur lui. Il l’aimait. Il n’aurait pas su définir l’amour, mais il était certain de l’aimer, qu’il n’avait jamais été aussi heureux qu’avec elle. Et maintenant, il ne lui restait plus qu’elle dans sa pauvre vie.

Jamais ils n’ont été riches. Jamais ils n’ont eu plus que pour survivre. Tonatiuh et Nayeli se rencontrèrent en 68. Il passait son temps avec des potes à essayer de sortir des revues de poésie. Elle faisait partie d’un groupe qui organisait manifs et grèves à la UNAM (1). Pour Nayeli Jésus était le premier communiste. Tonatiuh, lui, ne croyait pas... ni au Dieu unique, ni en ceux de l’ancien Mexique. Elle si, croyait. Elle n’allait pas à la messe, non, mais elle croyait en un Dieu-tout-puissant-qui-fera-justice-un-jour-ou-l’autre. Ils se marièrent des années plus tard. Elle était enceinte et ils ne voulaient pas se mettre sa famille à dos avec un enfant du pêché. Tonatiuh se fichait bien de se marier, mais il la voulait heureuse. Elle avait été magnifique dans sa robe de mariée, avec son ventre rond. Ils avaient alors reçu de nombreux appels anonymes. Ring ! Ring ! « Sale pute ! Vile chienne sans Dieu. »


Il était 2h30 et une fois de plus Victoria se couchait avant que son père n’ait garé son taxi. Elle l’appela, mais il ne répondit pas. « Je vais me coucher ‘pa. Courage. Mmuhaa ! » Trois heures plus tard elle l’entendit arriver. Une fois encore la douche le fit enrager… L’eau était froide. Il alla se coucher.

Victoria n’avait jamais aimé se réveiller tôt. Mais il n’y avait pas le choix. À 7h, elle eut du mal à se lever pour aller en cours. Pourtant elle aimait étudier. Son père aussi aimait la voir avec tous ces livres, lisant poésie et romans. Lui aussi avait aimé lire… avant, quand il avait le temps pour ce genre d’activités qui remplissent la tête mais laisse l’estomac sur sa faim. C’est son papa qui lui avait donné le goût de la lecture.

C’était un véritable personnage de roman. Il avait voyagé jusqu’en Alaska. Il avait tout fait: mineur, serveur, ouvrier, marin… Comme les chats Tonatiuh avait eu ses neuf vies. Avec Nayeli, ils s’étaient installés à Aguascalientes après le tremblement de terre de 85. Ils travaillaient alors pour l’INEGI (2). Les héros des histoires de Victoria avaient quelque chose de lui. C’est lui aussi, qui lui avait donné l’envie d’écrire.

Elle prit son café, ses œufs et ses céréales avec sa mère qui commençait à cuisiner. Le caméléon de José de Molina étalait ses couleurs dans toute la maison. Lorsque le vieux chanteur entonna la rencontre entre le Pape et le Christ, Victoria commença à chantonner. Nayeli rougit, se retourna et avec un grand sourire lui lança: « Surveille le mole vert pendant que je prie pour ton salut, maudite athée. » Elles rirent beaucoup. Le plaisir de Victoria résidait dans des yeux brillants et un sourire sur le visage de sa maman. Son portable sonna du Ska-P. « Ouais! J’suis crevé. Et toi? Ok, on s’retrouve là-bas. »


Tout au long de la nuit étaient passés les amis, des voisins, la famille. Les bougies coloraient la veillée funèbre de leurs tons feutrés. Les souvenirs s’invitèrent à la cérémonie. Chaque larme renfermait le sien. Tonatiuh y vit sa fille juste après sa naissance. Si petite. Si fragile. Puis elle avait grandi. Son développement physique et psychologique, les étapes de son apprentissage repassaient en boucle sur ses yeux vides. Victoria avait dû louper quelques cours et rebondissait de tafs en jobs pourris. Le père ne pouvait pas comprendre ce qui avait mené sa fille dans la zone. « J’ai toujours fait tout ce que j’ai pu pour elle… Alors pourquoi elle se prostituait ? » Et une fois de plus les larmes inondèrent son visage.

Ils n’avaient pas eu de quoi lui payer l’université. Elle dut se la payer elle-même. Jusqu’à il y a peu, elle travaillait dans une librairie, à une rue de la Carranza, de celles qui vendent des livres d’occase, des romans français, des philosophes allemands. Ce genre de locaux qui dans les souvenirs du jeune Tonatiuh fermaient tôt parce qu’ils n’avaient pas la lumière, mais qui avaient allumé en lui quelque étincelle. Il y emmenait Victoria depuis toute petite. La seule chose qui rendait le père qu’il était, pas peu fier de lui, était d’avoir transmis à sa fille l’amour des livres.

Quelques amies de Victoria passèrent, les yeux rougis comme les siens quand elle était défoncée, comme de petits feux sur son visage de sable. Il commença à pleuvoir. Fort. Elle avait tant aimé la pluie. Ils restèrent ainsi jusqu’au matin, accueillant les proches de leur fille. A deux heures, alors que Victoria gagnait sa place dans la nuit étoilée, ne restaient plus que quelques amis d’enfance. Des femmes d’âge mûr se présentèrent à la porte. Nayeli les reçut. Elles travaillaient dans la zone. Elles avaient connu Victoria là-bas. Une autre Victoria… plutôt sa propre défaite. Tonatiuh parla longuement avec elles. Il avait tellement de questions, tant de choses qu’il ne comprenait pas. Puis le téléphone. Encore une voix maquillée: « Sales putes! Crevez sales putes, chiennes de l’enfer! »


En arrivant à la UAA (3), Victoria tomba sur ce putain d’Gabriel, ange aux ailes de poudres. Il était si cool, maudit mec. Si cool qu’après quelques mois à la fac, il avait refermé sur elle les griffes d’une mauvaise fée, héroïne de cauchemar. Il lui avait ensuite proposé de mettre des petites annonces dans Le Soleil du centre (4). C’est ainsi que Victoria se brûla les ailes au contact d’un astre noir.

Depuis 2006 le Mexique était devenu fou. Aguascalientes aussi. La violence patrouillait dans les rues, percutante comme des balles dans un corps. Ce n’était toujours pas aussi grave qu’à Ciudad Juarez ; les jeunes profitaient encore de lieux mal famés. Il était encore anormal de lire dans la presse le nombre de morts que chaque nuit laisse. « Aguascalientes, terre des bonnes gens », dit le blason de la ville. « Ce n’est plus pareil maintenant avec tous ces chilangos (5). » disent les conneries du peuple. Pour les homos, les femmes, pour tous ceux qui ne correspondent pas au canon de la société, la peur a toujours été là. La peur du berger chez les moutons noirs. Mais Victoria n’écoutait ni le père, ni le chef.

Il y a quelques semaines elle avait laissé tomber la librairie. Elle gagnait plus dans la zone. Et puis elle avait ressenti ce besoin de continuer. Elle avait l’impression qu’elle ne pourrait s’engager en littérature sans se perdre dans les bas-fonds de la vie. Elle rêvait d’écrire des romans, aussi noirs que les eaux qui inondent ses veines, les fleuves de sa terre. Victoria vendait son vagin à des salauds comme Gabriel avait vendu son âme au diable. En sortant de son cours de français elle croisa quelques potes. Ils avaient de l’herbe et oublièrent bien vite leurs cours magistraux pour parcourir le terrain des idées sur des ailes lettrées. Le Gato López fit vibrer son téléphone. Elle raccrocha et son regard resta accroché à ses rêves. Ils allaient publier une de ses histoires.


Nayeli n’arrêtait pas de pleurer. Il y en aurait eu pour remplir mille ciels comme celui de sa terre. Elle était assise à même le sol dans la cuisine. L’appel suspendu à l’éternité. Ses grands yeux ouverts laissaient échapper toute l’horreur dont est capable le Mexique, ce pays sur le point de fêter le bicentenaire de son indépendance. Comme on dit en enfer : « Rien à fêter ! » Tonatiuh hurlait. Son cri (6) sera de vengeance ; de honte celui de sa femme.

« C’était la tante de la petite… de Maria, dit Nayeli, le frère de son père a appelé. Tu sais, celui qui vit au sud de la ville. Il y a eu une fusillade et… » Et une nouvelle fois ses pleurs tombèrent en perles au creux de ses mains. Quant aux larmes de Tonatiuh, elles couraient comme des fleuves sur une vie sèche. On venait de leur enlever le petit morceau de ciel bleu qu’il leur restait. La chair de leur chair. Le soleil venait de disparaître à tout jamais derrière la grisaille.

Puis les flics municipaux arrivèrent. Ils les emmenèrent jusqu’à la place Don Quichotte, chez le légiste. Ils firent leurs adieux à une dépouille. Les officiers n’eurent pas à demander, ils l’avaient identifiée. L’officier leur avait dit que Victoria était une pute. Qu’ils l’avaient trouvée avec deux autres filles, à une rue de la zone de tolérance (7). Qu’ils avaient arrêté quatre jeunes avec lesquels une patrouille avait eu maille à partir. « L’un d’eux est le fiancé d’une des meufs… enfin, fiancé, vous savez comment sont ces filles. » ria l’officier. Nayeli restait sans voix. Tonatiuh, lui, criait. Il n’arrivait pas à croire que sa fille était morte, ni qu’elle se prostituait. Il eut l’impression d’être heurté et traîné par un train qui fonçait droit dans le mur. Puis on leur demanda d’aller pleurer plus loin, dehors. La sonnerie du portable sous un ciel bleu-triste. Une cumbia sous la pluie. Encore un appel perdu.


Victoria arriva à la porte de la zone à 19h. Raymundo était assis, son ventre énorme tombait comme un masque. Il lui toucha le cul avec ses doigts boudinés. « Palpation de sécurité ma jolie. » Il éclata de rire. Il avait huit enfants et pas une thune. Le liquide servait à l’engraisser et engrosser sa femme. Il consigna son entrée dans la zone. « Le Zoo Narco, disait toujours Victoria, on est comme des animaux en cages, surveillées par le personnel des cartels. » Deux copines l’attendaient. Maria-Guadalupe et Chelsey. L’une comme l’autre aurait pu être sa mère. Elles avaient la quarantaine et des filles de son âge. Elles venaient d’autres états, Oaxaca et Chihuahua. Elles enchaînaient cinq nuits de travail ici et passaient le week-end en famille. Les salaires de ces mères faisaient vivre leurs familles et celles de leurs maris. Tous le savaient mais personne jamais ne le mentionnait. On ne parle pas de ces choses-là.

Deux mois plus tôt, elles avaient accueilli Victoria à son arrivée dans la zone. Elles lui avaient filé des préservatifs. MG lui avait raconté que lorsqu’elle était entrée dans la zone la concurrence était rude entre celles qui utilisaient les capotes et les autres. Les clients préféraient celles qui n’en utilisaient pas. Mais grâce au travail de quelques féministes, elles avaient réussi à réveiller des consciences essorées par une vie à faire le trottoir. La santé des putes s’améliora. « On doit faire des analyses régulièrement. Mais personne ne teste les clients. Si l’un d’eux te refile le Sida, tu perds ta place dans la zone. » Pour Lupita et Chelsey, la zone était tout. Elles y travaillaient et y habitaient. Elles ne connaissaient personne à l’extérieur à part Victoria, et leurs familles restées à des centaines de kilomètres.

Elles allèrent papoter dans leur bistrot habituel. Celui qui le tenait s’appelait Vincent. « L’aveuglecomme la justice » disait-il toujours. C’était le mec le plus con que Victoria ait jamais vu. L’un des plus violents aussi. Des narcos lui avaient confié la gestion de La chatte noire. Victoria n’avait jamais su distinguer les cartels, pour elle c’était tous les mêmes. Vincent avait un droit de cuissage et il en usait et en abusait aussi pour ses potes, gérants d’autres troquets, enseignes lumineuses d’obscurs patrons, marionnettes paradant au grand jour aux côtés des flics qui patrouillaient dans la zone. Une semaine après la descente des fédéraux, toutes les putes en parlaient encore. Elles avaient subi insultes, coups, vols et viols, et pas seulement de leurs droits de l’Homme. Elles allèrent ensuite vendre leur « corps d’œuvre ». Peu avant deux heures, Chelsey appela Victoria et Lupita. Son mac voulait la voir. Elle voulait qu’elles l’accompagnent. Elle avait peur. Dernier appel.


Il était 6h30. Tonatiuh écouta son message, celui de la nuit. Comme toujours quand il bossait, elle lui en avait laissé un sur son répondeur. Il essaya de l’appeler. Victoria ne répondit pas. C’était au tour du papa d’en laisser un à sa fille. « Elle doit être en train d’arriver à la fac », pensa-t-il. Fatigué après dix heures passées derrière le volant de son taxi, Tonatiuh ne voulait plus que dormir quelques heures. La veille, le patron lui avait demandé de lui rendre service. « Tu peux rouler deux heures de plus? Je viens d’envoyer Pedro se faire foutre et il me manque un chauffeur. Dieu te le remboursera. » « Ni Dieu ni ce putain de patron ne me rendront quoi que ce soit! Enfoirés! », avait-il pensé. Mais qui peut se permettre de refuser quelques heures de boulot en plus? Quelques jours auparavant, en huit heures il n’avait gagné que 15 pesos… « Merde, 15 pesos pour un jour de boulot! Vous vous rendez compte? C’est tout pour le patron ! » Avait-il commenté à son premier client le lendemain. Alors il continua. C’était son deuxième jour de travail de suite et il avait envie de voir sa femme et son bébé plus d’une demi-heure. Il disait encore son bébé, mais elle avait 20 ans. Elle étudiait la littérature à la fac. Tonatiuh n’avait jamais été à la fac… sauf pour les manifs en 68. C’était une autre époque et sa famille n’avait pu lui payer ses études. Il espérait que Victoria décroche son diplôme et peut-être pourrait-elle se sortir de toute cette merde qu’ils lui avaient offerte en la faisant naître à Aguascalientes, cette ville d’eaux. Eaux toujours moins chaudes et toujours plus troubles. L’eau de la douche était encore froide et le chauffe-eau refusait de s’allumer. « Dormir! Je verrai ça après. » Sa femme préparait les garnitures des tortas, des gorditas et rangeait le local où elle vendait films pirates, colliers et autres bijoux faits à la main… d’œuvre. Ring! Ring! « Allô. Oui c’est moi. »


« Putain, ça fait mal! Alors c’est comme ça qu’ça finit ? Tout a été si vite ! Tant de douleur et tant de haine. Rien de plus qu’une pincée de chance pour donner du goût à cette putain de vie! Et un petit morceau de métal pour la regretter. Les trois comme ça, abattues sur le trottoir comme des chiennes que l’on tire. Comment ils nous ont jeté d’la zone pour nous exécuter ! En nous tirant par les cheveux. A coups de pieds dans l’cul. En nous braquant avec les canons de leur virilité, gueulant, et nous pleurant et gémissant.”

Il avait tant manqué à Victoria… Elle aurait aimé vieillir, voir la vie avec un œil de vieille. Elle aurait aimé voir La vie, l’incarner, la nourrir de mille autres, de celles qui se lisent et s’écrivent dans les livres. Elle aimait les héroïnes. Elles l’avaient menée si haut, quand l’autre héroïne l’avait plongée dans de si bas quartiers… en zone de perdition.

Une légère bruine commença à tomber sur son corps, comme lorsqu’elle était petite et que sa maman la baignait délicatement. La pluie semblait chaude. Ou peut-être était-ce elle qui déjà était froide ? Le lever du jour était rouge. Quelque chose vibra… « Je ne peux pas vous répondre, laissez votre message après le bip sonore… Je suis morte ! »



1 : Université Nationale Autonome de Mexico

2 : Instituto Nacional de Estadistica Geografia e Informatica, sorte d’INSEE mexicain qui a déménagé de Mexico à Aguascalientes à la suite du tremblement de terre qui a touché Mexico en 1985

3 : Université Autonome d’Aguascalientes

4 : El sol del centro, quotidien d’Aguascalientes

5 : surnom péjoratif des habitants de la capitale, Mexico.

6 : El grito, le cri de l’indépendance marque les festivités de l’Indépendance. A l’origine il fut poussé par Hidalgo le 15 septembre 1810 et signe le début de la guerre d’Indépendance du pays.

7 : Pâté de maison ceint d’un mur où la prostitution est tolérée. L’entrée de la zone est interdite aux femmes autres que les prostituées.


La zone est la version française de ma nouvelle ZOoNArco écrite pour el invitad@ incomod@.

15/12/2010

WikiLeaks : qui règne par le code tombera par le code

par Luis de Miranda






























L’être humain est un animal protocolaire. Nos comportements obéissent, consciemment ou non, à des codes. Jusqu’à une époque récente, le protocole était un instrument de pouvoir hégémonique. Plus on maîtrisait les règles et leur construction, plus on contrôlait la population. L’écriture et la police des protocoles étaient le privilège des élites. Internet est aujourd’hui le lieu par lequel l’humanité est en train de prendre conscience que la liberté passe par la reprise en main collective de la construction et de la réinvention des protocoles. Le nom de WikiLeaks restera comme l’un des jalons de cette démocratisation. Dans le mot « WikiLeaks », « Leaks » est important : ce sont les « fuites » grâce auxquelles les cercles décideurs qui jadis apparaissaient solides comme le roc se liquéfient et perdent de leur superbe. Mais « Wiki » est tout aussi signifiant : cela veut dire que tout un chacun peut contribuer à cette démystification active des protocoles.

Quel est le point commun entre Internet et les cercles diplomatiques ? Ce sont deux mondes régis par des protocoles très stricts, mais de manière inversée. La rigueur diplomatique est un vernis de surface qui permet toutes les hypocrisies, les coups bas et trahisons. Le protocole est mis en scène, tandis que les manœuvres restent dans l’ombre. La rigueur d’Internet se trouve au contraire dans tout ce que l’on ne voit pas : dans ses codes sources, dans ses standards universels d’écriture des programmes et de traitement des informations (par exemple, sur Internet, les standards RFC, TCP/IP ou HTML). Ce qui est visible immédiatement, sur le Net, c’est un joyeux chaos, la turpitude, la liberté d’expression, toutes les manifestations du kaléidoscope humain. Nous sommes depuis longtemps vaguement familiers des codes qui régissent la vie plus ou moins feutrée des ambassades, ces règles plus ou moins tacites d’étiquette, de préséance et de relations entre les Etats et leurs émissaires. Nous connaissons moins bien la récente logique opératoire de la technologie numérique.

Wikileaks est le produit de la culture hacker. Un hacker, ce n’est pas un méchant boutonneux qui provoque la troisième guerre mondiale en bidouillant des computeurs. Un hacker est un acteur du réel : sa pratique repose sur le reverse engineering, ou rétroconception. Qu’est-ce à dire ? Il s’agit de déconstruire les programmes, les règles ou les protocoles construits par des groupes à vocation monopolistique pour comprendre comment ils sont bâtis à la source, afin de les modifier et de devenir acteur de ses propres instruments de communication, si possible en open source, c’est-à-dire conformément à l’esprit des logiciels libres, modifiables par tous ceux qui se donnent la peine de connaître la logique numérique des protocoles. Mais cette manière de faire, les hackers ne la limitent pas aux programmes numériques : à force de passer le plus clair de leur temps sur Internet, les jeunes générations ont désormais l’algorithme dans la peau : elles comprennent à quel point nos protocoles mondains, nos règles politiques et sociales, nos comportements, nos goûts, nos croyances, nos identités ont été construites et sont des instruments de contrôle.

Le monde diplomatique, celui des dirigeants, n’est certes pas sacré. Beaucoup l’ont répété dans leurs analyses, les fuites de WikiLeaks ne sont pas très surprenantes dans le contenu. Mais n’oublions pas que « le message, c’est le médium », selon la fameuse et toujours éclairante formule de Marshall McLuhan. La force de l’événement historique en cours réside dans la forme plutôt que dans le fond. Cet événement se dit ainsi : le « numérisme », à savoir la codification globale de nos représentations en suites électroniques binaires est un nouvel ADN universel. Ce numérisme, par effet de contraste, met de plus en plus à jour une tendance humaine complémentaire, le « créalisme », volonté de s’autonomiser, de se maintenir librement à l’écart des automatismes, tout en reprenant en main une recréation démocratique des protocoles. En anglais, cela se dit empowerment ; en français, capacitation.

Les vieux mondes analogiques élitistes du double langage et du bluff, ceux notamment de la politique, ne peuvent qu’être ébranlés. Le message qu’envoie WikiLeaks à ceux qui gouvernent est le suivant : à présent que vous avez recours à la logique numérique pour organiser le monde et contrôler les masses, sachez que les masses pourront avoir accès, comme vous, à ce protocole universel pour le détourner ou en démasquer les usages hégémoniques. Une démocratisation inévitable, sauf à mettre en prison tous ceux qui connaîtraient la programmation informatique, tentation qui semble démanger certains dirigeants, y compris en France.

Celui qui règne par le code tombera par le code. Ceux qui entendent contrôler les masses par la biométrie, le contrôle électronique, doivent s’attendre à voir les protocoles numériques se retourner contre eux grâce à la vigilance de quelques-uns, pourvu qu’Internet et la presse restent libres. Une liberté qui ne doit pas être que technique, mais critique et constructive. Car n’oublions jamais, avec Orwell, que le numérisme seul, sans créalisme collectif, ne mènera pas à plus de démocratie, mais seulement au meilleur des mondes.


Dernier ouvrage paru : « De l’art d’être libres au temps des automates » (Max Milo, 2010).

Paru dans Libération du 14/12/2010
Comme l'a fait remarqué un lecteur du site de Libé, Le meilleur des mondes est un roman de Huxley et non d'Orwell... mais ça n'enlève rien à la pertinence de l'article.

14/12/2010

La langue des maîtres

Disproportion, crime, émotion
Brèves remarques sur la langue des maîtres

par Pierre Tevanian, 13 décembre

















« Sans naturellement méconnaître la nature des faits qui ont été reprochés aux policiers, ce jugement, dans la mesure où il condamne chacun des sept fonctionnaires à une peine de prison ferme, peut légitimement apparaître, aux yeux des forces de sécurité, comme disproportionné. Notre société ne doit pas se tromper de cible : ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire. »

Ainsi s’exprime Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, aussitôt rejoint par la totalité des élus UMP de Seine-Saint Denis : les sénateurs Philippe Dallier et Christian Demuynck ainsi que les députés Éric Raoult, Patrice Calméjance et Gérard Gaudron.

« Soutien et solidarité » avec les sept policiers condamnés, ont même ajouté les cinq parlementaires UMP. Que cinq élus et un ministre de l’Intérieur désavouent ouvertement une décision de Justice, voilà qui est assurément critiquable, et les voix n’ont pas manqué, d’Elisabeth Guigou à Martine Aubry, pour le critiquer. Elles ont cruellement manqué, en revanche, pour souligner que sur le fond, au-delà de cette question de principe, la déclaration ministérielle exprime, avec un cynisme et une décomplexion rarement atteintes, une conception de la police plus que critiquable.

Car de quoi parle-t-on ? D’une peine de six à douze mois de prison, pour des policiers qui, en produisant de manière délibérée et concertée un faux témoignage sur un accident causé en réalité par un des leurs, ont fait accuser un innocent et lui ont fait encourir la prison ferme à perpétuité – avec, au passage, un tabassage en règle pendant la garde à vue [1]. Quelques mois de prison pour avoir tenté de faire emprisonner à vie un innocent : nous sommes encore loin d’une impitoyable Loi du Talion, assez loin même de la peine maximale prévue par la loi pour un « faux en écriture publique commis par une personne dépositaire de l’autorité agissant dans l’exercice de ses fonctions » (quinze ans de réclusion criminelle et 225 000 € d’amende [2]), et c’est pourtant dans ces quelques mois de prison que le ministre de l’Intérieur voit une sévérité « disproportionnée ».
C’est ce jugement qui, toujours selon le ministre, « se trompe de cible » puisque, selon ses mots toujours, « ce sont les délinquants et les criminels qu’il faut mettre hors d’état de nuire ». Ce qui revient à dire ceci : que les sept flics ripoux soutenus par les cinq élus pourris ne sont ni des criminels ni des délinquants. Ce qui revient à dire ceci : que tabasser, mentir, accuser à tort, faire emprisonner à vie un innocent n’est, lorsqu’on est policier, ni un crime ni un délit.

Voici donc en résumé à quelle réforme du vocabulaire nous sommes invités :
* un policier est par définition, donc quoiqu’il fasse, le contraire d’un délinquant
ou d’un criminel ;
* il s’en suit qu’un jugement qui condamne un policier est par définition
disproportionné et mal cadré [3].
Ce langage, la pensée qu’il véhicule, et la très réelle impunité policière qu’il vient soutenir [4], ni Martine Aubry ni Elisabeth Guigou ne s’en inquiètent – Elisabeth Guigou va au contraire jusqu’à « comprendre l’émotion » des policiers qui ont manifesté pendant trois heures devant le Palais de Justice.

La responsable socialiste s’oppose en somme au ministre Hortefeux, mais dans sa langue. Elle aussi réforme le vocabulaire, en faisant d’une action politique particulièrement radicale (manifester en uniforme devant un tribunal) une simple « émotion », et en décrétant « compréhensible » un corporatisme particulièrement détestable (puisqu’il va jusqu’à soutenir collectivement, publiquement, syndicalement, les pires ripoux).
Dans une autre langue, je conclurai en disant que c’est bel et bien un comportement criminel qui a été sanctionné, et que le ministre, les parlementaires et les syndicats qui s’en offusquent se posent donc en complices – ce que fait aussi, à un degré moindre, l’opposante socialiste qui critique les uns mais comprend les autres.



Notes
[1] Cf. Nouvelobs.com.
[2] Article 441-4 du Code Pénal
[3] La phrase d’Hortefeux est, si on la relit, d’une remarquable – et terrifiante – transparence : « fonctionnaire » et « prison ferme », ça ne peut pas aller ensemble !
[4] Cf. aussi Pierre Tevanian, « Pour le Malien ».


Retrouvez ce texte et d'autres sur lmsi.net

Rencontre avec Pierre Tevanian, Sylvie Tissot et Sébastien Fontenelle le jeudi 16 décembre 2010 à 19h30 à la librairie-galerie Le Monte-en-l’air (2 rue de la Mare-71 rue de Ménilmontant, Paris 20ème. Métro Ménilmontant) autour de leurs livres respectifs : Les mots sont importants et Même pas drôle. La rencontre sera précédée d’un film : Les mots sont importants, de Frédéric De Carlo, Pierre Tevanian et Sylvie Tissot (2010).

09/12/2010

A ton étoile...

L'étoile Noir Désir s'est donc éteinte.
Elle ne sillonnera plus l'univers rock français.
Pourtant l'éclat rouge-feu des guitares incandescentes,
le rythme effréné de la section basse-batterie,
le chant abîmé des maux de Cantat
brilleront longtemps encore au firmament du rock et de la poésie.
C'est le propre des étoiles que de nous guider dans la nuit, à condition pour nous, sombres héros de l'amère Terre, de savoir lever nos regards bitumé vers l'étendu infinie d'un ciel étoilé.
Et de tendre l'oreille... à la beauté des rêves!

Suite au départ du guitariste Serge Teyssot-Gay et aux premières déclarations du batteur Denis Barthe, les interprétations sur l'explosion du groupe ont été nombreuses et parfois mal intentionnées... Afin de clarifier les choses, Denis Barthe a mis en ligne sur dailymotion une vidéo d'un peu moins de quatre minutes afin que ces propos ne puissent être ni coupés, ni transformés. Denis y rend son âme à Noir Désir.
Voici l'intégralité de la vidéo:


DENIS BARTHE : ceci dit pour être clair.
envoyé par CHICKENSCHICOTS. - Regardez d'autres vidéos de musique.

07/12/2010

Mais où est donc passé Wikileaks ?

Comme moi, vous avez certainement eu la mauvaise surprise ces derniers jours en essayant de vous rendre sur la page de Wikileaks de vous retrouver avec un message d'erreur...
Suite aux dernières publications du site, Wikileaks a été la cible de très nombreuses attaques contre ses serveurs et a également du faire avec les défections de ses prestataires (Amazon, EveryDNS, Paypal).
Une chaîne de solidarité s'est alors mise en place sur Internet afin que Wikileaks soit partout, grâce à des centaines de serveurs miroirs dans le monde entier, ou disponible en téléchargement sur les réseaux P2P.
En France, et malgré le regard critique qu'il peut porté sur le travail et la stratégie de Wikileaks, Samizdat a décidé de s'associer à cette insurrection de l'information libre, afin de ne pas laisser les États ni les grandes multinationales décider de ce qu'il est possible de publier sur leurs agissements.
Vous pouvez donc retrouver Wikileaks à cette adresse:
http://wikileaks.samizdat.net/

Mexileaks

Wikileaks ha publicado unos cables diplomaticos de los Estados Unidos. Unos nos dan a conocer el punto de vista de los gringos sobre Mexico y su lucha en contra del narcotrafico.
Aqui les pongo los vinculos de los cables:
http://wikileaks.samizdat.net/tag/MX_0.html

Para l@s que leen el frances, pueden tambien ir a esta pagina del periodico "Le Monde" que ha publicado un articulo sobre las informaciones de estos cables:
http://www.lemonde.fr/documents-wikileaks/article/2010/12/02/les-americains-critiquent-les-mexicains-dans-la-guerre-contre-la-drogue_1448256_1446239.html
La publicacion de estas informaciones diplomaticas trae muchos problemas a Wikileaks. Tuvieron que cambiar su direccion. Pueden encontrar a las paginas Wikileaks en http://www.wikileaks.ch/ o en http://wikileaks.samizdat.net/

30/11/2010

ZOoNArco

El sol estaba fuerte y pegaba duro en las pocas personas presentes en el cementerio. No podía dejar de llorar Tonatiuh. Le habría gustado ver el cielo llover, pero no, el sol permanecía deslumbrador de prejuicios, como aquella gente que le insultaba maquillando sus voces, incapaz de entender el dolor que le tocaba. Para ellos todo estaba claro, limpio como el cielo y el Dios que lo llena. Las certezas de Tonatiuh estaban agrietándose. Su imagen del mundo se volvía confusa. Bien y mal se mezclaban. El cura estaba soltando sus tonterías y Tonatiuh tenía ganas de mandarlo al infierno, pero la tristeza y su esposa que lo agarraba de la mano, se lo impidieron.
No lo podía creer, era su hija, su niña que estaba encerrada en esa caja de madera. No dejaba de escuchar el último recado de su hija en el buzón de voz. No le importaban las injurias. Su hija era menos puta que cualquiera de estos políticos que venden el bien común para una victoria.
Temprano en la mañana habían llegado otra vez los policías. Dijeron a Tonatiuh que los chavos que habían detenido ya estaban afuera, libres. Afirmaron que Victoria, su hija, no trabajaba en la zona, que no estaba registrada, tampoco sus dos amigas. Le dijeron que ya se iba a cerrar el caso. Tonatiuh se dio cuenta que a nadie le importaba la muerte de tres “putas”. Agregaron que estuvieron en el lugar equivocado en el momento equivocado… ¿El México del 2010? –pensó.
Una vez que su hija fue incinerada, Tonatiuh, Nayeli y algunos amigos se fueron a tomar unas chelas en la noche. Regresando a la casa, en frente de la iglesia, unos tipos eructaban su odio hacia las putas. Atrapó Tonatiuh a unos de ellos. Lo agarró del cuello, era uno de estos jóvenes que no tienen más consciencia que la cruz que llevan. Lo azotó contra la pared. No pudo golpearlo. Lo dejó caer en el suelo en pedacitos de incertidumbre. Los rasgos de Nayeli, su esposa, lo endulzaron. Siempre tuvo ese efecto con él. La amaba. No habría sabido definir el amor, pero estaba seguro de que la amaba, que nunca fue más feliz que con ella. Y ahora no le quedaba más que Nayeli en su pobre vida.
Nunca fueron ricos. Es decir, nunca ganaron más que para sobrevivir. Se conocieron en el 68 y Tonatiuh se pasaba el tiempo cotorreando con amigos para sacar revistas poéticas. Nayeli formaba parte de un grupo que organizaba huelgas y marchas en la UNAM. Para ella Jesús había sido el primer comunista. Tonatiuh no creía… ni en Dios, ni en los antiguos dioses de México. Ella sí. No iba a misa, pero sabía de un Dios todopoderoso que un día u otro haría justicia. Se casaron varios años después. Estaba embarazada y no querían molestar más a su familia con una niña del pecado. A Tonatiuh le valía madre casarse, pero la quería feliz. Estuvo bellísima con su vestido de boda y su silueta de mujer embarazada. Ya para entonces habían tenido llamadas de injurias. ¡Ring! ¡Ring! “Puta! ¡Perra sin Dios!”



Eran las 2:30 y otra vez se acostó Victoria antes que su papi hubiera estacionado su taxi. Lo llamó pero no contestó. “Me voy a dormir ’pá. Ánimo que acabes pronto. Muuhaaa ” Tres horas después lo había escuchado llegar. Otra vez la regadera lo hizo gritar… Aguas frías. Se fue a dormir. A Victoria, nunca le había gustado levantarse temprano. Pero no había de otra. A las 7 se le hizo difícil ir a clases, pero le gustaba estudiar. A su papá también le agradaba verla con todos estos libros, leyendo poesía, novelas… A él también le gustaba leer antes, cuando tenía tiempo para esas cosas que llenan la cabeza sin llenar la panza. Es por él que le había dado ganas de leer. Pudo haber sido personaje de novela. Viajó hasta Alaska. Trabajó de todo: minero, mesero, obrero, marino... Como gato tuvo sus nueve vidas. Habían venido con Nayeli a Aguascalientes después del terremoto del 85. Trabajaban por el INEGI. Tenían algo de Tonatiuh los héroes de los cuentos de Victoria. Es por él que le había dado ganas de escribir.
Tomó Victoria su cafecito, sus huevos y el cereal con su mami que estaba empezando a cocinar. El Camaleón de José de Molina puso sus colores en toda la casa. Cuando entonó el encuentro entre el papa y el Cristo, empezó a cantar Victoria. Nayeli se puso roja, volteó y con sonrisa gigante le lanzó “Vigila el mole verde mientras voy a rezar por tu salvación, maldita atea.” Se rieron mucho. Lo que daba gusto a Victoria era ver a su mamá con ojos brillantes y sonrisa en la cara. Le tocó a su celular una cancioncita de Ska-P… “¡Bueno! Estoy como muerta, ¿y tú? Simón guey, nos vemos allá.”



A lo largo de la noche pasaron parientes, amigos, unos vecinos. Las velas entintaban el velatorio con sus matices suaves. Los recuerdos los invitaron a todos. Cada lágrima tenía el suyo. Tonatiuh vio a Victoria, recién nacida, tan chiquita, tan delicada, y luego, cómo había crecido. Repasaba su desarrollo, las etapas de su aprendizaje. Parece que faltó unas clases… lo que la llevó a unas chambas chatarras. El padre no lograba entender lo que había llevado a su hija a la zona. “Siempre hizo lo posible para ella… ¿Por qué tuvo que prostituirse?” Y lágrimas otra vez invadieron su cara.
No le pudieron pagar la Autónoma y tuvo que trabajar para ganársela. Hasta hacía dos meses trabajaba Victoria en una librería, a una cuadra de la Carranza, de las que venden libros usados, novelas francesas, filósofos alemanes. De estos locales que, en los recuerdos del pequeño Tonatiuh, cerraban temprano porque no tenían electricidad, pero que a él le habían prendido unas luces. Llevaba a las librerías a su hija desde chiquita. Lo único que le daba orgullo al papá era haber transmitido a su hija su amor a los libros.
Pasaron unas amigas de Victoria, ojos rojos como los suyos cuando andaba colgada: fogatas en su cara de arena. Se puso a llover. Fuerte. Le gustaba la lluvia. Se quedaron hasta la mañana acogiendo a los compañeros de su hija. A las dos, cuando Victoria estaba ganando su lugar en el cielo estrellado, no quedaban más que unos amigos de su infancia. Llegaron unas mujeres maduras. Nayeli fue a darles la bienvenida. Trabajaban en la zona. Habían conocido a Victoria… Otra Victoria… Más bien su propia derrota. Tonatiuh habló con ellas. Tenía tantas preguntas, tantas cosas sin entender. El teléfono. Otra vez voz maquillada: “¡Puta! Mueren putas, como perras del infierno.”




Llegando a la UAA Victoria se topó con el pinche Gabriel, ángel con alas de polvo. Él era tan chido, hombre maldito. Tan buena onda que después de unos meses en la universidad la encerró en las garras de la mala hada, heroína de pesadilla. Después le propuso anunciarse en el Sol. Así se quemó Victoria la vida con el astro negro.
Desde 2006 México se ha vuelto loco. Aguascalientes también. La violencia vigilaba las calles, pasando como balas a través de los cuerpos. No era tan pesado como en Ciudad Juárez, todavía los jóvenes disfrutaban los tugurios. Todavía era anormal leer el número de muertos que deja cada noche. Aguascalientes tierra de la buena gente, dice el escudo de la ciudad. “No es lo mismo ahora con todos estos chilangos”, dicen las babosadas del pueblo. Pero para los gays, para las mujeres, para los que no caben en este mundo hecho con el mismo patrón, el miedo es de siempre. Miedo dado por el pastor a las ovejas negras. Pero Victoria no escuchaba ni al padre ni al jefe.
Hacía unas semanas había dejado la librería. Ganaba más en la zona. Lo necesitaba para seguir. Tenía la impresión de que no iba a poder cumplir con su compromiso con la literatura sin perderse en las jeringas de la vida. Soñaba con escribir novelas, negras como las aguas que se clavaban, los ríos de su tierra. Victoria vendía su vagina a pendejos como Gabriel había vendido su alma al diablo. Saliendo de su clase de francés se topó con unos amigos. Llevaban mota y se olvidaron rápido de los cursos magistrales para recoger ideas con alas letradas. El Gato López hizo vibrar su celular. Colgó y se quedó colgada mirando sus sueños. Querían publicar una historia suya...




Nayeli no dejaba de llorar. Había para llenar de nubes miles de cielos como el de su tierra. Estaba sentada en el suelo de la cocina. La llamada suspendida hasta la eternidad. Sus ojos grandes, abiertos, dejaban escapar todo el horror de aquel México, país que estaba para festejar el bicentenario de su independencia. Como se dice desde el infierno: ¡nada que celebrar! Tonatiuh aullaba. Su grito será venganza, vergüenza el de su esposa.
“Era la tía de la chiquita… de María”, dijo Nayeli, “la llamó el hermano de su padre. ¿Sabes?, el que vive por el sur. Hubo una balacera…” Y en sus manos otra vez los llantos cayeron como perlas. En cuanto a las lágrimas de Tonatiuh corrían como ríos en una vida seca. Les habían quitado el pedacito de cielo azul que les quedaba. Hija de su vida. Y por encima de los nubarrones se escapó el sol para siempre.
Luego, timbraron los de la municipal. Les llevaron hasta el Quijote, al forense. Tuvieron que despedirse de los despojos. No hubo necesidad de preguntarles, ya la habían identificado. Les dijeron que era puta. Que la encontraron con dos más, a una cuadra de la zona de tolerancia. Que detuvieron a cuatro chicos, con quienes se enfrentó una patrulla. “Uno es novio de una de las chavas… bueno, novio, saben cómo son estas morras.”, se burlaba el oficial. Nayeli se quedaba muda. Tonatiuh gritaba. ¡No podía creer que su hija murió, y tan poco que era prostituta! Se le hizo como si un tren le había atropellado y le había arrastrado antes de estrellar. Luego les pidieron que fueran a llorar afuera. El tono del celular bajo un cielo azul triste. Una cumbia bajo el agua. Otra llamada perdida.




Llegó Victoria a la puerta de la zona a las 7 p.m. Raymundo estaba sentado, su barriga enorme cayendo como máscara. Le tocó el trasero con sus dedos embutidos. “Tengo que revisarte mi chula.” Rió a carcajadas. Tenía 8 hijos y nada de lana. El efectivo era para su panza preñada y la de su esposa. Registró su entrada en la zona “¡El ZOo NArco!, decía siempre Victoria, “somos como animales en jaulas, guardadas por empleados de los narcos.”
La esperaban dos amigas, María Guadalupe y Chelsey. Cualquiera de las dos hubiera podido ser su mamá. Tenían unos cuarenta e hijas de su edad. Venían de otros estados, Oaxaca y Chihuahua. Trabajaban cinco noches y se pasaban el fin de semana con sus familias. El sueldo de estas mamás sostenía a sus familias y a las de sus esposos. Todos sabían, pero jamás lo mencionaban. De estas cosas no se habla.
Dos meses antes habían acogido a Victoria mientras llegaba a la zona. Le dieron condones. MG le contó que cuando entró en la zona había competencia entre las que usaban condones y las que no. Los clientes preferían a las que no los utilizaban, pero con el trabajo de unas feministas lograron despertar la conciencia que queda en una vida haciendo la calle. La salud de las putas mejoró. “Seguido tenemos que cumplir con análisis. Pero nadie investiga a los clientes. Si uno te contagia el VIH, pierdes tu lugar en la zona.” La zona era todo para Lupita y Chelsey. Vivian y trabajaban allá. No conocían a nadie afuera, menos a Victoria y a sus familiares a cientos de kilómetros.
Fueron a cotorrear al bar de siempre. El que lo dirigía se llamaba Vicente, “El Ciego… ¡como la justicia!” decía siempre. Era de los hombres más estúpidos que había conocido Victoria. También uno de los más violentos. Unos narcos le habían dado el mando del “Gata Negra”. Nunca supo distinguir las pandillas, para Victoria todas eran iguales. Vicente tenía derecho de pernada, y lo usaba y abusaba, hasta para unos de sus amigos, regentes de otros antros, letreros iletrados de otros carteles. Amigos que al día siguiente eran sus enemigos de siempre. Los dueños ocultos hacían alarde de estos gerentes que desfilaban con la policía a la luz del día.
Casi una semana después, todavía hablaban todas del operativo de los federales. Sufrieron insultos, golpes, robos, violaciones y no sólo de los derechos humanos. Luego fueron a vender sus “cuerpos de obra”. A media noche Chelsey echó un grito a Victoria y Lupita. Su dueño de amor quería verla… Quería que la acompañaran porque tenía miedo. Última llamada.




Eran las 7:30 de la mañana. Tonatiuh escuchó su mensaje de voz, el de la noche. Como cada vez que chambeaba, su hija le había dejado un recado en el buzón. Trató de llamarla. No le contestó. Le tocaba al papá dejarle uno a su hija. Victoria estaría para llegar a la UAA.
Cansado después de más de 10 horas manejando su taxi, Tonatiuh no quería más que dormirse un par de horas. El día anterior, el patrón le había pedido un favor… “¿Puedes manejar dos horas más? Acabo de mandar a Pedro a la chingada y me falta un chofer. ¡Dios te lo pagará!” “No me pagarán nada ni Dios ni el pinche jefe… ¡pendejos!” habia pensado Tonatiuh. Pero, ¿quién se puede dar el lujo de rechazar unas horas más de trabajo? Unos días antes, con ocho horas manejando se había quedado con 15 pesitos… “¡Que no chinguen!, ¡15 pesos en un día! Todo pa’ el patrón!” había contado a su primer cliente al día siguiente.
Entonces tuvo que seguir. Era su segundo día de chamba casi sin descansar y tenía ganas de ver a su esposa y a su niña más que media hora. Todavía decía niña, pero tenía 20. Estudiaba literatura en la UAA. Tonatiuh nunca fue a la universidad… menos para unas marchas en el 68. Era otra época, y su familia no tenía para mandarle a estudiar. Esperaba que Victoria lograra su diploma y a lo mejor pudiera salirse de toda esa mierda que le habían ofrecido al hacerla nacer aquí, en Aguas. Aguas que son cada día menos calientes y cada vez más sucias. El agua de la regadera otra vez era fría y no quería prender el boiler. “¡Dormir! Esto ya lo repararé luego.”
Su esposa estaba en su local, cocinando los guisados de tortas, gorditas y arreglando las películas piratas, los collares y otras joyas hechas a mano… ¡Ring! ¡Ring! “¡Bueno! Sí, soy yo.”




“Chingao, me duele. ¿Así pasó todo? ¡Fue tan rápido! Tanto dolor y tanto odio. ¡Nada más que un pellizco de suerte pa’ dar gusto a esa puta vida! Y un pedacito de metal pa’ añorarla. Las tres así, en la calle, balaceadas como perras, fulanas con quien se revuelcan. ¿Como nos echaron pa’ fuera de la zona para ejecutarnos. Tirándonos del cabello. Pateándonos las nalgas. Encañonándonos con virilidad, vociferando y, nosotras llorando, sollozando?”
Le habría faltado tanto a Victoria… Le hubiera gustado envejecer, ver cómo se ve la vida desde el ojo de una vieja. Le hubiera gustado ver cómo se ve la vida, encarnarla, nutrirla con mil otras, de las que se leen y escriben en cuentos. Le encantaban las heroínas. La llevaron tan alto, como otra heroína la sumergió en los barrios bajos de la ciudad… en zonas tan perdidas.
Chispearon gotas en su cuerpo como cuando de chiquita su mamá la bañaba cuidosamente. Parece caliente la lluvia. O quizás sea ella la que está fría.
El amanecer era muy rojo, como el de la película. Algo vibra. “No les puedo contestar. Deja tu recado… ¡Estoy muerta ya!”


Texto escrito por el Invitad@ incomod@ y publicado el 29 de noviembre del 2010.