coup d'état militaires pour les partisans d'Evo Morales, victoire de la démocratie contre la dictature du MAS et de Morales pour la droite et l'extrême droite. Ce changement de pouvoir s'accompagne au mieux du silence complice de la plus part des gouvernements des grands pays et au pire du soutien et de la reconnaissance de l'auto-proclamée présidente par intérim Áñez (qui semble avoir une bible greffée à la main).
Bref, il semble bien compliqué de comprendre ce qui se trame dans ce pays andin.
Je partage donc quelques textes qui semble éviter les caricatures afin de comprendre ce qui se passe dans le pays andin.
- tout d'abord, cet article plutôt honnête et relativement complet sur la situation (pour un média mainstream): https://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/l-article-a-lire-pour-comprendre-ce-qui-se-passe-en-bolivie_3699383.html
- un texte qui date d'avant la crise bolivienne et qui
donne sans doute à comprendre l'une des clefs de la chute de Morales, l'extractivisme: https://www.bastamag.net/Bolivie-Amazonie-Evo-Morales-Indus…
- un texte qui tente de prendre en compte le contexte de l'histoire politique bolivienne mais qui porte une vision politique sans doute trop marquée par l'émergence de cette gauche latino-américaine de gouvernement: https://blogs.mediapart.fr/…/…/bolivie-comment-evo-est-tombe
- enfin, un texte plus politiquement marqué, quoi qu'encore emprunt d'un certain légitimisme, mais qui sans se noyer dans le contexte socio-historico-politique, se focalise sur les évènements présents et les forces en présence: https://agitationautonome.com/…/bolivie-un-soulevement-pop…/
Mais afin de signer mon retour sur ce blog, délaissé depuis bien trop longtemps, je partage avec vous cette traduction du Serpent@Plumes du discours de la chercheuse et féministe bolivienne Silvia Rivera Cusicanqui, tenu lors d'une rencontre de femmes à la Paz, le 12 novembre dernier.
source: https://desinformemonos.org/esta-coyuntura-nos-ha-dejado-una-gran-leccion-contra-el-triunfalismo-silvia-rivera-cusicanqui-desde-bolivia/
Bonne lecture.
- un texte qui tente de prendre en compte le contexte de l'histoire politique bolivienne mais qui porte une vision politique sans doute trop marquée par l'émergence de cette gauche latino-américaine de gouvernement: https://blogs.mediapart.fr/…/…/bolivie-comment-evo-est-tombe
- enfin, un texte plus politiquement marqué, quoi qu'encore emprunt d'un certain légitimisme, mais qui sans se noyer dans le contexte socio-historico-politique, se focalise sur les évènements présents et les forces en présence: https://agitationautonome.com/…/bolivie-un-soulevement-pop…/
Mais afin de signer mon retour sur ce blog, délaissé depuis bien trop longtemps, je partage avec vous cette traduction du Serpent@Plumes du discours de la chercheuse et féministe bolivienne Silvia Rivera Cusicanqui, tenu lors d'une rencontre de femmes à la Paz, le 12 novembre dernier.
source: https://desinformemonos.org/esta-coyuntura-nos-ha-dejado-una-gran-leccion-contra-el-triunfalismo-silvia-rivera-cusicanqui-desde-bolivia/
Bonne lecture.
Participation de Silvia Rivera Cusicanqui1 au Parlement des femmes de la Paz, qui s’est tenu à La Paz, Bolivie, le 12 novembre 2019.
Silvia Rivera Cusicanqui - photo de Desinformémonos |
J’ai un très sérieux problème de genoux, il paraît que c’est
l’orgueil. Je suis orgueilleuse, effectivement, d’être une
femme, et aussi d’une certaine manière d’être restée
silencieuse tout ce temps, parce qu’à moi la patrie m’a offert
cet accident. Juste le 23 je suis tombée en semant avec ma fille à
Cochabamba, et cela m’a donné le ton de la nécessité d’une
certaine politique du silence.
J’ai ressenti une excessive saturation discursive. J’admire
l’internet des grains de sel,
mais j’aime la communication face à face, c’est pour ça
que j’ai préféré venir ici et non le faire depuis chez moi,
parce que je peux voir les yeux, je peux sentir l’atmosphère, je
peux même entendre les broncas contre moi. Tout cela m’aide
à être moi-même, à être humble, a être aimable et non
prétentieuse. Cette conjoncture nous offre une grande leçon contre
le triomphalisme.
Je ne crois en aucune des deux hypothèses qui ont été
présentées. Le triomphalisme qui dit qu’avec la chute de Evo nous
avons retrouvé la démocratie me paraît excessif, une analyse qui
vise à côté. Il manque beaucoup pour retrouver la démocratie, il
manque un travail de fourmi, une reconnaissance de l’état actuel
de doña Ena Taborga à Rositas2,
les compañeras de Tariquía3,
les compañeras du TIPNIS4
(Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Sécure), doña
Marquesa, doña Cecilia, toutes les femmes en lutte, quelque
soit leur lutte. Quelques-unes d’entre-elles ont même été
candidates, mais il nous manque de prendre en charge ces réalités
où la démocratie demeure encore un but très éloigné, parce
qu’elles sont encore et toujours dirigées par des syndicats
prisonniers de la misogynie, d’intérêts très divers qui se
rapprochent avec des intentions menaçantes. Il y a aussi des gens
qui se sont interposés, qui ont lutté, et qui cependant, à l’heure
de figurer dans les espaces publics, se sont vus privés de parole,
comme ce fut le cas à Tariquía.
C’est pourquoi je pense que ceci est un bon forum, positif, afin
de commencer à discuter de ce qu’on entend par démocratie et par
être indien ou indienne ou originaire. La seconde fausse hypothèse,
qui me semble à moi hautement dangereuse, c’est celle du coup
d’État, qui ne cherche qu’à légitimer, tout entier, avec le
paquet et tout, enveloppé de cellophane, tout le gouvernement de Evo
Morales dans ses moments d’abâtardissement les plus forts. Tout
cet abâtardissement, le légitimer par l’idée du coup d’État,
c’est criminel, et pour autant nous devons réfléchir sur les
causes de cet abâtardissement.
En entrant ici il y a une heure, j’ai donné à deux personnes
une photocopie du journal du 2 novembre. Je veux que vous voyiez
qu’un type appelé Juan Ramón Quintana5,
annonçait le 2 novembre la vietnamisation du pays, ce que lui a fait
durant des années, c’est à dire endoctriner, c’est à dire
pousser les indigènes dans des réseaux des mafias militaires, comme
ça a été fait dans de nombreuses communautés. Hugo Moldiz6,
qui a travaillé avec ceux qu’on appelle les Ponchos Rouges7…
Moi j’ai connu d’autres Ponchos Rouges, moi j’ai connu des
frères et des sœurs qui allaient en famille à la colline pour
effectuer un rituel avant de partir à la bataille. Ça ce sont les
Ponchos Rouges que moi j’ai connu. Ce qu’a fait Hugo Moldiz le 22
janvier 2006 c’est amener une armée en uniforme et parfaitement
armée.
Il a fait croire que nous étions face à un gouvernement
révolutionnaire dans le style cubain,
mais nous engueulait
pour
les nostalgies
gauchistes d’un groupe de machos qui ne sont pas seulement les
machos de Camacho8,
mais aussi les machos gauchistes, misogynes, qui nous traitent comme
chair à canon et comme chair à hameçon afin de créer leurs
réseaux de perversion des secteurs populaires.
Je me souviens très bien quand les militaires ont fait une grande
orgie avec la COB (Centrale Ouvrière Bolivienne), avec des femmes,
afin d’influer sur leurs objectifs. Nous n’avons pas pu nous
rendre compte que cela était systématique, que ça a duré des
années. Ce personnage et tout son réseau de militaires incluant
l’homme qui contrôle les téléphériques. Je suis témoin de
l’utilisation politique des téléphériques, de distribution de
cartes pour que le prix baisse et massacrer et détruire les
pumakataris9.
Tout cela tisse un obscur réseau incluant le directeur de l’ANH
(Agence Nationale des Hydrocarbures), un intime de Quintana. Que
vient faire l’ANH dans les incendies ? Elle offre des réchauds
à gaz. Cette chose honteuse qui est accompagnée d’une défense
des incendies est en train d’unir les luttes des femmes, les luttes
écologistes, des jeunes, des vieilles comme moi qui sont préoccupées
par le futur et par l’eau que consommeront leurs petites-filles et
les filles de leurs petites-filles.
Je suis très attristée qu’Evo soit parti, mais l’espoir
d’une Bolivie pluriculturelle n’est pas parti, l’espoir que le
whipala10
nous représente dans ses différentes variantes n’est pas parti,
l’espoir d’en finir avec le racisme n’est pas parti. Nous
devons continuer sur le front antiraciste, et nous devons continuer à
rassembler des forces afin de pouvoir articuler l’impression de
récupérer la démocratie au jour le jour. J’ai beaucoup de peine
concernant ce qui s’est passé, je n’ai pas la moindre sensation
de triomphe.
Je sais bien que la religion ce n’est pas seulement Camacho,
c’est la bronca face l’enivrement généralisée qu’a été le
travail syndical de Quintana et ces flics qui viennent avec des
canettes d’alcool. Voilà ce qui me fait mal, c’est le même
mécanisme qu’utilisaient les colonisateurs au XVIIe siècle,
désarmer les communautés en leur donnant des canettes d’alcool.
Mais aussi, les propriétaires terriens et les entrepreneurs qui
souhaitaient se libérer de la réforme agraire, comme Ponce
Sanginés11,
qui distribua de l’alcool et il eut toute une hacienda
d’indiens folkloriques à exhiber dans des musées.
Nous devons comprendre pourquoi les gens réagissent de cette
manière réactionnaire. Ils sont fatigués d’un certain type de
politique syndicale, misogyne, qui dirige les gens comme s’ils
étaient du bétail. Les femmes de Totora12,
qui ont été celles qui ont lutté pour une autonomie indigène, ont
été vaincues par leurs propres maris et leurs proches qui leur ont
tendu le piège du referendum.
Ce qui s’est passé est bien triste, compañeras, et le
triomphalisme d’avoir récupéré la démocratie à partir du
moment où Evo est monté dans un avion, me semble d’une banalité
et d’une pauvreté impressionnante, mais le défaitisme qui dit
qu’il y a ici un coup d’État et que tout est perdu est faux.
C’est penser que le MAS est l’unique possibilité que nous avons
d’être inter-ethnique, pluriel, pluriculturelle. Parce qu’il y a
un ministre gay et quelques femmes qui défendent apparemment le
lesbianisme, ont devraient croire qu’il y a une démocratie
inter-culturelle et ample et anti-homophobe ? Non, ça ce sont
des utilisations symboliques.
Je suis avec le whipala et je sais qu’il y a de nombreux
types de whipala, il n’y en a pas qu’un seul. Nous
connaissons de vieux whipalas, ils avaient d’autres couleurs
bien différentes. C’est cette pluralité que nous devons
récupérer, mes sœurs, et aussi la possibilité de nous rapprocher
entre femmes et indiennes et indiens. J’ai pleuré en voyant la
maltraitance des femmes qui porte la pollera13
au nom de la démocratie, j’ai pleuré en voyant de très jeunes
gens maltraités en disant qu’ils sont indiens. L’indien ou
l’indienne qui est en nous, nous fait très mal. Ça dépend
beaucoup de nous de la libérer et de la rendre heureuse, capable de
parler plusieurs langues, d’avoir une fonction de pensée
théorique. Voilà ce qu’est pour moi l’être indien.
Je me sens à moitié défaite, mais aussi pleine d’espoir. Nous
nous sommes beaucoup dressé pour ce processus et nous avons souffert
de son abâtardissement aux mains de ces flics entraînés à l’École
des Amériques14.
Ils ont beaucoup à perdre, ils ont perdu 30 péniches chinoises,
mais ils ont tout le lithium. C’est ça qu’ils veulent piller.
S’il vous plaît, que ce parlement génère un espace où
articuler une unité contre ces forces sinistres que commencent à
être l’IIRSA (Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure
Régionale Sud américaine) et aussi les capitales chinoises, russes,
vénézuéliennes et toute cette mafia qui représente l’ennemi
principal qui est toujours vivant et en bonne santé et qui arme les
gens, les mentalités. Prenons bien soin de nous, mais soyons
également conscientes que nous ne pouvons tomber dans la joie
qu’enfin l’indien soit parti. Ça, c’est pour moi très
douloureux.
1 Sociologue,
activiste, théoricienne contemporaine et historienne bolivienne,
elle a travaillé sur la théorie anarchiste, ainsi que sur les
cosmologies quechua et aymara. Elle fut cofondatrice et directrice
en 1983 de l’Atelier d’Histoire Orale Andine (THOA pour
l’acronyme espagnol) et dirige actuellement le collectif Ch’ixi.
Ce mot évoque une couleur issue de la juxtaposition de couleurs
opposées, proche du concept élaboré par René Zavaleta,
philosophe et sociologue bolivien, de « société bigarrée »,
qui exprime la coexistence parallèle de multiples différences
culturelles. Elle travaille également directement avec les
mouvements indigènes, notamment tupacataristas et cocaleros.
2 Projet
hydro-électrique qui menace une zone protégée en Bolivie et
rejetée par les communautés.
3 Réserve
nationale de la faune et de la flore de Tariquía.
4 Parc
national créé en 1965 et déclaré territoire indigène en 1990 à
la suite de la lutte de peuples natifs. En 2011 un projet de route
traversant le territoire, lancé par le gouvernement de Morales, a
été abandonné à la sutie d’une forte opposition et d’une
répression féroce.
5 Militaire,
sociologue et homme politique bolivien. Il fut ministre lors des
trois premiers gouvernement de Morales. Il a été l’une des
figure de proue du MAS (Movimiento al Socialismo / Mouvement vers le
Socialisme).
6 Avocat,
journaliste et universitaire bolivien, brièvement ministre du
troisième gouvernement de Morales, en 2015.
7 Groupe
indigène radical soutien de la refondation de la Bolivie proposée
par Morales dans la nouvelle constitution, spécialement les idées
donnant plus de pouvoir à la majorité indigène et expropriant les
terres non utilisées.
8 Quasiment
inconnu sur la scène internationale il y a encore quelques
semaines, cet entrepreneur ultra-réactionnaire, raciste et
catholique, est devenu la figure principale de l’opposition au
gouvernement de Morales. Ses supporters se font appeler les « machos
de Camacho ».
9 Service
public de bus urbain mis en place dans un contexte de féroce
concurrence du secteur des transports des personnes.
10 Nom
donné aux drapeaux rectangulaires, à sept couleurs, utilisées par
les groupes ethniques des Andes. Il en existe de nombreuses
variantes.
11 Arquéologue
qui a notamment étudié le site archéologique de la Cité du
Soleil de Tiahuanaco.
12 Petite
ville du département de Cochabamba et chef-lieu de la province de
Carrasco.
13 Jupe
bouffante traditionnelle.
14 Célèbre
école militaire US où ont été enseignées aux militaires
latino-américains les doctrines de contre_insurrection et inculqué
une idéologie anti-communiste.
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