En dépoussiérant de vieux dossiers sur mon ordi, je suis tombé sur cette nouvelle, écrite il y a quelques années et que je n'avais jamais rendu publique. Je la partage donc avec vous, très légèrement remise au goût du jour (un peu d'écriture inclusive ne fait pas de mâle dans ce genre de cas ;) ) mais en gardant la trame maladroite et les accents d'un cyberpunk un peu vieilli.
Et d'ici quelques jours je mettrai ici un autre texte, plus récent... à suivre.
Maudits hackers
Depuis
le dernier étage de l’arcologie Est de Paris, Shelley embrassait
toute la ville de son regard gris carnassier. D’un claquement de
doigts elle éteignit la baie-vitrée sur laquelle apparurent un à
un les motifs néo-rétro de son artiste d’avant-garde préféré
et préprogrammé. Le psychédélisme électro-vintage s’étalait,
irisait en ombelles sur les vastes panneaux qui, il y a un instant
encore, lui donnaient à voir l’étendue de son pouvoir. Elle
détestait voir le jour poindre. Shelley de BioNike alla s’asseoir
derrière son vaste bureau. Le fauteuil en sky s’ajusta
automatiquement aux courbes encore gracieuse de la sexagénaire. Elle
leva le petit doigt et un écran virtuel apparut, comme éclot du
marbre de son pupitre. Elle l’étira afin de lui donner une taille
convenable pour ses yeux fatigués. D’un mouvement de pensée elle
se rendit sur son site personnel. La voix de PIA, son IA personnelle,
l’accueillit. D’une nouvelle connexion neuronale Shelley ouvrit
sa boîte de conversation. Mais le message qu’elle attendait
n’était pas arrivé. Elle referma violemment l’écrin de ses
missives privées et d’un ordre mental congédia sa servante
électronique, tout en lui demandant de la prévenir immédiatement
si un nouvel appel entrait. Elle se plongea dans l’un des dossiers
qui encombrait l’espace virtuel de son bureau. L’une des petites
entreprises qui composaient le consortium qu’elle dirigeait faisait
l’objet d’une OPA hostile de la part de la firme qui gérait la
cité moscovite. Elle lisait et relisait sans parvenir à se
concentrer, revenant sans cesses sur les mêmes lignes, butant sur
les mêmes mots. Elle referma le dossier et d’un geste souple du
poignet fit s’évaporer la fenêtre ouverte sur le monde virtuel.
Shelley appuya sur un bouton du siège et son train de roulage
s’escamota. Sa chaire perdit un peu de hauteur dans un chuintement
pneumatique avant de se stabiliser. La PDG de Paris imprima sur la
carte du fauteuil en sustentation le chemin de son laboratoire et
celui-ci l’y mena dans un soupir dénué de tout romantisme.
Shelley
regardait la poupée inanimée, étendue sur la table d’opération.
Une petite fille d’une dizaine d’année, crâne rasé, visage
lisse, yeux clos par la fatigue d’une vie suspendue aux lèvres
cousues par la maladie, des tubes qui alimentent, remplacent les
fonctions vitales vidées de leurs substances. Et les « bip !
bip ! » des machines qui respirent. Les aspirations d’un
être qui ne demande qu’à expirer. Des courbes qui dessinent les
montagnes russes que la mère parcourait des yeux. Quelques larmes
glissaient sur les joues liftées de Shelley. « Ne t’inquiètes
pas ma chérie... Dans quelques jours, ta maman te redonnera la
vie. »
« Shelley...
Une vidéo-com sur votre première ligne. » Un « qui »
lui traversa l’esprit et Pia incrusta sur sa lentille baignée de
larmes les traits secs du médecin-chef de la section expérimentale
de la clinique BioNike. Shelley essuya sa peine d’un revers de
manche, sortit du labo et prit l’appel.
« C’est
maintenant que vous appelez ? Ça fait des heures que
j’attends ! J’espère au moins que vous avez de bonnes
nouvelles pour moi, parce que sinon... »
« On
a réussi ! »
« Comment ? »
« On
a réussi ! On a téléchargé de manière satisfaisante
l’esprit d’un être humain ! »
« Vous...
Vous êtes sûr ? »
« Oui
Madame. Bien entendu, nous devons encore effectuer des tests.
Nous devons analyser l’évolution sur le long terme... Mais on a
une version stable de la personnalité ! Un transfert réussi du
monde biologique à l’e-World. Je... »
« Merci
Victor. Je vous rappelle plus tard. Pour l’instant ne
divulguez l’information à personne. Je me charge d’informer le
monde de notre grande réussite. »
La PDG
de Paris-Cité-Bulle n’était plus que Shelley, la mère de sa
petite Marie. Sa petite sauterelle. Son ange blond plongée dans un
coma artificiel depuis presque cinq ans. La femme perdit la dignité
de sa fonction, fondit en larmes, des larmes de joie cette fois et
couru jusqu’au Labo. La porte s’ouvrit en identifiant sa pupille
trempée. Shelley s’effondra sur le corps immobile de Marie. Elle
pleurait et ses larmes imprégnaient le pyjama immaculé de sa chère
fille. Elle se releva et prit le visage de Marie entre ses mains. Les
larmes s’estompèrent et le temps d’un sourire une éclaircie
inonda la pièce de sa douce chaleur. La peau de Marie se colora d’un
joli ton ocre.
« Ça
y est mon ange... Maman a réussi. Je vais bientôt pouvoir te serrer
dans mes bras... On va se retrouver mon cœur. » Les larmes la
submergèrent à nouveau. Elle était prise de hoquet, les mots ne
pouvaient plus sortir, mais un bonheur qu’elle n’avait plus connu
depuis des années irradiait de tout son être.
*
Le
soleil était sur le point de se lever... c’est en tous cas ce que
distillait la radio d’info continue dans la petite pièce qui
servait de chambre-cuisine-salle à manger à la famille. Le père
n’était déjà plus là, parti comme chaque jour hanter les
chantiers du Paris de ce milieu du XXIe siècle... Paris que le
consortium propriétaire mettait sous cloche. Paris-Cité-Bulle. Une
protection contre la pollution de l'atmosphère. La nouvelle cage
invisible de l'humanité. La mère goûtait à ces quelques instants
de délices pendant lesquels elle n’avait plus de mari et pas
encore d’enfants. L’aspirateur à la main, elle se regarda dans
le reflet du miroir et ne vit pas ses yeux tristes pendre
lamentablement sur ses joues creusées. Elle se voyait sans âge,
l’iris ouverte sur les beautés de l’avenir et la peau fraîche
des matins enfantins.
Son
fils avait allumé sa console et commencerait d’ici un petit quart
d’heure ses cours de schizophrénie appliquée aux mondes virtuels.
Il terminait en toute hâte sa ration alimentaire matinale et les
exercices pratiques sur lesquels il s’était endormi la veille au
soir. Sa mère l'entendait psalmodier en boucle les slogans de son
PsycoCoach « Je ne suis pas mon avatar », « Mon
corps n’est pas un corps de données... Mon corps n’est qu’un
prêt. » Il s’était enfermé à double tour, clef codée en
hélice enroulée sur elle-même, dans sa chambre. Mais quelques
minutes plus tard, il décodait sa porte et criait : « Maman !
Y’a plus d’flux ! » La mère sursauta. L’image du
temps révolu se brisa sur son reflet et lui apparurent toutes les
cruautés du temps présent. Ses yeux étaient lavés de toute
passion par une vie déjà trop longue de 40 ans. Les marques
bleues-mauves des coups de foudre de son mari violaient la pâleur
cendrée de son visage islandais. « Mmmmmh... Je mets la pompe
en route. Bouge pas, mon grand. » Elle dirigea ses pas
lents vers la porte d’entrée, ouvrit le petit boîtier situé à
gauche, repositionna l’interrupteur sur « ON » après
avoir glissé sa carte de paiement et l’empreinte de sa main droite
pour redonner du crédit à la famille. Le ronronnement de la pompe à
fric se fit entendre. Quelques secondes et monta du filtre de la
porte de son fils un « merci » emprunt d’une
reconnaissance vocale dans laquelle la mère ne le reconnaissait
plus. Elle songea à sa fille qui, elle, pouvait réussir. Sortir de
la routine et prendre l’itinéraire des hautes sphères. Elle
s’apprêtait à participer à la toute première édition de la PT
Academy. Sa fille, ce bout de chaire qu’elle avait porté 9 mois
avait été sélectionnée et serait, peut-être, la première
Prêtresse Technologique associée à BHL, l’intelligence
artificielle parisienne. Selon les prévisions des spécialistes
dans quelques jours, quelques semaines tout au plus, la Singularité
Technologique devrait se manifester et donner à BHL le surplus d'âme
qui lui manquait encore. Tous les citoyens attendaient cet évènement
avec une impatience croissante. La Singularité serait le début
d’une nouvelle révolution... de la prochaine évolution.
*
Dans
l’espace sans temps de l’e-World des millions, des milliards
d’avatars rejouaient à chaque minute le grand acte de la vie
réelle. Dans cette modélisation du monde tout n’était que
caricature… les détails se payaient chers et l’inutile n’avait
pas sa place.
Iels
étaient là tous les cinq quand Arthur se matérialisa dans leur
repère, sorte de salon privé installé dans les recoins oubliés de
quelques jeux en lignes. Ça ressemblait à un squat, une fabrique
désaffectée... L’usine à rêve de leur réalité virtuelle où
ils promenaient leurs avatars nonchalants. Arthur, Charles, Isidore,
Antonin, Edgar et Paul... Derrières ses prénoms se cachaient les
membres des hackers maudits, un groupe de pirates qui depuis
de longs mois s’attelaient à démonter le mythe à naître de la
Singularité technologique. Iels ne croyaient pas et ne voyaient dans
cet espoir qui tenait le peuple qu’un nouvel opium. Chacun des six
noms avait pris pour cible l’un des six nouveaux empires de l’ère
virtuelle... Paris, Moscou, Berlin, New-York, Pékin et Mexico. Les
six premières cités-bulles, celles qui avaient contrôlé la
réaction en chaîne et avait mis sous la cloche de la privatisation
les grandes villes de la planète.
Les six
geeks ne s’étaient jamais vu... mais iels se connaissaient
pourtant tel des adelphes, se côtoyant quotidiennement à travers le
miroir virtuel aux alouettes. Iels auraient pu dire ce que chacun.e
aimait mieux que leurs propres parents ; énumérer les
aspirations des autres ; découvrir chacune de leurs pensées
les plus intimes ; commander pour l’autre la pizza garnie de
ses ingrédients préférés... mais iels auraient tout aussi bien pu
se croiser dans la rue sans se reconnaître. Ensemble iels avaient
sillonné le monde entier sans bouger leurs fesses de leurs écrans.
Iels s’étaient même serrés dans leurs bras haptiques, avaient
échangé des milliers de fichiers visuels, sonores... avaient goûté
ensemble aux saveurs des cinq continents grâce aux imprimantes
sensitives. Certains, certaines, iels n’avaient sur ce point aucune
certitude, avaient expérimenté en duo, trio et même en groupe le
sexe virtuel. Iels se connaissaient très bien au fond, mais
n’avaient aucune idée des formes des autres.
Soudain
Edgar fit apparaître, en quelques lignes de codes, un gros chat noir
qui vint frôler chacun des cinq hackers en même temps. « Je
crois que j’ai pécho kekchose ! V'nez voir ça... »
Le chat disparut dans un ronronnement binaire et les cinq avatars,
sortes de poulpes multiformes, se redressèrent, leurs couleurs
passèrent du bleu-ennui au mauve-curiosité. Iels nagèrent dans
l’espace virtuel qui les séparait. L’agitation qui secouait les
couleurs et les formes de leurs avatars en disait plus long que tous
les mots de toutes les langues de la Terre. Edgar avait déniché une
faille de sécurité et pour Arthur s’ouvrait une fenêtre donnant
sur son pire cauchemar.
*
Shelley
de BioNike avait convoqué le conseil d'administration de Paris dans
l’après-midi. Actionnaire majoritaire de l'entreprise héritée de
son père, BioNike spécialisée en Intelligence Artificielle,
Shelley appuyait son pouvoir sur la domination qu'exerçait son
entreprise sur ses partenaires au sein du Consortium Paris-Cité-Bulle
et sur le réseau de filiales qu'elle entretenait dans les
principales cités-bulles du monde citoyen.
La
puissante PDG parisienne avait fait apparaître l'avatar de Pia dans
sa réalité augmentée. Elle la regardait en pensant qu'elle
touchait au but. Elle songeait à quelle point cet être artificiel,
malgré toutes les prouesses technologiques dont ses équipes et
elle-même étaient capables, ne représentait que le premier maillon
de l'évolution d'une nouvelle espèce. Elle savait depuis longtemps,
depuis toute petite même... quand son père lui livrait ses pensée
sur l'évolution de l'humanité, que la Singularité dépendait
grandement de l'interaction entre la mise au point d'une intelligence
artificielle et le téléchargement de l'esprit humain. Mais comme
pour la question de la poule et de l'œuf, Shelley s'était toujours
demandé ce qui viendrait en premier. Aujourd'hui elle semblait enfin
sur le point de résoudre cette énigme. La numérisation de
l'intelligence humaine servirait de base au développement de la
super intelligence artificielle... et cette fusion permettrait
l'accélération nécessaire à l'avènement de la Singularité qui
elle-même donnerait une existence réelle au nouveau Dieu virtuel.
Cet avatar divin serait le guide des premiers pas d'une humanité
colonisant le continent virtuel. Pas un cycle, mais un voix tracée
vers le futur.
Shelley
sortit de sa torpeur et commanda à Pia de programmer en urgence une
entrevue avec BHL. La sexagénaire connaissait bien les limites de ce
logiciel sophistiqué d'aide à la décision... mais elle savait
aussi que l'approche de la Singularité pourrait très bien provoquer
ses premiers symptômes avant même son éclosion. Et, comme les
simples citoyens, elle était dépendante aux conseils avisés des
machines... mais elle avait l'avantage de bénéficier de ceux de
l'artifice d'intelligence le plus évolué de son époque.
Un
quart d'heure plus tard, à 12h30, la Présidente, Directrice et
Général de la bulle parisienne se présentait aux portes du sas
d'accès ultra-sécurisé de l'écrin où somnolait certainement BHL,
dans le ronron de la routine des tâches automatiques du cerveau
synthétique de la cité. Son iris, ses empreintes digitales, ainsi
qu'un échantillon de son ADN... mais aussi un scan de ses fonctions
vitales permirent à la matrice de sécurité de s'assurer qu'il
s'agissait bien de la PDG et qu'elle était bien seul. Shelley tapota
enfin son code secret et la porte s'ouvrit.
Elle se
dirigea vers un casier d'où elle sortit sa combinaison d'immersion
en milieu virtuel. Elle se déshabilla. Les formes que dessinait son
uniforme de femme-maîtresse s’effacèrent, s’affaissèrent,
découvrant cette chair ridée, ce corps vieilli qu’elle ne
supportait plus. Elle lava cette carcasse honnie, purifia cette
enveloppe charnelle qui lui pesait tant. Elle enfila la combinaison
et passa sous une nouvelle douche qui termina d'aseptiser cette
seconde peau. Elle tendit sa rétine à la caméra de garde devant la
porte d'entrée de la chambre de BHL qui se saisit de sa tétine, la
suça jusqu’au nerf optique pour l'ultime identification. La porte
s'ouvrit enfin.
BHL
n’était rien d’autre qu’un montage, un assemblage grotesque de
consoles, de PC, d’écrans. L’histoire de l’informatique s’y
dévoilait en strates. Des câbles reliaient les uns aux autres ces
éléments disparates, plongeaient dans les murs, illuminant les
écrans qui les tapissaient. La chambre était noire et traversée de
quelques éclairs aux couleurs du génie endormi. Shelley s’approcha.
Elle saisit le siège qui semblait l’attendre. Elle était la seule
à pouvoir ainsi consulter BHL en toute intimité. Elle savait
qu’elle allait bientôt perdre ce privilège… D’ici quelques
semaines une PT serait élue par les téléspectateurs. Elle
deviendrait alors celle par qui le peuple interrogerait BHL lorsque
celui-ci serait devenu l’une des manifestations de l’IAM,
l’Intelligence Artificielle Mondiale… le prochain Dieu créé par
l’humanité.
Shelley
déposa son offrande, une console dernier cri à la surface du
cerveau artificiel. Elle s’assit, posa sur sa tête la couronne
d’électrodes, connecta les tentacules de BHL aux stigmates de sa
combinaisons. Une série de programme pénétra les défenses
immunitaires de l’implant de Shelley qui lança une série d’ordre
au pharmacopatch, libérant petit à petit une dose opiacée
suffisante pour mener la PDG sur les traces du dragon. Elle posa sa
question avant de sombrer dans la transe durant laquelle elle verrait
sa réponse : « BHL, toi dont la sagesse est pure, lavée
de toute passion, consens à m’éclairer de ta lumière. Puis-je
enfin initier le grand projet, la numérisation de l’humanité ? »
*
Il
était déjà presque midi et la mère commençait à peine à
cuisiner. Le canal des émissions de jeux avait envahi le séjour. La
mère aimait suivre la roue de la fortune, deviner le juste prix et
aurait aimé gagner les millions mis en jeux chaque jour en fin de
matinée. Le père n’allait pas tarder. Il n’aurait, comme chaque
jour qu’une petite demi-heure avant de repartir sur les chantiers.
Le vieux robot de nettoyage, incapable de distinguer un motif d’une
salissure, s’escrimait comme à chaque fois que la mère s’en
servait à frotter les marbrures du carrelage. Elle lui décocha un
coup du tranchant de la main à l’arrière de sa tête de boîte de
conserve et l’envoya étendre le linge… tâche dont il
s’acquittait avec plus de facilité.
Elle
attendait avec une exaspération croissante que l’androïde,
d’occas’, que son mari lui avait offert avec sa première paie du
chantier de la bulle, revienne du marché. On était jeudi et aux
portes de la cité les terriens, ceux qui vivaient en-dehors des
bulles citoyennes, venaient vendre les produits de la terre…
Produits dont le consortium disait qu’ils étaient impropre à la
consommation, mais dont les prix imbattables faisaient oublier toute
mise en garde. La rumeur prétendait que le consortium agissait de la
sorte par pur intérêt… Après tout les légumes et autres fruits
des Terres émergées étaient les seuls produits non brevetés par
l’OMC, l’Organisation Mondiale Citoyenne, que consommaient les
pauvres. La mère éprouvait chaque jeudi une grande fierté à
envoyer son « andro » faire les courses… Elle était
l’une des seules du quartier à en posséder un. Son mari était
contremaître et son accession au chantier de la bulle de la cité
était une promotion importante. Pas de quoi changer de niveau de
vie, mais suffisant pour se payer ce petit luxe d’épater la
galerie de mégères qu’elle côtoyait du temps où elle allait
elle-même faire ses achats au marché noir.
Enfin
l’androïde arriva de sa démarche mal assurée. Sa voix enrayée
pria la mère de l’excuser du retard, mais le tramway avait subi
une avarie et ce n’était que dix minutes plus tard que le robot
avait pris l’initiative de rejoindre le domicile en empruntant l’un
de ces bus qui ont tant de mal à se faire leur place dans le flot de
circulation automobile. Le langage châtié du robot faisait toujours
rire la mère. Elle mit les quelques patates et les carottes
terriennes dans le bouillon de nutriments du PAIN quotidien vendu par
le consortium…la Portion Alimentaire d’un Individu Normal. Le
petit androïde doré s’assit en attendant que sa maîtresse lui
donne de nouveaux ordres. La mère le fixa du coin de l’œil poser
maladroitement son séant métallique sur la chaise en plastique
moulé. Elle songea à sa fille qui voyait dans l’androïde à la
prose soutenue l’incarnation de C3PO, le diplorobot de la Guerre
des Étoiles. Ça faisait des semaines qu’elle n’avait pas eu de
nouvelles de sa fille. Elle savait bien que la préparation à la PT
Academy était stricte et qu’aucune communication avec le monde
extérieur n’était autorisée. Elle avait hâte que l’émission
commence. Elle avait hâte de voir sa petite, sa beauté de 16 ans,
passer les étapes et les votes des spectateurs jusqu’à la
victoire finale… jusqu’à ce qu’elle devienne la première PT
de l’histoire de Paris. Lundi, se dit-elle… Lundi je vais la
voir. Est-ce qu’elle aura changé ? Est-ce qu’elle sera
prête ? Soudain le train-train des jeux quotidien dérailla sur
la voix des infos… Le présentateur, sans donner plus de détails,
annonça que la PDG de la cité donnerait une conférence de presse
le soir même à 20h avant de rendre l’antenne aux amuseurs des
ménagères de moins de 50 ans.
Le fils était toujours enfermé dans sa chambre.
Sa voix parvenait encore à sa mère, atténuée par le filtre
d’intimité que le fiston avait installé dans sa chambre. Il
suivait maintenant son cours de maths. La mère en était certaine
car elle entendait les borborygmes caractéristiques que laissait
échapper son fils lorsqu’il ne digérait pas les problèmes
d’arithmétiques posés par son prof virtuel.
Mais, tout d’un coup la porte de la chambre s’ouvrit et, tel un
démon, son fils sorti de sa chambre en coup de vent alors que la
porte laissait encore s’échapper quelques bruits intestinaux. « Je
sors avec des copains. Je rentre pas tout de suite. On se verra à la
conf’ de presse. » Et il fit claquer la porte de l’appart'
et un baiser pour sa mère.
*
De la
faille ouverte sur le réseau sécurisé citoyen, les hackers virent
sortir des doigts, deux mains qui s’agrippèrent aux bordes de la
fenêtre qui s’agrandissait toujours plus. Chacun des geek fut
renvoyé aussitôt à l’espace clos de sa réalité. Déconnexion.
Arthur dans sa chambre d’étudiant parisien. Edgar dans le
cybercafé d’un vieux quartier bostonien. Isidore sous sa tente
plantée dans le désert uruguayen. Un vieux wagon bringuebalant qui
traverse le cañon du cuivre pour Antonin. Charles regagna la cabine
étroite du bateau le menant à La Réunion. Et Paul dans sa chambre
bruxelloise de modeste prof de poésie se retrouva comme un con.
Une
tête apparut dans la fenêtre ouverte de leurs écrans, le regard
penchée vers le sol. Muetdhiver. Le visage encadré d’une
abondante chevelure dont la pixellisation s’estompait peu à peu se
releva, découvrant des traits de toute beauté. Marie Zorn.
Un visage doux qui irradiait la sérénité… et qui portant
semblait se transformer à chaque instant. Le visage souriait.
Néo. L’être
doré passa les épaules hors de chaque écran, puis le buste, la
taille, les jambes. Il s’assit sur le rebord de l’écran, comme
en équilibre entre les mondes. Paul Durham. Une voix au
timbre harmonieux s’empara des six hackers et leur susurra à la
conscience : « Je suis le premier humain numérisé… Je
suis le premier colon du continent virtuel. Je suis l’annonce de la
mort de l’humanité. Je suis la post-humanité éternelle. Vous
n’êtes déjà plus en vie. Je suis le dernier humain. Mourrez !
Ne craignez rien. Craignez-moi, oh oui ! » Motoko
Kusanagi. L’image
fantomatique tomba en arrière et disparu dans le fin fond du vide
numérique... Le visage sans âge de C.D. Simack en persistance
rétinienne.
Les
écrans représentaient à nouveau la fabrique des rêves des pirates
et chacun d’eux replongea avec délices dans les sensations
digitales. Arthur grésillait. L’avatar semblait se disloquer, se
recomposer, était parcouru, des tentacules à la tête, par des
bandes comme sorties d’un antique téléviseur à tube cathodique.
Puis l’image neigeuse se stabilisa à nouveau. Les autres se
regardaient de leurs yeux multiples et globuleux. « Qu’est-ce
que c’était qu’ça ? » Les couleurs qui explosaient
indiquaient que la tempête ne s’était toujours pas calmée sous
les crânes transparents et volumineux des céphalopodes. Puis d’un
ton calme Arthur déclara : « Les gars, je crois qu’on
vient de trouver ce qu’on cherchait. » Son avatar prit une
forme plus humaine jusqu’à ressembler trait pour trait à celui
qu’il était dans la réalité. « Je crois qu’il est temps
qu’on se rencontre vraiment. » Arthur s’assit dans un
fauteuil que ses formes dessinaient au fur et à mesure qu’elles
s’y enfonçaient. Il monta le volume d’une radio d’info et
toustes entendirent parler de l’annonce que ferait d’ici peu
Shelley de BioNike.
Comme
si la même idée traversait leurs esprits, après que la même
expérience se soit jouée de leurs corps, chacun.e dans son coin se
mit au travail. Iels n’avaient plus besoin de communiquer pour se
comprendre. Edgar analysait les formes différentes qu’avait
empruntées à la littérature l’étrange créature. Isidore
tentait de déchiffrer les codes cachés, s’il y en avait, dans les
paroles prononcées. Charles reliait la fenêtre qu’ils avaient
tous vu s’ouvrir aux sensations qui avaient étreint leurs corps.
Antonin cherchait le langage caché dans la mise en scène de
l’apparition. Paul parcourait les mondes virtuels afin de découvrir
si d’autres cybernautes avaient été victime de ce piratage hors
norme. Arthur se projetait lui dans les visions que la voix avait
provoquées. Il connaissait cette voix. Il lui avait fallu quelques
secondes après le silence pour la reconnaître. Il savait qu’elle
était la clef de la porte de sortie. Il lança aux autres :
« Vous me suivez ? »
*
Avec
l’accord sans réserve du CA de Paris-Cité-Bulle, Shelley de
BioNike avait invité les médias du monde entier à sa conférence
de presse et tous se pressaient maintenant devant de la table
derrière laquelle se tenait la PDG de Paris-Cité-Bulle. Elle
présenterait cette première numérisation d'une intelligence
humaine comme le signe annonciateur de la Singularité... Cette
réussite n'était qu'une première étape. Dans les mois à venir
l'OMC devrait gérer les demandes de téléchargement. Et selon le
plan prévu, on offrirait en premier lieu ces numérisations à des
cobayes volontaires, choisis parmi les populations démunies. On leur
avait promis le paradis virtuel... ils en seraient les pionniers.
Au pied
de l’arcologie la foule se massait, bruissait des rumeurs les plus
folles. Beaucoup s’étaient laissé dire que les premiers signes
annonciateurs de la Singularité s’étaient manifestés et que la
PDG elle-même n’était déjà plus humaine. Certains pensaient que
la femme la plus puissante de Paris leur signifierait le début de la
numérisation de l’humanité. Des prédicateurs prédisaient à qui
voulaient bien les écouter, ceux qui élargissaient assez les
mailles du filtre auditif, l’avènement du nouveau Dieu. « Car
en vérité je vous le dit... ce soir c’est Dieu que nous fêtons.
Ce soir Il descend sur terre et nous guidera vers le paradis
virtuel. » Pour beaucoup de citoyens, la Singularité
technologique se résumait à l’émergence d’une intelligence
artificielle infinie, nouvel avatar des croyances divines, dont les
futures PT seraient les interprètes. Toutes les enceintes de la
ville, les baies-vitrées des arcologies, crachaient leurs écrans
publicitaires à la face des citoyens. Les plus riches profitaient
déjà du spectacle en immersion totale dans l’e-World.
Debout
dans la rigidité de sa fonction, Shelley attendait le signal du
canal officiel pour commencer son allocution. Elle prit une gorgée
d’eau. Une eau cristalline qui aurait fait baver plus d’un
concitoyen, trop habitués aux eaux troubles de leurs conditions
économiques. Enfin la petite lumière rouge s’alluma sur la caméra
fixe en face d’elle. Un technicien lui afficha sa main, doigts
écartés. Sa voix retentit. 5… 4… 3… Seuls ses doigts
continuèrent le décompte… 2… 1…
« Chers
citoyens, chers concitoyens,
J’ai
ce soir l’immense privilège, le bonheur même,
d’être la voix qui annonce à l’humanité que le compte à
rebours vers son propre dépassement est lancé. Demain, dans
quelques jours, commencera la plus grande œuvre que l’humanité se
soit jamais confier : auto-réalisé son évolution. Dans quelques
semaines tout au plus, nous lancerons ici à Paris, mais très vite
dans toute les Cités-Bulles, la numérisation de l’essence de
l’humanité, de son esprit… de nos esprits. N’ayez pas peur!
Nous allons enfin abandonner nos corps, cette vieille enveloppe qui
ne sera bientôt plus qu’une relique… Vous ne devrez pas traîner
le souvenir de l’homme comme un boulet. L’ère de l’humain de
chair et d’os est révolu… voici venu le temps de l’humanité
2.0. »
Au pied
de l’arcologie, la mère et le père scrutaient la multitude,
tentaient d’apercevoir leur fils. Il leur avait envoyé un message
pour leur dire qu’il arrivait. Le père et la mère se tenait par
la main, perdu dans cette foule immense. La mère aurait aimé que
son fils et sa fille soient avec eux. Le père malgré la fatigue
d’une journée de travail avait le visage radieux d’une soirée
de picole… Pourtant il n’avait rien bu. Le car de la compagnie de
BTP l’avait déposé lui et son équipe directement ici.
Exceptionnellement ils avaient pu terminer plus tôt afin de pouvoir
assister en directe à l’évènement. La mère avait mis sa plus
belle robe… pourtant trop vieille pour faire de l’effet, même à
son mari. Lui portait son bleu de travail, noirci par la poussière
du chantier. Il portait dans sa main laissée libre son casque et ses
lunettes de protection. Des vendeurs ambulants proposaient des
lunettes de plongées en milieu virtuel afin de vivre l’avènement
en 3D. La mère supplia du regard son époux qui d’un signe de sa
grosse main commanda 2 paires de lunettes. Le salaire d’une semaine
de travail venait de disparaître… mais après tout ce n’était
pas tous les jours qu’on fêtait l’arrivée de la Singularité.
Ils levèrent les yeux au ciel et, sortant de la façade de
l’arcologie, mesurant 20m, Shelley de BioNike s’adressa à eux…
Ils en restèrent bouche-baie vitrée quand ils l’entendirent
confirmer l’arrivée de la post-humanité.
Arthur
reconnu sans mal Paul... Zorra de son vrai nom. Ils se retrouvèrent
aux abords de la place qui s’étalait au pied de l’arcologie.
Leurs quatre camarades ne seraient pas physiquement là... mais ils
veilleraient sur eux depuis le cyberespace. Ils s’enfoncèrent tous
les deux dans la foule qui grossissait toujours plus. On aurait dit
que le monde entier s’était donné rendez-vous à Paris. Et
c’était un peu le cas. Entre les personnes physiques, les avatars
virtuels, les robots manœuvrés à distances… c’était bien
toute la citoyenneté qui piétiner d’impatience face à Shelley.
Les
deux hackers activèrent leurs appli anti-pub, poussèrent leurs
filtres auditifs au maximum et rayèrent de leurs vue les avatars et
autres robots virtuels venus rendre compte de l’ambiance pour
quelques riches citoyens d’autres cités. Ils se frayaient un
chemin avec difficulté mais approchaient de la porte de l’arcologie
Est. A dix mètres, la milice citoyenne avait dressait un barrage.
Derrières, quelques petits blindés pointaient leurs canons à eaux,
à ondes et à feu sur la foule.
Le père
et la mère reconnurent leur fils. « Et mon grand! »
gueula le père de sa voix forte. Arthur se retourna et leur fit
signe. Ils leur présenta en vitesse Zorra et leur tendit deux
petites pilules. « Prenez ça! » lâcha-t-il. « C'est
quoi? » grogna le père. « Ça les empêchera de prendre
le contrôle de vos implants quand nous serons à l'intérieur. ».
« Quoi? A l'intérieur de quoi? » « Écoute papa, on a
pas le temps. » Arthur se tourna vers sa mère: « Maman,
c'est peut-être notre dernière chance de revoir ma sœur. »
Elle vit pour la première fois dans les yeux de son geek de fils,
une intensité dont elle ne l’avait jamais cru capable, elle se
tourna vers son mari: « Fais confiance à ton fils... avale! »
Et, comme pour lui montrer l'exemple, elle jeta dans sa gorge la
gélule. Les deux hackers et les parents enfilèrent ensuite quelques
tenus virtuelles qui leurs ouvrirent une brèche dans le pare-feu
réel. Un officier les salua même. Ils entendirent alors les mots de
la Présidente Directrice Générale résonner dans le hall
d’accueil.
Shelley
de BioNike continuait à balancer son discours stéréotypé, écrit
par son chargé de com’ en quelques heures… mais elle ne cessait
de pensé en son fort intérieur à sa fille. Toutes les recherches
qu’elle avait menées depuis des dizaines d’années et qui
trouvaient aujourd’hui leur aboutissement, elle les mettrait en
premier lieu au service de son ange, de sa tendre petite crevette. Le
retour image lui laissait deviner l’ampleur de ce qu’elle vivait…
l’incroyable audience cumulée qui la suivait : les citoyens
des arcologies branchées sur les canaux de l’e-World, les
concitoyens parisiens massés au pied de sa tour, les citoyens des
autres bulles qui pilotaient sur la place parisienne leurs avatars…
Tout ce que la planète comptait de citoyens, ou presque, assistait à
son discours. Et elle n’arrivait qu’avec peine à lire ce que son
prompteur virtuel déroulait devant elle. Elle repensait à la visite
qu’elle avait effectué dans l’après-midi auprès de la fille
que l’équipe du docteur Victor était parvenu à télécharger.
Elle avait vu ces traits si épais, ces cheveux gras de citoyenne de
la ville basse. Elle avait parcouru en toute hâte le résumé que
lui avait préparé le docteur. La fille avait été conçue sans
l’assistance de la génétique et était née par césarienne. Elle
avait un frère qui était lui aussi né, deux ans plus tard, de
manière naturelle. Son père travaillait comme beaucoup sur les
chantiers de construction de la bulle et la mère s’occupait du
foyer et, pour arrondir les fins de mois et les angles, jouait les
médiatrices dans un centre social de son quartier. Le fils de la
famille était un minable étudiant, qui ne semblait jamais devoir
sortir du lot.
Zorra,
Arthur et ses parents rejoignaient le salon privé d'où émettait
Shelley. Iels entrèrent dans la foule des gens biens pincés qui
écoutaient avec attention la PDG. Comme par magie... une magie noire
qu'Arthur et Zorra savaient devoir à leurs amis, quatre shamans des
mondes numériques qui leur avaient ouvert les portes de la
réception. Zorra embrassa Arthur et le quitta. La mère décocha à
son fils un sourire qui en disait long. Zorra regagna l'ascenseur
Ouest de l'arcologie et montait maintenant au cœur de la cité… ou
plutôt son cerveau. A côté d'elle apparut l'étrange créature qui
l'avait tant effrayé quelques heures plus tôt. « Prends bien
soins de mon frère... ne t'inquiète pas, je suis là... personne ne
pourra t'arrêter. » Le ghost l'enveloppa de son aura.
Zorra eut chaud et froid, puis se sentit totalement apaisé. Le
stress qu'elle ressentait il y a encore quelques secondes s'était
complètement estompé, comme le brouillard dispersé par le soleil.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et elle marcha au milieu des
gardes armés sans que ceux-ci ne puissent la voir. Elle arriva
devant les portes du sas qui isolait BHL du monde réel. Elle sentit
sa main se lever malgré elle et se poser sur le scanner de sécurité.
Lorsque les lourdes s'écartèrent, Zorra se retourna et vit le
marbre impassible des gardes se fissurer et courir les veines de
l'affolement. Ils regardaient en tous sens mais ne la voyait pas.
Shelley
avait presque fini de présenter le plan d'action de l'OMC lorsque
Arthur prit la parole. « Mensonge! La singularité ne viendra
pas. Vous vous servez, vous et tous les dirigeants du monde citoyen
de la crédulité du peuple pour l'utiliser comme cobaye de vos
expériences. Vous nous dites de ne pas traîner le souvenir de
l'homme comme un boulet, mais ce boulet n'est pas le corps mais votre
mode de penser. L'évolution se fera en changeant nos mentalité, pas
en troquant nos corps charnels pour des corps de donnés. Votre
paradis virtuel n'est rien de plus que l'actualisation moderne des
paradis antérieur... paradis catholique, artificiel, cathodique ou
numérique ne sont que des leurres après lesquels vous faites courir
le peuple, tel un hamster dans la roue de son infortune, roue dont
vous vous servez pour avancer dans la pseudo linéarité de votre
histoire. Nous, maudits hackers, sommes là pour vous faire
dérailler. Les roues vont cesser de tourner. »
Sur les écrans et toutes les sources haut-débits
du réseau, Antonin, Edgar, Isidore et Charles maniaient maintenant
les flux et diffusaient les images qu'ils avaient volé aux services
de sécurité de la PDG parisienne. Images qui la donnait à voir en
plein CA, planifiant en concertation avec la gouvernance de l'OMC le
mensonge qu'elle servirait aux citoyens.
Soudain,
les images en directe montrèrent à nouveau le visage de la
sexagénaire à la tête de Paris... Mais se tête était maintenant
celle d'une furie. Puis par un morphing grossier ses traits
laissèrent la place à ceux de la jeune fille numérisé. Son
enveloppe charnelle était allongée sur une table d'opération
métallique... Shelley eut l'impression de voir sa propre fille puis
comprit.
« Ma fille! » cria la mère. Le père
retient sa femme dans sa chute. « Qu'est-ce que... ».
Arthur reprit: « Voici les parents d'une jeune fille partie il
y quelques semaines pour participer à la PT Academy... Elle a été
sacrifiée sur l'autel de la numérisation. Elle, au moins, a vu son
téléchargement s'accomplir. Mais pour cette réussite, combien de
morte dans l'anonymat de disparitions inexpliqués? Mais
on ne sait encore quel sera le prix à payer de cette réussite. Pour
la jeune fille, évidemment, mais pour nous tous et toutes. »
Au pied de la Tour, dont la couleur d'ivoire
prenait de plus en plus les tons rougeâtre des méfaits des
puissants qui y étaient installés, la masse amorphe se changeait en
multitude excédée puis en peuple en colère.
Un coup
de feu retentit. Un garde sortit de sa torpeur venait d'abattre le
jeune Arthur. À ce moment précis une explosion se fit entendre
depuis la chambre de BHL... L'Intelligence artificielle de Paris
venait d'être victime d'une attaque cérébrale. Le cerveau de
synthèse perdait sa mémoire vive et Zorra s'en prenait maintenant à
la mémoire morte du cerveau superficiel. Shelley pleurait, elle
comprenait que les machines qui maintenait sa fille dans une illusion
de vie s'éteignaient une à une, avant qu’elle n’ait pu lancer
le processus de numérisation. « Soyez maudits! »
La
sœur, dont l'avatar multiformes s'était matérialisé aux côté de
sa mère disparaissait maintenant dans un sourire, un soupire
binaire. Zorra arriva en courant dans la confusion et la cohue. Elle
s'approcha d'Arthur... « Je t'aime. Ne chausse pas encore tes
semelles de vent, je t’en prie. Ne t'en va pas, reste avec moi!
S'il te plaît... » Elle sentit un courant d'air courir sur son
épine dorsale puis le visage d'Arthur s'éteignit.