"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

31/08/2011

Quel genre de sexe leur faut-il?


Une tribune publié sur Rue89 à propos de genre, de sexe et d'orientation sexuelle à l'heure où des députés dont ceux de la Droite Populaire (l'aile droitière de l'UMP) demandent le retrait de manuels scolaires (suivant en cela la voix de l'église qui il y a quelques semaines faisait la même demande) qui donnerait une trop grande place à la "théorie des genres". Le texte de David Simard démêle les termes que ces députés réactionnaires mélangent joyeusement pour nous empêcher de jouir de nos corps et de notre sexualité. Mais son texte éclaire aussi certaines confusions entretenues parfois par les mouvements LGBT.


Genre, sexe, orientation sexuelle, les députés UMP confondent tout


Par David Simard | Philosophe et psycho-sexologue | 31/08/2011 | 09H58

Quatre-vingts parlementaires, dont les fondateurs de la Droite populaire, ont demandéle 30 août 2011 au ministre de l'Education nationale le retrait de manuels scolaires accréditant l'idée que l'identité sexuelle est autant le fruit de l'environnement socioculturel que de la biologie. Cette demande fait suite à plusieurs interpellationsdu ministre sur cette question au mois de juillet dernier.

Les députés se targuent d'être du côté de la science

Ces parlementaires dénoncent l'idée de genre comme construction sociale de l'identité de sexe. Pour eux, cette identité est inscrite dans la nature, et plus précisément dans les organes génitaux. Simone de Beauvoir disait : « On ne nait pas femme, on le devient. » Ces parlementaires pensent que l'on ne devient pas femme, on nait femme. Idem pour les hommes.

Autrement dit, l'identité de sexe est tout entière contenue dans le biologique.

Les députés se targuent d'être du côté de la science, a contrario de ce qu'ils appellent la « théorie du genre sexuel », rejetée comme « théorie philosophique et sociologique ».

A croire, d'une part, qu'il n'y aurait de rationnel que du scientifique, au sens des sciences de la nature, et d'autre part, que le « scientifique » ne pourrait pas être habité par des présupposés philosophiques, et même idéologiques.

Pourtant, réduire l'identité de sexe à sa dimension biologique n'a rien de scientifique au sens où le présupposent ces députés, c'est-à-dire d'attesté et d'irréfutable, mais est au contraire, sinon philosophique (la démarche philosophique a ses réquisits auxquels ne répondent pas ces députés), du moins idéologique.

Glissement de l'identité sexuelle à l'orientation sexuelle

L'utilisation de l'adjectif « sexuel » est source de confusion lorsque l'on parle de l'identité. Il réfère en effet à la sexualité. Or, par « identité sexuelle » est en fait entendue l'identité sexuée, c'est-à-dire, a minima, le fait de se reconnaître ou d'être reconnu comme homme ou femme en raison de son sexe anatomique. Nous nous situons donc dans un registre en-deçà de la sexualité.

Or, les députés opèrent le glissement d'un registre à l'autre, en affirmant que selon la « théorie du genre sexuel » :

« Les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels. »

Mais la question du genre est d'abord et avant tout une question de construction sociale des identités en raison du sexe, non celle de l'orientation sexuelle. Cette confusion est patente lorsque, aux côtés des orientations sexuelles que sont l'homosexualité, l'hétérosexualité et la bisexualité, est ajoutée la transsexualité.

Qu'est-ce donc que l'orientation transsexuelle ? Rien, car cela n'existe pas. Un transsexuel est une personne qui estime être au fond d'elle un homme alors qu'elle est anatomiquement une femme, ou une femme alors qu'elle est anatomiquement un homme. A partir de là, un transsexuel peut être homosexuel, hétérosexuel ou bisexuel.

Naturalisme biologique contre culturalisme

Cette confusion est entretenue par les mouvements LGBT, qui associent les homosexuel(le)s et les bisexuel(le)s au transsexuel(le)s, soit des personnes revendiquant le droit de cité à leur orientation sexuelle à des personnes dont la problématique est l'identité sexuée.

Transsexué conviendrait d'ailleurs mieux que transsexuel. Mais cette confusion relève d'une idéologie inverse à celle du naturalisme biologique : le culturalisme, dans le sens où tout est culturel, entendons fabriqué, ce en quoi l'on peut, par intervention chirurgicale, pratiquer une réassignation du sexe.

C'est alors la notion de genre qui se trouve étendue à la dimension biologique, cette dernière étant ainsi débiologisée.

Les limites du culturel dans l'identité sexuée

L'idéologie de la nature a beau jeu de pointer les absurdités du culturalisme ainsi entendu. Et de fait, même après une intervention chirurgicale, rien n'a changé sur ce qui avait fait la première assignation de sexe : la combinaison chromosomique. Et le changement organique de sexe n'est pas le passage d'un vrai organe à un autre vrai organe, fonctionnel. On ne pose pas de vagin ni d'utérus à un homme, ni de pénis à une femme.

Il y a donc bien une réalité naturelle indépassable qui fait limite (dont l'ultime est la mort), une assignation chromosomique sexuée à partir de laquelle on dit de telle personne qu'elle est un homme, et de telle autre qu'elle est une femme. On peut plus certainement changer de genre (transgenderisme) que de sexe.

La construction des notions de féminin et masculin

Pourtant, il y a bien une construction sociale de la sexuation, que l'on appelle le genre. Celle-ci se retrouve dans les représentations que l'on se fait de ce qu'est un homme et de ce qu'est une femme, et auxquelles chacun, selon son sexe organique, est conditionné à répondre.

Par exemple, une femme est douce, sensible, superficielle, passive, alors qu'un homme est rude, rationnel, profond, actif. C'est ainsi que l'on construit les notions de féminin et de masculin, dont on voit qu'elles assignent, cette fois, non pas un sexe biologique, mais un rôle social en vertu du sexe biologique.

Dénoncer cette construction des rôles ne peut aller jusqu'à l'absurdité de nier la réalité biologique. Il s'agit seulement de dénoncer que la réalité biologique, la différence organique des sexes, servent à justifier la domination d'un sexe sur l'autre. Ce qui peut être visé est donc la représentation sociale que l'on se fait de la sexuation organique, non la sexuation dans son organicité elle-même.

Un naturalisme rétrograde répandu : Mars et Vénus

Pour finir, je voudrais attirer l'attention sur le fait que le naturalisme, facile à critiquer lorsqu'il émane de députés à l'esprit étriqué, est largement répandu dans les représentations que l'on se fait sur les hommes et les femmes. L'approche de John Gray et de son prisme « Mars et vénus » en relève, et connaît un franc succès.

Les théories qui prétendent expliquer nos comportements amoureux et sexuels par nos ancêtres de la préhistoire, les autres espèces animales (qui ne se comportent pourtant pas toutes de la même manière), les phéromones ou les gènes qui auraient un plan d'action, également. A voir la paille, même caricaturale, dans l'œil de l'autre, on ignore la poutre dans le sien…

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