Seule l’erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule.
—Thomas Jefferson, Notes on Virginia
Gouvernements du monde industriel, vous géants fatigués de chair et
d’acier, je viens du Cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au
nom du futur, je vous demande à vous du passé de nous laisser
tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas
de souveraineté où nous nous rassemblons.
Nous n’avons pas de gouvernement élu, et il est improbable que nous en
ayons un jour, aussi je ne m’adresse à vous avec aucune autre autorité
que celle avec laquelle la liberté s’exprime. Je déclare l’espace social
global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies
que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez aucun droit moral de
dicter chez nous votre loi et vous ne possédez aucun moyen de nous
contraindre que nous ayons à redouter.
Les gouvernements tiennent leur juste pouvoir du consentement de ceux
qu’ils gouvernent. Vous n’avez ni sollicité ni reçu le nôtre. Nous ne
vous avons pas invités. Vous ne nous connaissez pas, et vous ne
connaissez pas notre monde. Le Cyberespace ne se situe pas dans vos
frontières. Ne pensez pas que vous pouvez le construire, comme si
c’était un projet de construction publique. Vous ne le pouvez pas. C’est
un produit naturel, et il croît par notre action collective.
Vous n’avez pas participé à notre grande conversation, vous n’avez pas
non plus créé la richesse de notre marché. Vous ne connaissez pas notre
culture, notre éthique, ni les règles tacites qui suscitent plus d’ordre
que ce qui pourrait être obtenu par aucune de vos ingérences.
Vous prétendez qu’il y a chez nous des problèmes que vous devez
résoudre. Vous utilisez ce prétexte pour envahir notre enceinte.
Beaucoup de ces problèmes n’existent pas. Où il y a des conflits réels,
où des dommages sont injustement causés, nous les identifierons et les
traiterons avec nos propres moyens. Nous sommes en train de former notre
propre Contrat Social. Cette manière de gouverner émergera selon les
conditions de notre monde, pas du vôtre. Notre monde est différent.
Le Cyberespace est fait de transactions, de relations, et de la pensée
elle-même, formant comme une onde stationnaire dans la toile de nos
communications. Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il
n’est pas où vivent les corps.
Nous sommes en train de créer un monde où tous peuvent entrer sans
privilège et sans être victimes de préjugés découlant de la race, du
pouvoir économique, de la force militaire ou de la naissance.
Nous sommes en train de créer un monde où n’importe qui, n’importe où,
peut exprimer ses croyances, aussi singulières qu’elles soient, sans
peur d’être réduit au silence ou à la conformité.
Vos concepts légaux de propriété, d’expression, d’identité, de
mouvement, de contexte, ne s’appliquent pas à nous. Ils sont basés sur
la matière, et il n’y a pas ici de matière.
Nos identités n’ont pas de corps, c’est pourquoi, contrairement à ce
qui se passe chez vous, il ne peut pas, chez nous, y avoir d’ordre
accompagné de contrainte physique. Nous croyons que c’est de l’éthique,
de la défense éclairée de l’intérêt propre et de l’intérêt commun, que
notre ordre émergera. Nos identités peuvent être distribuées à travers
beaucoup de vos juridictions. La seule loi que toute nos cultures
constituantes pourraient reconnaître généralement est la règle d’or
[« Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent »,
NdT]. Nous espérons pouvoir bâtir nos solutions particulières sur cette
base. Mais nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez
de nous imposer.
Aux Etats-Unis, vous avez aujourd’hui créé une loi, le Telecommunications Reform Act,
qui répudie votre propre Constitution et insulte les rêves de
Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et Brandeis. Ces rêves
doivent maintenant renaître en nous.
Vous êtes terrifiés par vos propres enfants, parce qu’ils sont natifs
dans un monde où vous serez toujours des immigrants. Parce que vous les
craignez, vous confiez à vos bureaucraties les responsabilités de
parents auxquelles vous êtes trop lâches pour faire face. Dans notre
monde, tous les sentiments et expressions d’humanité, dégradants ou
angéliques, font partie d’un monde unique, sans discontinuité, d’une
conversation globale de bits. Nous ne pouvons pas séparer l’air qui
étouffe de l’air où battent les ailes.
En Chine, en Allemagne, en France, à Singapour, en Italie et aux
Etats-Unis, vous essayez de confiner le virus de la liberté en érigeant
des postes de garde aux frontières du Cyberespace. Il se peut que
ceux-ci contiennent la contagion quelque temps, mais ils ne
fonctionneront pas dans un monde qui sera bientôt couvert de médias
numériques.
Vos industries de plus en plus obsolètes se perpétueraient en proposant
des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent décider de la parole
elle-même dans le monde entier… Ces lois déclareraient que les idées
sont un produit industriel comme un autre, pas plus noble que de la
fonte brute… Dans notre monde, quoi que l’esprit humain crée peut être
reproduit et distribué à l’infini pour un coût nul. L’acheminement
global de la pensée n’a plus besoin de vos usines.
Ces mesures de plus en plus hostiles et coloniales nous placent dans la
même situation que ces amoureux de la liberté et de l’autodétermination
qui durent rejeter les autorités de pouvoirs éloignés et mal informés.
Nous devons déclarer nos personnalités virtuelles exemptes de votre
souveraineté, même lorsque nous continuons à accepter votre loi pour ce
qui est de notre corps. Nous nous répandrons à travers la planète de
façon à ce que personne puisse stopper nos pensées.
Nous créerons une civilisation de l’esprit dans le Cyberespace.
Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos
gouvernements.
Davos, Suisse
8 février 1996
1996! Non, ce texte ne date pas d'aujourd'hui, tout juste d'hier... et n'est pas l’œuvre d'un "anonyme" mais a été repris par Anonymous en espagnol - comme plus haut. Il pourrait avoir été écrit en réaction aux lois SOPA, PIPA, ACTA, DORING... Cette déclaration d'indépendance du cyberespace était une réaction au Telecom "Reform" Act en 1996. Voici le préambule publié originellement en introduction:
février 1996
Hier, l’autre grand invertébré à la Maison Blanche a signé le Telecom « Reform » Act of 1996, tandis que Tipper Gore prenait des photos numériques de l’événement pour les inclure dans un livre appelé 24 heures dans le Cyberespace [24 Hours in Cyberspace].
On m’avait aussi demandé de participer à la création de ce livre en écrivant quelque chose d’approprié à la circonstance. Étant donné l’horreur que serait cette législation pour l’Internet, j’ai jugé que le moment était bien choisi pour faire acte de résistance.
Après tout, le Telecom « Reform » Act, qui est passé au Sénat avec seulement 4 votes contre, rend illégal, et punissable d’une amende de 250 000 dollars, de dire « shit » en ligne. Comme de dire l’un des 7 mots interdits dans les médias de diffusion grand public. Ou de discuter l’avortement d’une façon ouverte. Ou de parler des fonctions physiques autrement que dans des termes purement cliniques.
Cette législation cherche à imposer des contraintes sur la conversation dans le Cyberespace plus fortes que celles qui existent aujourd’hui dans la cafétéria du Sénat, où j’ai entendu des indécences colorées dites par des sénateurs des États-Unis à chaque fois que j’y ai dîné.
Cette loi a été mise en oeuvre contre nous par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes, ni où notre conversation est conduite. C’est, comme l’a dit mon ami et rédacteur en chef de Wired Louis Rosseto, comme si « les analphabètes pouvaient vous dire quoi lire ».
Eh bien, qu’ils aillent se faire foutre.
Ou, de façon plus pertinente, prenons maintenant congé d’eux. Ils ont déclaré la guerre au Réseau. Montrons-leur combien rusés, déroutants et puissants nous pouvons être pour nous défendre.
J’ai écrit quelque chose (avec toute la pompe appropriée) qui je l’espère deviendra un des moyens dans ce but. Si vous le trouvez utile, j’espère que vous le ferez passer aussi largement que possible. Vous pouvez omettre mon nom si vous voulez, parce que je ne me soucie pas qu’on me crédite du texte. Vraiment pas.
Mais ce que j’espère, c’est que ce cri trouvera un écho dans le Réseau, changeant et croissant et se multipliant, jusqu’à devenir un grand hurlement égal au crétinisme qui vient de nous être infligé.
Voici donc…
On m’avait aussi demandé de participer à la création de ce livre en écrivant quelque chose d’approprié à la circonstance. Étant donné l’horreur que serait cette législation pour l’Internet, j’ai jugé que le moment était bien choisi pour faire acte de résistance.
Après tout, le Telecom « Reform » Act, qui est passé au Sénat avec seulement 4 votes contre, rend illégal, et punissable d’une amende de 250 000 dollars, de dire « shit » en ligne. Comme de dire l’un des 7 mots interdits dans les médias de diffusion grand public. Ou de discuter l’avortement d’une façon ouverte. Ou de parler des fonctions physiques autrement que dans des termes purement cliniques.
Cette législation cherche à imposer des contraintes sur la conversation dans le Cyberespace plus fortes que celles qui existent aujourd’hui dans la cafétéria du Sénat, où j’ai entendu des indécences colorées dites par des sénateurs des États-Unis à chaque fois que j’y ai dîné.
Cette loi a été mise en oeuvre contre nous par des gens qui n’ont pas la moindre idée de qui nous sommes, ni où notre conversation est conduite. C’est, comme l’a dit mon ami et rédacteur en chef de Wired Louis Rosseto, comme si « les analphabètes pouvaient vous dire quoi lire ».
Eh bien, qu’ils aillent se faire foutre.
Ou, de façon plus pertinente, prenons maintenant congé d’eux. Ils ont déclaré la guerre au Réseau. Montrons-leur combien rusés, déroutants et puissants nous pouvons être pour nous défendre.
J’ai écrit quelque chose (avec toute la pompe appropriée) qui je l’espère deviendra un des moyens dans ce but. Si vous le trouvez utile, j’espère que vous le ferez passer aussi largement que possible. Vous pouvez omettre mon nom si vous voulez, parce que je ne me soucie pas qu’on me crédite du texte. Vraiment pas.
Mais ce que j’espère, c’est que ce cri trouvera un écho dans le Réseau, changeant et croissant et se multipliant, jusqu’à devenir un grand hurlement égal au crétinisme qui vient de nous être infligé.
Voici donc…
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