La légende de Coyolxauhqui ou la naissance de la lune aztèque
Les mexicas1 étaient de grands observateurs du ciel ; ils avaient créé de nombreuses légendes pour expliquer les mouvements des astres. La lune, ils l’appelaient Coyolxauhqui, ce qui signifie en náhuatl : celle qui est ornée de clochettes, coyolli, clochette ; xauhqui, qui orne.
D’après le mythe mexica, chaque nuit la lune livrait bataille à son frère Huitzilopochtli (le soleil), qui étaient les enfants de Coatlicue, déesse mère de la terre et régente des Quatre cent méridionaux2, leurs frères, les étoiles du sud.
La légende de Coyolxauhqui et de son démembrement par Huitzilopochtli est l’explication du phénomène des phases de la lune, qui meurt afin de laisser naître le Soleil.
Traduction du SerpentⒶPlumes, d'après le livre Coyolxauhqui, texte Margo Glantz, Un, Dos, Tres por Mi / Ediciones, 2008
Cela fait bien des
années, vivait sur la colline de Coatepec, une femme appelée
Coatlicue. C’était une déesse, mais en ce temps-là même les
déesses se dédiaient à des choses simples : Coatlicue
balayait.
Un jour, alors
qu’elle passait le balai, tomba du toit un plumage, semblable à un
petit poussin, comme une boule de plumes fines. Coatlicue regarda
partout pour découvrir d’où venait ce duvet si doux, mais elle ne
vit rien et elle le glissa sous son vêtement.
Voilà ce que fit
Coatlicue, là-bas sur la colline de Coatepec, la montagne du
serpent.
Puis elle oublia et
alla chercher ses enfants.
Elle en avait quatre
cent ! Ils s’appelaient les quatre cent méridionaux. Elle
avait également une fille qui s’appelait Coyolxauhqui, et cette
fille portait sur les joues quelques ornements d’or qui tintaient
comme des clochettes.
Peu après,
Coatlicue se rendit compte qu’elle attendait un enfant et elle ne
comprenait pas ce qui se passait, ni d’où venait cet enfant ;
ses frères qui ne comprenait pas non plus, avisèrent Coyolxauhqui
qui devint folle de jalousie car elle n’aimait pas l’idée
d’avoir un autre frère.
Coyolxauhqui leur
dit :
- Voyez frères,
notre mère va avoir un autre fils, nous aurons un autre frère et
moi, ça me met très en colère.
- Tu as raison sœur,
nous aussi sommes furieux.
Et il est vrai
qu’ils l’étaient, tant, que leurs yeux projetaient comme des
étincelles.
Vous imaginez
comment flamboieraient 800 étincelles ? Et bien c’est ainsi
que flamboyaient les yeux des quatre cent méridionaux, tels des
étoiles.
Immédiatement, les
méridionaux se réunirent pour se mettre d’accord et ils
décidèrent de châtier leur mère car il leur semblait que c’était
mal qu’elle leur donne un autre frère et, par dessus tout, il leur
semblait terrible de ne pas savoir qui était le père.
Et vous savez qui
était le père ?
Et bien, rien de
moins que le fin plumage qui tomba dans le ventre de Coatlicue.
Et ce n’était
qu’une plume, mais de celle-ci allait naître le puissant
Huitzilpochtli, tellement puissant et tellement parfait que depuis le
ventre de sa mère il savait tout ce qui se passait sur la terre et
aussi, bien sûr, ce que planifiaient ses frères contre elle.
Les quatre cent
méridionaux s’habillèrent pour la guerre, ils coiffèrent leurs
cheveux et ils les tressèrent et les enroulèrent et ils furent
prêts pour punir leur mère et cela rendait Coyolxauhqui très
heureuse.
Coatlicue était
triste et préoccupée, mais depuis son ventre elle entendit la voix
de son fils qui lui disait :
- Ne crains rien,
mère, je sais ce que j’ai à faire.
Et Coatlicue se
tranquillisa.
Les quatre cent
méridionaux exaltaient leur pouvoir et ils s’admiraient dans les
étangs pour voir si leurs vêtements étaient élégants et
terribles, pour voir s’ils paraissaient des dieux puissants
apprêtés pour la guerre, tels des capitaines bien vêtus, avec
leurs chevelures parfaites et tressées.
Cuahuitlihcac était
l’un des frères et ses paroles n’étaient pas sincères et il
allait dire ce que disaient les quatre cent méridionaux à
Huitzilpochtli qui l’entendait de l’intérieur du ventre de sa
mère. Il entendait la voix de son unique frère fidèle et il
répondit :
- Fais attention mon
frère, sois vigilent et informe-moi de ce que disent mes frères.
Surveille en particulier Coyolxauhqui, car c’est elle qui est la
plus en colère, c’est elle qui est toujours jalouse. Mais ne
t’inquiète pas, frère, je sais ce que j’ai à faire.
Et enfin, les quatre
cent méridionaux se décidèrent à marcher contre leur mère et ils
se mirent en marche jusqu’à la colline de Coatepec. En tête, les
guidant, allait Coyolxauhqui. C’était la nuit et tous
resplendissaient.
Ils paraissaient
très forts, bien vêtus, prêts pour la guerre ; ils portaient
leurs vêtements de papier, leurs ornements, leurs orties, leurs
franges de papiers peints de bleu sombre, tel un ciel de nuit, leurs
grelots attachés aux mollets, ces grelots qu’on appelle oyohualli.
Ils allaient ainsi
vêtus, et les plus idiots ne se rendaient pas compte que les
clochettes informaient de l’endroit d’où ils venaient. Leur
frère Cuahuitlihcac savait maintenant qu’il lui fallait prévenir
son frère Huitzilpochtli, qui l’entendait depuis le ventre de sa
mère.
Les méridionaux
marchaient en ordre, en rangs, tels des guerriers, en escouades
parfaites, avec leurs flèches de pointes barbues. Et devant allait
Coyolxauhqui.
Mais Cuahuitlihcac
monta sur la montagne et dit à Huitzilpochtli :
- Ça y est, mes
frères arrivent. Fais attention.
Huitzilpochtli lui
répondit :
- Surveille-les,
dis-moi d’où ils viennent.
Cuahuitlihcac
répondit :
Tu n’entends pas
les grelots ? Ils viennent de Tzompatitlan.
Et Huitzilpochtli
dit une nouvelle fois :
- Par où
viennent-ils ?
Alors Cuahuitlihcac
lui dit :
- Tu n’entends
toujours pas les grelots ? Ils arrivent par le flanc de la
montagne.
Et une nouvelle fois
Huitzilpochtli lui dit :
- Surveille bien par
où ils passent.
Et Cuahuitlihcac
répéta :
- Tu n’entends
toujours pas les grelots ? Ils arrivent, ils sont dans la côte
de la montagne.
- Tu en es sûr ?,
demanda Huitzilpochtli.
- Oui, répondit son
frère. N’entends-tu pas les clochettes ? Là, ils sont
arrivés au sommet.
C’est alors que
naquit Huitzilpochtli.
Il revêtit ses
parures, son bouclier de plumes d’aigle, ses fléchettes et son
lance-fléchettes bleu turquoise. Et alors, il commença à se
peindre la face au son des clochettes, au son du bruit des pieds de
ses frères qui arrivaient sur la montagne. Et il peignit sur son
visage des rayures diagonales avec cette peinture qu’on appelle
peinture d’enfants car elle est comme le bleu du ciel au matin, et
sur sa tête il mit de fines plumes.
Vous vous souvenez
qu’il est l’enfant d’une plume ?
Comme un petit
poussin ? Comme une petite boule toute douce, blanche comme la
neige des volcans ? Il portait également des sandales couvertes
de plumes et ses deux jambes et ses deux bras étaient peints en bleu
clair.
Et l’un de ses
serviteurs, qui s’appelait Tochancalqui mit le feu au serpent fait
de flambeaux, celui qui était au service de Huitzilpochtli, celui
qui s’appelait Xiuhcoatl.
Et à l’aide de ce
serpent, à l’aide de Xiuhcoatl, il blessa Coyolxauhqui et la jeta
à flanc de colline et elle resta là, dépecée sur la colline de
Coatepec. Et sa tête roula jusqu’en-bas et de toute part tombaient
ses jambes, ses pieds chaussés de sandales, ses mains, son corps.
Huitzilpochtli se
leva et pourchassa ses frères, il les poursuivit, il les sépara, il
les fit descendre du sommet de la colline de Coatepec, la montagne du
serpent.
Et lorsqu’il les
poursuivait jusqu’en-bas, jusqu’au pied de la montagne, les
méridionaux courraient et le bruit de leurs grelots réjouissait
l’air et eux, continuaient à courir comme des lapins blancs avec
leurs cheveux défaits, et ils faisaient des tours de colline. Et ils
ne pouvaient rien contre lui, en vain ils se retournaient au son de
leurs grelots et leurs boucliers étaient frappés et ils ne
pouvaient rien contre lui, seul le vent sifflait de contentement au
son des clochettes.
Ils ne purent se
défendre, ils ne purent rien faire et ils prièrent leur frère :
Assez !
Mais Huitzilpochtli
ne se contenta pas de les harceler ; ils leur ôta leurs
vêtements, leurs parures et et il se les mit et il s’en orna, il
se les appropria, il les fit siens.
Et puis il jeta ses
frères au ciel, là où ils brillent toutes les nuits comme des
étoiles au milieu de l’azur sombre et parfois on peut entendre le
son des clochettes, ce sont celles que Coyolxauhqui portent aux
mollets, qui dorénavant est, elle aussi, là-haut dans le ciel et
brille chaque nuit, car elle est la Lune.
Huitzilpochtli se
lève chaque jour de la colline de Coatepec, d’où on le voit
briller, car il est le Soleil.
1Terme
utilisé par les Mésoaméricains pour désigner les habitants de
Mexico-Tenochtitlan et de Mexico-Tlatelolco, en français on le
traduit généralement par aztèque.
2Centzon
Huitznáhuac en nahuatl « les quatre cent de près des
épines », soit symboliquement, « les innombrables du
sud ». Ils sont, dans la mythologie aztèque, les dieux des
étoiles du sud.
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