Les articles et dénonciations des délires souverainistes et racistes du nouveau "nouveau philosophe" que même les anciens "nouveaux philosophes" récusent, se multiplient... et c'est tant mieux! Il faut que le masque de ce tartufe tombe.
Voici donc quelques-uns de ces articles parus dernièrement dans la presse (et un plus ancien, sur la relation d'Onfray à Camus):
- https://legrandcontinent.eu/fr/2020/07/01/onfray-fin-de-partie/
- https://www.telerama.fr/television/eric-zemmour-et-michel-onfray-unis-pour-denoncer-lislamo-gaucho-narco-feminisme-des-verts-6662795.php
- https://blogs.mediapart.fr/macko-dragan/blog/220620/salut-michel-lettre-onfray
- https://editionslibertalia.com/blog/Onfray-contre-les-libertaires
Je me permets également de republier un coup de gueule que j'avais écrits en 2013 suite à la parution d'un billet d'Onfray qui tentait de définir ce qu'est être libertaire et qui m'avait passablement horripilé. Ce texte avait disparu de la toile, la plateforme sur laquelle je l'avais alors partagé ayant fait long feu.
EGO ET ALTER-EGO D’UN LIBERTAIRE
J’ai mis du temps avant de me décider à publier ce texte, mais les dernières prises de position du philosophe se revendiquant libertaire me pousse, bien des mois après, à le publier ici.
Vous trouverez le texte de Michel Onfray sur son site.
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« La liberté sans le socialisme c’est le
privilège et l’injustice et le socialisme sans la liberté c’est
l’esclavage et la brutalité. »
Bakounine
Camarade*, j’ai bien lu ton billet intitulé
« Heurs et malheurs du libertaire » et j’aimerais
revenir dessus, parce que le sujet me tient à cœur, me définissant
moi-même comme libertaire. Si je ne suis pas certain de toujours
vivre en libertaire, je pense par contre en être un militant
sincère. Et sur ce point je ne peux que rejoindre ton introduction :
« Se dire libertaire est assez facile, tâcher de vivre en
libertaire s’avère plus difficile. » Tu nous expliques
ensuite que ce n’est pas tant de vivre en libertaire qui est
difficile que le fait que vivre ainsi parmi celles et ceux qui ne
sont pas libres, cela revenant à être le reflet de leur propre
servitude.
Fichtre, ne saurait-il y avoir de liberté
ailleurs que dans les cœurs purs des libertaire ? La liberté
ne serait-elle pas plutôt une image, l’obscur objet d’un désir
– et donc d’un agencement ainsi que le dirait Deleuze – autour
duquel nous tournons sans cesse pour en saisir les milles facettes ?
Chacun n’en dévoile-t-il pas un fragment lorsque, depuis sont
point de vue, il cherche l’émancipation ?
La domination est partie intégrante des « jeux »
à l’œuvre dans nos relations interpersonnelles : jeux de
séduction, de défiance, d’apprentissage, de dépendance etc. qui
sont les piments de la vie, ce qui fait que nous aimons, nous
détestons, nous restons indifférents… Ce qui fait de la
domination une oppression c’est de l’ériger en système, d’en
constituer nos institutions à qui nous déléguons le pouvoir d’agir
sur nos vies. Je ne pense pas qu’une société libertaire puisse
être le fait des seuls libertaires. Mais si j’ai bien compris ce
texte, « le » libertaire tel que tu le définis ne se
soucie pas de « faire société », il veut vivre en
libertaire dans la société dans laquelle il évolue… sans se
soucier de l’agencement de la liberté de ses contemporains.
Et c’est là que nous en revenons à la première
partie de ton introduction : vivre en libertaire ne serait pas
si difficile. Dans la suite du texte tu nous donnes en quelque sorte
les grandes lignes de cette « éthique pratique, ou pratique
éthique », que rend difficile à vivre l’autre, celui qui
n’est pas libre. Je passe rapidement sur les « manques »,
les non-dits de ta démonstration, puisqu’à aucun moment il n’est
fait référence aux luttes des femmes par exemples, pas plus
d’ailleurs qu’aux luttes des minorités… Pourtant, la majorité
c’est personne, la minorité c’est tout le monde est une idée
qui me semble proche de la révolte libertaire. Sans oublier que tu
passes sous silence l’un des fondement de la pensée anarchiste:
l’anticapitalisme! Bref…
Tu commences avec un paragraphe assez obscure pour
moi au sujet de vivre un maximum de liberté sans que « ce
projet existentiel coûte à autrui en désagrément ». Jusque
là je suis sans problème, reconnaissant ici la conception
« classique » de la liberté, vue comme s’arrêtant là
où commence celle de l’autre. Je comprends encore lorsque tu uses
de la métaphore des châteaux de servitude, opposés à la chaumière
libertaire. Encore que je ne sois pas certain de comprendre à quels
termes ni à quel contrat tu fasses référence. Mais ensuite lorsque
tu parles de la stigmatisation de « la cruauté ou l’égoïsme
du libertaire » j’avoue ne pas très bien comprendre. La
cruauté fait-elle référence aux attentats ou à ce qu’on a
appelé « la propagande par le fait »? Peut-être les
libertaires sont-ils cruels dans leurs dénonciations de tous les
abus, pour ceux qui en sont les victimes plus ou moins volontaires ?
(je crois comprendre que cette seconde option est la tienne, en
référence aux reflets de la servitude des autres). Mais là encore,
je ne pense pas que la Liberté soit l’apanage des libertaires.
Mais pour l’égoïsme, je ne vois pas. Dans mes
activités militantes – depuis 1995 j’évolue dans les milieux
libertaires d’ici et même d’ailleurs – il m’est arrivé en
tant que libertaire d’être taxé de bien des maux mais l’égoïsme
n’en a jamais été. Il faut dire que dans ma pratique militante,
la solidarité est une arme, l’égoïsme un suicide! Mais c’est
vrai que je suis libertaire tendance « béru », ou
anarcho-punk, comme certains marxiste sont de tendance Groucho. Les
feuilles de l’arbre de ma généalogie politique porteront,
lorsqu’on les ramassera à la pelle, plus de noms d’artistes, de
poètes, de troubadours et des milliers d’anonymes qui ont vécu
jusqu’au bout leur engagement que de philosophes et de théoriciens…
L’anarchie est née chez moi dans la pratique du DIY (Do It
Yourself), même si elle s’est ensuite bien sûr nourrie des écrits
de nos illustres prédécesseurs, Bakounie, Proudhon, Kropotkine…
Même si souvent ce sont leurs écrits sur d’autres thèmes qui
m’ont marqué, plus que leur pensées directement politique. Mais
surtout j’ai puisé dans les expériences révolutionnaires
d’esprit libertaires : la commune, la révolte de Krondstadt,
la Makhnovtchina, l’Espagne de 36, mai 68, l’insurrection
zapatiste et toutes les résistances créatrices d’autres
possibles : squats, ZAD, TAZ de toutes sortes.
Je sais que dans chacune de ces luttes les
libertaires étaient présents et que dans chacune de ces luttes,
d’autres aussi étaient présents. Parce que lorsqu’on se
confronte au réel, nos propres divergences – entre synthésistes
et plate-formistes, anarcho-communistes et fédéralistes-libertaires,
anarchistes individualistes et collectivistes, autonomes et organisés
– s’estompent, ou plutôt convergent. Et même avec les courants
d’autres familles politiques, le faire permet souvent de
dépasser le prêt-à-penser. Mais à aucun moment dans ma vie je
n’ai eu l’impression qu’il était facile de « se
construire liberté »… surtout quand on pense que la
liberté des autres, loin de limiter la nôtre, l’étend encore,
comme dans la conception bakouninienne du terme, dans un monde où la
liberté « est la chose la moins bien partagée »
comme tu le fais justement remarquer. Surtout quand les institutions
de la société capitaliste nous élèvent en batterie pour faire de
nous de la chair-à-pognon, et que la liberté est alors d’abord
révolte. Et se révolter, me semble-t-il, n’a rien de facile.
Tu évoques ensuite l’athéisme. Oui, le combat
libertaire se livre aussi contre l’emprise des religions et ce
combat attire en effet bien des inimitiés de la part de celles et
ceux qui tirent profit du pouvoir religieux et de certains croyants
fanatisés. Et comme tu le dis : « On peut préférer
la liberté à n’importe quel dieu sans insulter ceux qui croient à
leurs divinités. »
En effet, il est même souhaitable de ne pas
insulter les croyants, même au nom de la raison. Parce que l’insulte
n’est jamais l’arme de la raison, mais plus sûrement de la
déraison. Mais il doit être possible également de critiquer les
religions sans que cela soit pris comme une insulte. Pour cela, le
mieux est peut-être de ne pas tomber dans un catéchisme athée.
De plus, lorsque le climat est à la
stigmatisation des croyants d’une religion – comme le sont en ce
moment les musulmans ou comme le furent les juifs en d’autres temps
– il n’est peut-être pas judicieux de hurler avec les loups.
Mais si on le fait, encore faut-il savoir prendre ses distances très
clairement d’avec la meute, en s’en prenant non aux croyants mais
aux croyances, aux Églises établies bien plus qu’à celles et
ceux qui y prient. Parfois, quand ce qu’on a à dire, même si on a
le droit de le dire, n’est pas plus pertinent qu’un silence, il
vaut mieux se taire.
Alors non, il n’est pas facile de vivre en
athée, sans réciter son catéchisme ou faire du prosélytisme… et
pas seulement à cause du regard de l’autre, des croyants, mais
aussi parce qu’être athée c’est traquer en soi les réflexes de
la ritualisation, de la superstition. Le fait de se préparer pour un
événement ou de se mettre en condition pour écrire, par exemple.
Ces moments où la raison fait place à la pensée magique, quand la
raison nous laisse seul face à une situation inédite ou qu’au
contraire elle nous abandonne à un état qui s’apparente à la
transe recherchée. Lutter contre les croyances c’est aussi lutter
contre nos propres facilités… ce qui doit aider à comprendre que
l’autre peut lui aussi lutter contre ses propres « démons »,
ses propres dieux. Alors il me semble qu’il est loin d’être
facile de vivre en remettant en cause nos croyances, ces petits
rituels que nous nous constituons comme autant de raccourcis dans nos
raisonnements.
Tu abordes ensuite le terrain politique. Si
je ne me soucie guère en effet « de droite et de gauche »
– encore que, et bien que je lui préfère l’opposition entre
émancipation et réaction – ce n’est pas tant par soucie de la
justice ou de la vérité que par ma méfiance vis à vis de la
politique politicienne. Je doute de la pertinence de l’organisation
politique de la société autour de partis basés sur une idéologie.
Il y a peu j’ai regardé le web-documentaire sur
le NPA et j’ai été choqué par un échange entre une militante et
un maire auprès de qui elle cherchait un parrainage pour la
présidentielle. Pendant la discussion le maire en question
expliquait qu’il ne voulait parrainer personne car dans les petits
villages comme le sien « on ne fait pas de politique ».
On ne fait pas de politique ? La politique se résumerait à
choisir son parti ? Je ne le pense pas ! Le fait politique
n’est pas cette politique politicienne mais bien s’occuper de la
« chose publique ». Or, il s’agit bien pour les élus
de terrain, dans notre démocratie représentative, de gérer –
chacun à son niveau – la chose publique et le vivre ensemble.
En tant que libertaire, je suis pour une
démocratie directe. Je pense que ce qui concerne la chose publique
doit être débattue directement par les gens. Que le peuple reprenne
ses affaires en main. Toutefois on ne peut faire abstraction du poids
de la structure politicienne dans nos représentations politique, ni
du découpage droite-gauche, à moins de dédaigner la réalité et
de ne vivre que dans le monde des idées. Ce qui a été de l’ordre
de l’idéologie s’est déposé au fil du temps aussi dans nos
comportements et nos actions. Il est donc difficile de balayer d’un
revers de main l’histoire de la lutte pour l’émancipation et la
justice sociale, ce que tu reconnais, timidement, toi-même quand tu
écris: « la droite a moins souvent fait que la gauche pour
la justice sociale ».
Venons-en à cette phrase : « La
droite le récuse parce qu’il est de gauche ; la gauche le
refuse parce qu’on le classe à droite quand il affirme préférer
une vérité de droite à une erreur de gauche. »
Intéressons-nous à la seconde partie de la sentence. Selon toi, les
libertaires doivent préférer une vérité de droite à une erreur
de gauche.
Déjà, je trouve étrange d’opposer vérité et
erreur. Ça donne un drôle de sens à « vérité ».
Alors que j’entends par « vérité » tout ce qui est
vrai, lorsque le mot est opposé à mensonge ; lorsqu’il est
opposé à erreur je comprends « vérité », comme unique
bonne réponse, ce qui est juste, correcte. Un peu comme lorsqu’à
l’école les profs parlent de fautes (lexique de la morale, la
religion) dans un devoir de maths ou une dictée, alors que ce ne
sont là que des erreurs…
Quant à moi je préfère une erreur de gauche à
une « vérité » de droite parce qu’on apprend de nos
erreurs. Par contre je pense qu’une vérité ne peut être ni de
droite ni de gauche, qu’une vérité de droite n’est qu’une
vérité vue depuis un point de vue de droite. Et puis que peut-on
apprendre d’une vérité ? Une vérité est un fait établi.
On apprend de ce qui nous a mené à établir cette vérité, des
erreurs qui nous ont fait trébucher sur le chemin de cette vérité.
En ce sens non plus je n’ai pas l’impression qu’il soit facile
de fouler en libertaire le terrain politique…
Dans le dernier paragraphe, tu mets en garde
contre toutes les tribus « construites sur la classe
sociale, le sol natal, le sang du lignage, la caste institutionnelle,
la secte religieuse, l’appartenance politique sur le papier, la
préférence sexuelle, l’esprit de corps, la profession… ».
J’approuve car ce que j’apprécie dans le courant de pensée
libertaire, c’est justement qu’il existe une pensée
individualiste. Un réflexe d’être humain attaché à rien de plus
grand que lui-même… Réflexe précieux dès lors que la puissance
collective créée devient oppression pour celles et ceux qui la
constituent. Si le collectif peut décupler l’intelligence, il peut
aussi n’être que la caisse de résonance de nos plus vils
instincts. C’est ce qui fait que les libertaires, les anarchistes,
se sont élevés contre le fascisme et contre le totalitarisme rouge.
Je pense là en particulier aux révoltés de Krondtstadt, à la
makhnovtchina et aux révolutionnaires espagnols qui ont eut à
lutter à la fois contre les rouges et les blancs.
Tu listes ensuite quelques vieilles branches (dans
le sens amical, genre « hé, salut vieille branche ! »)
de l’arbre généalogique « du » libertaire.
Liste qu’il est difficile de renier vu le prestige des noms, même
si il n’est pas ici question pour moi de prétendre suivre chacun
de ces auteurs dans toute la complexité de leurs pensées. De plus
je dois bien avouer ma totale ignorance d’Aristippe (certainement
un oubli dans ma culture, mais il y en a tant) que ton texte aura eu
le mérite de me faire rencontrer.
Ne pas faire partie de tribus, « repliées
sur elle-même, élitistes et électives, actives en promotion du
même et en éviction du dissemblable, intrigantes et utiles à leur
propre promotion ». Mais quel cercle social ou réseau ne
correspond pas, plus ou moins, à cette définition ? Vouloir
s’abstraire du monde ne correspond-il pas aussi à cette
définition ? Plus replié sur soi-même dans sa tribu ou en
retrait du monde ? Plus élitiste en restant entre personnes qui
partagent un point commun ou en ne partageant rien avec le monde ?
Est-ce plus électif de former une association, ou d’estimer qu’il
ne peut y avoir d’élu digne de soi ? Je ne pose même pas la
question concernant l’éviction du dissemblable poussé à
l’extrême dans la vie solitaire (dans ton texte il est écrit « la
vie SOLAIRE du libertaire », j’y ai lu, mais peut-être
ne suis-je pas assez poétique, « la vie solitaire »,
dis-moi si je me trompe). Le prosélytisme, faire sa promotion, ne
peut-il être le fait d’un individu isolé ? N’est-il qu’un
effet de groupe ? Pour moi c’est l’appartenance à diverses
tribus – du groupe d’un atelier d’écriture à une tribu
culturel comme le punk, ou être membre d’une SCOOP ou d’une
association quelconque -, la multiplication des points de vue sur le
monde qu’elles offrent, qui est porteur de richesses et parfois de
déceptions ou de luttes.
Alors c’est vrai, nous devons nous méfier de
cet entre-soi si confortable, cet entre-soi bâtisseur de liens qui
se renforcent et dont l’élasticité des débuts fait place à la
rigidité des habitudes et qui parfois finissent en temples à
défendre face aux « pas comme nous ». Car, tout
comme la myéline renforce certains chemins à travers nos neurones
pour fluidifier des réponses maintes fois éprouvées, les liens
d’un groupes peuvent amener à ces raccourcis de la pensées, à ce
confort intellectuel, à nos certitudes élevées sur nos vieux
doutes. Et il sera d’autant plus difficile de sortir de nos schémas
pour inventer d’autres réponses, que notre environnement nous
replongera dans le même substrat… dans la société telle qu’elle
est.
Peut-on être quelqu’un sans les autres ?
Certainement! Pourrait-il en être autrement? Mais l’oiseau qui
vole libre dans l’azur du ciel doit-il envier la vie de l’oiseau
en cage, cette cage aux barreaux de solitude qui le protège des
autres ? Bien sûr, l’oiseau en entrant dans la cage ne perd
pas toute personnalité, il devient autre… autre que celui qu’il
serait devenu en volant entre les nuages. Est-il plus lui-même dans
la solitude de sa cage ou soumis à l’influence de ces semblables
et dissemblables ? Sartre et son « l’enfer c’est
les autres » me semble convenir, paradoxalement pour le
camusien que tu dis être, à ce que tu développes dans ton texte.
Huis clos m’a beaucoup marqué lorsque je l’ai étudié
à l’adolescence et aujourd’hui encore une partie de moi le
trouve pertinent. Mais j’y ajouterais « L’enfer c’est
aussi Je » puisque comme l’a si bien dit Rimbaud « Je
est un autre ». Une fois encore, je pense qu’il est dur
de vivre en libertaire, sans que les autres ne soient les seuls à
paver l’enfer de leurs bonnes intentions.
Si les libertaires doivent savoir prendre de la
hauteur, ils doivent aussi se garder de devenir hautains pour autant.
Car si prendre de la hauteur permet d’élargir le champ visuel, ça
ne doit pas faire oublier que ce qu’on a vu depuis les hauteurs
doit être rapporté, partagé « en-bas et à gauche »
comme disent les zapatistes.
Je ne l’ai compris qu’il y a peu, l’importance
de ces deux termes. Mais ça a fini par me sauter aux yeux. Pourtant,
il y avait eut les communiqués sur la géographie et le calendrier
zapatistes. Et cette façon de se situer « en-bas et à
gauche ». Car se repérer sur un plan nécessite au minimum
deux axes. Or tout notre spectre politique ne se base que sur une
abscisse, allant de droite à gauche – à mois que ce ne soit
l’inverse – en passant par le centre, sans oublier les extrêmes.
C’est ici le règne de l’idéologie, de l’organisation
théorique. Mais il y l’ordonnée, celle qui va de bas en haut, ou
inversement, le terrain de l’organisation pratique, le règne du
concret.
En-bas donc, à la base de la pyramide, pas avec
l’élite d’en-haut. Certainement parce que ce sont celles et ceux
de la base qui supportent le plus grand poids des injustices de nos
sociétés. Mais plus encore parce que cette base symbolise
l’horizontalité, la coopération (autre mécanisme de la sélection
naturelle, que Kropotkine a opposé en son temps à la concurrence
darwinienne), face à la verticalité et la division en strates
sociales.
Il me semble que ces deux axes sont indispensables
pour se situer et analyser les phénomènes politiques. Prenons
l’exemple de la mort de Clément Méric. Pierres Carles et Brice
Couturier se sont essayé à une analyse classiste des faits… et
ils n’ont réussi qu’à faire gerber celles et ceux pour qui –
comme moi
– le combat antifasciste est indissociable de leur engagement pour
un monde plus juste. Parce que si l’analyse classiste, sur
l’ordonnée haut/bas, est pertinente bien souvent pour comprendre
la société, elle se trouve incapable de donner sens à ce genre
d’événement car elle est purement matérialiste et rejette toute
possibilité d’interaction idéologique. De même, analyser le
fascisme avec le seul filtre idéologique droite/gauche n’aide pas
à comprendre le phénomène de l’actuelle montée en puissance de
l’extrême-droite. Mais dès lors que l’on se place en-bas –
donc dans un rapport de classe matérialiste – et à la fois à
gauche – qui marque le rapport idéologique – on récupère une
vision stéréoscopique sur la société.
Pour conclure, peut-être est-il aisé de vivre sa liberté sans que « ce projet existentiel coûte à autrui en désagrément » lorsque cette liberté s’envole dans les éthers de la théorie. Certainement que dans ce monde des idées, il n’est pas difficile d’être un athée se riant de la superstition des croyants. Sûrement est-il aisé de vivre sans tribu, ni groupe plus ou moins repliés sur lui-même lorsqu’à l’être solidaire on préfère l’être solitaire.
Comme tu l’a fait remarqué, l’égoïste est
souvent « celui qui ne pense pas assez à nous »,
mais il est aussi, ne l’oublions pas, celui qui pense surtout à
lui. Comme l’utilisation du « je » lorsqu’on
s’exprime peut revêtir deux réalités : comme mise en avant
de son propre égo – « moi je, moi je, moi je »;
et le « je » comme le refus de généraliser, de
parler pour l’autre, dans le sens deleuzien « parler à la
place de l’autre »… plutôt qu’en s’adressant à
l’autre, dans une reconnaissance de l’alter-ego. Et finalement,
comme l’a écrit Oscar Wilde, « l’égoïsme n’est pas
vivre comme on le désire, mais demander aux autres de vivre comme on
veut qu’ils vivent ».
Quant aux heurs et malheurs du titre de ta
chronique, ils sont bien moins à porter au (dis)crédit des
« autres » que du système d’exploitation de notre
société. Oh bien sûr, les heurs et malheurs de ma propre vie
militante ont souvent revêtu l’uniforme de l’ordre du pouvoir.
Oui, le système lui-même ne fonctionne que parce que des individus
tirent des ficelles, poussent des manettes, appuient sur des boutons.
Les visages de la pression et de la répression peuvent être
remplacés et le système lui-même peut évoluer. La lutte pour
l’émancipation ne peut porter, à mon sens, que sur le système,
l’organisation de la société et l’éducation qu’elle promeut.
Que moi, en tant qu’être humain, je tente de faire évoluer ma
conscience, et que cette évolution m’aide dans l’analyse du
monde matériel est mon choix. Un choix que je ne peux imposer aux
autres, justement parce que je me méfie des tribus qui cherche le
semblable et rejette le dissemblable.
Nous évoluons dans cet équilibre dynamique entre
solitude et solidarité, entre théorie et pratique. Une dualité
qui, il me semble, fait défaut à ton texte et à la pensée que tu
y déploies… comme dans ton utilisation du terme « Le
libertaire » – comme une abstraction hors-vie, une fleur
poussant hors-sols – auquel je préfère le pluriel: les
libertaires!
Et comme le disent les zapatistes: « tout
pour tous, rien pour nous » !
* N’étant pas de ceux qui délivrent les diplômes de bon libertaire, je te fais ici crédit de ta volonté de te rattacher à ce mouvement de pensée, quelque puisse être mes propres réserves sur ce fait.
Petit supplément, une vidéo qui présente le différend qui opposa Darwin et Kropotkine, entre compétition et coopération:
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