"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

04/03/2011

De la rue à l'agora du village global

Le proche et le moyen-Orient sont en état d'ébullition... à tout niveau ce qui se passe aujourd'hui dans cette partie du monde semble définir une révolution d'un nouveau type, d'un nouveau siècle. Alors oui, on peut s'extasier sur la génération Facebook, twitter ou Wikileaks, sur la "révolution.com" comme la chantait il y a quelques années No One Is Innocent, mais derrière l'outil affleure surtout une nouvelle pensée... une nouvelle définition de la révolution ayant permis et permise par les réseaux virtuels. Une révolution où la mobilisation se fait non pas par les secteurs traditionnellement organisés de la population, mais par le peuple lui-même, grâce à ce village globale qu'est la toile. Mais c'est aussi un autre réseau, bien réel, qui fut une fois encore réactivé par les révolutionnaires du XXIe siècle : la rue, les places ! La ville!
Si le côté virtuel a pu servir au déclenchement des révoltes, le virtuel ne s'est pas encore insinué dans le prolongement de la révolution. Un côté virtuel qui se prolonge donc dans le réel. Comme au Caire, où les habitants, au lendemain du départ de Moubarak nettoyaient la place car disaient-ils en substance "Nous avons voulu un pays propre, nettoyons-le jusqu'au bout." Mais, en Tunisie comme en Égypte, les hommes, les femmes ne veulent pas se laisser voler leur révolution. En Tunisie, plus d'un mois après le départ du dictateur, la fièvre révolutionnaire redonne des sueurs froides au gouvernement... Vendredi dernier, des centaines de milliers de Tunisiens et Tunisiennes sont une nouvelle fois descendus dans la rue pour répudier le gouvernement de transition. Comme tout bons hackers, les révolutionnaires arabes expérimentent en démontant les systèmes de l'oppression, et certainement sauront-ils se servir de cette expérience au moment de changer le logiciel constitutionnel. N'oublions pas que la révolution de 1789 a durer plusieurs décennies... laissons aux enfants de la communication instantanée le plaisir de découvrir la lenteur de la transformation social.

En Tunisie, en Égypte, celles et ceux qui ont mis à bas l'ancien régime, sont encore là. Une génération qui, privée de politique ne se fait pas d'illusions et n'en tire aucun idéal, mais qui a bien compris qu'elle n'obtiendrait que ce pour quoi elle luttera. Une génération connectée aux autres, ouverte sur le monde. Pas une génération manipulée par des Islamistes comme ont essayé de nous le faire croire Ben Ali hier ou Kadhafi aujourd'hui. Pas non plus des jeunes manipulé par le grand satan d'hier, les USA, mais toujours d'actualité dans les référents d'un Castro (ou Chavez, Ortega) décidément incapable de comprendre Internet et celles et ceux qui s'en servent. Si en France la peur de voir ces pays tomber sous le joug d'un islamisme radical est de plus en plus évoqué, il serait bon de nous souvenir que la France, et d'autres pays en Europe, ont fait bonne place à des partis d'extrême-droite... et ce, après deux guerres mondiales! La poutre, la paille, etc... Notons que, et c'est peut-être une simple coïncidence, la Tunisie s'est embrasée au moment de l'affaire Wikileaks... Au moment où toute une génération prenait conscience que le monde entier savait que ce qu'ils vivaient n'était pas acceptable... mais où pourtant c'était accepté par le monde. Il est remarquable d'ailleurs de voir à quel point nos dirigeants (français quand on est né ici, etc...), mais aussi la plus part des journalistes et commentateurs patentés, reproduisent la même erreur qu'ils dénoncent et annoncent pourtant avoir comprise à longueur d'émissions et de chroniques: le calme revenu, retournons nous-en à la volupté des rencontres entre gens du monde. Tous les dirigeants se sont remis aux mêmes tables tenues par des hôtes finalement pas si différents d'avant la révolution. Et tous d'acter, Tunisiens comme Égyptiens et en face nos Sarko, Mam (ah non, elle est plus là!) et consorts que la révolution est finie et de sermonner celles et ceux qui n'auraient pas entendu siffler la fin de la recréation proclamée par les gouvernements de transitions, l'armée ou que sais-je encore. Il n'y a qu'à compter le nombre d'articles, de reportages sur le nouveau tourisme en Tunisie. Pour eux, la révolution est un moment précis de l'histoire, pas un mouvement, un cheminement. Nicolas Sarkozy dépeignait l'homme africain comme incapable de rentrer dans l'histoire. Mais les révolutionnaires de ce début d'année nous montrent à quel point Sarkozy se trompe, incapable qu'il est de voir que ces peuples s'ils ne sont pas entrés dans l'Histoire dont il imagine qu'elle est la seule, écrivent leur propre histoire... Ce n'est plus vrai que seule les gagnants écrivent l'Histoire... Et en plus elle circule à la vitesse de twitter! Non, en effet ils n'entrent pas dans l'Histoire telle qu'elle s'écrit dans les livres de pays qui se crurent maîtres du monde. Ils écrivent leur histoire, une histoire dont nous sommes certainement plus proche que de celle de nos dirigeants. Une histoire populaire, comme celle des États-Unis décrite par Howard Zinn. Une histoire dont ils n'ont pas envie de déléguer l'écriture à d'autres... ou en tous cas en rappelant lorsque c'est nécessaires à leurs représentants qu'ils sont là pour obéir à la volonté du peuple: une traduction local du Mandar obedeciendo (diriger en obéissant) des zapatistes du Mexique.


En Tunisie ils ont finis par avoir la tête du premier ministre et malgré ce que les commentateurs prétendent le nouveau (84 ans) premier ministre, s'il est suffisamment vieux pour ne pas être connu des jeunes générations n'en possède pas pour autant les qualités d'un homme neuf. Il y a fort à parier que cette tête au faciès trop "ancien régime" ne fera pas de vieux os non plus. Il sera intéressant de voir si la génération internet en Tunisie, en Égypte, réussira à véritablement faire de leur révolution, la première révolution de l'ère numérique, en inventant pourquoi pas des institutions qui prendraient en compte l'instantanéité, la caractère massif des consultations permises par les autoroutes de l'information. Mais pour cela, les artisans de la révolution doivent être non seulement vigilants, mais aussi être force de proposition, sans laisser aux seuls vieux pontes des partis, des syndicats l'écriture du nouveau pays. En Tunisie, après les rumeurs, le président par intérim à annoncer aujourd'hui des élections pour la formation d'une Assemblée Nationale Constituante le 24 juillet. En Libye, au Yémen, en Algérie, à Bahreïn et dans d'autres pays le vent qui souffle semble pouvoir emporter non seulement des têtes mais surtout les systèmes dont ils n'étaient souvent que les masques. Des masques qui cachent toujours une mécanique inhumaine manipulant des robots aux garde-robe de dictateurs. Pour les peuples en luttes en ce moment , et notamment la Libye, le chemin est encore long, mais comme le dit le poète Antonio Machado "Caminante, no hay camino, se hace camino al andar": Voyageur ! Il n'y a pas de chemins, le chemin se fait en marchant.
Alors, bonne route...



Pour aller plus loin:

Un article du Tunisien Soir: le conseil pour la protection de la révolution appelle à dissoudre le gouvernement

Un article de Libé: En Tunisie, une Assemblée Constituante sera élue le 24 juillet

Tois articles du Monde: Tunisie: une Assemblée Constituante pourrait être crée, La révolution arabe n'a pas encore eu lieu et Les jeunes de la Kasbah reprennent la révolution tunisienne en main

Photo : des manifestants demandent la démission de Ghannouchi à Tunis, le 25 février 2011 (Zoubeir Souissi/Reuters)

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