"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

21/12/2008

Fleurs d’éditions

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Petite maison d’édition pyrénéenne a priori axée sur l’Espagne, La ramonda défend aussi une certaine idée de l’Europe et du monde. Portrait d’un beau projet alternatif.

La ramonda est une plante vivace dans le jardin français des livres. C’est aussi une petite fleur des Pyrénées qui « pousse entre les rochers, dans une fissure, dans des conditions rudes mais fleurit joliment dans ce monde minéral », explique Charles Mérigot, fondateur des éditions. Le premier titre publié est le récit de son errance sur les terres arides de l’exclusion. « Avant j’ai été prof de physique et de maths, informaticien. Puis chômeur de longue durée. Un peu SDF avec de petits boulots de temps en temps. » Ce premier récit, Le dit de la cymbalaire – une autre plante vivace, la cymbalaire – publié grâce à une souscription, sort sous serre, « alors que la maison d’éditions n’était pas encore officiellement créée, mais qu’elle existait dans une « couveuse d’entreprise » depuis juillet 2005. » En novembre 2006 la SARL est lancée. L’éditeur a trouvé les ressources morales de quitter la rue dans sa rencontre avec l’association Solidarités Nouvelles face au Chômage. Il retrouve un peu de son identité, celle « qui ne se caractérise pas, surtout, par l’étiquette qu’on nous flanque, chômeur, sdf, informaticien, manœuvre… mais par ce qu’on fait et ce qu’on pense. »
Les premiers textes qui éclosent reflètent déjà la ligne éditoriale de La ramonda. « Tout d’abord j’ai eu la possibilité d’écrire un petit texte sur le manque d’argent quand on se trouve en situation d’exclusion. » Le texte a plu et il sera repris entre autres par Esprit et Alternatives économiques. Puis il replante un vieux projet. « Depuis quelques années j’écrivais pour des amis de petits cahiers sur l’Aragon. J’ai alors décidé d’éditer des textes qui auraient un rapport avec ces sujets bien différents : l’exclusion et l’Aragon. » Hormis les orages de la vie de l’ancien chômeur, ce qui relie les deux thèmes c’est le lien symbolique entre « la résistance aux marges dans des conditions difficiles, (et) l’utopie du renouveau printanier qui ne se soucie ni des stériles rocs ni des montagnes frontières » comme on peut le lire sur le site de La ramonda. L’éditeur revendique sa part de rébellion contre l’actuelle division du travail. « On assiste à une chose curieuse : plus les machines devraient permettre à chacun d’obtenir une certaine autonomie, plus le travail est parcellisé, éclaté. Au point que ce travail perd tout sens ! Je n’ai pas cette conception de la vie ni du progrès. » Comme une méfiance aussi envers les professionnels, tellement spécialisés, selon lui, qu’ils ne savent plus pourquoi ils travaillent ni à quoi peut bien servir ce qu’ils font. « Il ne faut pas écouter ceux qui se présentent comme spécialistes mais ceux qui s’intéressent à votre projet », résume-t-il.
Les éditions publient également une revue sur l’Aragon et des livrets hors-série, comme celui à paraître sur le chanvre textile. En projet également, un beau livre sur la Creuse et des romans espagnols. Le premier est sorti début octobre. Du givre sur les épaules est le premier roman de Lorenzo Mediano. L’histoire d’un amour impossible dans ces Pyrénées dont, selon Charles, on ne saura jamais si elles sont une barrière ou un trait d’union.

« L’universel c’est le local moins les murs »

L’Aragon est plus qu’une passion pour l’éditeur, une partie de sa vie. C’est « une région proche, injustement méconnue. Profondément européenne ». Car malgré son ancrage régional, La ramonda se définit comme européenne. « Je suis abasourdi par l’attitude générale des personnes – qui se disent toutes Européens convaincus – qui ne peuvent concevoir que l’on vende des livres espagnols en France ou l’inverse !! » L’Europe selon Charles ce n’est pas celle qui se construit « contre la Chine, l’Inde, les EUA, où je ne sais qui ». Pour lui, il ne sait plus où il a lu ça, « l’universel c’est le local moins les murs ». Il lui semble indispensable de « s’ancrer dans la vie des personnes et des régions pour parler de l’Homme. Sinon, on se met à dire des bêtises sur un Homme imaginé, virtuel dirait-on aujourd’hui. » Lui n’a aucun mal à se penser Européen, Limousin, Occitan, méditerranéen, citoyen français ou du monde. « L’Europe, nous n’avons pas à la construire, elle existe depuis au moins le paléolithique (les peintures de cette époque ont des caractères communs), en tout cas le néolithique. En revanche ce qu’il nous reste, et nous restera toujours à faire c’est de se rencontrer, se comprendre. » Des rencontres qu’il faut savoir provoquer. Comme par exemple au salon de Pau, « à 70 km de l’Espagne ! ». Il a souhaité inviter sur son stand la maison d’édition espagnole de Mediano. « Lorsque j’en ai parlé aux organisateurs, ils m’ont répondu que jusqu’à présent cela ne s’était jamais fait et ils ont été enthousiastes ! »

S’il devait être une fleur, Charles se sentirait bleuet, « piquant et sauvage, au milieu d’un champ de blé OGM ». Mais c’est en éditeur patient que Charles cultive son jardin. Depuis quelques mois, La ramonda est aussi devenue une librairie virtuelle. Charles pense qu’il y a la place dans le champ des éditions pour sa fleur des montagnes. « Mais bon, peut-être qu’il faudrait revenir dans dix ans pour voir où nous en sommes ? J’aime bien cette phrase d’Antonio Machado : caminante, no hay camino, se hace camino al andar. » Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant… Sur ceux, fleuris et escarpés des Pyrénées, pour La ramonda.


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Du givre sur les épaules
En octobre, La ramonda a publié Du givre sur les épaules (lire le 1er chapitre), la traduction du premier roman de Lorenzo Mediano. Médecin, spécialiste de la survie en montagne, celui-ci connaît un véritable succès en librairie de l’autre côté des Pyrénées. Son premier roman, il y en a eu d’autres ensuite, s’est vendu à 20 000 exemplaires. Charles Mérigot présente ainsi ce livre né de l’oralité, au cours de veillées : « Tout d’abord c’est un roman de passion et d’aventures dans les Pyrénées. La vie d’un jeune berger amoureux de la fille de son patron, grand propriétaire. Une autre façon de présenter le livre est qu’il s’agit d’une description des relations sociales dans les montagnes aragonaises juste avant qu’éclate la Guerre civile. Enfin, on peut y voir aussi une réflexion sur la façon de « dire l’histoire » d’une société qui doit continuer à vivre après un massacre auquel tous ont plus ou moins participé. Cela peut évidemment s’appliquer à l’Espagne, mais hélas à bien d’autres nations ou sociétés. »

Article paru sur le site d'info culturelles Plan-neuf le 17 décembre, au lendemain de l'attribution du prix Vivre livre des lecteurs du Val-d'Isère au roman de Mediano, Du Givre sur les épaules.


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