Traduction du communiqué publié le 3 mars 2022 sur le site de liaison zapatiste et intitulé "NO HABRÁ PAISAJE DESPUÉS DE LA BATALLA" et consultable ici.
COMMISSION SEXTA ZAPATISTE,
Mexique.
IL N'Y AURA PAS DE PAYSAGE APRÈS LA BATAILLE
(À propos de l’invasion de
l’Ukraine par l’armée russe).
2 mars 2022.
Aux signataires de la Déclaration pour la Vie :
À la Sexta nationale et internationale :
Compañer@s et frœurs :
Nous vous livrons nos mots et pensées sur ce qui a
actuellement cours dans la géographie que vous appelez Europe :
PREMIÈREMENT.- Il y a une force d’agression, l’armée russe.
IL y a des intérêts du grand capital en jeu, de chaque côté. Ceux
qui souffrent des délires des uns et des habiles calculs économiques
des autres, ce sont les peuples de Russie et d’Ukraine (et, sans
doute bientôt, ceux d’autres géographies proches ou lointaines).
En tant que zapatistes que nous sommes, nous ne soutenons ni l’un
ni l’autre État, mais celleux qui luttent pour la vie contre le
système.
Lors de l’invasion multinationale de l’Irak (il y a presque 19
ans), avec l’armée nord-américaine à sa tête, il y eut des
mobilisations dans le monde entier contre cette guerre. Personne, en son jugement sain, ne pensait que s’opposer à l’invasion
signifiait se tenir aux cotés de Sadam Hussein. La situation est
aujourd’hui similaire, bien que non identique. Ni Zelensky ni
Poutine. Halte à la guerre.
DEUXIÈMEMENT.- Différents gouvernements se sont alignés sur
l’un ou l’autre camp, le faisant par calculs économiques. Il n’y
a aucune évaluation humaniste en eux. Pour ces gouvernements et
leurs « idéologues » il y a de bonnes et de mauvaises
interventions-invasions-destructions. Les bonnes sont celles
réalisées par leurs partisans, et les mauvaises celles perpétrées
par leurs opposants. L’acclamation de l’argument criminel de
Poutine pour justifier l’invasion militaire de l’Ukraine, se
changera en lamentations quand, avec les mêmes mots, il justifiera
l’invasion d’autres peuples dont les processus ne seraient pas du
goût du grand capital.
Ils envahiront d’autres géographies pour les sauver de la
« tyrannie néonazie » ou pour en finir avec les
« narco-États » voisins. Ils reprendront alors les mêmes
mots que Poutine : « nous allons dénazifier » (ou
son équivalent) et ils abonderont en "raisonnements" de
"danger pour leurs peuples". Et alors, comme nous le disent
nos compañeras en Russie : « Les bombes russes,
les roquettes, les balles volent vers les ukrainiens et ne leur
demandent pas leurs opinions politiques et la langue qu’ils
parlent », mais en changeant la « nationalité »
des uns et des autres.
TROISIÈMEMENT.- Les grandes capitales et leurs gouvernements en
« Occident » se sont assis et ont observé – et même
encouragé – la détérioration de la situation. Puis, l’invasion
commencée, ils ont attendus de voir si l’Ukraine allait résisté,
en faisant les comptes des profits à tirer de l’une ou l’autre
issue. Puisque l’Ukraine résiste, ils ont alors commencé à
émettre des factures pour leur « aide », qui seront
payées plus tard. Poutine n’est pas le seul surpris par la
résistance ukrainienne.
Ceux qui gagnent dans cette guerre sont les grands consortiums
d’armement et les grands capitales qui voient l’opportunité de
conquérir, détruit/reconstruire des territoires, c’est à dire,
créer de nouveaux marchés pour les biens et les consommateurs, pour
les personnes.
QUATRIÈMEMENT.- Plutôt que de nous fier à ce que diffusent les
médias et les réseaux sociaux des camps respectifs – et que tous
présentent comme des « informations » -, ou aux
« analyses » dans la subite prolifération d’experts en
géopolitiques et les aspirants du Pacte de Varsovie et de l’OTAN,
nous avons décidé de chercher et interroger celleux qui, comme
nous, sont engagé.e.s dans la lutte pour la vie en Ukraine et en
Russie.
Après plusieurs tentatives, la Commission Sexta Zapatiste a
réussi à entrer en contact avec nos proches en résistance et
rébellion dans les géographies qu’ils appellent Russie te
Ukraine.
CINQUIÈMEMENT.- En résumé, nos proches, qui brandissent la
bannière du @ libertaire, restent fermes : en résistance
celleux qui sont au Donbass, en Ukraine ; et en rébellion
celleux qui cheminent et travaillent dans les rues et les champs de
Russie. Des personnes sont arrêtées et battues en Russie pour avoir
protesté contre la guerre. Des gens sont tués en Ukraine par
l'armée russe.
Ce qui les unis entre eux, et eux à nous, ce n’est pas
seulement le NON à la guerre, c’est aussi le refus de
« s’aligner » avec des gouvernements qui oppriment leur
peuple.
Au milieu de la confusion et du chaos de chaque côté, leurs
convictions leur font garder le cap : leur lutte pour la
liberté, leur refus des frontières et de leurs États-Nations, et
les oppressions respectives qui ne changent que de drapeaux.
Notre devoir est de les soutenir à la mesure de nos possibilités.
Un mot, une image, un air, une danse, un poing qui se lève, une
accolade – même depuis des géographies éloignées – sont aussi
un soutien qui donnera du courage à leurs cœurs.
Résister c’est persister et l’emporter. Nous soutenons ces
proches dans leur résistance, c’est à dire dans leur lutte pour
la vie. Nous le leur devons et nous nous le devons à nous-mêmes.
SIXIÈMEMENT.- Pour les raisons ci-dessus, nous appelons la Sexta
nationale et internationale ne l’ayant pas encore fait, à, selon
vos calendriers, géographies et manières, manifester contre la
guerre et en soutien aux ukrainien.ne.s et russes qui luttent dans
leurs géographies pour un monde de liberté.
De même, nous appelons à soutenir économiquement la résistance
en Ukraine sur les comptes qu’ils nous indiqueront en temps voulu.
De son côté, la Commission Sexta de l’EZLN fait sa part, en
envoyant un peu d’aide à celleux qui, en Russie et en Ukraine,
luttent contre la guerre. Nous avons également débuté des contacts
avec nos proches en SLUMIL K´AJXEMK´OP
afin de créer un fond de
soutien financier
commun pour celleux
qui résistent en Ukraine.
Sans faiblir, nous crions et
appelons à
crier et exiger : L'armée russe hors d'Ukraine.
-*-
Il faut arrêter la guerre maintenant. Si elle continue et, comme
c’est prévisible, s’intensifie, alors peut-être n’y aura-t-il
plus personne pour raconter le paysage après la bataille.
Voilà un conte de fée issu de la visite des zapatistes en Europe rebelle. Son auteur, Marcello Galbazzi est un enfant de quatre ans.
Comme il l'explique lui-même à la fin de son histoire, il ne sait ni lire ni écrire. C'est donc avec l'aide de sa grand-mère et de sa tante qu'est né ce conte, dont le style et le ton convient parfaitement à l'épopée zapatiste.
Ce conte doit beaucoup à la rencontre intercontinental et à ce voyage insensé initié par les zapatistes. Et pour Marcello, a certainement compté le Commando Palomitas, formé d'enfants zapatistes qui, elleux aussi, ont envahi le vieux continent.
Le conte en version originale et illustré est visible en PDF en suivant ce lien.
Traduction du SerpentⒶPlumes, à partir de l'article paru le 12 janvier sur le site desinformemonos.
IL ÉTAIT UNE FOIS
Ilustración: Alessandra “Supertramp” Testi
Il était une fois un enfant avec des lunettes qui vivait en Italie,
dans une petite ville de Llanura Padana (elle s’appelait ainsi
parce que c’est très facile), l’une des zones les plus polluées
d’Europe.
Cette pollution
était en partie due au fait que les montagnes qui la bordaient
bloquaient les vents qui auraient du emporter les mauvaises vapeurs,
mais également au fait qu’il y avait trop de voitures, trop de
maisons et de centres commerciaux. Bien trop de tout ce qui fait que
l’air est malsain. Il y avait encore des parcs et des arbres dans
cette ville, mais l’enfant aux lunettes rêvait de bien plus.
Ses lunettes bleues
et vertes étaient magiques et lui permettaient de voir, parfois, des
choses extraordinaires, mais tellement belles, comme cette nuit
d’octobre lorsque le ciel se fit si noir et qu’en haut apparut
une grande étoile rouge avec une grande corde pendant vers le bas,
comme si c’était un grand ballon, mais vraiment énorme… et
aussi, l’étoile parlait !!!
« Salut enfant
aux lunettes, veux-tu venir avec moi visiter un lieu merveilleux et
plein de bons amis et de bonnes amies ? Attrape la corde et
allons-y. Je suis une étoile magique ! »
« Bien sûr !
- répondit l’enfant – Où m’emmènes-tu ? »
« Mmmmmh, ce
sera une surprise, ta maman, ton papa et ta grand-mère connaissent
déjà ce lieu merveilleux ! Dépêche-toi ! »
L’enfant saisi la
corde qui pendait à l’étoile et s’envola, mais pendant qu’il
se trouverait au-delà des nuages, grâce à ses lunettes magiques il
pourrait encore voir la terre en-bas...
Survolant une partie
de l’Italie, puis l’Espagne et le Portugal, il vit que l’air
qui enveloppait ces terres était gris et avait mauvaise odeur. Puis
il arriva à l’Océan Atlantique, si bleu, lumineux et transparent
que l’enfant pouvait voir jusqu’aux poissons sous l’eau, les
grands, les petits, ceux de couleurs… Et puis vinrent d’autres
terres, avec de drôles d’arbres qu’il n’avait jamais vu
auparavant et des gens qui parlaient une langue différente et
tellement jolie.
« Nous sommes arrivés – dit l’étoile rouge –
accroche-toi bien, parce que l’atterrissage va être un peu
compliqué ».
Et il en fut effectivement ainsi, il fallut faire un slalom entre
les arbres très hauts appelés Ceibas, qui sont très vieux et
sages, puisque les arbres aussi savaient parler. Sur leurs branches
il y avait toute sorte d’animaux, d’insectes, de papillons aux
milles couleurs, il y avait même un scarabée très étrange, vêtu
d’une armure médiévale : il s’appelait Don Durito de la
Lacandona, et lui aussi était en train d’écrire un conte sur une
feuille tout en fumant sa pipe.
Et ainsi que l’avait dit l’étoile, l’atterrissage ne fut
pas des meilleurs. L’enfant aux lunettes tomba sur un escargot qui
s’appelait Escargot.
Escargot étendit son visage curieux et dit : « Comme
tu es étrange, enfant aux lunettes, et la façon dont tu parles…
Tu
dis des mots qui ne sont pas dans mon vocabulaire, mais que j’ai
déjà entendu lorsque avec un bateau un peu délabré appelé La
Montagne j’ai été faire un tour, oups, une tournée, en Europe ».
« Et
bien voilà, nous nous sommes rencontrés !!! Dis-moi, s’il te
plaît, quel est ce lieu si beau, empli de couleurs et avec
une si bonne odeur dans
l’air ».
« C’est la terre des Zapatistes, elle s’appelle Chiapas,
un lieu que nous voulons préservé, tel que tu le vois en ce
moment-même, plein d’animaux, d’insectes et de vie. Pour nous la
terre est une maman qui donne amour, bonheur et alimentation à ses
fils et ses filles, que nous sommes. Une maman qui nous enseigne que
tous méritent de trouver leur place, de s’aimer, et que chacun,
selon ses capacités, doit respecter les autres ainsi que sa terre
mère ».
« C’est magnifique ! Là où je vis ce n’est pas
comme ça, il y a beaucoup de gens qui exploitent la terre, notre
maman, comme tu dis, et ce faisant la rendent malade, car ils
utilisent des poisons pour que les légumes, le blé et le maïs
grandissent plus vite. D’autres ne lui permettent pas de respirer
et l’étouffent sous des maisons et des gratte-ciel. Mais tous ne
sont pas mauvais, bien qu’ils ne soient pas nombreux, il y a des
gens qui aiment beaucoup la maman-terre ».
« Ici aussi c’est comme ça – répondit Escargot – il
y a de mauvaises personnes qui viennent avec des soldats pour voler à
notre maman-terre l’eau et les minéraux et transformer les terres
qui nous donnent de quoi manger en prés pour leurs vaches. Ils nous
jettent de nos maisons et nous obligent à monter dans les montagnes,
là où il n’y a que des pierres et beaucoup de froid. Il y en a
d’autres, des mauvais, qui veulent construire des centrales, des
chemins de fer et des usines sur notre terre. Nous, nous ne voulons
pas, c’est pour ça que nous nous sommes réunis au sein de l’EZLN
(l’Armée Zapatiste de Libération nationale).
« N’aie pas peur. Oui nous sommes une armée, mais nos
armes sont les mots, nos initiatives et la manière que nous avons de
nous organiser. Nous voulons créer une meilleure manière de vivre…
je vais essayer de t’expliquer ça : Il y a plus de 500 ans
d’autres mauvaises personnes, qui étaient européens comme toi,
envahirent nos terres et firent de nous leurs esclaves. Ils nous
maltraitaient, nous devions travailler pour eux pendant qu’ils nous
frappaient et nous humiliaient. Personne ne prenait soin de nous et
nous ne pouvions pas aller à l’école. C’était l’enfer.
Alors, nous nous sommes réunis et avons dit ASSEZ ! Nous
parlions beaucoup entre nous de ce qu’il était possible de faire
et beaucoup de temps a passé. Nous avons finalement trouvé un
accord et tous ensemble nous avons construit nos écoles et nos
hôpitaux. Nous avons décider de cultiver ensemble la terre-mère et
cela nous a rendu heureux ».
« C’est merveilleux, Escargot, moi aussi je veux vivre
comme ça ! Tu sais ce que je vais faire ? Je vais rester
ici ».
L’enfant aux lunettes grimpa sur le dos d’Escargot et alla
(très lentement, parce que comme disent les zapatistes, les
escargots, bien que lentement, avancent) voir de ses propres yeux ce
que signifiait vivre ensemble, être, comme disent les anciens, une
communauté, et ce qu’il vit était tellement beau.
Dans la communauté il y avait beaucoup de mamans et de papas, de
grand-pères et de grand-mères. Ils se levaient tôt pour aller
travailler au champ et pendant qu’ils récoltaient le maïs, leurs
enfants allaient à l’école, pas dans les écoles du mauvais
gouvernement, mais dans celles qu’avaient imaginées et construites
leurs parents. Leurs maîtres étaient des enfants plus grands et
plus grandes, il n’y avait pas de notes, de devoirs ni de diplômes.
L’école autonome apprenait à penser et à vivre.
Les parents, cependant, allaient ensemble avec toute la communauté
travailler le champ et pendant qu’ils récoltaient le maïs, les
haricots et le café, ils parlaient et s’aidaient, heureux parce
qu’en étant ensemble le temps passait bien que le travail fut
pénible.
Au retour ils se réunissaient pour le dîner et pour passer plus
de temps ensemble : Les enfants pour jouer et les adultes pour
bavarder.
Il arrivait souvent que tous, enfants inclus, se réunissent en
assemblée pour décider de tout ce qui avait trait à la communauté,
tous disaient ce qu’ils pensaient et ensuite ils décidaient
ensemble.
La voix des enfants était aussi écoutée, mais surtout celle des
grand-pères et grand-mères, qui sont les plus sages.
Les communautés vivaient en petits villages au milieu de la
jungle, près de leurs champs qu’ils appellent milpa. Tout
autour il y avait des arbres, des fleurs, des oiseaux colorés qui ne
se voient en Europe que dans les documentaires, des fleuves et des
cascades où on peut nager et jouer.
« C’est tellement bien d’être ici » - disait
l’enfant qui à travers ses lunettes magiques pouvait aussi voir le
cœur joyeux de tous ses amis.
« Malheureusement – répondit Escargot – l’heure du
retour approche ! Si tu nous aimes vraiment, tu dois retourner
dans ta maison et raconter à tous ce que tu as vu ici, pour que tes
amis et amies sachent qu’existe une autre manière de vivre,
meilleure, plus juste et plus joyeuse. Reviens quand tu le voudras,
notre maison sera toujours ta maison ! Et lorsque tu seras sur
ta terre, souviens-toi de l’étoile rouge dans l’obscurité de la
nuit, c’est notre bannière !
L’enfant aux lunettes, un peu à contre-cœur, retourna avec sa
maman et son papa en attrapant une nouvelle fois l’étoile rouge,
pendant qu’Escargot, depuis l’ombre d’un ceiba, le saluait et
lui envoyait un baiser en agitant le drapeau de l’EZLN.
PS : Bien que j’ai quatre ans et que je porte des lunettes
qui me servent à voir de près et de loin, très loin, souvenez-vous
que mon histoire, comme toutes les histoires zapatistes, enseigne
quelque chose !
PS2 : Comme je ne sais ni écrire ni lire, j’ai raconté
cette histoire à ma grand-mère pour qu’elle, elle l’écrive,
mais les dessins c’est moi qui les ai fait.
trad' de l'article de Juan Miguel Hernandez Bonilla, paru sur le site de El Pais, titré: “Mamás primera línea”: las colombianas que enfrentan a la policía para salvar manifestantes. À retrouver ici.
Quelques membres du groupe de mamans de la première ligne du Portal de las Americas, au sud de Bogota. - Photo: Camilo Rozo
« Mamans première
ligne » : les colombiennes qui affrontent la police pour
sauver les manifestants
Un groupe de femmes mère célibataire à
Bogota a décidé de s’organiser afin de protéger les jeunes face
à la répression policière pendant les manifestations contre le
gouvernement
Vanessa a 39 ans et est danseuse professionnelle
de tango. Elle a trois enfants. Chaque nuit, avec d’autres mères
du quartier de Bogota où elle vit, elle sort défendre les
manifestants contre la répression de la police. Cette garde
prétorienne improvisée a inscrit le nom de son bataillon sur les
boucliers qu’elles emportent pour se défendre des gaz lacrymogènes
et des coups des anti-émeutes : « Mamans première
ligne ».
Les mères se sont connues et sont devenues amies
durant les premiers jours de la mobilisation sociale contre le
gouvernement de Ivan Duque il y a trois semaines. « Cela
faisait plusieurs nuits qu’on voyait avec peur et angoisse comment
la police attaquait nos jeunes qui sortaient manifester pour leurs
droits », raconte Vanessa tout en couvrant une partie de son
visage d’un bandana noir. Et elle continue : « Nous
sommes arrivées à la conclusion que si nous voulions faire un
travail social, nous devions le faire bien : en première ligne,
opposant le corps pour défendre les manifestants ».
Le lendemain de la création du groupe, les mamans
recherchèrent dans les poubelles du quartier Keneddy, au sud de la
capitale, des morceaux de bois et autres matériaux résistants qui
leur servirait pour se défendre durant les affrontements avec la
police. Elles ne trouvèrent pas grand-chose. Elles se mirent
d’accord pour casser les tirelires avec le peu d’économies qui
leur restait et envoyer faire les boucliers noirs qui dorénavant les
protègent et les identifient. Quelques étudiants de l’université
leur ont offert les lunettes de protection pour les yeux.
« Nous exigeons le minimum : droit au
travail, à l’éducation, à la santé, à un toit, un revenu
basique pour nourrir notre famille », explique Johana, une
femme de 36 ans qui, ces jours-ci, a du laisser à leur grand-mère
ses deux jeunes fils pendant qu’elle sort protéger les
manifestants.
Quelques mamans de première ligne devant le mural en leur honneur. - Photo: Camilo Rozo
Elle, et les autres mamans, ne sont qu’un petit
échantillon des 21 millions de personnes, 42 % de la population
totale en Colombie, qui est actuellement pauvre et survit avec moins
de 70€ par mois. En plus d’être sans emploi, toutes les mamans
de première ligne sont responsable de foyer, mères célibataires
ayant du éduquer seules leurs enfants. « Les papas ne
répondent presque jamais, n’apparaissent pas, ne donnent pas
d’argent, et donc nous devons sortir gagner l’argent quotidien
pour tenir la maison », explique Johana.
Les mères comptent maintenant de nombreux
affrontement avec la police, qui a également été cible d’attaques.
« Nous savons qu’à n’importe quel moment on peut perdre la
vie », dit Johana. Leurs peurs ne sont pas infondées. Depuis
les 21 jours que compte la grève en Colombie, la police est
responsable de la mort d’au moins 14 personnes, selon le dernier
rapport de Human Right Watch.
Eileen, l’aînée des mamans, dernière arrivée
dans le groupe, avait peur. « J’y ai beaucoup pensé à tête
reposée, mais c’est le minimum que je puisse faire pour soutenir
les jeunes qui luttent pour nos droits », explique-t-elle, et
c’est ainsi qu’elle s’est jointe à elles.
Carlos joue dans les divisions mineures d’une
équipe de la capitale. Il s’est converti en leader de la première
ligne de défense du Portal Americas, la zone où opèrent les
mamans. Il commande un groupe de jeunes hommes du quartier qui toutes
les nuits depuis qu’ont commencé les protestations tente de
protéger les manifestants des bombes à projectiles électrifiés,
les balles de caoutchouc et
les jets d’eau que lance la police. « Pour nous, elles sont
un soutien important », dit Carlos, qui tout comme les autres
interviewées préfère ne pas dire son nom.
Depuis que les
mamans sont en première ligne certains policiers y pensent à deux
fois avant de les réprimer. « Au final, on a tous une maman »,
ont dit certains agents en les voyant pour la première fois.
Daniela, une jeune fille chargée des communications de l’espace
communautaire qui s’est créé là
où résistent les jeunes et les mamans, explique que ce qui est en
train de se passer est un changement profond dans l’image que la
société civile se fait
des manifestants. « C’est
beau que les mamans se soit jointes à la résistance car elles
renversent cette idée que les personnes qui sont dans les premières
lignes des manifs sont des vandales ».
Elles insistent
sur le fait que leur fonction est de protéger la vie. « Je
crois qu’un bus qui brûle,
les vitrines brisées d’un magasin, ou les murs peints ne sont en
rien comparable à la vie d’un être humain, qu’il soit policier
ou manifestant. La vie n’a pas de prix », disent-elles
ensemble. Leur règle principale est de ne jamais se séparer :
« Si ils en attaquent une, ils nous attaquent toutes ».
Traduction du Serpent@Plumes du communiqué de l'EZLN paru sur le site de liaison zapatiste le 17 avril 2021. À retrouver ici.
ESCADRON
421.
(La délégation maritime zapatiste).
Avril 2021.
Le calendrier ? Un matin du quatrième mois. La géographie ?
Les montagnes du sud-est mexicain. Un silence soudain s’impose aux
grillons, à l’aboiement distrait et lointain des chiens, à l’écho
d’une musique de marimba. Ici, dans les entrailles des collines, un
murmure plus qu’un ronflement. Si nous n’étions pas où nous
sommes, on aurait pu penser que c’était la rumeur de la pleine
mer. Pas les vagues se brisant sur la côte, la plage, la falaise
délimité par une entaille capricieuse. Non, quelque chose de plus.
Et puis… une longue plainte et un tremblement intempestif, bref.
La montagne se lève. Elle retrousse, avec pudeur, un peu ses
jupons. Non sans efforts, elle arrache ses pieds à la terre. Elle
fait le premier pas dans un geste de douleur. Les plantes de cette
petite montagne, bien loin des cartes, des circuits touristiques et
des catastrophes, saignent maintenant. Mais ici tout est complicité,
ainsi une pluie anachronique lui lave les pieds et, avec la boue, lui
soigne ses blessures.
« Prends soin de toi, ma fille », lui
dit la Ceiba mère. « Courage », énonce le huapác
comme pour lui-même. L’Ibijau
jamaïcain la guide.
« Vers l’est,
amie, vers l’est »,
dit-il tout en bondissant d’un côté à l’autre.
Vêtue d’arbres, d’oiseaux
et de pierres, chemine la montagne. Et sur son passage, s’accrochent
aux bords de son jupon, qui
des hommes, qui
des femmes, qui n’est ni
les unes ni les autres, des filles et des garçons somnolents. Illes
grimpent sur son chemisier, escaladent
la cime
de ses seins, suivent ses
épaules et, là au sommet de sa chevelure, s’éveillent.
À l’est le soleil, ayant à peine
point à l’horizon, retient un peu son idiote et quotidienne ronde.
Il lui a semble voir que marche, avec une couronne d’êtres
humains, une montagne. Mais au-delà du soleil et de quelques nuages
gris oubliés par la nuit, personne ici ne semble s’étonner.
« C’est bien ce qui était écrit »,
dit le Vieil Antonio pendant qu’il affûte la machette à double
tranchant, et la Doña Juanita acquiesce d’un soupir. Dans le
fourneau ça sent le café et la maïs cuit. À la radio
communautaire passe une cumbia. Les paroles parlent d’une légende
impossible : une montagne naviguant à rebrousse-poil de
l’histoire.
-*-
Sept personnes, sept zapatistes, forment la fraction maritime de
la délégation qui visitera l’Europe. Quatre sont des femmes, deux
sont des hommes et unE est autre. 4, 2, 1. L’escadron 421 se trouve
actuellement cantonné au dit « Centre de Formation
Maritimo-Terrestre Zapatiste », situé dans la Pépinière
Commandante Ramona de la zone Tzotz Choj.
Ça n’a pas été facile. Et même, ce fut tortueux. Pour
parvenir à ce calendrier, il nous a fallu affronter objections,
conseils, découragements, appels à la mesure et à la prudence,
francs sabotages, mensonges, grossièretés, décomptes détaillés
des difficultés, ragots et insolences, et une phrase répétée
jusqu’à l’écœurement : « ce que vous voulez faire
est très difficile, pour ne pas dire impossible. » Et, bien
sûr, en nous disant, nous ordonnant, ce que nous devons faire et ne
pas faire. Tout cela, de ce côté et de l’autre de l’océan.
Évidemment, tout cela sans parler des obstacles du suprême
gouvernement et de sa bureaucratie ignorante, idiote et raciste.
Mais de tout ça je vous parlerai à une autre occasion. Là je
dois vous parler un peu de notre resplendissante délégation
zapatiste maritime.
Les 4 femmes, les deux hommes et lela autre sont des êtres
humains. On leur a fait passer le Test de Turing, avec quelques
modifications que j’ai considéré pertinentes, afin d’écarté
que l’unE d’entre-elleux, ou toustEs soit un organisme
cybernétique, un robot quoi, capable de danser la cumbia du Sapito
trompant le pas. Ergo, les 7 appartiennent à la race humaine.
Les 7 sont nées sur le
continent qu’ils appellent « Amérique », et le fait
qu’illes
partagent douleurs et rages avec d’autres peuples originaires de ce
côté-ci de l’océan, fait d’elleux des Latino-américains.
Illes sont,
également, mexicainEs
de naissance, descendantEs
des peuples originaires mayas, selon
ce qu’on a constaté auprès de leurs familles, leurs voisins et
connaissances. Illes sont aussi zapatistes, avec les papiers des
municipalités autonomes et des Conseils
de Bon Gouvernement qui en attestent. Illes ne
portent aucun
délit prouvé et qui n’aurait pas été sanctionné en son temps.
Illes
vivent, travaillent, tombent malades, se soignent, aiment, se
quittent, rient, pleurent, se souviennent, oublient, jouent, sont
sérieuxes, prennent des notes, cherchent prétexte, en somme, illes
vivent dans les montagnes du Sud-est mexicain, au Chiapas, Mexique,
Amérique Latine, Planète Terre, etc.
Les 7, en plus, se sont
proposéEs comme volontaires pour faire la traversée par la mer –
chose qui n’a pas provoqué beaucoup d’enthousiasme dans la
grande variété de zapatistes de tous âges -. Ou plutôt, pour
mettre les choses au clair, personne ne
voulait voyager en bateau. À quel point a contribué à cela la
campagne de terreur déchaînée par Esperanza et toute la bande de
Défense Zapatiste, synthétisé
dans le célèbre algorithme de « toustes vont mourir
misérablement » ? Je n’en sais rien. Mais le fait
d’avoir battu les réseaux sociaux, whatsapp
inclus, sans aucun avantage
technologique (allez, sans même in signal rural de portable), m’a
motivé à mettre mon petit grain de sable de plage.
C’est ainsi que mû par ma
sympathie pour la bande de Défense Zapatiste, j’ai demandé la
permission au SubMoy de
parler à la délégation qui, entre cris, hurlements et rires
d’enfants, se préparait pour l’invasion qui n’est pas une
invasion… enfin, si ça l’est, mais c’est quelque chose de,
disons, unanime. Quelque chose comme un internationalisme
sado-masochiste qui, évidemment, ne sera pas bien vu par
l’orthodoxie faite avant-garde, laquelle, comme il se doit, est
tellement devant les masses, qu’on n’arrive plus à la
voir.
Je me présentais à l’assemblée
et, prenant ma plus belle
figure de tragédie, je leur racontais des choses horribles de
haute-mer : les « vomitos »
interminables ; la vaste monotonie de l’horizon ;
l’alimentation pauvre en maïs, sans pop-corn et – horreu !
- sans sauce Valentina ;
l’enfermement avec d’autres personnes pour plusieurs semaines –
avec qui, les premières heures, tu échanges des sourires et des
attentions, et peu après des regards qui tuent - ; j’ai aussi
décris, avec luxe de détails, des tempêtes terribles et des
menaces inconnues ; je me suis référé au Kraken
et, par une de ces manies
littéraires, je leur parlais d’une gigantesque baleine blanche qui
cherchait, furieuse, à qui arracher la jambe, ce qui privera la
victime de tout rôle décent pour la cumbia la plus lente. Ce fut
inutile. Et je dois vous confesser, non sans mon orgueil de genre mal
blessé, que ce sont des femmes qui dirent : « en
bateau », lorsqu’on leur a présenté l’option de voyage
par mer ou par air.
C’est
ainsi que se sont inscrites pas 7, pas 10, pas 15, mais plus de 20.
Même la petite Veronica, de 3 ans, s’est inscrite quand elle a
entendu l’histoire de la baleine assassine. Oui, incompréhensible.
Mais maintenant qu’illes la connaisse (la fillette, pas la
baleine), illes compatiront. Je veux dire, illes compatiront avec
Moby Dick.
Alors, pourquoi seulement 7 ? Eh
bien, je pourrai vous parler des 7 points cardinaux (devant,
derrière, un côté, l’autre côté, le centre, le bas et le
haut), des 7 premiers, ceux qui mirent le monde au jour, et ainsi de
suite. Mais la vérité c’est que, loin des symboles et des
allégories, le nombre se doit à ce que la majorité n’a pas
encore eu son passeport, et bataille toujours pour l’obtenir. Je
vous parlerai de ça plus tard.
Bien, mais je suis sûr que vous, ces problèmes ne vous
intéressent pas. Vous, ce que vous voulez c’est savoir qui va
naviguer sur « La Montagne », traverser l’Océan
Atlantique, et envahir… argh, je voulais dire, visiter l’Europe.
Et donc je mets ici leurs photos et un bref portrait :
-*-
Lupita. 19 ans. Mexicaine de naissance. Tzotzil des Altos
du Chiapas. Elle parle sa langue maternelle, le tzotzil, et le
castillan avec fluidité. Elle sait lire et écrire. Elle a été
coordinatrice locale des jeunes, coordinatrice régionale des jeunes,
et administratrice locale du travail collectif. Musique qu’elle
aime : pop, romantiques, cumbias, balades, électronique, rap,
hip hop, musique andine, musique chinoise, révolutionnaires,
classiques, rock des années 80 (c’est comme ça qu’ils ont dit),
mariachis, musique traditionnelle de son peuple… et le regueton
(note de la rédaction : si ce n’est pas « un monde où
tiennent beaucoup de mondes », je ne sais pas ce que c’est.
Fin de la note). Couleurs préférées : noir, rouge, cerise et
café. Expérience maritime : quand petite elle a voyagé en
canot. Elle s’est préparée pendant 6 mois pour devenir déléguée.
Volontaire pour voyager en bateau vers l’Europe. Elle aura la
fonction de Tierce Compa lors de la traversée par mer.
-*-
Carolina. 26 ans. Mexicaine de naissance. D’origine
Tzotzil des Altos du Chiapas, maintenant Tzeltal de la forêt
Lancandona. Elle parle sa langue maternelle, le tzotzil, en plus du
tzeltal et le castillan avec fluidité. Elle sait lire et écrire.
Mère célibataire d’une fille de 6 ans. Sa mère l’aide à
prendre soin de sa fille. Elle a été coordinatrice de « comme
femmes que nous sommes » et élève de formation vétérinaire.
Elle est actuellement Commandante à la direction
politico-organisationnelle zapatiste. Musique qu’elle aime :
pop, romantique, cumbias, rock des années 80 (c’est comme ça
qu’ils ont dit), de groupe et révolutionnaires. Couleurs
préférées : crème, noir et cerise. Expérience maritime :
canot quelque fois. Elle s’est préparée pendant 6 mois pour
devenir déléguée. Volontaire pour voyager en bateau vers l’Europe.
-*-
Ximena.
25 ans. Mexicaine de naissance. Cho’ol du nord du Chiapas. Elle
parle sa langue maternelle, le cho’ol, et le castillan avec
fluidité. Elle sait lire et écrire. Mère célibataire d’une
fille de 6 ans. Sa mère la soutien en prenant soin de sa
fille. Elle a été coordinatrice de jeunes et actuellement elle est
Commandante à la direction politico-organisationnelle zapatiste.
Musique qu’elle aime : cumbias, tropicales, romantiques,
révolutionnaires, rock des années 80 (c’est comme ça qu’ils
ont dit), électronique et ranchera
(musique
popularisée
par les gouvernements issus de la révolution dans les années 30,
ndt).
Couleurs préférées :
violet, noir et rouge. Expérience maritime : quelque fois en
canot. Elle s’est préparée
pendant 6 mois pour devenir déléguée. Volontaire pour voyager en
bateau vers l’Europe. Commandante
en second
de la délégation maritime, après Dario.
-*-
Yuli.
37 ans. Elle fêtera ses 38 ans en pleine mer. D’origine Tojolabal
de la Forêt frontalière,
désormais Tzeltal de la forêt Lacandona. Elle parle le castillan
avec fluidité. Elle sait lire et écrire. Mère de deux enfants :
une fille de 12 ans et un garçon de 6 ans. Son compagnon la soutien
en s’occupant des enfants. Son compagnon est tzeltal, c’est pour
ça qu’ils s’aiment, se disputent et recommencent à s’aimer en
castillan. Elle a été promotrice d’éducation, formatrice
d’éducation (qui préparent les promoteurices d’éducation) et
coordinatrice de collectif local. Musique qu’elle aime :
romantiques, de groupe, cumbia, vallenato
(musique colombienne, ndt), révolutionnaires, tropicale, pop,
marimba, ranchera
et rock des années 80 (c’est comme ça qu’ils ont dit). Couleurs
préférées : noir, café et rouge. Expérience maritime nulle.
Elle s’est préparée pendant 6 mois pour devenir déléguée.
Volontaire pour voyager en bateau vers l’Europe.
-*-
Bernal.
57 ans. Tojolabal de la zone de la forêt frontalière. Il parle sa
langue maternelle, le tojolabal, et le castillan avec fluidité. Il
sait lire et écrire. Père de 11 enfants : le plus grand a 30
ans et la plus petite en a 6. Sa famille le soutien en s’occupant
des petits. Il a été milicien, responsable local, maître de la
petite école zapatiste et membre du Conseil de Bon Gouvernement.
Musique qu’il aime : rancheras,
cumbias, musique huichole, marimba et révolutionnaires. Couleurs
préférées : bleu, noir, gris et café. Expérience maritime :
pirogue et canot. Il s’est préparé pendant 6 mois pour devenir
délégué. Volontaire pour voyager en bateau vers l’Europe.
-*-
Dario.
47 ans. Cho’ol du nord du Chiapas. Il parle sa langue maternelle,
cho’ol, et le castillan avec fluidité. Il sait lire et écrire.
Père de 3 enfants : un de 22 ans, un autre de 9 ans et la plus
petite de 3 ans. Le petit et la petite iront
avec leur mère en Europe par la voie aérienne en juillet. Il
a été milicien, responsable local, responsable régional et,
actuellement, il est Commandant à la direction
politico-organisationnelle zapatiste. Musique qu’il aime :
rancheras
de Bertin et Lalo, tropicales, marimba, musique régionale et
révolutionnaires. Couleurs préférées : noir et gris.
Expérience maritime : pirogue. Il s’est préparé pendant 6
mois pour devenir délégué. Volontaire pour voyager en bateau vers
l’Europe. Il sera le coordinateur de la délégation zapatiste
maritime.
-*-
Marijose.
39 ans. Tojolabal de la zone de la forêt frontalière. Ille parle le
castillan avec fluidité. Ille sait lire et écrire. Ille a été
milicienNE, promotreurICE de santé, promoteurICE d’éducation, et
formateurICE d’éducation. Musique qu’ille
aime : cumbias, romantiques, rancheras,
pop, électronique, rock des années 80 (c’est comme ça qu’ils
ont dit), marimba et révolutionnaires. Couleurs préférées :
noir, bleu et rouge. Expérience maritime : pirogue et canot.
Ille s’est préparéE pendant 6 mois pour devenir déléguéE.
Volontaire pour voyager en bateau vers l’Europe. Ille a été
désignéE comme lela premièrE zapatiste à débarquer et, avec
ille, commencera l’invasion… ok, la visite de l’Europe.
-*-
Ainsi donc la première plante qui se posera sur le sol européen
(bien sûr, si on nous laisse débarquer) ne sera pas celle d’un
homme, pas plus que d’une femme. Elle sera d’unE autre.
Dans ce que le défunt SupMarcos aurait qualifié de « gifle
avec une chaussette noire pour toute la gauche hétéropatriarcale »,
il a été décidé que ce sera Marijose qui débarquera en
premier.
Dès qu’ille posera ses deux pieds sur le territoire européen
et se sera remisE du mal de mer, Marijose criera :
« Rendez-vous visages pâles hétéro-patriarcaux qui
harcelez la différence ! »
Nan, c’est une blague. Mais, quoi, ce ne serait pas bien qu’ille
dise ça ?
Non, en foulant la terre, lela compa zapatiste, Marijose,
dira, d’une voix solennelle :
« Au nom des femmes, des hommes,
des ancien.ne.s et, bien sûr,
des autres zapatistes, je déclare que le nom de cette terre, celle
que ses natifs appellent aujourd’hui « Europe »,
dorénavant sera : SLUMIL K´AJXEMK´OP,
ce qui veut dire « Terre Rebelle », ou « Terre qui
ne se résigne pas, qui ne faiblit pas ». Et c’est
ainsi qu’elle sera connue des siens et des inconnus tant qu’il y
aura ici quelqu’un qui ne se rend pas, qui ne se vend pas et qui ne
flanche pas ».
Je republie ici le texte que j'avais publié lorsque j'avais rejoins la plateforme de blog "antifa-net", qui depuis n'existe plus... toutefois la définition de l'antifascisme que je porte me semble toujours d'actualité.
Je choisi de ne pas retravailler le texte, vous excuserez donc les quelques références datées (UMP, etc).
Bonne lecture
Pourquoi je rejoins antifa-net
Dans Une journée particulière, le film d'Ettore Scola, Mastroianni, poursuivi jusque dans son sixième par les gros bras mussoliniens, s'écrie judicieusement à l'adresse du spadassin qui l'accuse d'anti-fascisme : "Vous vous méprenez, monsieur : ce n'est pas le locataire du sixième qui est anti-fasciste, c'est le fascisme qui est anti-locataire du sixième." Extrait du réquisitoire de Desproges contre Jean-Marie Le Pen, 28 septembre 1982
Ce petit rappel est important car de plus en plus la charge semble s'inverser quand on parle d'antifascisme. Il devient même de plus en plus fréquent dans la bouche et sous la plume de gens de gauche de voir traiter celles et ceux qui se revendique de l'antifascisme... de fascistes ! Éclaircissons donc un premier point avant d'entrer dans le vif du sujet. L'antifascisme est tout autant que le « fascsime » que nous combattons divers. Pour en avoir une idée plus précise je ne peux que vous enjoindre à lire le texte de Réflexes, repris sur le site de la Horde. L'antifascisme dont je me revendique est issu du mouvement antifasciste radical, un mouvement qui n'appréhende la lutte contre le fascisme que comme une des base d'un mouvement révolutionnaire et émancipateur... De même ce que nous pouvons classé sous le vocable de « fascisme » mériterait certainement une analyse plus précise tant les différences entre les mouvements catholiques intégristes, les royalistes, les néo-païens, les nationalistes révolutionnaires ou l'extrême droite électoraliste peuvent apparaître importantes. Toute fois entre ces différents mouvement il existe quelques constantes qui les démarques de partis démocratiques, même réactionnaires tels que l'UMP. N'oublions pas non plus que les mouvements qui ont mené le monde à la guerre dans les années 30 étaient loin d'être unifiés idéologiquement. Entre le nazisme, le fascisme historique italien et le franquisme il y a tout de même des divergences significatives... Mais ce n'est pas le propos de ce billet.
A lire les attaques dont celles et ceux qui ici et ailleurs se revendiquent d'un antifascisme radical sont l'objet, de la part d'hommes et de femmes de gauche, il semble que ces derniers oublient cette évidence que la citation de Desproges nous rappelle fort à propos : c'est bien le fascisme, cette vision autoritaire et totalitaire de la société qui désigne celles et ceux qui sortent du cadre stricte de leur vision du monde à la vindicte : immigrés, juifs, homosexuels, drogués, prostituées, etc. Et si en temps de crise, les partis de la réactions (et même certains partis de gauche institutionnelle) ont une fâcheuse tendance à reprendre cette rhétorique avec plus ou moins de facilité, c'est plus par opportunisme ou calcul électoraliste... voir même selon certains discours afin de siphonner l'électorat extrémiste ! (Reprendre les idées des fachos pour les empêcher de prendre le pouvoir découle d'une logique partidaire à laquelle je suis totalement étranger.)
S'il peut s'habiller au grès des situations d'une parure plus ou moins sociale, le fascisme s'oppose de toutes ses tripes à l'idée d'émancipation sociale. La vision autoritaire que développe la pensée fasciste ne conçoit pas que le peuple puisse gérer la société, que le prolétariat puisse prendre son destin entre ses mains. Dans cette vision du monde, les organisations sociales, féministes, les syndicats, l'ensemble des secteurs où le peuple s'organise par lui-même et pour lui-même sont perçus comme dangereux pour l'ordre social. Le peuple n'est pensé qu'en tant que masse devant obéir à un chef traçant la voie du pays, grâce à une vision claire au service de la puissance de la nation. En cela, il n'est pas d'essence démocratique, même si tactiquement, il peut utiliser le jeux électoral pour accéder au pouvoir. Ce recours à un dieu, à un césar, à un tribun va à l'encontre du mouvement émancipateur dont l'antifascisme radical se revendique. Oui, nous pensons que les prolétaires sont capables d'organiser la société, sans recours aux présidents, directeurs et autres généraux... qu'ils soient de droits divins ou de droits électoral.
L'acceptation de cette idée d'un guide suprême n'est possible dans le peuple qu'en adéquation avec une exaltation de la nation, de la patrie. En effet, le chef représente le garant de l'intérêt national, dépassant les intérêts de classes. Un discours qui s'évertue, parfois subtilement pour s'ouvrir quelques portes à gauche, à confondre souveraineté populaire et souveraineté nationale. Mais derrière cette tromperie linguistique c'est encore une fois une tentative de récupération du mouvement social et de son émancipation. Car cette confusion sémantique se révèle dans les faits un renversement total de la logique. En confondant ainsi intérêts du pays et du peuple on valide par là-même cette idée que patrons et travailleurs doivent composer pour l'intérêt supérieur de la nation. Là encore aucune volonté émancipatrice pour le peuple dans l'idéal fasciste. L'idée que les travailleurs ne peuvent se passer des patrons est la continuité de l'idée que le peuple a besoin d'un chef ou que la famille s'organise autour de l'homme. On en vient alors logiquement à préférer les patrons de son pays, discours d'autant plus audible que l'esprit d'entreprise vanté par les tenants libéraux de nos économies, qu'ils soient de droite ou de gauche, finit par nous faire croire que l'important est de produire, toujours plus, toujours moins cher afin de relancer la croissance... dans l'intérêt supérieur de la nation. Sans aucune considération à la base des besoin des hommes et des femmes, ni prise en compte de l'environnement. Aucune réflexion sur le pourquoi et le comment de nos productions. Le fascisme ne se distingue en cela qu'aux marges des politiques économiques actuelles. En cela aussi, lorsqu'à gauche certains tentent de surfer sur le patriotisme économique ils se trompent de combat. Que signifie de vouloir taxer par exemple Total ? Total exploite les ressources des sous-sols d'un certain nombre de pays. Ce qui revient, dans un système concurrentiel à spolier ces pays d'une partie de leurs richesses. Les retombées pour les pays hôtes sont de deux ordres : des taxes et des salaires. Les unes vont dans les caisses de l'état, les autres dans les poches des travailleurs. Rapatrier les bénéfices d'une entreprise comme Total revient à valider l'idée que l'entreprise appartient à ses dirigeants et pas aux travailleurs. Car sinon, il n'y a aucune raison que les bénéfices produit par les travailleurs dans un pays servent les intérêts des travailleurs du pays des dirigeants. C'est soumettre la valeur ajouté du travail à la nationalité de l'entreprise, de ses capitaux ou de ses dirigeants. Rien ici qui puisse se revendiquer d'une vision pour l'émancipation des travailleurs. Cette confusion est aussi la conséquence d'un discours répandue à gauche qui prétend que les frontières seraient les garantes des intérêts des travailleurs, que c'est la mondialisation économique qui tend à abolir les frontières. Quoi de plus faux quand on voit comme le patronat et les grandes entreprises jouent des différences de protection sociale de chaque pays pour maximiser leurs bénéfices. Les gouvernements quant à eux jouent des délocalisations pour attaquer nos droits. Car si les barrières se lèvent pour les marchandises et les capitaux, il n'en va pas de même pour les droits sociaux ni pour les hommes et les femmes. Poussé à l'extrême ce raisonnement valide l'antienne fasciste « le travail pour les nationaux », que l'on décline ensuite sur les allocations sociales, les soins, l'accès au logement, le droit de vote... Les peuples n'ont décidément rien à espérer d'un repli nationaliste. L'antifascisme que j'espère partager avec vous, sur antifa-net est avant tout une lutte pour l'émancipation, pour la reconnaissance de la diversité, un combat pour l'égalité économique, politique et social, pour la liberté des peuples à s'organiser horizontalement dans une société sans classes, ni gouvernement centralisé, ni normes imposées.
Si aujourd'hui certains à gauche préfèrent dialoguer avec les fascistes, tout en désignant les « antifas » comme des inquisiteurs, c'est peut-être bien le signe le plus inquiétant du glissement à droite de l'échiquier politique. Car, à part quelques putschistes en puissance, la plus part des partis fascistes ont opté, dans une Europe pacifiée, pour une conquête du pouvoir par les urnes. Et dans toute élection, les voix ne se portent pas toujours sur un candidat par choix, mais aussi par dépit, par repoussoir, etc. Ce n'est donc pas un peuple majoritairement fasciste qui porte au pouvoir un parti fasciste... mais des calculs électoraux qui échappent à toute tentatives d'explications simplistes. Si des partis fascistes doivent arriver au pouvoir, ce sera plus certainement par la perméabilité de certains thèmes entre l'extrême droite et une partie de la gauche, et la faillite d'une gauche libérale. Jouer avec les thèmes de l'extrême droite est non seulement un pari risqué dans le jeux démocratique, plus encore en période de crise, mais c'est surtout un renoncement à cette idée d'émancipation, cette volonté d'aller au-delà des contraintes de l'époque en inventant un nouveau vivre ensemble. Cette porosité rouge-brune naît plus encore des passerelles que tissent certains entre une partie de la gauche anti-libérale et des individus de droites plus ou moins extrêmes. C'est au travers des thèses conspirationnistes, d'une écologie plus kaki que verte ou d'un socialisme teinté de nationalisme, que les solutions fascistes infusent aujourd'hui dans la société, bien au-delà du cercle restreint de l'influence des mouvements d'extrême-droite. Les antifascistes seraient devenus les pourfendeurs de la liberté d'expression ? Mais la mouvance fasciste n'a-t-elle pas tout le loisir de s'exprimer dans sa presse, et même plus largement dans les médias dominants ? Pour quelles raisons devrions-nous leur donner la parole dans les quelques espaces où ils n'ont pas tribunes ouvertes ? Ceux qui accusent les antifas de sectarisme en prétextant notre refus de joindre nos voix aux fascistes, en leur ouvrant les colonnes de notre presse, portent une responsabilité dans le confusionnisme idéologique actuel. Quant à dialoguer avec l'extrême droite, sous prétexte à la fois d'ouverture à toutes les idées pour sortir de la crise, ou en espérant pouvoir convaincre les électeurs de partis fascisants, cette stratégie est voué à l'échec. Car, en dialoguant avec des fachos dans le cadre de débats, qui peut-on espérer convaincre ? Les contradicteurs de l'extrême-droite, dont on peut penser qu'ils sont idéologiquement formés ? Le public de ces débats organisés par des mouvements fascisants ? Ils ne constituent de toute façon pas la majorité des électeurs susceptibles de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Au contraire, c'est délivrer une caution démocratique à des écoles de pensées que l'idée du peuple organisé révulse... dès qu'il a glissé son bulletin dans l'urne, pour les mouvements fascistes qui ont fait le choix des urnes. Si vraiment ceux qui prônent le débat avec les fascistes souhaitent convaincre celles et ceux qui peuvent tendre du « côté obscur de la force », ils devraient se battre pour que la liberté d'expression qu'ils défendent pour des mouvements fascistes soit donnée aux forces de l'émancipation social, qui combattent le capitalisme et qui ne bénéficient pas de cette même exposition médiatique. Quant à trouver des idées de justice social, d'égalité politique ou de libertés individuelles et collectives dans les thèses fascistes ça ne peut résulter que d'une grande confusion mentale nourrie de longues soirées à refaire non pas le monde, mais les nations, avec les débatteurs de l'extrême-droite. Les attaques contre l'antifascisme radical ressemble moins à une attaque contre l'antifascisme que contre la radicalité dont nous sommes porteurs... une attaque en règle contre l'émancipation du peuple !
Non, décidément on ne dialogue pas avec le fascisme, on le combat ! Le fascisme c'est la gangrène, on l'élimine ou on en crève !
Traduction du Serpent@Plulmes du communiqué de l'EZLN, publié le 29 décembre 2020, sur le site de liaison zapatiste: ici.
Deuxième Partie : LA CANTINA
Calendrier ? L’actuel. Géographie ? N’importe quel recoin du monde.
Vous ne savez pas trop pourquoi, mais vous marchez aux côtés d’une fillette. Vous êtes sur le point de lui demander où vous vous dirigez, lorsque vous passez devant une grande cantina. Une grande enseigne lumineuse, comme la marquise d’un ciné, déclare : « L’HISTOIRE AVEC MAJUSCULES. Cantina-bar », et plus bas « Interdit aux femmes, enfants, indigènes, chômeurs, autres, ancien.ne.s, migrants et autres déchets ». Une main blanche a rajouté « En ce lieu, Black Lives does not matter ». Et une autre main virile a ajouté : « Les femmes peuvent entrer si elles se comportent comme des hommes ». Autour de l’établissement, s’entassent les cadavres de femmes de tous âges et, à en juger par les vêtements mis en pièces, de toutes les classes sociales. Vous vous arrêtez et, résignée, la fillette aussi. Vous jetez un œil par la porte et vous voyez un grand désordre d’hommes et de femmes avec des manières masculines. Sur le comptoir ou le présentoir, un mâle manie une batte de baseball avec laquelle il menace à gauche et à droite. La multitude est clairement divisée : d’un côté ceux qui applaudissent et de l’autre ceux qui huent. Tous sont comme embrigadés : le regard furieux, la bave qui coule sur le menton, le visage rougi. S’approche de vous celui qui doit être le portier ou quelque chose comme ça et il vous demande : « Vous voulez entrer ? Vous pouvez choisir le camp que vous préférez. Vous voulez applaudir ou critiquer ? Peu importe ce que vous choisissez, nous vous garantissons d’avoir de nombreux followers, likes, pouces levés et plus d’applaudissements. Vous serez célèbre si quelque chose d’ingénieux vous vient, que ce soit en faveur ou contre. Et même si ce n’est pas très intelligent, il suffit que ça fasse du bruit. Aucune importance que ce que vous criiez soit vrai ou faux, tant que vous criez fort ». Vous évaluez l’offre. Ça vous semble attractif, surtout maintenant que pas un chat ne vous suit.
« C’est dangereux ? », vous aventurez-vous avec timidité. Le videur vous rassure : "En aucune manière, ici l’impunité règne. Voyez vous-même celui qui tient la batte. Il dit n’importe quelle connerie et les uns applaudissent et les autres le critiquent avec d’autres conneries. Quand cette personne aura terminé son tour, un autre montera. Je vous ai dit avant qu’il n’y avait pas besoin d’être intelligent. Ça va plus loin, l’intelligence est ici un obstacle. Décidez-vous. De cette manière on oublie les maladies, les catastrophes, la misère, les mensonges dont sont fait les gouvernements, le lendemain. Ici la réalité n’a pas d’importance en réalité. Ce qui importe c’est la dernière mode". Vous : « Et de quoi on parle ? » « Ah, de n’importe quoi. Les deux côtés s’engagent en frivolités et stupidités. Puisque la créativité n’est pas de leur ressort. Et voilà. », répond le gardien tout en jetant un œil, craintif, vers le haut de l’édifice. La fillette suit la direction du regard et, montrant le sommet de l’édifice, où on peut voir un étage complet – tout en vitre miroir -, demande : « Et ceux de là-haut, ils sont pour ou contre ? » « Ah, non », répond l’homme et il ajoute dans un murmure : « Eux, ce sont les propriétaires de la cantina. Ils n’ont besoin de se manifester en rien, simplement, est fait ce que eux ordonnent ». Dehors, plus loin sur le chemin, on distingue un groupe de personnes qui, vous supposez, n’ont pas trouvé d’intérêt à entrer dans la cantina et a continué son chemin. D’autres sortent de l’établissement l’air gêné, murmurant : « c’est impossible de raisonner ici » et « plutôt que « L’Histoire », ça devrait s’appeler « L’Hystérie » ». Ils rient, s’éloignent. La fillette reste à regarder. Vous doutez… Elle vous dit : « Tu peux rester ou continuer. Prends seulement la responsabilité de ta décision. La liberté ce n’est pas seulement pouvoir décider quoi faire et le faire. C’est aussi être responsable de ce qui se fait et de la décision prise ». Sans encore vous décider, vous demandez à la fillette : « Et toi, où vas-tu ? » « Chez moi », dit la fillette, et elle étends ses menottes à l’horizon comme pour dire « le monde ».
Depuis les montagnes du Sud-est Mexicain.
Le SupGaleano.
C’est le Mexique, c’est 2020, c’est décembre, c’est le petit matin, il fait froid et une pleine lune regarde, stupéfaite, comment les montagnes se redressent, se retroussent un peu les jupons et doucement, tout doucement, se mettent en marche.
-*-
Du Cahier de Notes du Chat-Chien : Esperanza raconte à Defensa un rêve qu’elle a fait. « Ici je suis endormie et je rêve. Bien sûr je sais que je rêve parce que je suis endormie. Alors, de là je vois que je suis très loin. Qu’il y a des hommes et des femmes et d’autres très autres. Que je les connais pas. Qu’illes parlent une langue que je ne comprends pas. Et illes ont beaucoup de couleurs et de manières différentes. Illes font beaucoup de chahut. Illes chantent et dansent, parlent, discutent, pleurent, rient. Et je ne connais rien de ce que je vois. Il y a de grandes constructions et des petites. Il y a des arbres et des plantes comme ceux d’ici, mais différents. Très différente la nourriture. C’est à dire que tout est très bizarre. Mais le plus étrange c’est que, je ne sais ni pourquoi ni comment, mais je sais que je suis chez moi ». Esperanza garde le silence. Défense Zapatiste termine de prendre des notes dans son cahier, continue à la regarder et, après quelques secondes, lui demande : « Tu sais nager ? ».
Traduction par le Serpent@Plumes du communiqué de l'EZLN, publié le 19 octobre sur le site de liaison zapatiste: ici
Quatrième Partie : SOUVENIR DE CE QUI
ARRIVERA
Octobre 2020.
Ça fait 35 octobres.
Le Vieil Antonio regarde le feu résister à la pluie. Sous le
chapeau de paille ruisselant, il allume avec un tison, son cigarillo
confectionné dans une feuille d’épis de maïs. Le feu se
maintient, se cachant parfois sous les bûches ; le vent l’aide
et de son souffle avive les braises qui rougissent de fureur.
Le campement est celui qu’on appelle « Watapil »,
dans la dénommée « Sierra Cruz de Plata » qui se
dresse entre les bras humides des rivières Jataté et Perlas.
L’année 1985 passe et octobre reçoit le groupe avec une tempête,
présageant ainsi de ses lendemains. La grand amandier (qui désignera
cette montagne dans la langue insurgée), regarde compatissant à ses
pieds cette petite, toute petite, insignifiante, poignée de femmes
et d’hommes. Visages émaciés, peaux asséchées, le regard
brillant (de fièvre peut-être, de dispute, de peur, de délire, de
faim, de manque de sommeil), les vêtements marron et noirs déchirés,
les bottes rendues difformes par les lianes qui cherchent à garder
les semelles à leur place.
Par des paroles posées, paisibles, à peine perceptibles dans le
bruit de la tempête, le Vieil Antonio leur parle comme si il
s’adressait à lui-même :
« Pour la couleur de la terre viendra de nouveau le
Commandeur imposant sa parole dure, son MOI assassin de la raison, sa
corruption déguisée en aumône.
Le jour viendra où la mort revêtira sa robe la plus cruelle.
Ses pas ornés de rouages et de grincements, la machine qui rend
malade les chemins, elle mentira, disant qu’elle amène la
prospérité alors qu’elle sème la destruction. Qui s’oppose au
bruit qui terrifie plantes et animaux, sera assassiné dans sa vie et
dans sa mémoire. La première par le plomb, l’autre par le
mensonge. La nuit sera donc plus longue. Plus ample la douleur. Plus
mortelle la mort.
Les Aluxo´ob1
alerteront alors la mère et diront : « La mort arrive,
mère, elle arrive en tuant ».
La terre mère, la plus première, s’éveillera alors –
débarrassant son rêve des perroquets, des aras et des toucans -,
réclamera le sang de ses gardiens et gardiennes, et, s’adressant à
sa progéniture, elle dira ainsi :
« Que les uns aillent narguer l’envahisseur. Que les
autres aillent appeler le sang frère. Que les eaux ne vous effraient
pas, que ni le froid ni la chaleur ne vous découragent. Ouvrez des
chemins là où il n’y en a pas. Remontez rivières et mers.
Naviguez les montagnes. Volez pluies et nuages. Soyez la nuit, le
jour soyez, allez de bon matin et avertissez le tout. Nombreux sont
mes noms et mes couleurs, mais mon cœur est un, et ma mort sera
aussi celle du tout. N’ayez pas honte de la couleur de la peau que
je vous ai donné, ni des mots que j’ai planté dans votre bouche,
ni de votre taille qui me tiennent proche. Je mettrai la lumière
dans votre regard, un abri dans vos oreilles et la force dans vos
jambes et vos bras. Ne craigniez pas les couleurs et les manières
différentes, pas plus que les chemins différents. Car un est le
cœur que je vous ai légué, une est l’entente et un le regard ».
Alors, sous le harcèlement des Aluxo´ob, les machines de la
tromperie mortelle se décomposeront, brisée sa superbe, son avidité
brisée. Et les puissants ramèneront depuis d’autres nations les
laquais qui composent la mort décomposée. Ils interrogeront les
entrailles des machines de mort et trouveront la raison de leur
volte-face et diront ainsi : « elles sont pleines de
sang ». Essayant d’expliquer la raison de cette terrible
merveille, ils annonceront donc à leur patrons : « nous
ne savons pas le pourquoi, tout ce que nous savons c’est que c’est
du sang héritier du sang originaire ».
Et alors, la méchanceté pleuvra sur elle-même dans les
grandes maisons où le Puissant s’enivre et abuse. La déraison
pénétrera ses domaines et, au lieu d’eau, des sources jaillira du
sang. Ses jardins faneront et fanera le cœur de ceux qui travaillent
pour lui et le servent. Le puissant ramènera alors d’autres
vassaux pour les utiliser. Ils viendront d’autres terres. Et naîtra
la haine entre égaux encouragée par l’argent. Il y aura des
bagarres entre eux, et viendront la mort et la destruction parmi ceux
qui partagent histoire et douleur.
Ceux qui avant travaillaient la terre et vivaient par elle,
changés en servants et esclaves du Puissant sur les sols et sous les
cieux de leurs ancêtres, verront arriver les malheurs dans leurs
maisons. Leurs enfants disparaîtront, étouffé.e.s sous la
pourriture de la corruption et du crime. Ce sera le retour du droit
de cuissage par lequel l’argent tue l’innocence et l’amour. Et
les petits seront arrachés du giron maternel et leur jeune chair
sera servie aux grands Seigneurs afin d’assouvir leur vilenie et
leur cruauté. À cause de l’argent le fils lèvera la main sur ses
parents et le deuil habillera leur maison. La fille se perdra dans
l’obscurité ou la mort, morte sa vie, et son être pour les
Seigneurs et leur argent. Des maladies inconnues frapperont qui
vendra sa dignité et celle des siens pour de la menue monnaie, qui
trahira sa race, son sang et son histoire, et qui mobilisera et
propagera le mensonge.
La mère Ceiba, la colonne des mondes, criera si fort que même
la surdité la plus éloignée entendra sa clameur blessée. Et 7
voix distantes s’en approcheront. Et l’étreindront 7 bras épars.
Et 7 poings distincts s’y uniront. La mère Ceiba lèvera alors ses
jupons et ses mille pieds fouleront et dérangeront les chemins de
fer. Les machines à roues sortiront de leur voies de métal. Les
eaux déborderont des rivières et des lacs, et la mer elle-même
mugira furieusement. S’ouvriront alors les entrailles des terres et
des cieux de tous les mondes.
Alors, la plus première, la terre mère, s’élèvera et
réclamera par le feu son foyer et sa place. Et pardessus les
orgueilleux édifices du Pouvoir, s’avanceront les arbres, les
plantes et les animaux, et par leurs cœurs vivra de nouveau le
Votan2
Zapata, gardien et cœur du peuple. Et le jaguar empruntera à
nouveau ses routes ancestrales, régnant de nouveau où voulurent
régner l’argent et ses laquais.
Et le puissant ne mourra pas avant d’avoir vu comment sa
superbe ignorance s’écroulera sans à peine faire de bruit. Et
dans son ultime soupir le Commandeur saura qu’il ne sera plus, tout
au plus un mauvais souvenir du monde s’étant rebellé et ayant
résisté à la mort que son mandat commandait.
Et c’est, dit-on, ce que disent les morts de toujours, ceux
qui mourront de nouveau mais, maintenant, pour vivre.
Il se dit qu’on dit que cette parole est sue dans les
vallées et sur les montagnes ; qu’elle est sue dans les
vallons et les plaines ; que la répète l’oiseau tapacamino3,
prévenant ainsi les pas du cœur qui marche en frère ; que la
pluie et le soleil la sèment dans le regard de qui habite ces
terres ; et que le vent l’emmène loin et la niche dans la
pensée complice.
Car des choses terribles et merveilleuses à venir, ces cieux
et ces terres en verront.
Et le jaguar empruntera à nouveau ses routes ancestrales,
régnant de nouveau où voulurent régner l’argent et ses
laquais. »
Le Vieil Antonio se tut et, avec lui, la pluie. Rien ne dort.
Tout rêve.
-*-
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
SupGaleano
Mexique, Octobre 2020.
Du Carnet de Notes du
Chat-Chien : Partie II.- Les pirogues.
Vous vous souvenez que les divisions en pays n’existent que
pour justifier le délit de « contrebande » et pour
donner du sens aux guerres. Il est clair qu’existent, au moins,
deux choses au-dessus des frontières : l’une c’est le crime
qui, déguisé en modernité, distribue la misère à l’échelle
mondiale ; l’autre c’est l’espoir que la honte n’existe
que lorsque quelqu’un se trompe de pas de danse, et non chaque fois
que nous nous voyons dans le miroir. Pour en finir avec le premier et
faire fleurir le second, il faut juste lutter et être meilleurs. Le
reste va de soi et c’est ce qui remplit fréquemment les
bibliothèques et les musées. Il n’est pas nécessaire de
conquérir le monde, il suffit de le faire derechef. Reçu. Santé et
sachez que, pour l’amour, un lit n’est qu’un prétexte ;
pour le bal un air n’est qu’un ornement ; et pour lutter, la
nationalité n’est qu’un accident simplement circonstanciel.
Don Durito de La Lacandpona, 1995
Le SubMoy disait à Maxo que peut-être faudra-t-il essayer du
bois de balsa (ici on dit « corcho »), mais l’ingénieur
naval contestait que, puisque que plus léger, ce serait pire, il
serait emporté par le courant. « mais tu as dit qu’il n’y
avait pas de courant en mer ». « Mais si il y en a »,
se défendit Maxo. Le SubMoy dit aux autres comités qui suivaient la
tentative suivante : pirogues.
Ils se mirent à façonner plusieurs pirogues. À la hache
et à la machette ils donnèrent forme et vocation marine à des
troncs dont le destin original était bois pour le feu. Comme le
SubMoy s’était absenté quelques
instants, ils demandèrent au SupGaleano s’ils devaient
donner un nom aux
embarcations. Le Sup regardait comment le Monarque examinait un vieux
moteur diesel, il répondit donc distraitement : « Oui,
bien sûr ».
Ils partirent et commencèrent à raboter et à peindre sur les
côtés des noms rationnels et mesurés. Sur l’un on pouvait lire :
« Le pote4
Nageur et Saute Océans ». Un autre :
« L’internationaliste. Une chose est une chose et une autre
chose est dont fuck me, compagnon ». Un autre : « J’arrive
de suite, je ne vais pas tarder mon amour ». Celui là-bas :
« Bon c’est à ton compte, pourquoi nous avoir inviter sinon,
quoi ». Ceux du puy Jacinto Canek baptisèrent le leur « Jean
Robert5 »,
ce qui était leur manière de le faire participer au voyage.
Sur un plus éloigné on arrivait à lire : « Et
pourquoi donc pleurer si ce qui sort est de l’eau salée »,
et s’étendait à continuation : « Ce bateau a été
fabriqué par la Commission Maritime de la municipalité autonome
rebelle zapatiste « Ils nous critiquent d’avoir donner un nom
si long les MAREZ et les Caracoles, mais on s’en fout », du
Conseil de Bon Gouvernement « De même ». Produit
périssable. Date de péremption : ça dépend. Nos embarcations
ne coulent pas, elles ne font que périmer, ce n’est pas la même
chose. Embauches de fabricants de pirogues et fans de musique au
CRAREZ (n’inclut ni marimba ni sono – parce que si elles coulent
ensuite elles ne sont pas remplacées-, mais si on fait beaucoup pour
la cantate… bon, plus ou moins. Ça dépend, quoi). Cette pirogue
ne cotise qu’aux bourses de résistance. À suivre sur la prochaine
pirogue... », (bien sûr, il fallait tourner autour de la
pirogue et sur les parois internes pour lire entièrement le
« nom » ; oui, vous avez raison, le sous-marin
ennemi va perdre tellement de temps à transmettre le nom complet du
navire à couler que, lorsqu’il aura terminé, l’embarcation aura
déjà accosté sur les côtes européennes).
Le problème c’est
que, pendant qu’ils travaillaient les troncs, la rumeur courrait.
L’adorable Amado le raconta au Pablito qui le raconta au Pedrito
qui en informa Défense Zapatiste qui en discuta avec Esperanza qui
dit à Calamité « ne le dis
à personne » qui le raconta à ses mamans qui le dirent dans
le groupe « comme femmes que nous sommes ».
Quand on dit au
SupGaleano que les femmes arrivaient, le Sup courba les épaules et
passa au Monarque la clef qu’on appelle espagnole, d’un demi
pouce, alors qu’il crachait des morceaux du tuyau de sa pipe.
Arrive alors le
Jacob : Hé Sup, le
SubMoy va différer ? »
« Pas la
moindre idée », répondit le SupGaleano tout en regardant
inconsolable sa pipe cassée.
Jacob :
« Et toi, tu sais combien vont voyager ? »
Le Sup :
« Encore. L’Europe d’en-bas n’a pas dit combien ils
peuvent accueillir. Pourquoi ?
Jacob : Ben
c’est que… mieux vaut que tu viennes voir ».
Le SupGaleano brisa
une autre pipe en voyant la « flotte » zapatiste. Au bord
de la rivière, les 6 pirogues aux noms saugrenus, alignés, étaient
remplis de pots et de fleurs.
« Et ça ? »,
demanda le Sup, comme une formalité.
« C’est le
chargement des compagnonnes », répondit Ruben, résigné.
Le Sup : « Leur
chargement ? »
Ruben : « Oui, elles
sont arrivées et ne disaient que « ça, ça va être utile »
et elles sont reparties en laissant ces petites plantes. Et ensuite
une petite fille, je ne sais pas comment elle s’appelle, est venue
et a demandé si le voyage était pour bientôt, c’est à dire elle
voulait savoir si l’arrivée là où nous allons, allait être
différée. Je lui ai demandé pourquoi, si c’est parce que ses
mamans y vont ou quoi. Elle m’a dit que non, que c’était parce
qu’elle voulait envoyer un arbre, tout petit comme ça, que si,
soudainement, nous tardions dans notre voyage, et bien il arriverait
bien grandi et nous pourrons faire du pozol à l’ombre si le soleil
devient féroce. »
« Mais ce sont bien les
mêmes », allégua le Sup (en référence aux plantes,
évidemment).
Non, dit la comité Alejandra. Ça
c’est de l’estafiate,
pour les maux de ventre, ça c’est du thym ; celle-là c’est
de la menthe ; là de la camomille, de l’origan, du persil, de
la coriandre, du laurier, du thé, des aloès ; celle-là c’est
pour si vous avez la diarrhée, celle-là pour les brûlures, ça
pour le mauvais sommeil, là-bas pour si tu as mal aux dents, ici
celle des coliques, celle-ci s’appelle « soigne tout »,
l’autre, là, pour le vomito,
aussi pour la grimace, de la morelle noire, de la maxillaria, de la
rue, des géraniums, des œillets, des tulipes, des roses, les
mañanitas ;
et comme ça.
Jacob senti obligé de clarifier :
« Alors qu’on avait terminé une pirogue, lorsqu’on
retourna voir, elle était déjà pleine de mauvaises herbes. Encore
et encore pleine. Nous en avons maintenant 6, c’est pour ça que je
demande si nous continuons à en faire plus, parce qu’elles vont de
même les remplir. »
« Mais si vous envoyez tout
ça, où vont aller les compagnons ? » voulut raisonner le
Sup avec une compagnonne, coordinatrice de femmes, qui portait dans
ses bras deux pots et un petit acacia dans son châle croisé dans
son dos.
« Ah, parce que des hommes
vont y aller ? », dit-elle.
« Peu importe, les femmes non
plus ne vont pas rentrer », allégua le Sup « au bord de
la crise de nerfs ».
Elle : « Ah, c’est que nous on va pas y aller en
bateau. Nous, nous allons y aller en avion, pour que nous ne
vomitions pas. Bon, si, un peu, mais moins. »
Sup : Et qui vous a dit vous en avion ?
Elle : Nous.
Sup : Mais d’où vient toute cette parole que tu
rapportes ?
Elle : « C’est qu’est arrivée Esperanza à la
réunion de comme femmes que nous sommes et nous a informé que nous
allions toutes mourir misérablement si nous allions avec ces maudits
hommes. Alors nous y avons réfléchi en assemblée et sommes
arrivées à l’accord que nous n’avions pas peur et que nous
étions bien disposées et décidées à ce que les hommes meurent
misérablement et nous pas.
Là on a fait les comptes et nous allons louer l’avion que
Calderon a acheté pour le Peña Nieto et que les mauvais
gouvernements d’aujourd’hui ne savent pas comment faire avec.
Ils disent 500 pesos le billet par personne. On en est à
111 compagnonnes inscrites, mais je crois qu’il manque les équipes
de foot des miliciennes. Donc, si ne viennent que 111, ça ferait 55
500,00 pesos, mais les femmes et les acacias ne paient que la moitié,
donc 27 750. Il faut encore décompter la TVA et la prime pour les
frais de représentation, disons donc quelques 10 mille pesos pour
toutes. Tout ça si le dollar ne baisse pas, sinon hé bien moins.
Mais, pour ne pas contester pour la paie, on va les donner au bœuf
de mon copain, ça n’a pas d’importance si je ne dis pas qui,
mais on va le faire, tous les machos
sont comme ça.
Le SupGaleano en resta bouche bée, essayant de se rappeler où
diable il avait laissé la pipe de secours. Mais quand il vit que les
femmes commençaient à amener des poules, des coqs, des poussins,
des cochons, des canards et des dindons, il dit au Monarque :
« Vite, appelle le SubMoy et dis-lui qu’il est très urgent
qu’il vienne ».
La procession des femmes, plantes et animaux s’éloignait
au-delà de l’enclos. Les suivait la file de la bande de Défense
Zapatiste : la colonne de la horde était ouverte par Pablito,
désormais en mode « si tu ne les vaincs pas, rejoins-les »,
il menait son cheval, suivi de l’adorable Amado avec son vélo
– avec une roue dégonflée-. Puis le Chat-Chien pressant un
troupeau de bétail. Défense et Esperanza mesurent les pirogues
calculant si rentreraient les buts. Le cheval choco portait sur le
museau un filet avec des bouteilles en plastique. Calamité passa
portant un petit avec un bec-de-lièvre qui hurlait de terreur,
craignant qu’on le jette à l’eau pour ensuite le sauver… et
pas ?
Quelqu’un qui ressemblait extraordinairement à un scarabée
fermait la colonne, avec un bandeau de pirate sur l’œil droit, un
pic à brochette tordu sur l’une de ses petites pattes, à la
manière d’un crochet -, et dans l’autre une espèce de bâtonnet
de glace, bien que ce ne fut rien de plus qu’une écharde d’une
des lianes travaillées. L’être étrange, brandissant une lamelle
de bois comme masque, déclamait avec une louable intonation :
« Con diez cañones por banda, / viento en popa, a toda
vela, / no corta el mar sino vuela / un velero bergantín. / Bajel
pirata que llaman / por su bravura “El Temido”, / En
todo el mar conocido / del uno al otro confín. »6.
Lorsque revint le Souscommandant Insurgé Moisés, chef de
l’expédition balbutiante,il trouva le SupGaleano souriant
inexplicablement. Le Sup avait trouvé une autre pipe, celle-là sans
la casser, dans la poche de son pantalon.