"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

24/06/2008

Le retour de la cagoule


Douze ans après sa première apparition, le sous-commandant Marcos repointe le bout de sa cagoule. Et lance la Otra, l’autre campagne présidentielle du Mexique. Autonomie, anticapitalisme et nouveau pacte social : vaste programme pour un non-candidat.


San Cristobal de las Casas, Chiapas. En ce premier jour de 2006, la place de la cathédrale se remplit de soleil et de curieux venus écouter le sous-commandant Marcos. On y vend des bracelets, des ceintures colorées, des stylos à l’image du Délégué Zéro, la nouvelle identité du Sub…
A l’entrée de
la ville se regroupe l’EZLN, l’armée zapatiste de libération nationale de 12 000 hommes née en 1994 au sud-est du Mexique pour exiger le respect des droits des indigènes. Camionnettes et bus bringuebalants déversent par vagues ces indigènes, indigents sur leur propre terre. Ils ont quitté leurs villages le matin même, parfois la veille. Marches pour l’application des accords signés avec le gouvernement, rencontre Intergalactique, consultation populaire sur les demandes des Indiens du Chiapas… En douze ans de lutte, le Front Zapatiste, mouvement civile de l’EZLN, a multiplié les initiatives pour que le Mexique ne se fasse plus sans ses Indiens.

Visages Masqués

A San Cristobal comme à Oventic, l’une des capitales où est née la rébellion, les zapatistes construisent leur autonomie. Sur ces ex-patelins ruraux privés de tout, ils ont bâti des écoles et des cliniques. Dans leur municipalités autonomes, les zapatistes expérimentent ainsi de nouveaux mode d’organisation sociale. « Par exemple, les conseils de bonne gouvernance sont nés pour montrer aux hommes politiques au pouvoir qu’ils agissent mal et que nous, les indigènes nous savons nous gouverner par nous-mêmes », m’éclaire le représentant du Conseil d’Oventic, veste en jeans doublée, cagoule et tongs aux pieds.
De ces visages masqués par les passe-montagnes et les foulards se dégage une force impressionnante. Sur le carrefour se réunissent les groupes politiques appuyant la Sixième déclaration de la forêt Lacandone, la Sexta. C’est par cette Sexta, qui date de juillet 2005, que les zapatistes ont défini les tendances – anticapitaliste, en bas et a gauche, non-électoraliste – du grand mouvement social que la Otra doit mettre au monde. La Otra ? L’Autre Campagne, celle qui va s’écrire en parallèle de la campagne électorale pour la présidence.


Marche dans le noir

« C’est Marcos dans le 4x4 ! » s’écrie soudain une femme. La phrase court de bouche à oreille. La voiture (aux pneux non dégonflés), placée sous la protection d’un drapeau blanc, suit la rumeur et conduit le Délégué Zéro jusqu’à ses compañeros. La nuit tombe. Marcos est assaillis par des nuées de journalistes, de militants, de zapatistes heureux. On se bouscule. On grimpe aux arbres pour une photo, un regard ou un signe du Sub.

Puis les manifestants prennent la route de San Cristobal. Ultime mesquinerie, la municipalité coupe l’éclairage public et plonge la marche dans la nuit. Mais les zapatistes continuent précautionneusement jusqu'à la scène dressée face a la cathédrale. Les deux places principales refluent leur foule dans les rues adjacentes.
En 1994, en prenant une dizaine de ville du Chiapas, dont San Cristobal, l’EZLN émergeait sur la scène politique mexicaine et internationale. Douze ans après avoir pris la ville les armes à la main, la guérilla récidive, cette fois-ci armée d’une plume. Pourtant, tout n’a pas été simple. Dissous l’été dernier, le Front Zapatiste se reconstruit lentement. Jorge Sanchez, ancien du Front à Aguascalientes, reconnaît même que « l’EZLN a perdu sa capacité de mobilisation
. Et beaucoup d’Indiens qui formaient les bases d’appui sont entrés dans d’autres organisations. »

Le Sub par l’arrière

2 janvier, 10h00. Alors que la brume matinale n’en finit pas de se lever, le Centre indigène de capacitation ressemble déjà à une ruche. La foule attend la venue de celui qui, de porte-voix de la lutte indigène, s’est changé en porte-plume des opprimés. « La presse par ici, les observateurs étrangers… par là », tente d’organiser une zapatiste visiblement un peu débordé.
Marcos arrive, entouré d’un cordon de sécurité et d’un essaim de journalistes. Il entre par l’arrière de la salle octogonale qui accueille la rencontre. Le Sub joue de sa notoriété, photographie les photographes avant de s’asseoir et d’allumer sa pipe. Ici la salle parle, la tribune écoute. Le Délégué Zéro note les idées, les demandes qui doivent donner chair au squelette esquissé par la Sexta. Marcos joue avec les mots : « Il est bon que tout le monde s’exprime sur tout. Cela va nous faire aller plus lentement. Presque comme de la façon dont la marche d’hier a commencé. Dans le noir, sans que personne ne nous prête attention. »


La présidentielle de juin

La Otra ne présente aucun candidat pour les élections, mais elle en joue. Elle déroule son parcours en parallèle de la campagne présidentielle. En juillet prochain, les mexicains sont appelés à élire celui qui succèdera à Vincente Fox (droite) à la présidence. L’ancien maire de Mexico, Lopez Obrador (PRD, centre gauche) semble en mesure de l’emporter grâce a un discours social. Bien que la Otra ne prenne pas officiellement position, Marcos n’hésite pas à tailler des costumes à droite mais aussi à gauche.

La Otra ne vient pas non plus briser un silence médiatique qui aurait plongé ces Indiens dans l’oubli cathodique. Une lutte qui persiste depuis cinq siècles n’a que faire de la temporalité d’un monde qui s’agite au rythme effréné des tambours d’une galère globalisée. L’approche politique zapatiste est une invitation à mettre de la poésie dans les discours et éviter la politique-fiction !
Marcos justifie ainsi l’incursion zapatiste hors de la lutte indigène : « Un étendard des exclus a été hissé au grand jour en 1994, bien que beaucoup d’entre vous l’aient dressé longtemps avant. Mais il allait bien y avoir un moment où nous allions comprendre que l’ennemi, c’est ce système politique et social dans lequel nous vivons. »
Le Délégué Zéro, pipe aux lèvres et suspendu à celles de ces hommes et femmes, prête l’oreille. Les envies sont nombreuses : donner une place plus importante aux femmes, reconnaître le droit à une sexualité différente, prendre en compte la souffrance des migrants économiques…

« Où est mon stylo ? »

Devant le pupitre, micro à la main, le directeur de la revue Rebeldia, Señor Lascano, résume la situation : « Il s’agit de faire au niveau national ce qui s’est fait au Chiapas ! Construire un réseau d’insubordonnés. Les meilleurs apports des zapatistes ont été les municipalités autonomes et les conseils de bonne gouvernance. La question aujourd’hui, c’est comment faire de l’auto-gouvernement à l’université, en ville, à l’usine ? »
Parfois émues jusqu’aux larmes, plusieurs centaines de personnes ont pris la parole ce jour-là. Marcos, imperturbable, a pris des notes. Au retour de la pause déjeuner, il a dû demander un stylo à l’assistance. On lui en donna un à son effigie et sous les rires de l’assistance. C’est par cette proximité que les zapatistes souhaitent « acquérir cette autorité mor ale que personne ne possède dans le pays ». Un bon début pour inventer ce nouveau pacte social.
« Le temps passe. Lâche le Sub. Qu’est-ce qu’on peut y faire ?

Moi, j'ai changé de cagoule. De nouveaux visages font leur apparition, des visages qui étaient ceux d’enfants quand nous avons pris les armes ou qui n’étaient pas encore nés, comme mon homonyme qui est par-là. » Marcos rallume sa pipe. Une longue volute vient voiler son regard déjà parti à la recherche de l’enfant ou d’un autre futur. Sous la cagoule se devine un sourire.

Article paru dans Technikart numéro 100, mars 2006







Sur les traces des zapatistes, de San Cristobal de la Casas à Aguascalientes. C'était début 2006, le lancement de la Otra Campaña. Voyage en photo dans ce Mexique rebelle... et en musique avec Los de Abajo

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