Le théâtre de l’opprimé est un système d’exercices physiques, de jeux esthétiques, de techniques d’images et d’improvisations spéciales, dont le but est de sauvegarder, développer et redimensionner cette vocation humaine, en faisant de l’activité théâtrale un outil efficace pour la compréhension et la recherche de solutions à des problèmes sociaux et personnels. (1)
Il fait encore chaud ce 24 août lorsque la voiture de patrouille emmène Lupita au commissariat San Pablo. Quelques minutes plus tôt, à deux pas de la cathédrale, autour de la table de l’association Gays en acción positiva, quelques préservatifs ont volé. Lupita s’indignait de ce déballage honteux en public. Elle défendait avec conviction la foi et la fidélité contre le Sida, seule contre l’avis des passants. Un père, avec son jeune fils, tentait de lui expliquer le bien-fondé de la démarche militante. Lorsqu’elle a jeté les capotes et les tracts, la police l’a embarquée. Problème ! Lupita fait partie de notre groupe de théâtre de l’invisible… Bien que ce jeu de rue suppose qu’on ne dévoile jamais sa face cachée, nous en avons informé les policiers. Pour préserver leur masque d’autorité ils embarquèrent tout de même Lupita, avant de la relâcher peu après.
Le théâtre de l’invisible est l’une des techniques du théâtre de l’opprimé décrites par Boal dans les années 70. Pour lui, Aristote a étouffé la vocation présente en chacun de nous. En séparant le peuple-spectateur et l’aristocrate-acteur, le tragédien de l’antiquité a fait du théâtre une catharsis, un moyen de purger le spectateur de ses mauvais penchants. Pour Aristote l’art, comme la science, doivent suppléer la nature dans son mouvement vers l’idéal.
Boal, lui, a créé la scène d’un contexte révolutionnaire… Un théâtre conçu pour ces périodes où les repères moraux s’effritent, à la recherche d’une nouvelle culture. Un théâtre qui redescend dans la rue ou fait monter le spectateur sur scène. Théâtre-.journal, théâtre-image, forum ou de l’invisible… en sont des déclinaisons.
L’un des groupes du stage avait choisi le thème du Sida pour parler de ce qui d’ordinaire est tu. L’Etat d’Aguascalientes se targue d’être la terre des bonnes gens. Mais c’est aussi l’un des plus réactionnaires. Pourtant, loin des discours convenus de la masse, des médias, les hydrocalidos se sont montrés solidaires des gays et lesbiennes. La plupart des participants à l’atelier, comme les militants associatifs qui ont joué le jeu, ont été surpris par leurs concitoyens… Le théâtre de l’invisible ne cherche pas à vérifier la prévisibilité des gens. Les acteurs et le public vivent une situation imaginée, mais inspirée de la réalité. L’expérience est riche pour les spectateurs qui deviennent, un instant, acteurs de la vie, comme pour les acteurs parfois embarqués au bout d’eux-mêmes… et de leur personnage.
1 : extrait de Théâtre de l’opprimé, d’Augusto Boal, La Découverte/Poche
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