Traduction du Serpent@Plulmes du communiqué de l'EZLN, publié le 29 décembre 2020, sur le site de liaison zapatiste: ici.
Deuxième Partie : LA CANTINA
Calendrier ? L’actuel. Géographie ? N’importe quel recoin du monde.
Vous ne savez pas trop pourquoi, mais vous marchez aux côtés d’une fillette. Vous êtes sur le point de lui demander où vous vous dirigez, lorsque vous passez devant une grande cantina. Une grande enseigne lumineuse, comme la marquise d’un ciné, déclare : « L’HISTOIRE AVEC MAJUSCULES. Cantina-bar », et plus bas « Interdit aux femmes, enfants, indigènes, chômeurs, autres, ancien.ne.s, migrants et autres déchets ». Une main blanche a rajouté « En ce lieu, Black Lives does not matter ». Et une autre main virile a ajouté : « Les femmes peuvent entrer si elles se comportent comme des hommes ». Autour de l’établissement, s’entassent les cadavres de femmes de tous âges et, à en juger par les vêtements mis en pièces, de toutes les classes sociales. Vous vous arrêtez et, résignée, la fillette aussi. Vous jetez un œil par la porte et vous voyez un grand désordre d’hommes et de femmes avec des manières masculines. Sur le comptoir ou le présentoir, un mâle manie une batte de baseball avec laquelle il menace à gauche et à droite. La multitude est clairement divisée : d’un côté ceux qui applaudissent et de l’autre ceux qui huent. Tous sont comme embrigadés : le regard furieux, la bave qui coule sur le menton, le visage rougi. S’approche de vous celui qui doit être le portier ou quelque chose comme ça et il vous demande : « Vous voulez entrer ? Vous pouvez choisir le camp que vous préférez. Vous voulez applaudir ou critiquer ? Peu importe ce que vous choisissez, nous vous garantissons d’avoir de nombreux followers, likes, pouces levés et plus d’applaudissements. Vous serez célèbre si quelque chose d’ingénieux vous vient, que ce soit en faveur ou contre. Et même si ce n’est pas très intelligent, il suffit que ça fasse du bruit. Aucune importance que ce que vous criiez soit vrai ou faux, tant que vous criez fort ». Vous évaluez l’offre. Ça vous semble attractif, surtout maintenant que pas un chat ne vous suit.
« C’est dangereux ? », vous aventurez-vous avec timidité. Le videur vous rassure : "En aucune manière, ici l’impunité règne. Voyez vous-même celui qui tient la batte. Il dit n’importe quelle connerie et les uns applaudissent et les autres le critiquent avec d’autres conneries. Quand cette personne aura terminé son tour, un autre montera. Je vous ai dit avant qu’il n’y avait pas besoin d’être intelligent. Ça va plus loin, l’intelligence est ici un obstacle. Décidez-vous. De cette manière on oublie les maladies, les catastrophes, la misère, les mensonges dont sont fait les gouvernements, le lendemain. Ici la réalité n’a pas d’importance en réalité. Ce qui importe c’est la dernière mode". Vous : « Et de quoi on parle ? » « Ah, de n’importe quoi. Les deux côtés s’engagent en frivolités et stupidités. Puisque la créativité n’est pas de leur ressort. Et voilà. », répond le gardien tout en jetant un œil, craintif, vers le haut de l’édifice. La fillette suit la direction du regard et, montrant le sommet de l’édifice, où on peut voir un étage complet – tout en vitre miroir -, demande : « Et ceux de là-haut, ils sont pour ou contre ? » « Ah, non », répond l’homme et il ajoute dans un murmure : « Eux, ce sont les propriétaires de la cantina. Ils n’ont besoin de se manifester en rien, simplement, est fait ce que eux ordonnent ». Dehors, plus loin sur le chemin, on distingue un groupe de personnes qui, vous supposez, n’ont pas trouvé d’intérêt à entrer dans la cantina et a continué son chemin. D’autres sortent de l’établissement l’air gêné, murmurant : « c’est impossible de raisonner ici » et « plutôt que « L’Histoire », ça devrait s’appeler « L’Hystérie » ». Ils rient, s’éloignent. La fillette reste à regarder. Vous doutez… Elle vous dit : « Tu peux rester ou continuer. Prends seulement la responsabilité de ta décision. La liberté ce n’est pas seulement pouvoir décider quoi faire et le faire. C’est aussi être responsable de ce qui se fait et de la décision prise ». Sans encore vous décider, vous demandez à la fillette : « Et toi, où vas-tu ? » « Chez moi », dit la fillette, et elle étends ses menottes à l’horizon comme pour dire « le monde ».
Depuis les montagnes du Sud-est Mexicain.
Le SupGaleano.
C’est le Mexique, c’est 2020, c’est décembre, c’est le petit matin, il fait froid et une pleine lune regarde, stupéfaite, comment les montagnes se redressent, se retroussent un peu les jupons et doucement, tout doucement, se mettent en marche.
-*-
Du Cahier de Notes du Chat-Chien : Esperanza raconte à Defensa un rêve qu’elle a fait. « Ici je suis endormie et je rêve. Bien sûr je sais que je rêve parce que je suis endormie. Alors, de là je vois que je suis très loin. Qu’il y a des hommes et des femmes et d’autres très autres. Que je les connais pas. Qu’illes parlent une langue que je ne comprends pas. Et illes ont beaucoup de couleurs et de manières différentes. Illes font beaucoup de chahut. Illes chantent et dansent, parlent, discutent, pleurent, rient. Et je ne connais rien de ce que je vois. Il y a de grandes constructions et des petites. Il y a des arbres et des plantes comme ceux d’ici, mais différents. Très différente la nourriture. C’est à dire que tout est très bizarre. Mais le plus étrange c’est que, je ne sais ni pourquoi ni comment, mais je sais que je suis chez moi ». Esperanza garde le silence. Défense Zapatiste termine de prendre des notes dans son cahier, continue à la regarder et, après quelques secondes, lui demande : « Tu sais nager ? ».
Traduction par le Serpent@Plumes du communiqué de l'EZLN, publié le 19 octobre sur le site de liaison zapatiste: ici
Quatrième Partie : SOUVENIR DE CE QUI
ARRIVERA
Octobre 2020.
Ça fait 35 octobres.
Le Vieil Antonio regarde le feu résister à la pluie. Sous le
chapeau de paille ruisselant, il allume avec un tison, son cigarillo
confectionné dans une feuille d’épis de maïs. Le feu se
maintient, se cachant parfois sous les bûches ; le vent l’aide
et de son souffle avive les braises qui rougissent de fureur.
Le campement est celui qu’on appelle « Watapil »,
dans la dénommée « Sierra Cruz de Plata » qui se
dresse entre les bras humides des rivières Jataté et Perlas.
L’année 1985 passe et octobre reçoit le groupe avec une tempête,
présageant ainsi de ses lendemains. La grand amandier (qui désignera
cette montagne dans la langue insurgée), regarde compatissant à ses
pieds cette petite, toute petite, insignifiante, poignée de femmes
et d’hommes. Visages émaciés, peaux asséchées, le regard
brillant (de fièvre peut-être, de dispute, de peur, de délire, de
faim, de manque de sommeil), les vêtements marron et noirs déchirés,
les bottes rendues difformes par les lianes qui cherchent à garder
les semelles à leur place.
Par des paroles posées, paisibles, à peine perceptibles dans le
bruit de la tempête, le Vieil Antonio leur parle comme si il
s’adressait à lui-même :
« Pour la couleur de la terre viendra de nouveau le
Commandeur imposant sa parole dure, son MOI assassin de la raison, sa
corruption déguisée en aumône.
Le jour viendra où la mort revêtira sa robe la plus cruelle.
Ses pas ornés de rouages et de grincements, la machine qui rend
malade les chemins, elle mentira, disant qu’elle amène la
prospérité alors qu’elle sème la destruction. Qui s’oppose au
bruit qui terrifie plantes et animaux, sera assassiné dans sa vie et
dans sa mémoire. La première par le plomb, l’autre par le
mensonge. La nuit sera donc plus longue. Plus ample la douleur. Plus
mortelle la mort.
Les Aluxo´ob1
alerteront alors la mère et diront : « La mort arrive,
mère, elle arrive en tuant ».
La terre mère, la plus première, s’éveillera alors –
débarrassant son rêve des perroquets, des aras et des toucans -,
réclamera le sang de ses gardiens et gardiennes, et, s’adressant à
sa progéniture, elle dira ainsi :
« Que les uns aillent narguer l’envahisseur. Que les
autres aillent appeler le sang frère. Que les eaux ne vous effraient
pas, que ni le froid ni la chaleur ne vous découragent. Ouvrez des
chemins là où il n’y en a pas. Remontez rivières et mers.
Naviguez les montagnes. Volez pluies et nuages. Soyez la nuit, le
jour soyez, allez de bon matin et avertissez le tout. Nombreux sont
mes noms et mes couleurs, mais mon cœur est un, et ma mort sera
aussi celle du tout. N’ayez pas honte de la couleur de la peau que
je vous ai donné, ni des mots que j’ai planté dans votre bouche,
ni de votre taille qui me tiennent proche. Je mettrai la lumière
dans votre regard, un abri dans vos oreilles et la force dans vos
jambes et vos bras. Ne craigniez pas les couleurs et les manières
différentes, pas plus que les chemins différents. Car un est le
cœur que je vous ai légué, une est l’entente et un le regard ».
Alors, sous le harcèlement des Aluxo´ob, les machines de la
tromperie mortelle se décomposeront, brisée sa superbe, son avidité
brisée. Et les puissants ramèneront depuis d’autres nations les
laquais qui composent la mort décomposée. Ils interrogeront les
entrailles des machines de mort et trouveront la raison de leur
volte-face et diront ainsi : « elles sont pleines de
sang ». Essayant d’expliquer la raison de cette terrible
merveille, ils annonceront donc à leur patrons : « nous
ne savons pas le pourquoi, tout ce que nous savons c’est que c’est
du sang héritier du sang originaire ».
Et alors, la méchanceté pleuvra sur elle-même dans les
grandes maisons où le Puissant s’enivre et abuse. La déraison
pénétrera ses domaines et, au lieu d’eau, des sources jaillira du
sang. Ses jardins faneront et fanera le cœur de ceux qui travaillent
pour lui et le servent. Le puissant ramènera alors d’autres
vassaux pour les utiliser. Ils viendront d’autres terres. Et naîtra
la haine entre égaux encouragée par l’argent. Il y aura des
bagarres entre eux, et viendront la mort et la destruction parmi ceux
qui partagent histoire et douleur.
Ceux qui avant travaillaient la terre et vivaient par elle,
changés en servants et esclaves du Puissant sur les sols et sous les
cieux de leurs ancêtres, verront arriver les malheurs dans leurs
maisons. Leurs enfants disparaîtront, étouffé.e.s sous la
pourriture de la corruption et du crime. Ce sera le retour du droit
de cuissage par lequel l’argent tue l’innocence et l’amour. Et
les petits seront arrachés du giron maternel et leur jeune chair
sera servie aux grands Seigneurs afin d’assouvir leur vilenie et
leur cruauté. À cause de l’argent le fils lèvera la main sur ses
parents et le deuil habillera leur maison. La fille se perdra dans
l’obscurité ou la mort, morte sa vie, et son être pour les
Seigneurs et leur argent. Des maladies inconnues frapperont qui
vendra sa dignité et celle des siens pour de la menue monnaie, qui
trahira sa race, son sang et son histoire, et qui mobilisera et
propagera le mensonge.
La mère Ceiba, la colonne des mondes, criera si fort que même
la surdité la plus éloignée entendra sa clameur blessée. Et 7
voix distantes s’en approcheront. Et l’étreindront 7 bras épars.
Et 7 poings distincts s’y uniront. La mère Ceiba lèvera alors ses
jupons et ses mille pieds fouleront et dérangeront les chemins de
fer. Les machines à roues sortiront de leur voies de métal. Les
eaux déborderont des rivières et des lacs, et la mer elle-même
mugira furieusement. S’ouvriront alors les entrailles des terres et
des cieux de tous les mondes.
Alors, la plus première, la terre mère, s’élèvera et
réclamera par le feu son foyer et sa place. Et pardessus les
orgueilleux édifices du Pouvoir, s’avanceront les arbres, les
plantes et les animaux, et par leurs cœurs vivra de nouveau le
Votan2
Zapata, gardien et cœur du peuple. Et le jaguar empruntera à
nouveau ses routes ancestrales, régnant de nouveau où voulurent
régner l’argent et ses laquais.
Et le puissant ne mourra pas avant d’avoir vu comment sa
superbe ignorance s’écroulera sans à peine faire de bruit. Et
dans son ultime soupir le Commandeur saura qu’il ne sera plus, tout
au plus un mauvais souvenir du monde s’étant rebellé et ayant
résisté à la mort que son mandat commandait.
Et c’est, dit-on, ce que disent les morts de toujours, ceux
qui mourront de nouveau mais, maintenant, pour vivre.
Il se dit qu’on dit que cette parole est sue dans les
vallées et sur les montagnes ; qu’elle est sue dans les
vallons et les plaines ; que la répète l’oiseau tapacamino3,
prévenant ainsi les pas du cœur qui marche en frère ; que la
pluie et le soleil la sèment dans le regard de qui habite ces
terres ; et que le vent l’emmène loin et la niche dans la
pensée complice.
Car des choses terribles et merveilleuses à venir, ces cieux
et ces terres en verront.
Et le jaguar empruntera à nouveau ses routes ancestrales,
régnant de nouveau où voulurent régner l’argent et ses
laquais. »
Le Vieil Antonio se tut et, avec lui, la pluie. Rien ne dort.
Tout rêve.
-*-
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.
SupGaleano
Mexique, Octobre 2020.
Du Carnet de Notes du
Chat-Chien : Partie II.- Les pirogues.
Vous vous souvenez que les divisions en pays n’existent que
pour justifier le délit de « contrebande » et pour
donner du sens aux guerres. Il est clair qu’existent, au moins,
deux choses au-dessus des frontières : l’une c’est le crime
qui, déguisé en modernité, distribue la misère à l’échelle
mondiale ; l’autre c’est l’espoir que la honte n’existe
que lorsque quelqu’un se trompe de pas de danse, et non chaque fois
que nous nous voyons dans le miroir. Pour en finir avec le premier et
faire fleurir le second, il faut juste lutter et être meilleurs. Le
reste va de soi et c’est ce qui remplit fréquemment les
bibliothèques et les musées. Il n’est pas nécessaire de
conquérir le monde, il suffit de le faire derechef. Reçu. Santé et
sachez que, pour l’amour, un lit n’est qu’un prétexte ;
pour le bal un air n’est qu’un ornement ; et pour lutter, la
nationalité n’est qu’un accident simplement circonstanciel.
Don Durito de La Lacandpona, 1995
Le SubMoy disait à Maxo que peut-être faudra-t-il essayer du
bois de balsa (ici on dit « corcho »), mais l’ingénieur
naval contestait que, puisque que plus léger, ce serait pire, il
serait emporté par le courant. « mais tu as dit qu’il n’y
avait pas de courant en mer ». « Mais si il y en a »,
se défendit Maxo. Le SubMoy dit aux autres comités qui suivaient la
tentative suivante : pirogues.
Ils se mirent à façonner plusieurs pirogues. À la hache
et à la machette ils donnèrent forme et vocation marine à des
troncs dont le destin original était bois pour le feu. Comme le
SubMoy s’était absenté quelques
instants, ils demandèrent au SupGaleano s’ils devaient
donner un nom aux
embarcations. Le Sup regardait comment le Monarque examinait un vieux
moteur diesel, il répondit donc distraitement : « Oui,
bien sûr ».
Ils partirent et commencèrent à raboter et à peindre sur les
côtés des noms rationnels et mesurés. Sur l’un on pouvait lire :
« Le pote4
Nageur et Saute Océans ». Un autre :
« L’internationaliste. Une chose est une chose et une autre
chose est dont fuck me, compagnon ». Un autre : « J’arrive
de suite, je ne vais pas tarder mon amour ». Celui là-bas :
« Bon c’est à ton compte, pourquoi nous avoir inviter sinon,
quoi ». Ceux du puy Jacinto Canek baptisèrent le leur « Jean
Robert5 »,
ce qui était leur manière de le faire participer au voyage.
Sur un plus éloigné on arrivait à lire : « Et
pourquoi donc pleurer si ce qui sort est de l’eau salée »,
et s’étendait à continuation : « Ce bateau a été
fabriqué par la Commission Maritime de la municipalité autonome
rebelle zapatiste « Ils nous critiquent d’avoir donner un nom
si long les MAREZ et les Caracoles, mais on s’en fout », du
Conseil de Bon Gouvernement « De même ». Produit
périssable. Date de péremption : ça dépend. Nos embarcations
ne coulent pas, elles ne font que périmer, ce n’est pas la même
chose. Embauches de fabricants de pirogues et fans de musique au
CRAREZ (n’inclut ni marimba ni sono – parce que si elles coulent
ensuite elles ne sont pas remplacées-, mais si on fait beaucoup pour
la cantate… bon, plus ou moins. Ça dépend, quoi). Cette pirogue
ne cotise qu’aux bourses de résistance. À suivre sur la prochaine
pirogue... », (bien sûr, il fallait tourner autour de la
pirogue et sur les parois internes pour lire entièrement le
« nom » ; oui, vous avez raison, le sous-marin
ennemi va perdre tellement de temps à transmettre le nom complet du
navire à couler que, lorsqu’il aura terminé, l’embarcation aura
déjà accosté sur les côtes européennes).
Le problème c’est
que, pendant qu’ils travaillaient les troncs, la rumeur courrait.
L’adorable Amado le raconta au Pablito qui le raconta au Pedrito
qui en informa Défense Zapatiste qui en discuta avec Esperanza qui
dit à Calamité « ne le dis
à personne » qui le raconta à ses mamans qui le dirent dans
le groupe « comme femmes que nous sommes ».
Quand on dit au
SupGaleano que les femmes arrivaient, le Sup courba les épaules et
passa au Monarque la clef qu’on appelle espagnole, d’un demi
pouce, alors qu’il crachait des morceaux du tuyau de sa pipe.
Arrive alors le
Jacob : Hé Sup, le
SubMoy va différer ? »
« Pas la
moindre idée », répondit le SupGaleano tout en regardant
inconsolable sa pipe cassée.
Jacob :
« Et toi, tu sais combien vont voyager ? »
Le Sup :
« Encore. L’Europe d’en-bas n’a pas dit combien ils
peuvent accueillir. Pourquoi ?
Jacob : Ben
c’est que… mieux vaut que tu viennes voir ».
Le SupGaleano brisa
une autre pipe en voyant la « flotte » zapatiste. Au bord
de la rivière, les 6 pirogues aux noms saugrenus, alignés, étaient
remplis de pots et de fleurs.
« Et ça ? »,
demanda le Sup, comme une formalité.
« C’est le
chargement des compagnonnes », répondit Ruben, résigné.
Le Sup : « Leur
chargement ? »
Ruben : « Oui, elles
sont arrivées et ne disaient que « ça, ça va être utile »
et elles sont reparties en laissant ces petites plantes. Et ensuite
une petite fille, je ne sais pas comment elle s’appelle, est venue
et a demandé si le voyage était pour bientôt, c’est à dire elle
voulait savoir si l’arrivée là où nous allons, allait être
différée. Je lui ai demandé pourquoi, si c’est parce que ses
mamans y vont ou quoi. Elle m’a dit que non, que c’était parce
qu’elle voulait envoyer un arbre, tout petit comme ça, que si,
soudainement, nous tardions dans notre voyage, et bien il arriverait
bien grandi et nous pourrons faire du pozol à l’ombre si le soleil
devient féroce. »
« Mais ce sont bien les
mêmes », allégua le Sup (en référence aux plantes,
évidemment).
Non, dit la comité Alejandra. Ça
c’est de l’estafiate,
pour les maux de ventre, ça c’est du thym ; celle-là c’est
de la menthe ; là de la camomille, de l’origan, du persil, de
la coriandre, du laurier, du thé, des aloès ; celle-là c’est
pour si vous avez la diarrhée, celle-là pour les brûlures, ça
pour le mauvais sommeil, là-bas pour si tu as mal aux dents, ici
celle des coliques, celle-ci s’appelle « soigne tout »,
l’autre, là, pour le vomito,
aussi pour la grimace, de la morelle noire, de la maxillaria, de la
rue, des géraniums, des œillets, des tulipes, des roses, les
mañanitas ;
et comme ça.
Jacob senti obligé de clarifier :
« Alors qu’on avait terminé une pirogue, lorsqu’on
retourna voir, elle était déjà pleine de mauvaises herbes. Encore
et encore pleine. Nous en avons maintenant 6, c’est pour ça que je
demande si nous continuons à en faire plus, parce qu’elles vont de
même les remplir. »
« Mais si vous envoyez tout
ça, où vont aller les compagnons ? » voulut raisonner le
Sup avec une compagnonne, coordinatrice de femmes, qui portait dans
ses bras deux pots et un petit acacia dans son châle croisé dans
son dos.
« Ah, parce que des hommes
vont y aller ? », dit-elle.
« Peu importe, les femmes non
plus ne vont pas rentrer », allégua le Sup « au bord de
la crise de nerfs ».
Elle : « Ah, c’est que nous on va pas y aller en
bateau. Nous, nous allons y aller en avion, pour que nous ne
vomitions pas. Bon, si, un peu, mais moins. »
Sup : Et qui vous a dit vous en avion ?
Elle : Nous.
Sup : Mais d’où vient toute cette parole que tu
rapportes ?
Elle : « C’est qu’est arrivée Esperanza à la
réunion de comme femmes que nous sommes et nous a informé que nous
allions toutes mourir misérablement si nous allions avec ces maudits
hommes. Alors nous y avons réfléchi en assemblée et sommes
arrivées à l’accord que nous n’avions pas peur et que nous
étions bien disposées et décidées à ce que les hommes meurent
misérablement et nous pas.
Là on a fait les comptes et nous allons louer l’avion que
Calderon a acheté pour le Peña Nieto et que les mauvais
gouvernements d’aujourd’hui ne savent pas comment faire avec.
Ils disent 500 pesos le billet par personne. On en est à
111 compagnonnes inscrites, mais je crois qu’il manque les équipes
de foot des miliciennes. Donc, si ne viennent que 111, ça ferait 55
500,00 pesos, mais les femmes et les acacias ne paient que la moitié,
donc 27 750. Il faut encore décompter la TVA et la prime pour les
frais de représentation, disons donc quelques 10 mille pesos pour
toutes. Tout ça si le dollar ne baisse pas, sinon hé bien moins.
Mais, pour ne pas contester pour la paie, on va les donner au bœuf
de mon copain, ça n’a pas d’importance si je ne dis pas qui,
mais on va le faire, tous les machos
sont comme ça.
Le SupGaleano en resta bouche bée, essayant de se rappeler où
diable il avait laissé la pipe de secours. Mais quand il vit que les
femmes commençaient à amener des poules, des coqs, des poussins,
des cochons, des canards et des dindons, il dit au Monarque :
« Vite, appelle le SubMoy et dis-lui qu’il est très urgent
qu’il vienne ».
La procession des femmes, plantes et animaux s’éloignait
au-delà de l’enclos. Les suivait la file de la bande de Défense
Zapatiste : la colonne de la horde était ouverte par Pablito,
désormais en mode « si tu ne les vaincs pas, rejoins-les »,
il menait son cheval, suivi de l’adorable Amado avec son vélo
– avec une roue dégonflée-. Puis le Chat-Chien pressant un
troupeau de bétail. Défense et Esperanza mesurent les pirogues
calculant si rentreraient les buts. Le cheval choco portait sur le
museau un filet avec des bouteilles en plastique. Calamité passa
portant un petit avec un bec-de-lièvre qui hurlait de terreur,
craignant qu’on le jette à l’eau pour ensuite le sauver… et
pas ?
Quelqu’un qui ressemblait extraordinairement à un scarabée
fermait la colonne, avec un bandeau de pirate sur l’œil droit, un
pic à brochette tordu sur l’une de ses petites pattes, à la
manière d’un crochet -, et dans l’autre une espèce de bâtonnet
de glace, bien que ce ne fut rien de plus qu’une écharde d’une
des lianes travaillées. L’être étrange, brandissant une lamelle
de bois comme masque, déclamait avec une louable intonation :
« Con diez cañones por banda, / viento en popa, a toda
vela, / no corta el mar sino vuela / un velero bergantín. / Bajel
pirata que llaman / por su bravura “El Temido”, / En
todo el mar conocido / del uno al otro confín. »6.
Lorsque revint le Souscommandant Insurgé Moisés, chef de
l’expédition balbutiante,il trouva le SupGaleano souriant
inexplicablement. Le Sup avait trouvé une autre pipe, celle-là sans
la casser, dans la poche de son pantalon.
Traduction par le Serpent@Plumes du communiqué de l'EZLN, publié le 9 octobre sur le site de liaison zapatiste: ici
Cinquième partie : LE REGARD ET LA DISTANCE À LA PORTE
Octobre 2020.
Supposons qu’il soit possible de choisir, par exemple, où porte
le regard. Supposons que vous puissiez vous libérer, rien qu’un
instant, de la tyrannie des réseaux sociaux qui imposent non
seulement ce qu’on voit et ce dont on parle, mais aussi comment
regarder et comment en parler. Alors, supposons que vous éleviez
votre point de vue. Plus haut : de l’immédiat au local au
régional au national au mondial. Vous le voyez ? Bien sûr, ce
chaos, ce bordel, ce désordre. Alors supposons que vous êtes un
être humain : zut ! Pas une application
numérique qui, avec célérité, regarde, classe, hiérarchise, juge
et sanctionne. C’est donc vous qui choisissez quoi regarder… et
comment le regarder. Il se pourrait, c’est une supposition, que
regarder et juger ne soient pas la même chose. Ainsi, non seulement
vous choisissez, mais vous décidez également. Changer la question
« ça, c’est mal ou c’est bien ? » en
« qu’est-ce que c’est ? ». Bien sûr, la
première question nous mène à un débat savoureux (il y a encore
des débats?). Et de là au « Ça, c’est mal – ou bien –
parce que moi je le dis ». Ou, peut-être, y aura-t-il une
discussion sur ce qu’est le bien et le mal, et de là des arguments
et citations avec pied de page. C’est clair, vous avez raison,
c’est mieux que de recourir aux « like » et « pouce
en l’air », mais j’ai proposé de changer le point de
départ : choisir la direction de son regard.
Par exemple : vous décidez de regarder les musulmans. Vous
avez le choix, par exemple, entre ceux ayant perpétré l’attentat
contre Charlie Hebdo ou celles et ceux qui marchent en ce
moment sur les routes de France afin de réclamer, exiger, imposer
leurs droits. Étant posé que vous êtes arrivés jusqu’à ces
lignes, il est fort probable que vous optiez pour les « sans
papiers » (en français dans le texte, ndt). Bien sûr,
vous vous sentez aussi dans l’obligation de dire que Macron est un
imbécile. Mais, oubliant rapidement ce coup d’œil vers le haut,
vous portez à nouveau votre regard sur les sitting, les campements
et les marches des migrants. Vous vous interrogez sur leur nombre. Ça
vous semble beaucoup, ou peu, ou trop, ou assez. On est passé de
l’identité religieuse à la quantité. Et alors vous vous demandez
ce qu’ils veulent, pour quoi ils luttent. Et là vous décidez si
vous allez recourir aux médias et aux réseaux sociaux pour le
savoir… ou les écouter. Supposez que vous puissiez le leur
demander. Vous leur demandez quelles sont leurs croyances
religieuses, combien ils sont ? Ou vous leur demandez pourquoi
ils ont abandonné leur terre et décidé de gagner un sol et un ciel
avec une autre langue, une autre culture, d’autres lois, d’autres
manières ? Peut-être vous répondront-ils d’un seul mot :
guerre. Ou peut-être vous détailleront-ils ce que ce mot signifie
dans leur réalité. Guerre. Vous décidez d’enquêter : une
guerre où ça ? Ou, mieux encore, pourquoi cette guerre ?
Alors ils vous accablent d’explications : croyances
religieuses, conflits territoriaux, pillage des ressources ou, tout
simplement, stupidité. Mais vous ne vous en satisfaites pas et vous
demandez à qui profite la destruction, le dépeuplement, la
reconstruction, le repeuplement. Vous trouvez les données de
diverses grandes entreprises. Vous investiguez sur ces entreprises et
vous découvrez qu’elles sont présentes dans divers pays, et
qu’elles produisent non seulement des armes, mais aussi des autos,
des fusées interstellaires, des fours à micro-ondes, des services
d’expéditions de colis, des banques, des réseaux sociaux,
« contenus médiatiques », vêtements, téléphones
portables et ordinateurs, chaussures, aliments organiques ou non,
entreprises navales, vente en ligne, trains, chefs de gouvernement et
cabinets, centres de recherche scientifiques ou non, chaînes
d’hôtels et de restaurants, « fast food », lignes
aériennes, centrales thermoélectriques et, bien sûr, fondations
d’aide « humanitaire ». Vous pourriez dire, alors, que
la responsabilité est celle de l’humanité ou du monde entier.
Mais vous vous demandez si le monde ou l’humanité ne sont pas
également responsables de cette marche, ce sitting, ce campement de
migrants, de cette résistance. Et vous en arrivez à la conclusion,
ça se peut, c’est probable, peut-être, que le responsable est un
système intégral. Un système qui produit et reproduit la douleur,
qui l’inflige et qui la subit.
Maintenant, reportez votre regard sur la marche qui parcourt les
routes de France. Supposez qu’ils soient peu, très peu, qu’il
n’y ait qu’une femme portant son poussin. Est-ce que sa
croyance religieuse, sa langue, ses vêtements, sa culture, ses
manières, vous importent encore ? Est-ce important que ce ne
soit qu’une femme seule qui porte son poussin dans les
bras ? Maintenant, oubliez la femme pour un instant et
concentrez votre regard uniquement sur la créature. Est-ce important
si c’est un mâle ou une femelle ou autre ? Sa couleur de
peau ? Peut-être découvrez-vous, maintenant, que ce qui compte
c’est sa vie.
Maintenant, allons plus loin, après tout vous êtes arrivé.e.s
jusqu’à ces lignes, donc quelque-une de plus ne vous feront pas de
mal. Ok, pas trop de mal.
Supposez que cette femme vous parle et que vous ayez le privilège
de comprendre ce qu’elle dit. Croyez-vous qu’elle exigera de vous
que vous lui demandiez pardon pour la couleur de votre peau, vos
croyances religieuses ou non, votre nationalité, vos ancêtres,
votre langue, votre genre, vos manières ? Vous dépêcherez-vous
de lui demander pardon d’être qui vous êtes ? Vous espérez
qu’elle vous pardonne et pouvoir retourner à votre vie en ayant
solder ce compte ? Ou qu’elle ne vous pardonne pas et que vous
vous disiez « bon, au moins j’ai essayé et je suis
sincèrement désolé d’être qui je suis » ?
Ou avez-vous peur qu’elle ne vous parle pas, qu’elle vous
regarde simplement en silence, et vous sentez ce regard qui vous
demande « Et toi, alors ? » ?
Si vous arrivez à ce raisonnement-sentiment-angoisse-désespoir,
alors, je suis désolé, il n’existe aucun remède : vous êtes
un être humain.
-*-
Ayant ainsi
prouvé que vous n’êtes pas un bot,
répétez l’opération avec l’Ile de Lesbos ; le Rocher de
Gibraltar ; la Manche ; Naples ; la rivière
Suchiate ; le
Rio Bravo.
Maintenant tourner votre regard et cherchez la Palestine, le
Kurdistan , l’Euskadi et Wallmapu. Oui, je sais, ça fait un
peu tourner la tête… et ce n’est pas tout. Mais dans ces
endroits, il y a des gens (beaucoup ou peu ou trop ou assez) qui
luttent aussi pour la vie. Mais il se trouve que ces gens conçoivent
la vie comme inséparablement liée à leur terre, à leur langue,
leur culture, leur manières. À ce que le Congrès Nationale
Indigène nous a appris à nommer « territoire », et qui
n’est pas qu’un morceau de terre. N’avez-vous pas envie que ces
personnes vous content leur histoire, leur lutte, leurs rêves ?
Oui, je sais, ce serait sans doute mieux pour vous de recourir à
Wikipedia, mais n’êtes-vous pas tenté de l’écouter directement
et d’essayer de le comprendre ?
Revenez maintenant à ce qui se trouve entre le Rio Bravo et la
rivière Suchiate. Approchez-vous d’un lieu qui s’appelle
« Morelos ». Un nouveau zoom du regard sur la
municipalité de Temoac. Focalisez-vous maintenant sur la communauté
de Amilcingo. Vous voyez cette maison ? C’est la maison d’un
homme qui, de son vivant, portait le nom de Samir Flores Soberanes.
Devant sa porte, il a été assassiné. Son crime ? S’opposer
à un méga-projet qui représente la mort pour la vie des
communautés auxquelles il appartenait. Non, je ne me suis pas trompé
dans la rédaction : Samir a été assassiné non pas pour avoir
défendu sa vie individuelle, mais celle de ses communautés.
Plus encore : Samir a été assassiné pour avoir défendu la
vie de générations dont on imagine même pas encore qu’elles
seront là. Parce que pour Samir, pour ses compagnons et
compagnonnes, pour les peuples originaires regroupés au sein du CNI
et pour nous, femmes, hommes, autrEs, zapatistes, la vie de la
communauté ne se conjugue pas seulement au présent. C’est,
surtout, ce qui adviendra. La vie de la communauté est quelque chose
qui se construit aujourd’hui, mais pour le future. La vie dans la
communauté est donc quelque chose qui s’hérite. Vous croyez,
vous, que les comptes sont soldés si les assassins –
l’intellectuel et le matériel – demandent pardon ? Vous
pensez que sa famille, son organisation, le CNI, nous, serons
satisfaits si les criminels demandent pardon ? « Pardonnez-moi,
je l’ai désigné pour que les sicaires procèdent à
son exécution, j’ai jamais su tenir ma langue. Je veillerai à
m’améliorer, ou pas. Maintenant je vous ai demandé pardon, alors
cessez votre sitting et allons finir la centrale thermoélectrique,
parce que sinon, on va perdre beaucoup d’argent ». Vous
pensez que c’est ce qu’ils attendent, ce que nous attendons, que
c’est pour ça qu’ils luttent, que nous luttons ? Pour
qu’ils demandent pardon ? Qu’ils déclarent « pardon,
oui, nous avons assassiné Samir et, en même temps, avec ce projet,
nous assassinons ses communautés. Voilà quoi, pardonnez-nous. Et si
vous ne nous pardonnez pas, ben tant pis, il faut terminer le
projet » ?
Mais en fait, ceux qui auraient demandé pardon pour la centrale
thermoélectrique, sont ceux du Train mal dénommé « Maya »,
du « couloir transismico », des barrages, des
mines à ciel ouvert et des centrales électriques, ceux qui ferment
les frontières pour arrêter la migration provoquée par les guerres
qu’eux-mêmes alimentent, qui persécutent les Mapuche, qui
massacrent les Kurde, qui détruisent la Palestine, qui tirent sur
les afro-américains, qui exploitent (directement ou indirectement)
les travailleurs aux quatre coins de la planète, qui cultivent et
exaltent la violence de genre, qui prostituent l’enfance, qui vous
espionnent pour savoir ce que vous aimez et vous le vendre – et si
vous n’aimez rien, hé bien ils font en sorte que vous aimiez -,
les mêmes qui détruisent la nature. Les mêmes qui voudraient vous
faire croire, à vous, aux autres, à nous, que la responsabilité de
ce crime mondial et en cours, est de la responsabilité de nations,
de croyances religieuses, de résistance au progrès, de
conservateurs, de langues, d’histoires, de manières. Que tout se
résume à un individu… ou une individu (ne pas oublier la parité
de genre).
Si
vous pouviez allez dans tous les
recoins de cette planète moribonde, qu’est-ce que vous feriez,
vous ? Bon, on sait pas. Mais nous, femmes, hommes, autrEs,
zapatistes nous irions apprendre. Bien sûr danser, mais l’un
n’empêche pas l’autre, je crois. Si nous avions cette
opportunité, nous serions prêt.e.s à tout risquer, tout. Pas
seulement notre vie individuelle, mais aussi notre vie collective. Et
si cette possibilité n’existait pas, nous lutterions pour la
créer. Pour la construire, comme s’il s’agissait d’un navire.
Oui, je sais, c’est de la folie. Quelque chose d’impensable. Qui
pourrait croire que le destin de celles
et ceux qui résistent à la centrale thermoélectrique, dans un tout
petit coin du Mexique, pourrait intéresser la Palestine, le peuple
Mapuche, le basque, le migrant, l’afro-américain, la jeune
écologiste suédoise, la guerrière kurde, la mère qui lutte dans
une autre partie du monde, au Japon, en Chine, en
Corée (l’une
ou l’autre),
Océanie, mère
Afrique ?
Ne devrions-nous
pas, par contre, aller, par exemple, à Chablekal, au Yucatan, au
local de l’Equipo Indignación, et leur demander :
« Hé ! Vous avez la peau blanche et vous êtes
croyants, demandez pardon ! » ? Je suis presque
sûr qu’ils répondraient : « pas de problème, mais
attendez votre tour, parce que là nous sommes occupé.e.s à
accompagner qui résiste au Train Maya, qui souffre de dépossessions,
de persécution, de prison, de mort. » Et illes
ajouteraient :
« En
plus, nous devons faire faceà
l’accusation du dirigeant suprême selon
laquelle nous serions financé par les
Illuminati en tant que partie d’un complot interplanétaire pour
arrêter la 4T (4e Transformation, plan de
développement comprenant des méga-projets lancé par le président
AMLO, ndt) ». Mais ce dont je suis sûr c’est qu’ils
utiliseraient le verbe « accompagner », et non
« diriger », « commander », « mener ».
Ou devrions-nous plutôt
envahir les Europes au cri de « Rendez-vous visage-pâles ! », et
détruire le Parthénon, le Louvre et le Prado et, au lieu des
sculptures et peintures, tout remplir de broderies zapatistes, tout
spécialement de masques zapatistes – qui, soit dit en passant,
sont efficaces et tout mignons - ; et, au lieu des pâtes, des
plateaux de fruits de mer et des paellas, imposer la consommation
d’épis de maïs, de cacaté (boisson à base de cacao, ndt) et de
yerba mora (la morelle noire, plante herbacée semblable aux
épinards, ndt) ; au lieu de sodas, vins et bières, pozol (boisson épaisse à base de maïs, ndt) obligatoire ; et qui sort dans la
rue sans passe-montagne, amende ou prison (oui, optionnel, parce
qu’il ne faut pas exagérer quand même) ; et crier « Voyons,
voyons... pour les rockers, marimba obligatoire ! Et à partir de
maintenant que de la cumbia, pas le moindre reggaeton (ça vous
tente, n’est-ce pas?) ! Et toi, Panchito Varon et Sabina (musicien
et chanteur espagnols, ndt), les autres aux chœurs, commencez avec «
Cartas Marcadas » (du chanteur mexicain Pedro Infante, ndt), en
boucle, même si ça
nous mène jusqu'à
dix, onze, minuit, une, deux et trois… et c'est tout, parce que
demain il faut se lever tôt ! Écoute, autre toi, ex
roi-poudre-d’escampette, laisse ces éléphants en paix et mets-toi
à cuisiner ! Soupe de courges pour toute la cour ! (je sais, ma
cruauté est exquise) ?
Maintenant dites-moi : vous croyez que le cauchemar de ceux
d’en-haut c’est que vous les obligiez à demander pardon ?
Ça ne serait pas plutôt qu’on peuple leur rêve de deux choses
horribles qui seraient qu’ils disparaissent, qu’ils n’importent
pas, qu’on ne tienne pas compte d’eux, qu’ils ne soient rien,
que leur monde s’écroule sans à peine faire de bruit, sans
personne pour se souvenir d’eux, leur ériger des statues, des
musées, des cantiques, des jours de commémoration ? Ça ne
serait pas que cette réalité possible les mette en panique ?
-*-
Ce fut l’une des rares fois que feu le SupMarcos n’eut pas
recourt à un parallèle cinéphile pour expliquer quelque chose.
Parce que, vous n’êtes pas censés le savoir, ni moi vous le dire,
le défunt pouvait faire référence pour les étapes de sa courte
vie, chacune, à un film. Ou accompagner une explication sur la
situation nationale ou internationale d’un « comme dans
tel film ». Bien sûr, plus d’une fois il a du rajuster
le scénario pour qu’il colle à son récit. Comme la plus part
d’entre-nous n’avions pas vu le film en question et que nous
n’avions pas de réseau pour consulter wikipedia sur nos portables,
et bien nous le croyions. Mais ne dévions pas du sujet. Attendez, je
crois qu’il a laissé une note dans tous les papiers qui saturent
sa malle aux souvenirs… Ah, le voilà ! Allons-y alors :
« Pour comprendre notre obstination et la mesure de notre
audace, imaginez que la mort soit une porte dont on peut franchir le
seuil. Il y aura beaucoup et de nombreuses spéculations sur ce qu’il
y a derrière cette porte : le ciel, l’enfer, les limbes,
rien. Et au sujet de ces options, des dizaines de descriptions. La
vie, alors, pourrait être vue comme le chemin vers cette porte. La
porte, la mort donc, serait ainsi un point d’arrivée… ou une
interruption, l’impertinente coupure de l’absence blessant l’air
de la vie.
À cette porte on arrive donc avec la violence de la torture et
l’assassinat, l’infortune d’un accident, le douloureux
entrebâillant de la porte avec la maladie, la fatigue, le désir.
C’est à dire, bien que la majorité des fois on arrive à cette
porte sans l’avoir désiré ni voulu, il serait aussi possible que
ce soit un choix.
Chez les peuples originaire, aujourd’hui zapatistes, la mort
était une porte postée presque au début de la vie. L’enfance se
heurtait à elle avant les 5 ans, et la passait entre fièvres et
diarrhées. Ce que nous avons fait le 1er janvier 1994
c’est essayer d’éloigner cette porte. Bien sûr, il fallut être
prêt à la franchir pour y arriver, même si nous ne le voulions
pas. Dès lors, toute notre obstination a été, et est toujours,
d’éloigner le plus possible cette porte. « Allonger
l’espérance de vie », diraient les spécialistes.
Mais une vie digne, rajouterait-on, nous. L’éloigner jusqu’à
parvenir à la coller dans un coin, mais très loin sur le chemin.
C’est pourquoi nous disions au début du soulèvement que « pour
vivre, nous mourrons ». Parce que si nous ne léguons
pas la vie, c’est à dire le chemin, alors pourquoi vivons-nous ? »
-*-
Hériter de la vie.
C’est précisément ce qui préoccupait Samir Flores Soberanes.
Et c’est ce qui peut résumer la lutte du Front des Peuples
en Défense de l’Eau et de la Terre de Morelos, Puebla et Tlaxcala,
dans sa résistance et rébellion contre la centrale thermoélectrique
et le dénommé « Projet Intégral Morelos ». À leurs
demandes d’arrêter et d’abandonner un projet de mort, le mauvais
gouvernement répond en argumentant que ça ferait perdre beaucoup
d’argent.
Ici, au Morelos, se résumé la confrontation actuelle du monde
entier : l’argent contre la vie. Et dans cet affrontement,
dans cette guerre, aucune personne honnête ne devrait rester
neutre : ou pour l’argent, ou pour la vie.
Et
ainsi nous pourrions conclure que la lutte pour la vie n’est pas
une obsession chez les peuples originaires. C’est plutôt… une
vocation… et collective.
O.K. Santé et
n’oublions pas que pardon et justice ne sont pas les mêmes.
Depuis les montagnes des
Alpes, se demandant qu’envahir en premier : l’Allemagne,
l’Autriche, la Suisse, la France, l’Italie, la Slovénie, Monaco,
le Liechtenstein ? Nan, c’est une blague… ou pas ?
Le
SupGaleano s’entraînant
àsa
“nausée”
la
plus élégante.
Mexique, Octobre
2020.
Du
carnet de note du Chat-Chien : Une
montagne en haute mer. Partie I : Le radeau.
« Et
dans les mers de tous les mondes qui sont au monde,
on
vit des montagnes
qui se déplaçaient sur l’eau et, sur
elles
avec
le visage dérobé,
des femmes, des hommes et des
genres autres ».
« Chroniques
du lendemain ». Don Durito de La Lacandona. 1990
À
la troisième tentative ratée, Maxo resta pensif et, après quelques
secondes, s’exclama : « Il
faut des liens. » « Je te l’avais dis », esquive
Gabino. Les restes du radeau flottaient en se dispersant, se heurtant
les unes aux autres au grès du courant de la rivière qui, faisant
honneur à son nom de « Colorado », se teintait de la
boue rougeâtre arrachée aux berges.
Ils
appelèrent alors un escadron de cavalerie de la milice, qui arriva
au rythme de la « Cumbia Sobre el
Rio Suena », du maître Celso Piña. Ils mirent
bout à bout
les liens et firent deux grandes
sections.
Ils envoyèrent une équipe de l’autre côté de la rivière.
Attachant leurs liens au radeau, chaque groupe pouvait contrôler la
trajectoire du navire sans qu’il finisse défait, remorquer
le bouquet de troncs sur une rivière qui faisait même comme si elle
ne savait rien de la tentative
de navigation.
L’absurdité
en cours a surgi après que se décide l’invasion… pardon, la
visite des cinq continents. Et tant pis. Parce que, quand ce fut
voté, et à la fin, le SupGaleano leur dit : « vous
êtes fous, nous n’avons pas de bateau »,
Maxo répondit : « Faisons-en
un ».
Ils commencèrent rapidement à faire des propositions.
Comme pour tout ce
qui est absurde en terres zapatistes, la construction du « bateau »
fit appel à la bande de Défense Zapatiste.
« Les
compagnonnes vont mourir misérablement », déclara
Esperanza, avec son légendaire optimisme (la fillette avait trouvé
ce mot dans quelque livre et avait compris que ça se référait à
quelque chose d’horrible et irrémédiable, et elle l’utilisait à
plaisir : « Mes mamans
m’ont coiffé misérablement », « La maîtresse m’a
rayé misérablement », et encore), quand à
la quatrième tentative, le radeau se délita presque immédiatement.
« Et
les compagnons », se sentit obligé d’ajouter le Pedrito,
se demandant si la solidarité de genre était de mise dans ce
destin… misérable.
«Nan »,
répliqua Défense. « Les compagnons tu les remplaces comme
tu veux, mais des compagnonnes… où vas-tu en trouver ? Des
compagnonnes, de vraies compagnonnes, pas n’importe laquelle ».
La bande de Défense
était placée stratégiquement. Non pour contempler les aléas des
comités pour la construction du bateau. Défense et Esperanza
tenaient par la main Calamité, qui avait déjà essayé deux fois de
se jeter à l’eau pour sauver le radeau, et fut chaque fois taclée
par le Pedrito, le Pablito et l’adoré Amado. Le cheval brun et le
chat-chien furent renversés dès le début. Ils s’inquiétaient
inutilement. Lorsque le SupGaleano vit que la horde arrivait, il
assigna trois pelotons de miliciennes sur la berge de la rivière.
Avec son habituelle diplomatie et sans se départir de son sourire,
le Sup leur dit : « Si cette fillette arrive dans
l’eau, vous mourrez toutes ».
Après le succès du sixième essai, les
comités essayaient de charger le radeau de ce qu’ils appelèrent
« des choses essentielles » pour le voyage (une espèce
de kit de survie zapatiste) : un sac de tostadas, du sucre de
canne, un petit sac de café, quelques boules de pozol, un monceau de
bois, un morceau de bâche en cas de pluie. Ils restèrent à
contempler et se rendirent compte qu’il manquait quelque chose.
Bien sûr, ils ne tardèrent pas à ramener une marimba.
Maxo alla où le Monarque et le
SupGaleano examinaient quelques plans de ceux dont je vous ai parlé
en d’autres occasion et lui dit : « Écoute, Sup, je
veux que tu envoies une lettre à ceux de l’autre côté :
qu’ils cherchent des liens et qu’ils les nouent pour qu’ils
soient bien longs, et qu’ils les lancent jusqu’ici et alors
depuis les deux rives on pourra bouger le « bateau ».
Mais je veux qu’illes s’organisent, parce que si chacun lance une
corde de son côté, et bien nous n’arriverons à rien. Je veux
donc qu’ils les mettent bout à bout, qu’ils s’organisent ».
Maxo ne s’attendait pas à ce que le
SupGaleano sorte de sa perplexité, et tente de lui expliquer qu’il
y avait une grande différence entre un radeau fait de troncs
attachés avec des lianes, et un bateau pour traverser l’Atlantique.
Maxo alla superviser l’essai du radeau avec toute l’impédimenta.
Ils discutèrent pour savoir qui monterait pour essayer avec des
personnes, mais la rivière claquait d’une rumeur sinistre, et donc
ils optèrent pour fabriquer un mannequin et le coincer au milieu de
l’embarcation. Maxo était en quelque sorte l’ingénieur naval
parce que, il y a de ça quelques années, lorsqu’une délégation
zapatiste alla soutenir le campement Cucapa, il entra dans la Mer de
Cortés. Maxo n’expliqua pas qu’il failli se noyer parce que le
passe-montagnes se colla à son nez et à la bouche et qu’il ne
pouvait plus respirer. Un vieux loup de mer expliqua : « c’est
comme une rivière, mais sans courant,et plus grand, bien plus, comme
le lac de Miramar ».
Le SupGaleano essayait de déchiffrer comment se disait « lazo »
en allemand, italien, français, anglais, grec, basque, turc,
suédois, catalan, finlandais, etc., lorsque la major Irma s’approcha
et lui dit « met qu’elles ne sont pas seules ».
« Ni seuls », ajouta le lieutenant colonel
Rolando. « Ni SeulLEs », s’aventura la Marijose,
qui était arrivée pour demander aux musiciens qu’ils jouent Le
Lac des Cygnes mais en version cumbia. « Allez, de la
joie, quoi, dansez donc, que votre cœur ne soit pas triste ».
Les musiciens demandèrent ce qu’était « Cygnes ».
« C’est comme des canards mais plus mignons, comme si on
leur avait beaucoup étiré le cou et qu’ils étaient restés comme
ça. C’est comme si c’était des girafes mais qui marchent comme
des canards ». « On les mange ? »,
demandèrent les musiciens, qui savaient que c’était maintenant
l’heure du pozol et qu’ils n’étaient venu que pour déposer la
marimba. « Qu’est-ce que tu crois, les cygnes
dansent ». Les musiciens se dirent qu’une version de
« poulet/frites » (nom d’une cumbia populaire, ndt)
pourrait servir. « On va y réfléchir »,
dirent-ils, et ils allèrent se servir du pozol.
Pendant ce temps Défense Zapatiste et Esperanza persuadaient
Calamité que, étant donné que le SupGaleano était occupé, sa
cahute était vide et il était très probable qu’il avait caché
un paquet de petit-beurres dans la caisse de tabac. Calamité
hésitait, elles durent donc lui dire que là-bas elle pourrait faire
du pop-corn. Elles partirent. Le Sup les vit s’éloigner, mais ne
s’en inquiéta pas, il était impossible qu’elles trouvent la
cachette des petit-beurres, cachés sous les sacs de tabac moisi,
et, allant vers le Monarque et montrant quelque diagramme, lui
demanda : « Tu es sûr qu’ils ne va pas couler ?
Parce qu’on voit bien que ça va être lourd ». Le
Monarque resta pensif et répondit : « Peut-être ».
Puis dit, sérieux : « qu’ils emmènent donc des
vessies, comme ça ils flotteront » (note : vessies =
ballons).
Le Sup soupira et dit : « plus que d’un bateau,
c’est d’un peu de raison dont nous avons besoin ».
« Et plus de liens », ajouta le SubMoy, qui
arrivait juste au moment où le radeau, chargé à raz-bord, coulait.
Pendant que sur la berge le groupe des Comités contemplait les
restes du naufrage et la marimba flottant pattes en l’air,
quelqu’un dit : « une chance qu’on ait pas chargé
le matos de son, c’est plus cher ».
Tous applaudirent lorsque le mannequin de chiffons remonta à la
surface. Quelqu’un, prévoyant, lui avait mis, sous les bras, deux
vessies gonflées.
Traduction par le Serpent@Plumes du communiqué de l'EZLN, publié le 5 ocotbre sur le site de liaison zapatiste: ici
Sixième
partie : UNE MONTAGNE EN HAUTE MER
COMMUNIQUÉ
DU COMITÉ CLANDESTIN RÉVOLUTIONNAIRE INDIGÈNE – COMMANDEMENT
GÉNÉRAL DE L’ARMÉE ZAPATISTE DE LIBÉRATION NATIONALE.
MEXIQUE.
5
octobre 2020
Au
Congrès National Indigène – Conseil Indigène de Gouvernement :
À
la Sexta Nationale et Internationale :
Aux
Réseaux de Résistance et Rébellion :
Aux
personnes honnêtes qui résistent dans tous les coins de la
planète :
Sœurs,
frères, frœurs :
Compañeras,
compañeros et compañeroas:
Les
peuples originaires de racine maya et les zapatistes nous vous
saluons et vous disons ce qui advient dans notre pensée commune, en
accord avec ce que nous voyons, entendons et ressentons.
Premièrement.-
Nous regardons et écoutons un monde malade dans sa vie sociale,
fragmenté en millions de personnes éloignées les unes des autres,
accrochées à leur survie individuelle, mais unies sous l’oppression
d’un système prêt à tout pour étancher sa soif de profits, même
lorsqu’il est clair que sa voie va à l’encontre de l’existence
de la planète Terre.
L’aberration
du système et sa stupide défense du « progrès » et de
la « modernité » se fracasse sur une réalité
criminelle : les féminicides. Le meurtre de femmes n’a ni
couleur ni nationalité, il est mondial. S’il est absurde et
insensé que l’on persécute, fasse disparaître, assassine
quelqu’un pour la couleur de sa peau, sa race, sa culture, ses
croyances ; on ne peut croire que le fait d’être une femme
équivaille à une sentence de marginalisation et de mort.
Dans
cette escalade prévisible (harcèlement, violence physique,
mutilation et assassinat), avec l’aval d’une impunité
structurelle (« elle l’a bien mérité », « elle
avait des tatouages », « qu’est-ce qu’elle faisait à
cet endroit à cette heure-là ? », « habillée
comme ça, il fallait s’y attendre »), les meurtres de
femmes n’ont aucune logique criminelle qui ne soit celle du
système. Différentes strates sociales, différentes races,
différents âges qui vont de la petite enfance jusqu’à la
vieillesse et dans des géographies distantes les unes des autres, la
seule constante est le genre. Et le système est incapable
d’expliquer pourquoi tout ceci avance main dans la main avec son
« développement » et son « progrès ». Dans
la révoltante statistique des mortes, plus une société est
« développée » plus est important le nombre de victimes
dans cette authentique guerre de genre.
Et
la « civilisation » semble nous dire, à nous peuples
originaires : « la preuve de votre
sous-développement réside dans votre faible taux de
féminicides. Ayez vosméga-projets, vos
trains, vos centrales thermoélectriques, vos
mines, vos barrages, vos centres
commerciaux, vos magasins d’électroménager – avec
chaîne de télévision incluse -, et apprenez à
consommer. Soyez comme nous. Pour solder la dette de cette
aide progressiste, ni vos terres, ni vos eaux, ni vos cultures, ni
vos dignités ne suffisent. Vous devez compléter cela avec la vie
des femmes ».
Deuxièmement.-
Nous regardons et écoutons la nature blessée à mort, et qui, dans
son agonie, avertit l’humanité que le pire est encore à venir.
Chaque catastrophe « naturelle » annonce la suivante et
oublie, comme par hasard, que c’est l’action d’un système
humain qui l’a provoquée.
La
mort et la destruction ne sont maintenant plus des choses éloignées,
arrêtées aux frontières, respectant les douanes et les conventions
internationales. La destruction, dans n’importe quel recoin du
monde, se répercute sur toute la planète.
Troisièmement.-
Nous regardons et écoutons les puissants se replier et se cacher
dans les dénommés États Nation et derrière leurs murs. Et, dans
cet impossible saut en arrière, ils revivent les nationalismes
fascistes, les chauvinismes ridicules et les discours assourdissants.
En cela nous remarquons les guerres à venir, celles qui se
nourrissent d’histoires fausses, creuses, mensongères et qui
traduisent nationalités et races en suprématies qui s’imposent
par la voie de la mort et de la destruction. Dans les différents
pays on vit la querelle entre contremaître et ceux qui aspirent à
leur succéder, qui cache que le patron, le maître, le petit chef,
est le même et qu’il n’a pas d’autre nationalité que celle de
l’argent. Et pendant ce temps, les organismes internationaux
dépérissent et se convertissent en simples noms, telles des pièces
de musée… ou même pas.
Au
milieu de l’obscurité et de la confusion qui précèdent ces
guerres, nous entendons et voyons l’attaque, le siège et la
persécution de la moindre étincelle de créativité, d’intelligence
et de rationalité. Face à la pensée critique, les puissants
réclament, exigent et imposent leurs fanatismes. La mort qu’il
plantent, cultivent et récoltent n’est pas seulement physique ;
elle inclue aussi l’extinction de l’universalité-même de
l’humanité – l’intelligence -, ses avancées et succès.
Ressuscitent ou sont crées de nouveaux courants ésotériques, laïcs
ou non, grimés à la mode intellectuelle ou pseudo-science ; et
les arts et les sciences prétendent être soumises aux militantismes
politiques.
Quatrièmement.-
La pandémie de COVID19 n’a pas seulement révélé les
vulnérabilités de l’être humain, mais aussi la voracité et la
stupidité des différents gouvernements nationaux et leurs supposées
oppositions. Les mesures du plus élémentaire bon sens ont été
méprisées, pariant toujours que la pandémie serait de courte
durée. Lorsque l’avancée de la maladie devint à chaque fois plus
grande, les chiffres ont commencé à remplacer les tragédies. La
mort devint ainsi un chiffre se perdant quotidiennement entre
scandales et déclarations. Un comparatif morbide entre nationalismes
ridicules. C’est la moyenne au bâton et de courses propres qui
détermine quelle équipe, ou Nation, est la meilleure ou la pire.
Comme
détaillé dans l’un des textes précédents, chez les zapatistes,
nous avons opté pour la prévention et l’application de mesures
sanitaires qui, en leur temps, furent soumises aux scientifiques qui
nous ont orienté et offert, sans hésiter, leur aide. Nous, les
peuples zapatistes, les remercions et ainsi le leur exprimons. Six
mois après la mise en place de ces mesures (masque ou équivalent,
distance entre les personnes, arrêt des contacts personnels directs
avec les zones urbaines, quarantaine de 15 jours pour qui aurait pu
être en contact avec des personnes contagieuses, lavage fréquent à
l’eau et au savon), nous pleurons la mort de 3 compagnons
présentant deux ou plus symptômes associé à la Covid19 et qui
avaient été en contact direct avec des personnes contagieuses.
Huit
autres compagnons et une compagnonne, qui sont morts à cette
période, présentaient l’un des symptômes. Puisque nous manquons
de preuves, nous assumons que la totalité des 12 compagon.ne.s sont
mort.e.s à cause du dénommé Corona virus (les scientifiques nous
ont recommandé d’assumer que n’importe quelle difficulté
respiratoire soit la Covid19). Ces 12 absences sont de notre
responsabilité. Ce n’est la faute ni de la 4T (quatrième
transformation, projet de développement du président AMLO
comprenant des méga-projets, ndt) ni de l’opposition, des
néolibéraux ou des néoconservateurs, des pro et des anti, des
conspirations ou des complots. Nous pensons que nous aurions du
prendre encore plus de précautions.
Actuellement,
avec sur les épaules l’absence de ces 12 compagnon.ne.s, nous
améliorons dans toutes les communautés les mesures de prévention,
dorénavant avec l’appui d’Organisations Non Gouvernementales et
de scientifiques qui, à titre individuel ou en collectif, nous
guident sur la manière d’affronter avec le plus de force une
possible nouvelle vague. Des dizaines de milliers de masques (conçus
spécialement pour éviter qu’un porteur possible ne contamine
d’autres personnes, bon marché, réutilisables et adaptés aux
circonstances) ont été distribués dans toutes les communautés.
D’autres dizaines de milliers de plus sont en train d’être
produits dans les ateliers de broderie et de couture d’insurgé.e.s
et dans les villages. L’utilisation massive de masques, les
quarantaines de deux semaines pour qui pourrait être infecté, la
distanciation et le lavage continu des mains et des visages à l’eau
et au savon, et éviter le plus possible d’aller dans les villes,
sont des mesures recommandées même pour les frères et sœurs des
partis, afin de contenir l’expansion de la contagion et permettre
la continuité de la vie communautaire.
Le
détail de ce que fut et ce qu’est notre stratégie pourra être
consulté le moment venu. Pour l’instant nous disons, la vie
battante dans notre corps, que, selon notre valorisation (en quoi
nous pouvons probablement nous tromper), affronter la menace en tant
que communauté, et non comme une question individuelle, et diriger
notre effort principal sur la prévention, nous permet de dire, en
tant que peuples zapatistes : nous sommes là, nous résistons,
nous vivons, nous luttons.
Et
maintenant, dans le monde entier, le grand capital compte que nous
retournions dans les rues, pour que les personnes rendossent leur
condition de consommateurs. Car ce sont les problèmes du Marché qui
le préoccupent : la léthargie dans la consommation de
marchandises.
Oui,
il faut retourner dans les rues, mais pour lutter. Car, comme nous
l’avons dit avant, la vie, la lutte pour la vie, ce n’est pas une
affaire personnelle, mais collective. Maintenant on voit bien que ce
n’est pas non plus une question de nationalités, c’est mondial.
-*-
Nous
voyons et entendons beaucoup de ces choses. Et nous y pensons
beaucoup. Mais pas seul…
Cinquièmement.-
Nous écoutons et regardons aussi les résistances et révoltes qui,
parce que tues ou oubliées, cessent d’être les clefs, les pistes
d’une humanité qui se refuse à suivre le système dans sa marche
forcée vers l’effondrement : le train mortel du progrès qui
avance, superbe et impeccable, vers le précipice. Pendant ce temps
le machiniste oublie qu’il n’est qu’un employé de plus et
croit, ingénu, qu’il décide du chemin, alors qu’il ne fait que
suivre la prison des rails jusqu’à l’abîme.
Des
résistances et des révoltes qui, sans oublier les larmes pour les
absent.e.s, s’obstinent à lutter pour – qui le dira -, la chose
la plus subversive qu’il y ait en ces mondes divisés entre
néolibéraux et néoconservateurs : la vie.
Des
révoltes et des résistances qui comprennent, chacune à leur manière,
en leur temps et leur géographie, que les solutions ne résident pas
dans la foi dans les gouvernements nationaux, qu’elles ne se
conçoivent pas protégées par des frontières ni ne se parent de
drapeaux et de langues différentes.
Des
résistances et des révoltes qui nous enseignent à nous, tous,
toutes et toustes, zapatistes, que les solutions pourraient être en
bas, dans les caves et recoins du monde. Pas dans les palais
gouvernementaux. Pas dans les bureaux des grandes entreprises.
Des
révoltes et des résistances qui nous montrent que, si ceux
d’en-haut coupent les ponts et ferment les frontières, nous
pouvons toujours naviguer sur les fleuves et les mers pour nous
rencontrer. Que le remède, si il y en a un, est mondial, et qu’il
a la couleur de la terre, du travail qui vit et meurt dans les rues
et les quartiers, les mers et les cieux, dans les montagnes et leurs
entrailles. Que, tout comme le maïs originaire, nombreuses sont ses
couleurs, ses teintes et ses sons.
-*-
Tout
cela, et bien plus encore, nous le regardons et l’écoutons. Et
nous nous regardons et nous écoutons tel que nous sommes : un
nombre qui ne compte pas. Parce que la vie n’a pas d’importance,
n’est pas vendeuse, n’est pas une info, n’entre pas dans les
statistiques, ne concourt pas dans les enquêtes, n’est pas
valorisée sur les réseaux sociaux, ne provoque rien, ne représente
pas un capital politique, un étendard partisan, elle ne fait pas le
buzz. Qui en a quoi que ce soit à faire qu’un petit, qu’un
minuscule groupe d’autochtones, d’indigènes, vive, c’est à
dire, lutte ?
Parce
qu’il se trouve que nous vivons. Malgré les paramilitaires, les
pandémies, les méga-projets, les mensonges, les calomnies et
l’oubli, nous vivons. C’est à dire que nous luttons.
Et
en cela nous pensons : en quoi nous continuons à lutter. C’est
à dire, que nous continuons à vivre. Et nous pensons que durant
toutes ces années nous avons reçu l’étreinte fraternelle de
personnes de notre pays et du monde. Et nous pensons que, si ici la
vie résiste et, non sans difficultés, fleurit, c’est grâce à
ces personnes qui défièrent les distances, la paperasse, les
frontières et les différences culturelles et de langue. Grâce à
elles, eux, elleux – mais surtout elles -, qui ont défié et
défait les calendriers et les géographies.
Dans
les montagnes du Sud-est mexicain, tous les mondes du monde ont
trouvé, et trouvent, une écoute dans nos cœurs. Leur parole et
action ont alimenté la résistance et la révolte, qui ne sont que
la continuation de celles de nos prédécesseurs.
Les
gens qui cheminent avec les sciences et les arts, ont trouvé le
moyen de nous étreindre et nous encourager, même si ce fut à
distance. Les journalistes, anti ou non, qui ont documenté la misère
et la mort avant, la dignité et la vie toujours. Des personnes de
toute profession et métier qui, beaucoup pour nous, peut-être peu
pour elleux, étaient et sont là.
Et
nous pensons à tout cela dans notre cœur collectif, et s’insinue
dans notre pensée qu’il est temps que nous, zapatistes, répondions
à l’écoute, la parole et la présence des ces mondes. Les proches
et les lointains géographiquement.
Sixièmement.-
Nous avons donc décidé ceci :
Qu’il
est à nouveau temps que les cœurs dansent, et que ce ne soit ni sur
la musique ni dans les pas de la complainte et de la résignation.
Qu’en
diverses délégations zapatistes, hommes, femmes et autres de la
couleur de notre terre, nous sortirons pour parcourir le monde, nous
cheminerons ou naviguerons jusqu’à des terres, des mers et des
ciels lointains, cherchant non pas la différence, ni la supériorité,
ni l’humiliation, et moins encore le pardon et la peine. Nous irons
chercher ce qui nous rend égaux.
Non
seulement l’humanité qui anime nos peaux différentes, nos
manières différentes, nos langues et couleurs diverses. Mais aussi,
et surtout, le rêve commun que nous partageons, en tant qu’espèce,
depuis que, dans cette Afrique qui semble si lointaine, nous avons commencé à marcher depuis les genoux la première femme : la recherche de
la liberté qui anima ce premier pas… et qui continue à avancer.
Que
la première destination de ce voyage planétaire sera le continent
européen.
Que
nous naviguerons jusqu’aux terres européennes. Que nous partirons
et lèverons l’ancre, depuis les terres mexicaines, au mois d’avril
de l’année 2021.
Que,
après avoir parcouru divers recoins de l’Europe d’en-bas et à
gauche, nous arriverons à Madrid, la capitale espagnole, le 13 août
2021 – 500 ans après la supposée conquête de ce qui est
aujourd’hui le Mexique. Et que, immédiatement après, nous
continuerons notre chemin.
Que
nous parlerons au peuple espagnol. Non pour menacer, reprocher,
insulter ou exiger. Non pour lui réclamer qu’il nous demande
pardon. Ni pour les servir ni pour nous servir.
Nous
irons dire au peuple d’Espagne deux choses simples :
Un :
Qu’ils ne nous ont pas conquis. Que nous sommes toujours en
résistance et en rébellion.
Deux :
Qu’ils n’ont pas de raison de demander que nous leur pardonnions
quoi que ce soit. On a assez joué avec le passé lointain pour
justifier, avec démagogie et hypocrisie, les crimes actuels et en
cours : l’assassinat de militants sociaux, comme notre frère
Samir Flores Soberanes ; les génocides cachés derrière les
méga-projets, conçus et réalisés pour le contentement du puissant
– le même qui flagelle tous les recoins de la planète - ; le soutien monétaire et d’impunité pour les paramilitaires ;
l’achat des consciences et dignités avec 30 piécettes.
Nous,
hommes, femmes, autres, zapatistes NE voulons PAS revenir à ce
passé, ni de nous-mêmes, et moins encore de la main de qui cherche
à semer la rancœur raciale et prétend alimenter son nationalisme
obsolète avec la supposée splendeur d’un empire, l’aztèque,
qui grandit sur le sang de ses semblables, et qui voudrait nous
convaincre que, avec la chute de cet empire, les peuples originaires
de ces terres furent vaincus.
Ni
l’État Espagnol, ni l’Église Catholique n’ont à nous
demander pardon en rien. Nous ne nous ferons pas l’écho des
charlatans qui s’érigent sur notre sang et cachent ainsi qu’ils
en ont les mains souillées.
Pourquoi
l’Espagne nous demanderait pardon ? Pour avoir donné
naissance à Cervantes ? À José Espronceda ? À Léon
Felipe ? À Federico Garcia Lorca ? À Manuel Vázquez
Montalbán ? À Miguel Hernández ? À Pedro Salinas ?
À Antonio Machado ? À Lope de Vega ? À Bécquer ? À
Almudena Grandes ? À Panchito Varona, Ana Belén, Sabina,
Serrat, Ibáñez, Llach, Amparanoia, Miguel Ríos, Paco de Lucía,
Víctor Manuel, Aute toujours ? À Buñuel, Almodóvar et
Agrado, Saura, Fernán Gómez, Fernando León, Bardem ? À Dalí,
Miró, Goya, Picasso, el Greco et Velázquez? À une partie du
meilleur de la pensée critique mondiale, avec le sceau du « A »
libertaire ? À la république ? À l’exile ? Au
frère maya Gonzalo Guerrero?
Pourquoi
l’Église Catholique nous demanderait pardon ? Pour le passage
de Bartolomé de las Casas ? De Don Samuel Ruiz García ?
De Arturo Lona ? De Sergio Méndez Arceo ? De la sœur
Chapis ? Du passage de sacerdotes, sœurs religieuses et laïques
qui ont cheminé aux côtés des autochtones sans les diriger ni les
évincer ? De qui risqua sa liberté et sa vie pour défendre
les droits humains ?
-*-
L’année
2021 marquera le 20e anniversaire de la Marche de la
Couleur de la Terre, que nous avons organisé, ensemble avec les
peuples frères du Congrès National Indigène, pour demander une
place dans cette Nation qui aujourd’hui s’effondre.
20
ans après, nous naviguerons et cheminerons pour dire à la planète
que, dans le monde que nous ressentons dans notre cœur collectif, il
y a une place pour toutes, tous, toustes. Tout simplement parce que
ce monde n’est possible que si toutes, tous, toustes, nous luttons
pour l’ériger.
Les
délégations zapatistes seront majoritairement formées de femmes.
Pas seulement parce qu’ainsi elles souhaitent rendre l’étreinte
qu’elles ont reçu lors des rencontres internationales précédentes.
Mais aussi, et surtout, pour qu’il soit clair que nous, les mâles
zapatistes, nous sommes ce que nous sommes, et que nous ne sommes pas
ce que nous ne sommes pas, grâce à elles, pour elles et avec elles.
Nous
invitons le CNI-CIG a formé une délégation pour qu’elle nous
accompagne et que notre parole, ainsi, soit plus riche pour l’autre
qui loin de nous lutte. Nous invitons tout spécialement une
délégation des peuples qui portent haut le nom, l’image et le
sang du frère Samir Flores Soberanes, pour que leur douleur, leur
rage, leur lutte et résistance aille plus loin.
Nous
invitons qui a pour vocation, volonté et horizon, les arts et les
sciences à accompagner, à distance, nos traversées en bateaux et à
pieds. Et qu’ainsi, ils et elles nous aident à défendre qu’en
elles, sciences et arts, réside la possibilité non seulement de la
survie de l’humanité, mais aussi d’un monde nouveau.
En
résumé : nous partons pour l’Europe au mois d’avril de
l’année 2021. La date et l’heure ? Nous ne savons pas…
encore.
-*-
Compañeras,
compañeros, compañeroas:
Soeurs,
frères et frœurs :
Ceci
est notre volonté :
Face
aux puissants trains, nos canoës.
Face
aux centrales thermoélectriques, les petites lueurs dont les femmes
zapatistes ont donné la garde aux femmes qui luttent dans le monde
entier.
Face
aux mus et aux frontières, notre navigation collective.
Face
au grand capital, un champ en commun.
Face
à la destruction de la planète, une montagne naviguant au petit
matin.
Nous
sommes zapatistes, porteurs et porteuses du virus de la résistance
et de la révolte. Comme tels, nous irons sur les cinq continents.
C’est
tout… pour l’instant.
Depuis
les montagnes du Sud-est Mexicain.
Au
nom des femmes, des hommes et des autres zapatistes.
Sous-commandant
Insurgé Moisés.
Mexique,
octobre 2020.
P.S.-
Oui, il s'agit de la sixième partie et, tout comme le voyage, ça
continuera en sens inverse. C’est à dire que suivra la cinquième
partie, après, la quatrième, puis la troisième, ça se poursuivra
avec la deuxième et finira avec la première.