"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

26/06/2008

Cartes mexicaines - Poly mai 2007

Immortel Posada

Aussi grand qu’il fut humble, Posada fonctionne dans l’histoire de l’art comme le col étroit d’un sablier où le passé devient grain par grain, le futur.

Jean Charlot


Les élégantes ne déambulent plus depuis longtemps dans les rues de Mexico. Les scènes d’exécutions et d’émeutes populaires qui hantaient le Mexique au passage du XXe siècle, ont cédé la rue aux automobiles, à la pollution et aux hommes pressés. Pourtant il reste de cette époque des images encore vivantes, palpitantes : les gravures de José Guadalupe Posada.
Moins connu que le couple révolutionnaire Frida KahloDiego Rivera, Posada a pourtant marqué le Mexique de son empreinte indélébile. Asséchant son trait jusqu'à l’essentiel, ce précurseur a su exprimer à la fois l’atmosphère d’une époque et le caractère d’un peuple. Caricaturant du fil ténu de ses calaveras (1) la bourgeoisie, l’illustrateur de nombreux journaux donnait à voir aux Mexicains, encore largement illettrés, les excès dictatoriaux du régime de Porfirio Diaz (2).
Posada est né et a fourbi ses armes à Aguascalientes (3). A 19 ans, en 1871, il rejoint le journal du lithographe et pamphlétaire Trinidad Pedroza, El Jicote, à une époque de grande agitation de la cité. Il s’illustre déjà par la puissance de ses dessins, prenant part au bouillonnement social. En 1888, il gagne la capitale. L’effervescence politique y coule des artères de la ville à ses veines et se grave, par la magie de son art, jusque dans la mémoire collective du peuple. Son oeuvre évoque un regard aussi aiguisé que la pointe de son burin ; regard porté sur le siècle et le régime finissants, au travers de la baie-vitrée de son atelier. A sa mort, en 1913, il lègue au Mexique plus de 15000 gravures, parmi lesquelles la fameuse Catrina. Malgré sa renommée, il mourra seul et misérable, enterré dans une fosse commune, squelette parmi tant d’autres, comme il l’avait lui-même prédit.
Un siècle plus tard, les dictatures se sont succédées puis diluées dans les urnes, mais certains excès demeurent aussi encrés que les œuvres du maître. La dépénalisation de l’avortement en débat dans la capitale provoque l’ire de la réaction. Des groupes fascistes menacent de mort certains députés pro-avortement. L’Église écrase de son poids moral une république néanmoins laïque et la droite parade sous les couleurs du Vatican. Les avortements clandestins représentent pourtant la cinquième cause de mortalité des Mexicaines ! L’élégante Catrina aurait-elle, aujourd’hui, pris place dans ce long cortège funèbre ? Les cadavres aux sourires exquis de Posada auraient-ils pris part au débat acharné pour le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur avenir ? Les eaux fortes du graveur hidrocálido (4) trouveraient certainement dans cette mascarade cynique une nouvelle source d’inspiration pour leur personnage favori : la mort.

1 : Têtes de mort et par extension les squelettes
2 : Président de 1876 à 1910
3 : Un superbe musée lui rend hommage
4 : habitant d’Aguascalientes

Aucun commentaire: