"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

26/03/2011

La nuit noire


Voilà une carte de la Terre la nuit trouvée sur le site du Figaro, une image qui montre que Paris n'est pas la seule ville-lumière.
Ce soir, entre 20h30 et 21h30 nous sommes appelés à manifester notre volonté de lutter contre le réchauffement climatique - et j'ajouterais le gaspillage énergétique - en éteignant nos lumières.
En plus on change d'heure, raison de plus pour faire de cette nuit, une nuit noire... ou blanche.

25/03/2011

Sciences sans poésie...

Voilà un article lu sur le site du Monde... moi j'aime bien ce genre de sujets. Pour aller plus loin, visitez la page wikipedia sur le sujet, vous en apprendrez plus sur Lakoff, mais aussi les rapports qu'entretiennent les métaphores avec la littérature évidemment, mais aussi la neurologie, la psychologie et donc les sciences cognitives. L'art est une autre méthode de connaître le monde... la science un autre regard sur le monde.



Comment les métaphores programment notre esprit

LEMONDE.FR | 25.03.11

Rémi Sussan



Encore un coup dur porté à l’idée de l’homme “animal rationnel” et une brique de plus à l’édifice de l’économie comportementale. Notre vision du monde – et par conséquent nos décisions – seraient en grande partie modelées par notre système de métaphores, lesquelles n’appartiennent décidément pas qu’aux poètes. C’est ce qui ressort de l’expérience menée par Paul Thibodeau et Lera Boroditsky, à l’université de Stanford, relatée par un article de Discover magazine.

Ces deux chercheurs ont proposé à leurs sujets deux rapports sur le crime dans la ville d’Addison, chacun des cobayes n’en lisant bien sûr qu’un seul. Dans le premier texte, le crime était décrit comme une bête sauvage, un dangereux prédateur. Résultat, 75 % des lecteurs de ce rapport ont préconisé des mesures punitives, comme la construction de nouvelles prisons, par exemple. Seulement 25 % ont suggéré la mise en œuvre de mesures économiques, sociales, éducatives ou sanitaires.

L'ILLUSION DE L'OBJECTIVITÉ

La seconde version reprenait exactement les mêmes éléments que la première, statistiques comprises. A ceci près que le crime y était montré comme un virus infectant la ville et contaminant son environnement. Cette fois, les lecteurs n’étaient plus que 56 % à se prononcer pour le renforcement des sanctions et des moyens d’action de la police ; 44 % d’entre eux suggéraient des réformes sociales.

En bref, lorsque la criminalité est considérée comme une "maladie", on est plus disposé à chercher à "soigner" plutôt qu’à "combattre" et "punir".

Interrogés sur leurs choix, seulement 3 % des sujets semblent avoir eu conscience de l’influence de la rhétorique sur leurs recommandations. La plupart étaient persuadés que ces dernières étaient dictées par les statistiques du rapport. En clair, ils se croyaient "objectifs".

Poursuivant plus avant leurs expériences, les chercheurs ont également pu faire d’autres observations intéressantes. Ainsi, inutile de “filer la métaphore” en poursuivant la comparaison de manière trop pesante. Mentionner une seule fois la notion de “bête sauvage” ou de “virus” sans insister plus avant suffit à modifier les résultats. En revanche, placer la métaphore à la fin du rapport, et donc ne pas la laisser imprégner le contexte, tend à annuler son effet.

Évidemment, il faut aussi prendre en compte les opinions préétablies des sujets. On sait qu’aux Etats-Unis les Républicains sont plus prompts à réclamer des sanctions plus sévères, tandis que les Démocrates sont plus favorables aux mesures sociales ou que les femmes sont en général plus compatissantes que les hommes. Mais, surprise encore, les différences d’opinions générées par ces critères ne semblent jouer que dans 9 % des cas, alors que les métaphores seraient responsables de 18 à 22 % de l’élaboration des opinions.

Dans ces travaux, les chercheurs se sont probablement inspirés des travaux de George Lakoff (dont ils citent d’ailleurs les textes dès l’introduction de leur article). Selon ce linguiste cognitif, l’ensemble de la pensée est basé sur la métaphore. Lakoff est devenu pendant un temps le “gourou” des Démocrates. Dans son livre Don’t think of an elephant (Ne pensez pas à un éléphant, cet animal étant le symbole du parti Républicain) il a conseillé à ces derniers de mettre au point un système cohérent de métaphores, art dans lequel, selon lui, les Républicains excellent, au lieu de se contenter de “listes de blanchisserie”, c’est-à-dire de séries de mesures individuellement attractives, mais sans assise métaphorique, sans storytelling, pour employer un mot à la mode.

DE L’IMPORTANCE DU "STORYTELLING"

Il cite ainsi un questionnaire datant de l’époque où Arnold Schwarzenegger s’opposait à Gray Davis pour le poste de gouverneur de Californie. La plupart du temps les personnes interrogées marquaient leur préférence pour les mesures annoncées par le candidat Démocrate. Mais lorsqu’on leur demandait finalement pour qui ils allaient voter, bien trop souvent, et en contradiction avec leurs propres réponses, il répondaient : “Arnold Schwarzenegger”.

Pour Lakoff, toute notre pensée est basée sur des métaphores, y compris pour ses formes les plus abstraites, comme les mathématiques. Ed Yong, l’auteur de l’article de Discover va lui aussi dans le sens de Lakoff, en mentionnant le rôle important de la métaphore en science, ne manquant pas de signaler par exemple le fait bien connu qu’une comparaison trop simple entre le cerveau et l’ordinateur peut bloquer la réflexion. Yong mentionne également un travail universitaire (.pdf) qui montre comment le fait d’envisager les réseaux électriques comme des systèmes de plomberie ou des foules en mouvement peut influencer la compréhension d’étudiants en ingénierie.

Le dernier élément intéressant de cette étude ne porte pas sur son contenu, mais sur sa forme. En effet, si certaines expériences ont été menées de manière “classique” sur des étudiants, d’autres ont fait appel à des sujets recrutés via le service du “turc mécanique” d’Amazon. Il s’agit donc d’une étude en psychologie en partie “crowdsourcée”. Mais savoir si de telles méthodes révolutionneront les recherches psychologiques ou seront critiquées pour leur manque de fiabilité… c’est une autre question.

21/03/2011

Le vent les porta



Pour commencer cette nouvelle semaine, pour fêter le printemps je vous propose un peu de poésie, de voyage... avec Corto Maltese et Arthur Rimbaud. Ils ont en commun un séjour à Aden, le goût de l'aventure et de la langue. Dans la vidéo ci-dessous (extrait du long-métrage La Cour secrète des arcanes), Corto récite le poète aux semelles de vent.

Voici quelques liens sur le héros imaginé par Hugo Pratt:

- le site officiel de Corto Maltese

- les archives Pratt

- sur wikipedia, avec un "biographie" de Corto Maltese.

- sur Google maps, suivez Corto dans ses errances autour du monde.

- sur Youtube on peut même retrouver un moyen-métrage de 2002, Sous le signe du Capricorne.



Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.



Corto cite Rimbaud


Si vous souhaitez découvrir l'immense talent d'Hugo Pratt, rendez-vous à la Pinacothèque de Paris, du 17 mars 2011 au 21 août 2011 pour l'exposition "Le voyage imaginaire d'Hugo Pratt".

18/03/2011

Des droits pour toutes et tous... et du tabac pour Marcos

La rencontre de militants et défenseurs des droits de tout le pays a commencé au Chiapas

Marcos dément les affirmations selon lesquelles il souffrirait d'une grave maladie; "envoyez du tabac"

Hermann Bellinghausen
Traduction: SR
San Cristóbal de las Casas, Chis., 16 de marzo.



Dans un message lu lors de l'inauguration de la rencontre "Avec la mémoire, nous, les peuples, bâtissons la justice et la vérité", organisée par le Centre des Droits de l'Homme Fray Bartolomé de las Casas (Frayba) dans cette ville, le sous-commandant Marcos a exprimé l'admiration et la reconnaissance des peuples zapatistes pour celles et ceux qui ont choisi "le chemin le plus difficile, le plus malaisé, le plus ingrat" en défendant et promouvant "les droits fondamentaux de l'être humain".

Participent à cette rencontre des défenseurs et militants des garanties individuelles qui ces dernières années et ces derniers mois ont eu à faire face à de graves atteintes à leurs droits, aussi bien dans les communautés indigènes du Chiapas que dans les villes du Chihuahua, la montagne du Guerrero, San Salvador Atenco et dans d'autres lieux où la défenses de ces droits est aujourd'hui particulièrement risqué.
L'un des avocats du Frayba dira un peu plus tard que "l'une des professions les plus dangereuses est la défense des Droits de l'Homme", ce à quoi peuvent souscrire également le Centre des Droits de la Femme de Chihuahua, ou Ignacio del Valle et les membres du Front des peuples en défense de la Terre, ou n'importe quel autre participant, qui dans l'après-midi continuaient d'arriver de différentes parties du pays à San Cristobal de las Casas.

Nataniel Hernandez Núñez, directeur du Centre des Droits de l'Homme Digna Ochoa sur la côte du Chiapas, lui, n'a pas pu arriver. Mardi dernier il a une nouvelle fois été emprisonné, cette fois-ci par les autorités fédérales, dans la ville de Tapachula. Il avait déjà été arrêté le 22 février dernier par la police de l'Etat et incarcéré plusieurs jours à la prison de L'Amate. Cette nuit, nous avons été informé qu'il avait été libéré sous caution.

Par contre ont pu arriver des représentants de Las Abejas de Acteal, Xi’Nich, San Sebastián Bachajón, Jotolá, Masojá Schucjá et d'autres expériences de répressions vécues, d'abus et leur contre-partie de résistance et défense des droits individuelles et communautaires au Chiapas, où vivent la lutte et la mémoire; où, à l'image des zapatistes, les peuples ont décidé de devenir maîtres de leur histoire.

Le sous-commandant Marcos, dans son salut à la 41e assemblée nationale du réseau Todos los derechos para todos (tous les droits pour tous), qui se tiendra ce vendredi, mais qui fut lu dès hier lors de cette rencontre qui la précède, en a profité pour démentir les "rumeurs" qui le disent souffrant d'une grave maladie. Le Postcriptum du message dit: "Je regrette, vraiment, de devoir, avec ma signature et la date sur laquelle elle est apposée, contredire les rumeurs, les faits, les tweets, les journalistes, les communiqués gouvernementaux sur mon état de santé.
Mais il faut bien le dire, tout ça "l'emphysème" et le "cancer du poumon" a eu comme conséquences qu'on ne m'envoie plus de tabac en ce moment, ce qui est clairement une manœuvre de contre-insurrection. Mais donc, et c'est officiel, je n'ai pas ce qu'il disent que j'ai, ou pas encore, n'ayez donc aucune peine et envoyez du tabac".

La partie centrale de la lettre concerne la reconnaissance de celles et ceux qui "auraient pu être en-haut et ont choisi d'être en-bas avec ceux d'en-bas". Il a cité l'évêque Samuel Ruiz García, décédé récemment, qui "aurait pu choisir d'être Onésimo Cepeda, et choisit d'être don Samuel". De même, a-t-il expliqué, les défenseurs réunis "pouvaient être autre chose" et, pourtant, ils dédient leur vie à la défense et la promotion des garanties individuelles. "Avec beaucoup de difficultés nous aurions pu trouver un autre calendrier où la négation et la violation de tous les droits de l'Homme comprendrait toute la géographie nationale", comme c'est le cas actuellement.

Il a remercié "ceux qui auraient pu être Diego Fernández de Cevallos (je vous demande d'excuser mon langage) et faire d'une utilisation perverse des lois une source de richesse et de pouvoir; ou qui auraient pu choisir de travailler aux ordres de ceux qui violent les Droits de l'Homme, c'est à dire, les gouvernements fédéraux et des états", d'atténuer l'arbitraire.

La rencontre qui propose "d'échanger des expériences, des stratégies et des défis communs quant à la défense et l'exercice des droits, pour la justice, la vérité et la mémoire", continuera ce jeudi dans les locaux de Cideci-Unitierra.


Vous pouvez lire ici la version originale de cet article dans l'édition de La Jornada datée du jeudi 17 mars. Vous pouvez également lire la brève que Proceso consacre aux démentis de Marcos concernant son état de santé.

17/03/2011

Toucher au cœur


Le dossier noir de l'EPR



La catastrophe qui touche la Japon a remis la question du nucléaire au cœur des préoccupations des citoyens des pays qui produisent leur électricité (en partie) grâce à l'énergie atomique.

Pour commencer je vous propose cette courte interview, trouvé sur le site de sciences et avenir, de Lionel de Ruta, qui travaille au SAMU de Marseille sur la gestion des risques liés, entre autres, à la radioactivité.

Le site de France-info consacre une page utile au vocabulaire du nucléaire, pour comprendre tous ces mots qui ont envahit notre quotidien depuis quelques jours: millisieverts, fissions, fusion et autres confinement.

Rue89 également se lance dans les explications sur le nucléaire, avec un article qui répond aux questions que vous n'osez pas trop vous poser. Les débats qui commentent sont parfois aussi intéressants que l'article lui-même, ce qui valide la formule du journalisme à trois voix - journaliste, spécialiste, lecteur - de la Rue.

Si vous souhaitez aussi mieux appréhender l'énergie atomique afin de ne pas vous laisser dicter votre opinion par les discours lénifiants deSarkozy ou d'Areva (voir la vidéo) et l'excellence de la filière française ou par les "Cassandre" écologistes qui ne présentent souvent que les risques sans expliquer la nature physique du phénomène atomique, je vous conseille le dossier consacré au sujet par le site futura-sciences.


Enfin, à titre d'exemple, je poste ici la vidéo de présentation du réacteur EPR, fleuron de l'industrie nucléaire française dirait-on dans les ministères, ainsi que le lien vers la page consacrée aux risques du réseau Sortir du nucléaire. Enfin, vous trouverez en cliquant sur le drapeau "nucléarisé" de Japon qui ouvre ce post, le dossier noir de l'EPR de Sortir du nucléaire, dans lequel ils démontent l'argument sécurité de l'industrie nucléaire française sur le réacteur de 3e génération.

Il y aurait sans doutes encore bien des choses à dire sur la filière nucléaire, entre l'exploitation d'Uranium (d'ailleurs pourquoi dit-on que le nucléaire permet à la France une autonomie énergétique alors que l'Uranium provient d'autres pays?), les déchets, etc... En cherchant sur les pages citées ici vous trouverez certainement des pistes pour comprendre les enjeux. Alors, soyons vigilants et ne prenons pas pour argent comptant les discours des autres, même lorsqu'ils défendent un point de vue que nous partageons.



Courage au peuple du Japon.






Les Français devraient être mieux sensibilisés

Quelles sont les priorités des secours en cas d’accident nucléaire ? Les français sont-ils préparés à faire face à une catastrophe de l’ampleur de celle du Japon ? Les réponses de Lionel de Ruta, formateur relais risques NRBC (Nucléaire, radiologique, biologique, chimique) au Samu de Marseille.

Sciences et Avenir.fr : Comment se prépare-t-on en France à un évènement nucléaire catastrophique tel qu’au Japon ?Lionel de Ruta : Dans tout le pays et particulièrement à proximité des sites dangereux (centrales, barrages…) il y a des sirènes qui sont prêtent à envoyer des signaux d’alerte en cas d’incident. Le problème est qu’il faudrait mieux préparer la population à réagir quand l’alerte retentit. C’est-à-dire dans un premier temps rester chez soi, se confiner et écouter Radio France en attente de consignes. A la différence des Japonais, cette culture nous manque. Au niveau des secours, les moyens sont là, prêts à être activés mais leur efficacité dépend de la bonne participation de tous les impliqués.

Quelle est la priorité des secours en cas de contamination radioactive ?

La priorité va à la chaine de décontamination, c’est le préalable à tout traitement. Nous disposons de dispositifs portables conçus pour traiter les personnes valides mais aussi les blessés allongés. La procédure est simple mais elle doit être rigoureuse : chaque victime doit être lavée minutieusement durant 20 minutes. Les secouristes qui effectuent ce geste sont équipés de tenues de protection dites NRBC. Elles ne sont pas un rempart contre les radiations mais elles sont équipées de filtres qui bloquent les particules et poussières radioactives.

Une fois cette décontamination effectuée y-a-t-il d’autres procédures particulières ?

Non, les victimes intègrent ensuite une chaîne de secours classique. Après décontamination, il n’y a pas de risques particuliers. Un irradié n’est pas plus irradiant qu’un brûlé ne brûle. Les victimes sont donc traitées en fonction de leur état de santé. Généralement, elles ne présentent d’ailleurs pas de symptômes particuliers. En cas de forte irradiation, les premiers signes sont souvent des nausées et des vomissements ou carrément des brulures. Ce que l’on craint le plus ce sont les éléments radioactifs qui sont ingérés ou inhalés puisqu’ils vont continuer à irradier, le temps de leur transit, l’organisme.

Les secours au Japon ont-ils adoptés la même stratégie de réaction ?

Oui, ce que l’on voit à travers les images indique qu’il y a une zone de contamination qui a été délimitée et que les gens qui viennent de cette zone sont contrôlés. Il est important de conserver ce contrôle de la population éventuellement contaminée. Ces personnes pourraient en effet à leur tour contaminer d’autres lieux ou d’autres individus si elles ne sont pas prises en charge.

Une autre grande crainte est l’arrivée directe de victimes irradiées à l’hôpital qui viendraient donc déposer des éléments radioactifs dans les locaux. En prévision d’un tel évènement, toutes les urgences des hôpitaux de Marseille sont par exemple équipées de SAS de décontamination prêts à être dressés.

Propos recueillis par Joël Ignasse
Sciences et Avenir.fr
16/03/11




La vidéo d'Areva:

15/03/2011

La lune face cachée

Après la photo de sa face visible, la lune lève le voile sur sa face cachée grâce au regard toujours aussi indiscret de LRO. Je vous conseille aussi, pour découvrir notre satellite en image ce diaporama visible sur le site de futura-sciences.

13/03/2011

Au clair de la lune

La Nasa a publié une photo exceptionnelle du satellite naturel de notre bonne vieille Terre. L'image a été obtenue par la sonde LRO, Lunar Reconnaissance Orbiter. Les plus petits détails ne mesurent que 150m.

07/03/2011

Connaître pour éduquer

Un point de vue publié sur le site du Monde... un point de vue qui au-delà de l'éducation est une réflexion sur l'évolution de l'humanité.
Une remarque tout de même, le découpage du texte entre le corps et la connaissance est peut-être encore un clivage de cet ancien temps dont Michel Serres parle dans son texte. En effet, le philosophe insiste ici sur une jeunesse qui n'a pas connu de guerre depuis plus de 60 ans (ce qui dénote déjà un centrisme occidental) dans son corps, et quelques paragraphes plus loin, nous décrit une génération pour laquelle le temps et l'espace ne sont plus les mêmes que pour l'humanité précédente. Or si en effet les "digital natives" ont aboli ces repères, il devient également difficile de leur nier avoir "vécu" des guerres, puisque que ce soit par internet ou par la mixité ethnique nous sommes tous en contact avec les guerres, toujours aussi présentes sur la planète. Sinon, hormis cette réserve, voici un texte qui enfin prend en compte l'évolution de notre espèces, non comme de la SF, mais bien comme une réalité encrée dans le réel.


Eduquer au XXIe siècle

Michel Serres

Michel SerresAFP/ETIENNE DE MALGLAIVE

Avant d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd'hui, à l'école, au collège, au lycée, à l'université ?

Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillaient au labour et à la pâture ; en 2011, la France, comme les pays analogues, ne compte plus qu'un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus fortes ruptures de l'histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture, soudain, changea. Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n'habite plus la même Terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme.

- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et narcisses. Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein.

- Son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni le même mariage ni la même transmission de biens. Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la patrie une espérance de vie brève ; y courront-ils, de même, avec, devant eux, la promesse de six décennies ?

- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant d ‘une médecine enfin efficace et, en pharmacie, d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde. Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut leur inspirer une morale adaptée.

- Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus de la moitié, ces parents ont divorcé. Ils n'ont plus la même généalogie.

- Alors que leurs prédécesseurs se réunissaient dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d'un collectif où se côtoyent désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l'ignoble "sang impur" de quelque étranger ? Ils n'ont plus le même monde mondial, ils n'ont plus le même monde humain. Mais autour d'eux, les filles et les fils d'immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses.

Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques, la moisson d'été, dix conflits, cimetières, blessés, affamés, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l'urgence vitale d'une morale ?

VOILÀ POUR LE CORPS ; VOICI POUR LA CONNAISSANCE

- Leurs ancêtres fondaient leur culture sur un horizon temporel de quelques milliers d'années, ornées par l'Antiquité gréco-latine, la Bible juive, quelques tablettes cunéiformes, une préhistoire courte. Milliardaire désormais, leur horizon temporel remonte à la barrière de Planck, passe par l'accrétion de la planète, l'évolution des espèces, une paléo-anthropologie millionnaire. N'habitant plus le même temps, ils vivent une toute autre histoire.

- Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d'attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété est "mort" et l'image la plus représentée celle de cadavres. Dès l'âge de douze ans, ces adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres.

- Ils sont formatés par la publicité ; comment peut-on leur apprendre que le mot relais, en français s'écrit "- ais", alors qu'il est affiché dans toutes les gares "- ay" ? Comment peut-on leur apprendre le système métrique, quand, le plus bêtement du monde, la SNCF leur fourgue des "s'miles" ?

Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d'une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l'école et l'université. Pour le temps d'écoute et de vision, la séduction et l'importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d'enseignement.

Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque pauvres et discrets, même s'ils détiennent le record mondial des prix Nobel récents et des médailles Fields par rapport au nombre de la population, nos enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs dominants, riches et bruyants.

Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l'usage de la toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou de Facebook, n'excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l'usage du livre, de l'ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois.

Ils ne connaissent ni n'intègrent ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants. Ils n'ont plus la même tête.

- Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la toile, à tout le savoir ; ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous habitions un espace métrique, référé par des distances. Ils n'habitent plus le même espace.

Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement.

- Il ou elle écrit autrement. Pour l'observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet. Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de dactylo.

- Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu, l'Académie française publie, à peu près tous les vingt ans, pour référence, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s'établissait autour de quatre à cinq mille mots, chiffres à peu près constants ; entre la précédente et la prochaine, elle sera d'environ trente mille. A ce rythme, on peut deviner qu'assez vite, nos successeurs pourraient se trouver, demain, aussi séparés de notre langue que nous le sommes, aujourd'hui, de l'ancien français pratiqué par Chrétien de Troyes ou Joinville. Ce gradient donne une indication quasi photographique des changements que je décris. Cette immense différence, qui touche toutes les langues, tient, en partie, à la rupture entre les métiers des années récentes et ceux d'aujourd'hui. Petite Poucette et son ami ne s'évertueront plus aux mêmes travaux. La langue a changé, le labeur a muté.

L'INDIVIDU

Mieux encore, les voilà devenus tous deux des individus. Inventé par saint Paul, au début de notre ère, l'individu vient de naître ces jours-ci. De jadis jusqu'à naguère, nous vivions d'appartenances : français, catholiques, juifs, protestants, athées, gascons ou picards, femmes ou mâles, indigents ou fortunés… nous appartenions à des régions, des religions, des cultures, rurales ou urbaines, des équipes, des communes, un sexe, un patois, la Patrie. Par voyages, images, Toile et guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé.

Ceux qui restent s'effilochent. L'individu ne sait plus vivre en couple, il divorce ; ne sait plus se tenir en classe, il bouge et bavarde ; ne prie plus en paroisse ; l'été dernier, nos footballeurs n'ont pas su faire équipe ; nos politiques savent-ils encore construire un parti plausible ou un gouvernement stable ? On dit partout mortes les idéologies ; ce sont les appartenances qu'elles recrutaient qui s'évanouissent.

Cet nouveau-né individu, voilà plutôt une bonne nouvelle. A balancer les inconvénients de ce que l'on appelle égoïsme par rapport aux crimes commis par et pour la libido d'appartenance – des centaines de millions de morts –, j'aime d'amour ces jeunes gens.

Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde. Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue. Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire.

Rarissimes dans l'histoire, ces transformations, que j'appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large et si évidente que peu de regards l'ont mesurée à sa taille, comparable à celles visibles au néolithique, à l'aurore de la science grecque, au début de l'ère chrétienne, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance.

Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l'enseignement, au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classes, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même… cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus.

Trois questions, par exemple : que transmettre ? A qui le transmettre ? Comment le transmettre ?

QUE TRANSMETTRE ? LE SAVOIR !

Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s'objectiva : d'abord dans des rouleaux, sur des velins ou parchemins, support d'écriture ; puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d'imprimerie ; enfin, aujourd'hui, sur la toile, support de messages et d'information. L'évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d'enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l'écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l'imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd'hui ?

Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c'est fait. Avec l'accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l'accès en tous lieux, par le GPS, l'accès au savoir est désormais ouvert. D'une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis.

Objectivé, certes, mais, de plus, distribué. Non concentré. Nous vivions dans un espace métrique, dis-je, référé à des centres, à des concentrations. Une école, une classe, un campus, un amphi, voilà des concentrations de personnes, étudiants et professeurs, de livres en bibliothèques, d'instruments dans les laboratoires… ce savoir, ces références, ces textes, ces dictionnaires… les voilà distribués partout et, en particulier, chez vous – même les observatoires ! mieux, en tous les lieux où vous vous déplacez ; de là étant, vous pouvez toucher vos collègues, vos élèves, où qu'ils passent ; ils vous répondent aisément. L'ancien espace des concentrations – celui-là même où je parle et où vous m'écoutez, que faisons-nous ici ? – se dilue, se répand ; nous vivons, je viens de le dire, dans un espace de voisinages immédiats, mais, de plus, distributif. Je pourrais vous parler de chez moi ou d'ailleurs, et vous m'entendriez ailleurs ou chez vous, que faisons-nous donc ici ?

Ne dites surtout pas que l'élève manque des fonctions cognitives qui permettent d'assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support et par lui. Par l'écriture et l'imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine. Cette tête vient de muter encore une fois. De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l'invention et de la propagation de l'écriture ; de même qu'elle se transforma quand émergea l'imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies. Et, je le répète, elles ne sont qu'une variable quelconque parmi la dizaine ou la vingtaine que j'ai citée ou pourrais énumérer.

Ce changement si décisif de l'enseignement – changement répercuté sur l'espace entier de la société mondiale et l'ensemble de ses institutions désuètes, changement qui ne touche pas, et de loin, l'enseignement seulement, mais aussi le travail, les entreprises, la santé, le droit et la politique, bref, l'ensemble de nos institutions – nous sentons en avoir un besoin urgent, mais nous en sommes encore loin.

Probablement, parce que ceux qui traînent, dans la transition entre les derniers états, n'ont pas encore pris leur retraite, alors qu'ils diligentent les réformes, selon des modèles depuis longtemps effacés. Enseignant pendant un demi-siècle sous à peu près toutes les latitudes du monde, où cette crevasse s'ouvre aussi largement que dans mon propre pays, j'ai subi, j'ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia, même artificiel : les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu'ils cherchent à consolider.

Oui, depuis quelques décennies je vois que nous vivons une période comparable à l'aurore de la Paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; semblable à la Renaissance qui vit naître l'impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu'en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, les métiers, l'espace, l'habitat, l'être-au-monde.

ENVOI

Face à ces mutations, sans doute convient-il d'inventer d'inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets adaptés à la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d'un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprirent qu'elles étaient mortes depuis longtemps déjà.

Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? Je crains d'en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d'anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n'entendirent pas venir le contemporain. Si j'avais eu à croquer le portrait des adultes, dont je suis, ce profil eût été moins flatteur.

Je voudrais avoir dix-huit ans, l'âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer. Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j'ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés.



Michel Serres

05/03/2011

Année du Mexique en France

Suite à la décision de la justice mexicaine dans l'affaire de Florence Cassez, puis la décision de Sarkozy de dédier cet échange culturel entre les deux pays à la française condamné à 60 ans de prison et après les représailles du gouvernement mexicain décidant de se retirer des festivités, les organisateurs d'un festival de ciné Travelling de Rennes ont lancé cette pétition, regrettant que le travail d'artistes français et mexicains soit ainsi instrumentalisé. Voici la version français et espagnol de leur lettre ouverte au gouvernement français... Et la page dédiée où vous pouvez, si vous le souhaitez, signer cette pétition.

CARTA ABIERTA AL GOBIERNO FRANCÉS

La decisión de la justicia mexicana en cuanto al juicio de Florence Cassez desencadeno desde unos días en Francia una serie de reacciones de parte del gobierno, de los partidos políticos, y de los medios de comunicación que se acabo por un verdadero fracaso. El 14 de febrero, dedicando el Año de México en Francia a Florence Cassez, Nicolas Sarkozy ha tomado una responsabilidad muy pesada. No se puede pedir a artistas, cineastas, escritores, y científicos franceses, así como mexicanos, aceptar ser utilizados como medio de presión en los asuntos de justicia y de diplomacia. No es aceptable para nosotros franceses, ni tampoco para nuestros colaboradores mexicanos. Resulta una mezcla de géneros inadmisible la cual lleva a una decisión, lógica, del gobierno mexicano de retirarse.
El Año de México es un evento destinado a dar a conocer mejor a este país. En ningún caso, puede ser instrumentalizado por los gobiernos como herramienta para presionar sobre un asunto que le toca al poder judicial mexicano y a la diplomacia francesa y mexicana. Reafirmamos nuestro apego con las relaciones culturales, científicas y humanas con colaboradores quienes siempre nos han acogido con respecto, atención y amistad.
Fiel a su tradición, el Festival Travelling propone descubrir una ciudad a través de su cine ; otra mirada necesaria para alumbrar con una luz nueva la actualidad y nutrir serenamente el debate. El festival ha elegido llevar a cabo su evento como previsto del 22 de febrero al 1ero de marzo 2011 en la ciudad de Rennes, esperando que el año de intercambio y de dialogo de las culturas entre Francia y México pueda retomar su curso.
Le pedimos al presidente de la Republica Francesa que revise su decisión de dedicar el Año de México a Florence Cassez y reafirmamos nuestra amistad a México.



LETTRE OUVERTE AU GOUVERNEMENT FRANÇAIS

La décision de la justice mexicaine concernant le jugement de Florence Cassez a déclenché depuis quelques jours en France une série de réactions de la part du gouvernement, des partis politiques et des médias qui viennent dʼaboutir à un énorme fiasco. Le 14 février, en dédiant lʼannée du Mexique en France à Florence Cassez, Nicolas Sarkozy a pris une lourde responsabilité. On ne peut demander à des artistes, des cinéastes, des écrivains et des scientifiques français, aussi bien que mexicains, dʼaccepter dʼêtre utilisés comme moyen de pression dans des affaires qui relèvent de la justice et de la diplomatie. Ce nʼest pas acceptable pour nous Français, pas plus que pour nos collègues mexicains. Cʼest un mélange des genres inadmissible qui a conduit à la décision, logique, du gouvernement mexicain de se retirer.
L'année du Mexique est un événement destiné à mieux faire connaître ce pays. En aucun cas, elle ne peut être instrumentalisée par les gouvernements comme moyen de pression sur une affaire qui relève du pouvoir judiciaire mexicain et de la diplomatie française et mexicaine. Nous réaffirmons notre attachement aux relations culturelles, scientifiques et humaines avec des partenaires qui nous ont toujours accueillis avec respect, attention et amitié.
Fidèle à sa tradition, le Festival de cinéma de Rennes Travelling propose du 22 février au 1er mars, de partir à la découverte d’une ville à travers son cinéma ; un autre regard nécessaire pour éclairer d’un jour nouveau l’actualité et de nourrir sereinement le débat. Le festival a donc choisi d’assurer le bon déroulement de son événement tout en espérant que l’année d’échange et de culture entre la France et le Mexique puisse reprendre son cours.
Nous demandons au président de la République française de revenir sur sa décision de dédier lʼAnnée du Mexique en France à Florence Cassez et réaffirmons notre amitié au Mexique.

04/03/2011

De la rue à l'agora du village global

Le proche et le moyen-Orient sont en état d'ébullition... à tout niveau ce qui se passe aujourd'hui dans cette partie du monde semble définir une révolution d'un nouveau type, d'un nouveau siècle. Alors oui, on peut s'extasier sur la génération Facebook, twitter ou Wikileaks, sur la "révolution.com" comme la chantait il y a quelques années No One Is Innocent, mais derrière l'outil affleure surtout une nouvelle pensée... une nouvelle définition de la révolution ayant permis et permise par les réseaux virtuels. Une révolution où la mobilisation se fait non pas par les secteurs traditionnellement organisés de la population, mais par le peuple lui-même, grâce à ce village globale qu'est la toile. Mais c'est aussi un autre réseau, bien réel, qui fut une fois encore réactivé par les révolutionnaires du XXIe siècle : la rue, les places ! La ville!
Si le côté virtuel a pu servir au déclenchement des révoltes, le virtuel ne s'est pas encore insinué dans le prolongement de la révolution. Un côté virtuel qui se prolonge donc dans le réel. Comme au Caire, où les habitants, au lendemain du départ de Moubarak nettoyaient la place car disaient-ils en substance "Nous avons voulu un pays propre, nettoyons-le jusqu'au bout." Mais, en Tunisie comme en Égypte, les hommes, les femmes ne veulent pas se laisser voler leur révolution. En Tunisie, plus d'un mois après le départ du dictateur, la fièvre révolutionnaire redonne des sueurs froides au gouvernement... Vendredi dernier, des centaines de milliers de Tunisiens et Tunisiennes sont une nouvelle fois descendus dans la rue pour répudier le gouvernement de transition. Comme tout bons hackers, les révolutionnaires arabes expérimentent en démontant les systèmes de l'oppression, et certainement sauront-ils se servir de cette expérience au moment de changer le logiciel constitutionnel. N'oublions pas que la révolution de 1789 a durer plusieurs décennies... laissons aux enfants de la communication instantanée le plaisir de découvrir la lenteur de la transformation social.

En Tunisie, en Égypte, celles et ceux qui ont mis à bas l'ancien régime, sont encore là. Une génération qui, privée de politique ne se fait pas d'illusions et n'en tire aucun idéal, mais qui a bien compris qu'elle n'obtiendrait que ce pour quoi elle luttera. Une génération connectée aux autres, ouverte sur le monde. Pas une génération manipulée par des Islamistes comme ont essayé de nous le faire croire Ben Ali hier ou Kadhafi aujourd'hui. Pas non plus des jeunes manipulé par le grand satan d'hier, les USA, mais toujours d'actualité dans les référents d'un Castro (ou Chavez, Ortega) décidément incapable de comprendre Internet et celles et ceux qui s'en servent. Si en France la peur de voir ces pays tomber sous le joug d'un islamisme radical est de plus en plus évoqué, il serait bon de nous souvenir que la France, et d'autres pays en Europe, ont fait bonne place à des partis d'extrême-droite... et ce, après deux guerres mondiales! La poutre, la paille, etc... Notons que, et c'est peut-être une simple coïncidence, la Tunisie s'est embrasée au moment de l'affaire Wikileaks... Au moment où toute une génération prenait conscience que le monde entier savait que ce qu'ils vivaient n'était pas acceptable... mais où pourtant c'était accepté par le monde. Il est remarquable d'ailleurs de voir à quel point nos dirigeants (français quand on est né ici, etc...), mais aussi la plus part des journalistes et commentateurs patentés, reproduisent la même erreur qu'ils dénoncent et annoncent pourtant avoir comprise à longueur d'émissions et de chroniques: le calme revenu, retournons nous-en à la volupté des rencontres entre gens du monde. Tous les dirigeants se sont remis aux mêmes tables tenues par des hôtes finalement pas si différents d'avant la révolution. Et tous d'acter, Tunisiens comme Égyptiens et en face nos Sarko, Mam (ah non, elle est plus là!) et consorts que la révolution est finie et de sermonner celles et ceux qui n'auraient pas entendu siffler la fin de la recréation proclamée par les gouvernements de transitions, l'armée ou que sais-je encore. Il n'y a qu'à compter le nombre d'articles, de reportages sur le nouveau tourisme en Tunisie. Pour eux, la révolution est un moment précis de l'histoire, pas un mouvement, un cheminement. Nicolas Sarkozy dépeignait l'homme africain comme incapable de rentrer dans l'histoire. Mais les révolutionnaires de ce début d'année nous montrent à quel point Sarkozy se trompe, incapable qu'il est de voir que ces peuples s'ils ne sont pas entrés dans l'Histoire dont il imagine qu'elle est la seule, écrivent leur propre histoire... Ce n'est plus vrai que seule les gagnants écrivent l'Histoire... Et en plus elle circule à la vitesse de twitter! Non, en effet ils n'entrent pas dans l'Histoire telle qu'elle s'écrit dans les livres de pays qui se crurent maîtres du monde. Ils écrivent leur histoire, une histoire dont nous sommes certainement plus proche que de celle de nos dirigeants. Une histoire populaire, comme celle des États-Unis décrite par Howard Zinn. Une histoire dont ils n'ont pas envie de déléguer l'écriture à d'autres... ou en tous cas en rappelant lorsque c'est nécessaires à leurs représentants qu'ils sont là pour obéir à la volonté du peuple: une traduction local du Mandar obedeciendo (diriger en obéissant) des zapatistes du Mexique.


En Tunisie ils ont finis par avoir la tête du premier ministre et malgré ce que les commentateurs prétendent le nouveau (84 ans) premier ministre, s'il est suffisamment vieux pour ne pas être connu des jeunes générations n'en possède pas pour autant les qualités d'un homme neuf. Il y a fort à parier que cette tête au faciès trop "ancien régime" ne fera pas de vieux os non plus. Il sera intéressant de voir si la génération internet en Tunisie, en Égypte, réussira à véritablement faire de leur révolution, la première révolution de l'ère numérique, en inventant pourquoi pas des institutions qui prendraient en compte l'instantanéité, la caractère massif des consultations permises par les autoroutes de l'information. Mais pour cela, les artisans de la révolution doivent être non seulement vigilants, mais aussi être force de proposition, sans laisser aux seuls vieux pontes des partis, des syndicats l'écriture du nouveau pays. En Tunisie, après les rumeurs, le président par intérim à annoncer aujourd'hui des élections pour la formation d'une Assemblée Nationale Constituante le 24 juillet. En Libye, au Yémen, en Algérie, à Bahreïn et dans d'autres pays le vent qui souffle semble pouvoir emporter non seulement des têtes mais surtout les systèmes dont ils n'étaient souvent que les masques. Des masques qui cachent toujours une mécanique inhumaine manipulant des robots aux garde-robe de dictateurs. Pour les peuples en luttes en ce moment , et notamment la Libye, le chemin est encore long, mais comme le dit le poète Antonio Machado "Caminante, no hay camino, se hace camino al andar": Voyageur ! Il n'y a pas de chemins, le chemin se fait en marchant.
Alors, bonne route...



Pour aller plus loin:

Un article du Tunisien Soir: le conseil pour la protection de la révolution appelle à dissoudre le gouvernement

Un article de Libé: En Tunisie, une Assemblée Constituante sera élue le 24 juillet

Tois articles du Monde: Tunisie: une Assemblée Constituante pourrait être crée, La révolution arabe n'a pas encore eu lieu et Les jeunes de la Kasbah reprennent la révolution tunisienne en main

Photo : des manifestants demandent la démission de Ghannouchi à Tunis, le 25 février 2011 (Zoubeir Souissi/Reuters)

02/03/2011

La guerre du Mexique d’en haut

Voici la traduction - trouvée sur le site du Comité de Solidarité avec les Peuples du Chiapas en Lutte - du texte de Marcos que j'ai publié il y a quelques jours: Sur les guerres.



SUR LES GUERRES

sous-commandant insurgé Marcos
dimanche 27 février 2011.

(Extrait de la première lettre du Sup Marcos à don Luis Villoro, début d’un échange épistolaire sur Éthique et Politique. Janvier-février 2011.

Partie 2 sur les quatre qui constituent la première lettre, laquelle apparaîtra intégralement dans le prochain numéro de la revue Rebeldía.)

(...)

En tant que peuples originaires mexicains et en tant qu’EZLN, nous avons quelque chose à dire sur la guerre. Surtout si elle se livre dans notre géographie et dans le présent calendrier : Mexique, débuts du XXIe siècle...


II. La guerre du Mexique d’en haut

« Je souhaiterais la bienvenue à presque n’importe quelle guerre, parce que je crois que ce pays en a besoin. »
Theodore Roosevelt

Et voilà qu’à présent notre réalité nationale est envahie par la guerre. Une guerre qui non seulement n’est plus lointaine pour qui avait l’habitude de la voir dans des géographies ou des calendriers distants, mais qui commence à gouverner les décisions et indécisions de ceux qui ont cru que les conflits guerriers ne se trouvaient que dans les bulletins d’informations et les films de lieux aussi lointains que... l’Irak, l’Afghanistan,... le Chiapas.

Et dans tout le Mexique, grâce au parrainage de Felipe Calderón Hinojosa, nous n’avons plus besoin de recourir à la géographie du Moyen-Orient pour avoir une réflexion critique sur la guerre. Il n’est plus nécessaire de remonter le calendrier jusqu’au Vietnam, à la baie des Cochons, et toujours à la Palestine.

Et je ne mentionne pas le Chiapas et la guerre contre les communautés indigènes zapatistes, parce qu’il est bien connu qu’elle n’est pas à la mode (pour y parvenir, le gouvernement du Chiapas a dépensé pas mal d’argent pour obtenir que les médias ne le rangent pas dans l’horizon de la guerre, mais dans celui des « avancées » dans la production de biodiesel, le « bon » traitement des migrants, les « succès » agricoles et autres fables attrape-nigauds vendus aux comités de rédaction qui signent, comme s’ils étaient d’eux, les bulletins gouvernementaux pauvres en rédaction et en arguments).

L’irruption de la guerre dans la vie quotidienne du Mexique actuel ne vient pas d’une insurrection ni de mouvements indépendantistes ou révolutionnaires qui se disputent leur réédition sur le calendrier cent ou deux cents ans plus tard. Elle vient, comme toutes les guerres de conquête, d’en haut, du pouvoir.

Et cette guerre trouve en Felipe Calderón Hinojosa son instigateur et promoteur institutionnel (et, à présent, honteux de l’être).

Celui qui a pris possession de l’exécutif fédéral par la voie du fait accompli ne s’est pas satisfait de l’appui médiatique ; il a dû recourir à quelque chose de plus pour détourner l’attention et échapper à la remise en cause massive de sa légitimité : la guerre.

Quand Felipe Calderón Hinojosa a fait sienne la proclamation de Theodore Roosevelt (que certains attribuent à Henry Cabot Lodge) suivant laquelle « ce pays a besoin d’une guerre », il a reçu en réponse la méfiance craintive des chefs d’entreprise mexicains, l’enthousiaste approbation du haut commandement militaire et les applaudissements nourris de qui commande vraiment : le capital étranger.

La critique de cette catastrophe nationale appelée « guerre contre le crime organisé » devrait être complétée par une analyse en profondeur de ses stimulants économiques. Je ne me réfère pas seulement à cet antique axiome qui veut que, dans les époques de crise et de guerre, la dépense somptuaire augmente. Et pas non plus seulement aux sursalaires que perçoivent les militaires (au Chiapas, les haut gradés touchaient, ou touchent, un salaire supplémentaire de 130 % parce qu’ils se trouvent en « zone de guerre »). Il faudrait chercher aussi du côté des brevets, des fournisseurs et des crédits internationaux qui ne se trouvent pas dans ce qu’on appelle l’« Initiative Mérida ».

Si la guerre de Felipe Calderón Hinojosa (qu’on a essayé, en vain, de faire endosser à tous les Mexicains) est un négoce (et elle l’est), il faut encore répondre à ces questions : pour qui est-ce un négoce, et quel montant monétaire il atteint ?

Quelques estimations économiques

Ce n’est pas rien, ce qui est en jeu :

(note : les quantités détaillées ne sont pas exactes du fait qu’il n’y a aucune clarté dans les chiffres gouvernementaux officiels. C’est pourquoi dans certains cas on a eu recours à ce qui est publié dans le Journal officiel de la Fédération, et on l’a complété avec des données des ministères et de l’information journalistique sérieuse).

Dans les quatre premières années de la « guerre contre le crime organisé » (2007-2010), les principaux organismes gouvernementaux qui en étaient chargés (ministère de la Défense nationale - c’est-à-dire armées de terre et de l’air - ministère de la Marine, ministère de la Justice et ministère de la Sécurité publique) ont reçu du budget de dépenses de la Fédération une somme supérieure à 366 milliards de pesos (environ 30 milliards de dollars au taux de change actuel). Ces quatre dépendances du gouvernement fédéral ont reçu : en 2007, plus de 71 milliards de pesos ; en 2008, plus de 80 milliards ; en 2009, plus de 113 milliards, et en 2010 ça a été plus 102 milliards de pesos. À quoi il faut ajouter les plus de 121 milliards de pesos (environ 10 milliards de dollars) qu’elles recevront en cette année 2011.

Le seul ministère de la Sécurité publique est passé de 13 milliards de pesos de budget en 2007 à plus de 35 milliards en 2011 (peut-être est-ce parce que les productions cinématographiques sont plus coûteuses).

Selon le Troisième Rapport de gouvernement de septembre 2009, au mois de juin de la même année les forces armées fédérales comptaient un effectif de 254 705 hommes (202 355 pour l’armée de terre et l’armée de l’air, et 52 350 pour la flotte).

En 2009, le budget pour la Défense nationale a été de 43 milliards 623 millions 321 860 pesos, auxquels se sont ajoutés 8 milliards 762 millions 315 960 pesos (25,14 % de plus), au total : plus de 52 milliards de pesos pour les armées de terre et de l’air. Le ministère de la Marine : plus de 16 milliards de pesos ; la Sécurité publique : presque 33 milliards de pesos ; et le ministère de la Justice : plus de 12 milliards de pesos.

Total du budget pour la « guerre contre le crime organisé » en 2009 : plus de 113 milliards de pesos.

En 2010, un soldat fédéral du rang gagnait 46 380 pesos par an ; un général de division touchait un million 603 080 pesos annuels, et le ministre de la Défense nationale percevait des revenus annuels d’un million 859 712 pesos.

Si je ne me trompe pas dans les comptes, avec le budget guerrier total de 2009 (113 milliards de pesos pour les quatre ministères), on aurait pu payer les salaires annuels de deux millions et demi de simples soldats ; ou de 70 500 généraux de division ; ou de 60 700 titulaires du ministère de la Défense nationale.

Mais, bien entendu, tout ce qui entre dans le budget ne va pas aux salaires et aux prestations. Il y a besoin d’armes, d’équipements, de balles... parce que ceux qu’on a ne fonctionnent plus ou sont obsolètes.

« Si l’armée mexicaine entrait en guerre avec ses quelque 150 000 armes et ses 331,3 millions de cartouches contre un ennemi interne ou externe, sa puissance de feu serait tout juste suffisante pour douze jours de combat continu en moyenne, signalent des estimations de l’état-major de la Défense nationale (Emaden) élaborées pour chacune des armes, armée de terre et armée de l’air. D’après les prévisions, le feu d’artillerie des obusiers (canons) de 105 millimètres permettrait de tenir, par exemple, seulement 5,5 jours en tirant en continu les quinze munitions pour cette arme. Les unités blindées, d’après cette analyse, ont 2 662 munitions de 75 millimètres.

Si elles entraient en combat, les unités blindées dépenseraient toutes leurs munitions en neuf jours. Quand à l’armée de l’air, on signale qu’il existe à peine plus de 1,7 million de cartouches de calibre 7,62 mm qui sont employées par les avions PC-7 et PC-9, et par les hélicoptères Bell 212 et MD-530. Dans une conflagration, ce 1,7 million de cartouches s’épuiserait en cinq jours de feu aérien, selon les calculs du ministère. Cet organisme fait remarquer que les 594 équipements de vision nocturne et les 3 095 GPS utilisés par les Forces spéciales pour combattre les cartels de la drogue “ont accompli tout leur temps de service”.

Les carences et le gaspillage dans les rangs des armées de terre et de l’air sont manifestes et atteignent des niveaux difficiles à imaginer dans pratiquement tous les secteurs d’opération de l’institution. L’analyse de la Défense nationale signale que les goggles de vision nocturne et les GPS ont entre cinq et treize ans d’ancienneté et “ont accompli tout leur temps de service”. C’est la même chose avec les “150 392 casques anti-fragments” qu’utilisent les troupes. 70 % d’entre eux ont terminé leur vie utile en 2008, et les 41 160 gilets pare-balles le feront en 2009 (...).

Dans ce panorama, l’armée de l’air apparaît comme la plus touchée par le retard et la dépendance technologiques vis-à-vis de l’étranger, en particulier des États-Unis et d’Israël. D’après le ministère les dépôts d’armes de l’armée de l’air comptent 753 bombes de 250 à 1 000 livres chacune. Les avions F-5 et PC-7 Pilatus utilisent ces armes. Les 753 existantes permettent de combattre air-terre durant une journée. Les 87 740 munitions de calibre 20 mm pour jets F-5 permettent de combattre des ennemis internes ou externes pendant six jours. Enfin, le ministère révèle qu’en ce qui concerne les missiles air-air pour les avions F-5, le stock est de 45 pièces, ce qui représente uniquement une journée de feu aérien. » Jorge Alejandro Medellín dans El Universal, México, 2 janvier 2009.

Ça, c’est ce qu’on connaît en 2009, deux ans après le début de la soi-disant « guerre » du gouvernement fédéral. Laissons de côté la question évidente : comment a-t-il été possible que le chef suprême des forces armées, Felipe Calderón Hinojosa, se lance dans une guerre (« de longue haleine », dit-il), sans disposer des conditions matérielles minimales pour la mener, et ne parlons même pas de « la gagner » ? Alors demandons-nous : quelles industries d’armement vont bénéficier des achats d’armes, d’équipement, et de munitions ?

Si le principal promoteur de cette guerre est l’empire aux barres et aux troubles étoiles (si on compte bien, en réalité les seules félicitations qu’a reçues Felipe Calderón Hinojosa sont venues du gouvernement nord-américain), il ne faut pas perdre de vue qu’au nord du Río Bravo, on n’accorde pas d’aides ; on fait des investissements, c’est-à-dire des affaires.

Victoires et défaites

Les États-Unis gagnent-ils quelque chose à cette guerre « locale » ? La réponse est oui. En laissant de côté les profits économiques et l’investissement monétaire en armes, munitions et équipement (n’oublions pas que les États-Unis sont le principal fournisseur de tout cela aux deux camps opposés : les autorités et les « délinquants » - la « guerre contre la délinquance organisée » est une affaire en or pour l’industrie militaire nord-américaine), on trouve, comme résultat de cette guerre, une destruction/dépeuplement et une reconstruction/réorganisation géopolitique qui leur sont favorables.

Cette guerre (perdue par le gouvernement sitôt conçue non comme solution à un problème d’insécurité, mais à un problème de légitimité contestée) est en train de détruire le dernier retranchement qui reste à une nation : son tissu social.

Quelle guerre pourrait être meilleure pour les États-Unis que celle-ci, qui lui rapporte des profits, un territoire et un contrôle politique et militaire, sans les gênants body bags et les mutilés de guerre qui lui reviennent, autrefois du Vietnam, aujourd’hui d’Irak et d’Afghanistan ?

Les révélations de Wikileaks sur les opinions au sein du haut commandement nord-américain à propos des « déficiences » de l’appareil répressif mexicain (son inefficacité et sa promiscuité avec la délinquance) ne sont pas nouvelles. Ce n’est pas seulement parmi le commun des mortels, mais aussi dans les hautes sphères du gouvernement et du pouvoir au Mexique que c’est une certitude. La blague suivant laquelle c’est une guerre inégale parce que le crime organisé l’est, organisé, et pas le gouvernement mexicain, est une lugubre vérité.

Le 11 décembre 2006 a commencé formellement cette guerre avec ce qu’on a appelé alors « l’Opération conjointe Michoacán ». Sept mille éléments de l’armée, de la marine et des polices fédérales on lancé une offensive (populairement connue sous le nom de « michoacanazo » ou « le coup du Michoacán ») qui, une fois passée l’euphorie médiatique de ces jours-là, s’est révélée un échec. Le commandant militaire en était le général Manuel García Ruiz et le responsable de l’opération Gerardo Garay Cadena, du ministère de la Sécurité publique. À présent, et ce depuis décembre 2008, Gerardo Garay Cadena est en prison au pénitencier de haute sécurité de Tepic (Nayarit), accusé de collusion avec « el Chapo » Guzmán Loera.

Et à chaque pas accompli dans cette guerre il est plus difficile au gouvernement fédéral d’expliquer où se trouve l’ennemi à vaincre.

Jorge Alejandro Medellín est un journaliste qui collabore à divers médias - la revue Contralínea, l’hebdomadaire Acentoveintiuno et le site d’informations Eje central, entre autres - et qui s’est spécialisé dans les sujets du militarisme, des forces armées, de la sécurité nationale et du narcotrafic. En octobre 2010, il a reçu des menaces de mort pour un article où il signalait de possibles liens du narcotrafic avec le général Felipe de Jesús Espitia, ancien commandant de la Ve Zone militaire, ancien chef de la Section Sept - Opérations contre le narcotrafic - sous le gouvernement de Vicente Fox et responsable du Musée du stupéfiant situé dans les bureaux de la S-7. Le général Espitia a été muté de son poste de commandant de la Ve Zone militaire à cause de l’échec retentissant des opérations qu’il avait ordonnées à Ciudad Juárez et de la pauvre réponse qu’il a apportée aux massacres commis dans cette ville frontalière.

Mais l’échec de la guerre fédérale contre la « délinquance organisée », joyau de la couronne du gouvernement de Felipe Calderón Hinojosa, n’est pas une perspective à déplorer pour le pouvoir aux États-Unis : c’est le but à atteindre.

Les grands médias ont beau s’efforcer de présenter comme d’éclatantes victoires de la légalité les escarmouches qui ont lieu tous les jours sur le territoire national, ils ne parviennent pas à convaincre.

Et pas seulement parce que les grands médias ont été dépassés par les formes d’échange d’information d’une grande partie de la population (entre autres les réseaux sociaux et la téléphonie mobile, mais pas seulement), également, et surtout, parce que le ton de la propagande gouvernementale est passé de la tentative de tromperie à la tentative de foutage de gueule, depuis le « même si ça n’en a pas l’air, nous sommes en train de gagner » jusqu’à « la minorité ridicule » de délinquants, en passant par les fanfaronnades de comptoir du haut fonctionnaire de service.

Sur cette autre défaite de la presse, écrite, de radio et de télévision, je reviendrai dans une autre lettre. Pour l’instant, et en ce qui concerne le sujet qui nous occupe, il suffit de rappeler que le « il ne se passe rien au Tamaulipas », qui était proclamé par les bulletins d’information (plus particulièrement à la radio et à la télévision), a été mis en déroute par les vidéos prises par des citoyens avec des téléphones portables ou des caméras d’amateur et partagées sur Internet.

Mais revenons à cette guerre que Felipe Calderón Hinojosa, à ce qu’il prétend, n’a jamais appelée « guerre ». Il ne l’a pas appelée ainsi, pas vrai ?

« Voyons si c’est une guerre ou si ça ne l’est pas ; le 5 décembre 2006, Felipe Calderón a dit : “Nous travaillons à gagner la guerre contre la délinquance...” Le 20 décembre 2007, durant un petit déjeuner avec du personnel de la Marine, monsieur Calderón a utilisé jusqu’à quatre fois en un seul discours le terme de guerre. Il a dit : “La société reconnaît tout particulièrement le rôle de nos marins dans la guerre que mon gouvernement mène contre l’insécurité...”, “La loyauté et l’efficacité des Forces armées sont une des armes les plus puissantes dans la guerre que nous livrons contre elle...”, “En commençant cette guerre frontale contre la délinquance, j’ai signalé que ce serait une lutte de longue haleine”, “... c’est précisément comme ça que sont les guerres...”. Mais il y a plus encore : le 12 septembre 2008, lors de la cérémonie de clôture et d’ouverture des Cours du système éducatif militaire, l’autodénommé “Président de l’emploi” a pris son envol en prononçant en une demi-douzaine d’occasions le terme de guerre contre le crime : “Aujourd’hui notre pays livre une guerre très différente de celle qu’eurent à affronter les insurgés en 1810, une guerre distincte de celle qu’affrontèrent les cadets du Collège militaire il y a 161 ans...”, “... tous les Mexicains de notre génération ont le devoir de déclarer la guerre aux ennemis du Mexique... Aussi, dans cette guerre contre la délinquance...”, “Il est indispensable que nous tous, qui nous joignons à ce front commun, nous passions de la parole aux actes et que nous déclarions, vraiment, la guerre aux ennemis du Mexique...”, “Je suis convaincu que cette guerre, nous allons la gagner...”. » (Alberto Vieyra Gómez, Agence mexicaine de nouvelles, 27 janvier 2011).

En profitant du calendrier pour se contredire, Felipe Calderón Hinojosa n’arrange pas ses affaires, et ne se corrige pas sur le plan des concepts. Non, ce qu’il y a, c’est que les guerres, on les gagne ou on les perd (dans ce cas, on les perd) et que le gouvernement fédéral ne veut pas reconnaître que le point essentiel de sa gestion a échoué sur les plans militaire et politique.

Guerre sans fin ? La différence entre la réalité... et les jeux vidéo

Face à l’échec indéniable de sa politique guerrière, Felipe Calderón Hinojosa va-t-il changer de stratégie ?

La réponse est NON. Et pas seulement parce que la guerre d’en haut est un négoce, et que comme tout négoce elle se maintient tant qu’elle continue à générer des profits.

Felipe Calderón Hinojosa, le commandant en chef des forces armées ; le fervent admirateur de José María Aznar ; l’autodénommé « l’enfant terrible » ; l’ami d’Antonio Solá ; le « gagnant » de la présidence par un demi pour cent des voix, grâce à l’alchimie d’Elba Esther Gordillo ; celui des invectives autoritaires plutôt du style des caprices de gamin (« vous descendez, ou je vous envoie chercher ») ; celui qui veut masquer avec du sang encore celui des enfants assassinés à la garderie ABC à Hermosillo (Sonora) ; celui qui a accompagné sa guerre militaire d’une guerre contre le travail digne et le salaire juste ; celui de l’autisme calculé face aux assassinats de Marisela Escobedo et Susana Chávez Castillo ; celui qui distribue les étiquettes mortuaires de « membres du crime organisé » aux petites filles et petits garçons, hommes et femmes, qui ont été et qui sont assassinés parce que c’est comme ça, parce qu’ils ont eu la malchance de se trouver au mauvais endroit à la mauvaise date, et qui ne parviennent même pas à être nommés parce que personne n’en tient le compte, ni dans la presse ni dans les réseaux sociaux.

Lui, Felipe Calderón Hinojosa, est aussi un fan des jeux vidéo de stratégie militaire.

Felipe Calderón Hinojosa est le gamer « qui, en quatre ans, a transformé le pays en une version mondaine de The Age of Empires - son jeu vidéo préféré - (...) un amoureux - et mauvais stratège - de la guerre » (Diego Osorno, dans Milenio Diario, 3 octobre 2010).

C’est lui qui nous amène à demander : le Mexique est-il gouverné à la façon d’un jeu vidéo ? (Je crois que je peux poser ce genre de questions compromettantes sans risque d’être licencié pour manquement à « un code d’éthique » géré par la publicité payante.)

Felipe Calderón Hinojosa ne s’arrêtera pas. Et pas seulement parce que les forces armées ne le lui permettraient pas (les affaires sont les affaires), mais aussi à cause de l’obstination qui caractérise la vie politique du « commandant en chef » des forces armées mexicaines.

Rafraîchissons un peu les mémoires. En mars 2001, quand Felipe Calderón Hinojosa était le coordinateur parlementaire des députés fédéraux du Parti d’action nationale, a eu lieu ce lamentable spectacle du PAN qui refusait qu’une délégation indigène conjointe du Congrès national indigène et de l’EZLN fasse usage de la tribune du Congrès de l’Union à l’occasion de ce qu’on a appelé la « Marche de la couleur de la terre ».

Bien que cela désigne le PAN comme une organisation politique raciste et intolérante (ce qu’il est) qui refuse aux indigènes le droit à être écoutés, Felipe Calderón Hinojosa est resté campé dans son refus. Tout lui disait que c’était une erreur d’assumer cette position, mais le coordinateur des députés panistes n’a pas cédé (et a fini, avec Diego Fernández de Cevallos et d’autres illustres panistes dans un des salons privés de la chambre, à regarder à la télévision les indigènes prendre la parole dans un espace que la classe politique réserve pour ses saynètes).

« Tant pis pour le coût politique », aurait dit alors Felipe Calderón Hinojosa.

À présent il dit la même chose, même si aujourd’hui il ne s’agit plus des coûts politiques assumés par un parti politique, mais des coûts humains que paie le pays entier à cause de cet entêtement.

Sur le point de terminer cette missive, je suis tombé sur les déclarations de la secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, Janet Napolitano, spéculant sur de possibles alliances entre Al Qaeda et les cartels mexicains de la drogue. La veille, le sous-secrétaire de l’Armée des États-Unis, Joseph Westphal, avait déclaré qu’au Mexique il y a une forme d’insurrection dirigée par les cartels de la drogue qui, potentiellement, pourraient s’emparer du gouvernement, ce qui impliquerait une réponse militaire étasunienne. Il a ajouté qu’il ne souhaitait pas voir une situation où des soldats étasuniens seraient envoyés combattre une insurrection « sur notre frontière... ou avoir à les envoyer franchir cette frontière » vers le Mexique.

Pendant ce temps, Felipe Calderón Hinojosa assistait à un simulacre de libération d’otages dans un village reconstitué, façon décor de cinéma, dans l’État de Chihuahua et montait dans un avion de combat F-5, s’asseyait sur le siège du pilote et plaisantait avec un « envoyez les missiles ».

Des jeux vidéo de stratégie aux « simulateurs de combat aérien » et aux « tirs à la première personne » ? De Age of Empires à HAWX ?

Le HAWX est un jeu vidéo de combat aérien où, dans un futur proche, les entreprises militaires privées (private military company) ont remplacé les armées gouvernementales dans plusieurs pays. La première mission du jeu vidéo consiste à bombarder Ciudad Juárez (Chihuahua, Mexique), parce que les « forces rebelles » se sont emparées de la place et menacent d’avancer vers le territoire nord-américain.

Ce n’est pas dans le jeu vidéo, mais en Irak, qu’une des entreprises militaires privées embauchées par le Département d’État nord-américain et l’Agence centrale de renseignement (CIA) a été Blackwater USA, qui ensuite a changé son nom en Blackwater Worldwide. Son personnel a commis de sérieux abus en Irak, y compris l’assassinat de civils. À présent elle a encore changé son nom en Xe Services LLC et elle est le plus grand adjudicataire de sécurité privée du Département d’État nord-américain. Au moins 90 % de ses profits proviennent de contrats avec le gouvernement des États-Unis.

Le jour même où Felipe Calderón Hinojosa plaisantait dans l’avion de combat (10 février 2011), dans le même État de Chihuahua une fillette de huit ans est morte, touchée par une balle lors d’un échange de coups de feu entre des personnes armées et des militaires.

Quand cette guerre va-t-elle se terminer ?

Quand va apparaître sur l’écran du gouvernement fédéral le game over de la fin du jeu, suivi du générique avec les noms des producteurs et des sponsors de la guerre ?

Quand Felipe Calderón va-t-il pouvoir dire « nous avons gagné la guerre, nous avons imposé notre volonté à l’ennemi, nous avons détruit sa capacité matérielle et morale de combat, nous avons (re)conquis les territoires qui étaient en son pouvoir » ?

Depuis qu’elle a été conçue, cette guerre n’a pas de fin, et elle est perdue.

Il n’y aura pas de vainqueur mexicain sur ces terres (à la différence du gouvernement, le pouvoir étranger, lui, a un plan pour reconstruire/réorganiser le territoire), et le vaincu sera le dernier carré au Mexique de l’État national agonisant : les relations sociales, qui, en donnant une identité commune, sont la base de la nation.

Avant même la fin supposée, le tissu social sera totalement déchiré.

Résultats : la guerre en haut et la mort en bas

Voyons de quoi nous informe le ministre de l’Intérieur fédéral sur la « non-guerre » de Felipe Calderón Hinojosa :

« 2010 a été l’année la plus violente du sexennat, puisque se sont accumulés 15 273 homicides liés au crime organisé, 58 % de plus que les 9 614 enregistrés au cours de 2009, suivant les statistiques diffusées ce mercredi par le gouvernement fédéral. De décembre 2006 à la fin 2010 ont été comptabilisés 34 612 crimes, parmi lesquels 30 913 sont des cas signalés comme “exécutions” ; 3 153 sont qualifiés d’“affrontements” et 554 sont dans la catégorie “homicides-agressions”. Alejandro Poiré, secrétaire technique du Conseil de sécurité nationale, a présenté une base de données officielle élaborée par des experts qui fera apparaître à partir de maintenant “une information détaillée mensuelle, au niveau des États et des municipalités” sur la violence dans tout le pays » (journal Vanguardia, Coahuila, Mexique, 13 janvier 2011).

Posons les questions : sur ces 34 612 assassinés, combien étaient des délinquants ? Et les plus de mille petits garçons et petites filles tués (que le ministre de l’Intérieur a « oublié » de compter à part), c’étaient aussi des « tueurs à gages » du crime organisé ? Quand au gouvernement fédéral on proclame « nous sommes en train de gagner », à quel cartel de la drogue se réfèrent-ils ? Combien de dizaines de milliers d’autres constituent cette « ridicule minorité » qu’est l’ennemi à vaincre ?

Tandis que là-haut ils essaient inutilement de dédramatiser dans les statistiques les crimes que leur guerre a provoqués, il faut signaler qu’on détruit en même temps le tissu social sur presque tout le territoire national.

L’identité collective de la nation est en train d’être détruite, en train d’être supplantée par une autre.

Parce que « une identité collective n’est rien d’autre qu’une image qu’un peuple se forge de lui-même pour se reconnaître comme appartenant à ce peuple. L’identité collective, ce sont ces traits par lesquels un individu se reconnaît comme appartenant à une communauté. Et la communauté accepte cet individu comme une part d’elle-même. Cette image que le peuple se forge n’est pas nécessairement la perpétuation d’une image traditionnelle héritée, c’est généralement l’individu qui se la forge en tant qu’appartenant à une culture, pour rendre cohérents son passé et sa vie actuelle avec les projets qu’il a pour cette communauté.

Alors, l’identité n’est pas un simple legs dont on hérite, mais c’est une image qui se construit, que chaque peuple se crée, et par conséquent elle est variable et changeante suivant les circonstances historiques » (Luis Villoro, novembre 1999, entrevue avec Bertold Bernreuter, Aachen, Allemagne).

Dans l’identité collective d’une bonne partie du territoire national il n’y a pas, comme on voudrait nous le faire croire, la dispute entre l’étendard de la patrie et les narco-corridos (si on ne soutient pas le gouvernement, on soutient la délinquance, et vice-versa).

Non.

Ce qu’il y a, c’est une imposition, par la force des armes, de la peur comme image collective, de l’incertitude et de la vulnérabilité comme miroirs dans lesquels ces collectifs se reflètent.

Quelles relations sociales peuvent se maintenir ou se tisser si la peur est l’image dominante avec laquelle on peut identifier un groupe social, si le sens de la communauté se rompt au cri de sauve-qui-peut ?

Le résultat de cette guerre ne va pas être seulement des milliers de morts... et de juteux profits économiques.

Ce va être aussi, et surtout, une nation détruite, dépeuplée, brisée irrémédiablement.

(...)

Bon, don Luis. Salut, et que la réflexion critique encourage de nouveaux pas.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.
Sous-commandant insurgé Marcos.

Mexique, janvier-février 2011.

Source : Enlace Zapatista
Traduit par el Viejo.
photo: Marcos arrive à San Cristobal de Las Casas pour le lancement de l'Autre Campagne le 1er janvier 2006, Mexique. (SR)