Loin du bruit des bottes, ou du silence des pantoufles, une vingtaine de gamins de Belleville et de Mantes-la-Jolie chaussent la Tong! La compagnie Tamèrantong! s’organise autour d’un spectacle et d’une équipe dont certains ont traversé le courant (rock) alternatif. L’expérience pour ces amateurs du jeu s’étale sur une période qui varie entre 5 et 7 ans. Ils s’initient aux règles théâtrales, travaillent le spectacle, répètent et tournent.
Ils ont ainsi joué ZORRO EL ZAPATO, qui relie le mythe du vengeur masqué à la lutte zapatiste, jusqu’au Mexique. Ceux que j’ai croisés à Mantes-la-Jolie, avec leurs rencontres, leur respect et leur joie de vivre interrogent en profondeur le sens de la culture. Loin des pages du passé, c’est à partir du présent que la troupe aiguise son esprit critique jusqu’à nous rappeler que la culture n’est pas le but, mais le moyen. Celui de découvrir d’autres je.
Il y a parfois des renversements inattendus. Lorsqu’à Cassandre (1) on a préparé ce dossier, il me semblait important de prendre en compte l’avis des enfants, en tant que “cible” de la transmission. Tamèrantong! paraissait un cas intéressant car hors des sentiers battus. Après quelques minutes avec le premier groupe d’enfants, ils me retournent mon sujet. Sans crier gare, les voilà transmetteurs! Haby, 10 ans (dont cinq à Tamèrantong!) m’explique que “dans la vie il y a des gens qu’on n’écoute pas. J’aime bien le spectacle car c’est un moyen de montrer des gens qui veulent la paix. C’est un moyen de dire “Ecoutez-les!”. Au début je croyais que j’allais faire du théâtre ordinaire et puis on a voyagé et on a fait du théâtre pour les gens. On lutte avec eux.” Moïse (10 ans dont trois à TMT!) continue: “C’est un spectacle pour les gens. C’est important. C’est un rôle de témoin ; quand on fait un spectacle, ils ont la parole.” Il ajoute: “On prépare ici et on joue dans d’autres pays. Comme ça, ils ne nous oublient pas.” Ils m’expliquent qu’à l’école on les fait travailler sur des extraits de Molière, “du théâtre d’avant”, et qu’ici “c’est plus réel”. Pourtant ils semblent conscients des apports de l’école. Haby raconte qu’au Mexique les gens “nous regardaient, ils n’avaient jamais vu de Noirs. Pour eux il n’y a que les Indiens qui existaient.” “Ils voulaient voir si la couleur partait en frottant”, l’interrompt, tout sourire, Moïse mimant la scène. “Nous, on a été à l’école, on sait qu’il y a des Indiens”, poursuit Haby. Elle ajoute: “A l’école on imagine et on fait pas. Ici on fait. On imaginait les Indiens, on y a été et on les a aidés.”
L’air de rien, ces jeunes acteurs interrogent un point fondamental: qu’est-ce qu’on transmet? Me voilà bien. Je pensais aborder le “comment transmettre aux esprit en formation?”, imaginant que les adultes interviewés dans les autres articles s’empresseraient de définir le contenu. Si la culture est vraiment “l’ensemble des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le goût, le jugement”, comme le suggère le Petit Robert (qui ne joue pas dans TMT!), alors les textes classiques que l’école donne à lire ne sont qu’un moyen de forger des adultes libres-penseurs.
De la lettre à son esprit.
Pour exercer leur sens critique, les enfants veulent du “réel”, ils veulent faire. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en question l’universalisme des textes d’un Moliere, ou d’autres. Mais ces enfants insinuent que les situations décrites par les classiques de la littérature ne leur parlent pas. Par contre, ils usent de leur sens critique à l’encontre de ce qu’ils connaissent: la télé. Pendant les exercices d’improvisation, deux des trois groupes ont pris comme cadre des émissions à succès, en y posant un regard distancié. Preuve que ces enfants ne sont pas exempts de l’influence cathodique. Les aider à développer leur sens critique peut les préparer à mieux intégrer les auteurs qui traversent le temps.
Leur expérience mexicaine leur a permis de mettre en lumière certains travers de notre société. “Quand on mange, ici on peut dire “J’aime pas”. Là-bas on avait pas le choix. C’est tout ce qu’ils avaient et ils le partageaient avec nous.” “Au Mexique, les petits des bidonvilles nous ont remis des cadeaux. Ils n’ont pas beaucoup d’argent mais ils ont fait des efforts. Nous, on a fait un escargot (en faisant une chaîne, ndla) avec eux (2).” Haby raconte: “Il n’y avait pas de différences, on souriait tous. Nous, juste pour une toute petite chose, on a pas le sourire. Au début on savait pas, on croyait que TMT! c’était juste faire des spectacles.”
Ils sont nombreux à avoir cru qu’en mettant un pied dans la Tong, ils feraient “un spectacle de fin d’année”. Aujourd’hui ils disent ne pas faire que du théâtre, mais aussi “apprendre d’autres cultures, d’autres langues. On parle des autres, de ceux qui souffrent”. Pour présenter Zorro el zapato au Mexique, devant le sous-commandant Marcos et plusieurs milliers de zapatistes, il faut se faire comprendre. Ils ont donc appris l’espagnol, l’histoire des Indiens. Et puis l’escrime et l’art des combats de scène.
La pièce devient prétexte à faire, à raconter, à acquérir des connaissances. Apprendre à écouter pour se forger sa propre culture. Apprendre devient plaisir, même pour des enfants turbulents à l’école, au vu de la saynète jouée par le troisième groupe d’improvisateurs. La rencontre n’a pas besoin d’avoir lieu à l’autre bout du monde. Ici aussi, Tamèrantong! tisse du lien social. La plus part des enfants sont arrivés par un frère, une soeur, des parents de camarades, les animateurs du centre social. Ce lien est primordial puisque “MC” (Marie-Claude) est en charge des relations avec les parents. Passer des heures en Tong demande quelques aménagements d’horaires, et l’implication de l’entourage. L’écoute et le respect glissent d’actes en paroles. Abdoulaye (9 ans dont cinq à TMT!) m’explique que dans la compagnie “si on est coincé on en parle”. Haby précise qu’il y a “le Conseil des Tongs! pour parler d’un problème ou annoncer des choses”. D’ailleurs, durant les entretiens, ces jeunes comédiens se sont très peu coupé la parole.
Il n’y a pas de casting pour joindre la troupe. On est loin des stéréotypes proposés dans les académies de l’entertainment. “Ici c’est pas noté. Il n’y a pas de meilleur.”, prévient Benoît. Le groupe prend de l’importance, avec les différences qu’il mêle. “C’est bien le mélange, car on apprend des autres. Ça sert à rien si on est blanc et qu’on aime les blancs!”, distillent les enfants.
Cette ouverture sur le monde et ses questionnements resurgit dans les paroles de ces adultes en devenir: “La compagnie a des problèmes à cause du gouvernement, car ils enlèvent les emplois-jeunes, les intermittents. A la fin des spectacles on en parle.” Moïse précise: “Bientôt il n’y aura plus d’intermittents. C’est important, c’est les éclairagistes, c’est eux qui font les décors. Ils risquent de partir.”
L’actualité rattrape les palabres d’enfants, et les conséquences leur vie quotidienne. Discussions d’adultes? Cette distinction pèse sur ces acteurs en herbe: “A l’école, il y a des clans: les grands et les petits. Ici on est mélangés.” Dans les pas des Tongs, il n’y a pas de contrôles, “pas de stress. Ils nous apprennent, nous montrent”, et si la demande se fait sentir, les animateurs expliquent encore. “Ici on peut faire une erreur”, lâche Jalel (13 ans dont cinq à TMT!). Yann (12 ans dont quatre de TMT!) résume: “Les parents c’est “blablabla” ; l’école c’est ennuyeux ; avec le théâtre on s’amuse.” Mais ils insistent, “le théâtre, c’est une ouverture sur le monde. L’école c’est le minimum du respect, c’est “bonjour”.” La solidarité de troupe se loge dans les mots de Yann: “C’est comme une classe avec les plus forts qui aident les plus faibles. A l’école c’est mal vu, on triche. Ici c’est pour progresser.”
Marine, du haut de ses 9 années, dont quatre en Tong, précise que Zorro el Zapato est “une pièce contre ce qui se passe, contre la misère. L’école c’est sérieux, mais ici on s’amuse en plus”. L’un d’entre eux raconte: “A Mexico on a vu ce que c’est que se droguer. A l’école on comprend pas car c’est des mots.” Marine répond: “Mais les mots c’est important!” La boucle est bouclée…
1: Voir Cassandre numéro 41
2: Les caracoles, “escargots” en espagnol, est le nom donné aux nouvelles instances d’auto-gouvernement mises en place par les communautés zapatistes du Chiapas
Article paru dans la revue Cassandre, numéro 57, printemps 2004
E-mail de la compagnie Tamèrantong!: tmt@club-internet.fr
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