"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

01/03/2021

Quel antifascisme?

 Je republie ici le texte que j'avais publié lorsque j'avais rejoins la plateforme de blog "antifa-net", qui depuis n'existe plus... toutefois la définition de l'antifascisme que je porte me semble toujours d'actualité.

Je choisi de ne pas retravailler le texte, vous excuserez donc les quelques références datées (UMP, etc).

Bonne lecture

 







 

 

Pourquoi je rejoins antifa-net

Dans Une journée particulière, le film d'Ettore Scola, Mastroianni, poursuivi jusque dans son sixième par les gros bras mussoliniens, s'écrie judicieusement à l'adresse du spadassin qui l'accuse d'anti-fascisme : "Vous vous méprenez, monsieur : ce n'est pas le locataire du sixième qui est anti-fasciste, c'est le fascisme qui est anti-locataire du sixième."
Extrait du réquisitoire de Desproges contre Jean-Marie Le Pen, 28 septembre 1982


Ce petit rappel est important car de plus en plus la charge semble s'inverser quand on parle d'antifascisme. Il devient même de plus en plus fréquent dans la bouche et sous la plume de gens de gauche de voir traiter celles et ceux qui se revendique de l'antifascisme... de fascistes !
Éclaircissons donc un premier point avant d'entrer dans le vif du sujet. L'antifascisme est tout autant que le « fascsime » que nous combattons divers. Pour en avoir une idée plus précise je ne peux que vous enjoindre à lire le texte de Réflexes, repris sur le site de la Horde.
L'antifascisme dont je me revendique est issu du mouvement antifasciste radical, un mouvement qui n'appréhende la lutte contre le fascisme que comme une des base d'un mouvement révolutionnaire et émancipateur...
De même ce que nous pouvons classé sous le vocable de « fascisme » mériterait certainement une analyse plus précise tant les différences entre les mouvements catholiques intégristes, les royalistes, les néo-païens, les nationalistes révolutionnaires ou l'extrême droite électoraliste peuvent apparaître importantes. Toute fois entre ces différents mouvement il existe quelques constantes qui les démarques de partis démocratiques, même réactionnaires tels que l'UMP. N'oublions pas non plus que les mouvements qui ont mené le monde à la guerre dans les années 30 étaient loin d'être unifiés idéologiquement. Entre le nazisme, le fascisme historique italien et le franquisme il y a tout de même des divergences significatives... Mais ce n'est pas le propos de ce billet.

A lire les attaques dont celles et ceux qui ici et ailleurs se revendiquent d'un antifascisme radical sont l'objet, de la part d'hommes et de femmes de gauche, il semble que ces derniers oublient cette évidence que la citation de Desproges nous rappelle fort à propos : c'est bien le fascisme, cette vision autoritaire et totalitaire de la société qui désigne celles et ceux qui sortent du cadre stricte de leur vision du monde à la vindicte : immigrés, juifs, homosexuels, drogués, prostituées, etc.
Et si en temps de crise, les partis de la réactions (et même certains partis de gauche institutionnelle) ont une fâcheuse tendance à reprendre cette rhétorique avec plus ou moins de facilité, c'est plus par opportunisme ou calcul électoraliste... voir même selon certains discours afin de siphonner l'électorat extrémiste ! (Reprendre les idées des fachos pour les empêcher de prendre le pouvoir découle d'une logique partidaire à laquelle je suis totalement étranger.)

S'il peut s'habiller au grès des situations d'une parure plus ou moins sociale, le fascisme s'oppose de toutes ses tripes à l'idée d'émancipation sociale. La vision autoritaire que développe la pensée fasciste ne conçoit pas que le peuple puisse gérer la société, que le prolétariat puisse prendre son destin entre ses mains. Dans cette vision du monde, les organisations sociales, féministes, les syndicats, l'ensemble des secteurs où le peuple s'organise par lui-même et pour lui-même sont perçus comme dangereux pour l'ordre social. Le peuple n'est pensé qu'en tant que masse devant obéir à un chef traçant la voie du pays, grâce à une vision claire au service de la puissance de la nation. En cela, il n'est pas d'essence démocratique, même si tactiquement, il peut utiliser le jeux électoral pour accéder au pouvoir.
Ce recours à un dieu, à un césar, à un tribun va à l'encontre du mouvement émancipateur dont l'antifascisme radical se revendique. Oui, nous pensons que les prolétaires sont capables d'organiser la société, sans recours aux présidents, directeurs et autres généraux... qu'ils soient de droits divins ou de droits électoral.

L'acceptation de cette idée d'un guide suprême n'est possible dans le peuple qu'en adéquation avec une exaltation de la nation, de la patrie. En effet, le chef représente le garant de l'intérêt national, dépassant les intérêts de classes. Un discours qui s'évertue, parfois subtilement pour s'ouvrir quelques portes à gauche, à confondre souveraineté populaire et souveraineté nationale. Mais derrière cette tromperie linguistique c'est encore une fois une tentative de récupération du mouvement social et de son émancipation. Car cette confusion sémantique se révèle dans les faits un renversement total de la logique. En confondant ainsi intérêts du pays et du peuple on valide par là-même cette idée que patrons et travailleurs doivent composer pour l'intérêt supérieur de la nation. Là encore aucune volonté émancipatrice pour le peuple dans l'idéal fasciste. L'idée que les travailleurs ne peuvent se passer des patrons est la continuité de l'idée que le peuple a besoin d'un chef ou que la famille s'organise autour de l'homme. On en vient alors logiquement à préférer les patrons de son pays, discours d'autant plus audible que l'esprit d'entreprise vanté par les tenants libéraux de nos économies, qu'ils soient de droite ou de gauche, finit par nous faire croire que l'important est de produire, toujours plus, toujours moins cher afin de relancer la croissance... dans l'intérêt supérieur de la nation. Sans aucune considération à la base des besoin des hommes et des femmes, ni prise en compte de l'environnement. Aucune réflexion sur le pourquoi et le comment de nos productions. Le fascisme ne se distingue en cela qu'aux marges des politiques économiques actuelles.
En cela aussi, lorsqu'à gauche certains tentent de surfer sur le patriotisme économique ils se trompent de combat. Que signifie de vouloir taxer par exemple Total ? Total exploite les ressources des sous-sols d'un certain nombre de pays. Ce qui revient, dans un système concurrentiel à spolier ces pays d'une partie de leurs richesses. Les retombées pour les pays hôtes sont de deux ordres : des taxes et des salaires. Les unes vont dans les caisses de l'état, les autres dans les poches des travailleurs. Rapatrier les bénéfices d'une entreprise comme Total revient à valider l'idée que l'entreprise appartient à ses dirigeants et pas aux travailleurs. Car sinon, il n'y a aucune raison que les bénéfices produit par les travailleurs dans un pays servent les intérêts des travailleurs du pays des dirigeants. C'est soumettre la valeur ajouté du travail à la nationalité de l'entreprise, de ses capitaux ou de ses dirigeants. Rien ici qui puisse se revendiquer d'une vision pour l'émancipation des travailleurs.
Cette confusion est aussi la conséquence d'un discours répandue à gauche qui prétend que les frontières seraient les garantes des intérêts des travailleurs, que c'est la mondialisation économique qui tend à abolir les frontières. Quoi de plus faux quand on voit comme le patronat et les grandes entreprises jouent des différences de protection sociale de chaque pays pour maximiser leurs bénéfices. Les gouvernements quant à eux jouent des délocalisations pour attaquer nos droits. Car si les barrières se lèvent pour les marchandises et les capitaux, il n'en va pas de même pour les droits sociaux ni pour les hommes et les femmes. Poussé à l'extrême ce raisonnement valide l'antienne fasciste « le travail pour les nationaux », que l'on décline ensuite sur les allocations sociales, les soins, l'accès au logement, le droit de vote... Les peuples n'ont décidément rien à espérer d'un repli nationaliste.
L'antifascisme que j'espère partager avec vous, sur antifa-net est avant tout une lutte pour l'émancipation, pour la reconnaissance de la diversité, un combat pour l'égalité économique, politique et social, pour la liberté des peuples à s'organiser horizontalement dans une société sans classes, ni gouvernement centralisé, ni normes imposées.

Si aujourd'hui certains à gauche préfèrent dialoguer avec les fascistes, tout en désignant les « antifas » comme des inquisiteurs, c'est peut-être bien le signe le plus inquiétant du glissement à droite de l'échiquier politique. Car, à part quelques putschistes en puissance, la plus part des partis fascistes ont opté, dans une Europe pacifiée, pour une conquête du pouvoir par les urnes. Et dans toute élection, les voix ne se portent pas toujours sur un candidat par choix, mais aussi par dépit, par repoussoir, etc. Ce n'est donc pas un peuple majoritairement fasciste qui porte au pouvoir un parti fasciste... mais des calculs électoraux qui échappent à toute tentatives d'explications simplistes.
Si des partis fascistes doivent arriver au pouvoir, ce sera plus certainement par la perméabilité de certains thèmes entre l'extrême droite et une partie de la gauche, et la faillite d'une gauche libérale. Jouer avec les thèmes de l'extrême droite est non seulement un pari risqué dans le jeux démocratique, plus encore en période de crise, mais c'est surtout un renoncement à cette idée d'émancipation, cette volonté d'aller au-delà des contraintes de l'époque en inventant un nouveau vivre ensemble.
Cette porosité rouge-brune naît plus encore des passerelles que tissent certains entre une partie de la gauche anti-libérale et des individus de droites plus ou moins extrêmes. C'est au travers des thèses conspirationnistes, d'une écologie plus kaki que verte ou d'un socialisme teinté de nationalisme, que les solutions fascistes infusent aujourd'hui dans la société, bien au-delà du cercle restreint de l'influence des mouvements d'extrême-droite.
Les antifascistes seraient devenus les pourfendeurs de la liberté d'expression ? Mais la mouvance fasciste n'a-t-elle pas tout le loisir de s'exprimer dans sa presse, et même plus largement dans les médias dominants ? Pour quelles raisons devrions-nous leur donner la parole dans les quelques espaces où ils n'ont pas tribunes ouvertes ? Ceux qui accusent les antifas de sectarisme en prétextant notre refus de joindre nos voix aux fascistes, en leur ouvrant les colonnes de notre presse, portent une responsabilité dans le confusionnisme idéologique actuel.
Quant à dialoguer avec l'extrême droite, sous prétexte à la fois d'ouverture à toutes les idées pour sortir de la crise, ou en espérant pouvoir convaincre les électeurs de partis fascisants, cette stratégie est voué à l'échec. Car, en dialoguant avec des fachos dans le cadre de débats, qui peut-on espérer convaincre ? Les contradicteurs de l'extrême-droite, dont on peut penser qu'ils sont idéologiquement formés ? Le public de ces débats organisés par des mouvements fascisants ? Ils ne constituent de toute façon pas la majorité des électeurs susceptibles de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Au contraire, c'est délivrer une caution démocratique à des écoles de pensées que l'idée du peuple organisé révulse... dès qu'il a glissé son bulletin dans l'urne, pour les mouvements fascistes qui ont fait le choix des urnes. Si vraiment ceux qui prônent le débat avec les fascistes souhaitent convaincre celles et ceux qui peuvent tendre du « côté obscur de la force », ils devraient se battre pour que la liberté d'expression qu'ils défendent pour des mouvements fascistes soit donnée aux forces de l'émancipation social, qui combattent le capitalisme et qui ne bénéficient pas de cette même exposition médiatique.
Quant à trouver des idées de justice social, d'égalité politique ou de libertés individuelles et collectives dans les thèses fascistes ça ne peut résulter que d'une grande confusion mentale nourrie de longues soirées à refaire non pas le monde, mais les nations, avec les débatteurs de l'extrême-droite. Les attaques contre l'antifascisme radical ressemble moins à une attaque contre l'antifascisme que contre la radicalité dont nous sommes porteurs... une attaque en règle contre l'émancipation du peuple !

Non, décidément on ne dialogue pas avec le fascisme, on le combat !
Le fascisme c'est la gangrène, on l'élimine ou on en crève !