"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

24/06/2008

Cartes mexicaines - Poly mars 2007

Les Chichimecas

Depuis le centre du Mexique…
Aguascalientes, à six heures de bus au nord de Mexico. Capitale éponyme de son Etat, le plus petit du Mexique. C’est ici, à près de 10 000km de mon Alsace natale, que j’ai posé mon sac, ma vie et ma plume. Il y a quelques années, je découvrais le plaisir d’écrire dans Polystyrène, avant de m’envoler hors du nid. Aujourd’hui c’est à vous, lecteurs et lectrices de Poly, que je vais tenter de décrire cette terre aride et les gens qui l’habitent.



En ce début de saison sèche, la chaude lumière du soleil s’infiltre partout dans les rues, rehausse les couleurs des façades et réchauffe l’atmosphère d’Aguascalientes. Le dimanche, les hommes portent souvent santiags, stetson et ceinturon.
En arrivant, à part l’image d’un désert peuplé de cactus, serpents et bandits aux cartouchières et moustaches bien fournies, j’ignorais tout du passé indigène de la région. Un passé effacé de l’Histoire et du quotidien.
Le nord du Mexique accueillait pourtant de multiples peuples : Pames, Guachichiles, Zacatecos et ici, à Aguascalientes, Caxcanes. Le nom générique de Chichimecas s’apparenterait aux barbares de nos contrées. Un terme péjoratif, emprunt de récits sanglants, qu’utilisaient les Espagnols et leurs alliés indigènes pour justifier les massacres. Pourtant l’image tutélaire qu’avaient ces peuples du guerrier, à la fois chasseur et gardien de son clan, était bien éloignée de l’organisation de puissantes armées.
À présent, de ces peuples nomades qui habitaient la région, il ne reste rien… à peine quelques pointes de leurs flèches meurtrières. Ils n’ont pas légué au présent les temples de leurs démons. Ils dormaient souvent où la nuit les cueillait, dans des cavernes ou de sommaires habitations. On en trouve parfois l’évocation au détour d’un poème de Juan Pablo de Avíla (1) :

Je suis de terre j’ai le souffle de huizache (2)
Ma voix de vent déplace les dunes je suis de cœur jaune
mort et sécheresse.
Je suis nu et invisible je n’ai pas de maison je vis dans le vent
Je suis dans l’éternel mouvement des étoiles
Dans la plante magique saignant le papillon d’obsidienne

Leurs légendes leur ont survécu. Des récits qui prêtent vie au Cerro del Muerto, la colline aux lignes cadavériques qui dort au sud-ouest d’Aguascalientes. Refuges des gardiens indigènes de la ville, corps d’un prêtre Chichimecas… les rumeurs courent telles les sources d’eau chaude de la région.
Ces « chiens sans colliers » (l’une des interprétations du nom) ont résisté deux siècles durant à la colonisation. Cet esprit de révolte a depuis attiré l’attention de celles et ceux qui luttent pour rendre leur dignité aux peuples oubliés. L’idée « romantique » de tribus réfractaires au centralisme de la civilisation aztèque rejoint ici une théorie anthropologique. L’autonomie des campagnes serait l’une des causes du déclin des empires précolombiens, comme celui des Mayas. À l’arrivée des Espagnols le nomadisme des Chichimecas, qui avait décliné au contact des peuples mésoaméricains, retrouvait alors un nouvel essor. Mobiles et habiles guerriers, ils furent longs à accepter la fin de leur monde.
Ce passé indigène peut alors devenir une empreinte sur la terre rougeâtre de la colline du Mort, un pas hors des sentiers battus et asphaltés de la globalisation culturelle.

(1) Extrait du recueil historico-poétique Ojos de Agua, Editions Filo de Agua, 2004
(2) Arbre épineux de la famille du mimosa

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