"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

29/04/2010

Mexique: le meilleur des mondes?




"Les grands groupes mexicains se lancent dans la "responsabilité sociale", par Joël Ruet...


Sous ce titre et se prévalant de ceux de chercheur CNRS au Centre d'études français sur la Chine contemporaine (?) et de président de l'observatoire des émergents, Mr Ruet, dans lemonde.fr daté du 27 avril, nous offre un article qui prêterait à sourire si la situation qui vivent les Mexicains n’était pas si grave.

Pourtant c’est vrai, comme l’affirme les enquêtes citées par Monsieur Ruet, l’une de la Banque Mondiale (spécialiste s’il en est du bonheur) et l’autre d’un chercheur de l’Université du Michigan (Ronald Inglehart et son indice du bien-être), qui classe respectivement le Mexique au 10e et 2e rang des pays les plus heureux, les Mexicains sont des gens heureux... Ou plus exactement, je dirais qu’ils ont la joie de vivre... et peut-être d’autant plus que le pays où ils vivent continuent d’être comme le disait Breton, bien que d’une facon différente, « le pays le plus surréaliste du monde ». Vivant depuis quatre ans au Mexique, je le constate au quotidien, les Mexicains perdent rarement le sourire...

Revenons alors à l’article de Mr Ruet. Celui-ci renvoie, pour expliquer ces résultats qu’il qualifie d’étonnant « d'abord à la culture, à la limitation (relative) des inégalités, et un peu au fonctionnement démocratique d'un pays dont on parle surtout au sujet de la violence des cartels de la drogue et de l'immigration des plus pauvres vers le grand voisin nord-américain. »

Concernant donc la « culture du bonheur » dont fait état ici le chercheur du CNRS, rappelons tout de même que le Mexique a connu son lot de révoltes, révolutions, soulèvements populaires à travers l’histoire et que le dernier en date et peut-être le plus médiatique, le soulèvement zapatiste au Chiapas dure maintenant depuis 1994 ! Évoquons aussi l’état voisin du Guerrero, qui connait aussi un soulèvement armé, celui de l’EPR, l’Armée Populaire Révolutionnaire... Comme quoi le bonheur affiché par la Banque Mondiale ne semble pas forcément partagé par tous les Mexicains, loin de là.

Passons à "la limitation (relative) des inégalités », qui expliquerait donc le bonheur dans lequel vivent les Mexicains. Notons au passage, ce « relative » mis entre parenthèse et qui me semble toute fois un doux euphémisme qui a fait rire (jaune) les amis avec qui nous commentions cet article. Est-il besoin de rappeler que l’homme le plus riche du Monde, Mr Carlos Slim, est Mexicain... et que loin d’être la norme il serait plutôt l’exception, tant la pauvreté, pour ne pas dire la misère, saute aux yeux de tout à chacun, pour peu qu’on sorte un peu des circuits touristiques balisés. Il serait fastidueux ici de vouloir donner les milles images de ces hommes et femmes en haillons qui mendient de quoi survivre, de ces indigènes privés de soins, d’écoles... Alors, peut-être suffira-t-il de penser à tous ceux et toutes celles qui tentent de passer « del otro lado », de l’autre côté du mur pour gagner leur vie en dollards et faire vivre des villages entiers... Il suffirait de s’imaginer ces hameaux de tout le pays, déserté par les jeunes partis chercher une vie meilleure chez l’Oncle Sam. Ou de penser à la famille qui tenait le magasin de fruits et légumes en-bas de chez moi, qui a "disparu" du jour au lendemain... allant grossir les rangs des latinos aux USA! Pourtant, ceux qui ont connu la vie aux USA le reconnaissent... c’est pour le pognon parce que la vie est plus agréable de ce côté-ci du mur : moins de stress, plus de relations sociales.

Plus en avant, essayant de comprendre ce bonheur mexicain, le chercheur fait le parallèle avec une autre étude (du cabinet International Survey Research) qui décrit les salariés mexicains de l’économie formelle (60% des salariés) comme étant les plus satisfaits de monde. Et il pose la question, ces travailleurs heureux font-ils des citoyens heureux ? Il explique alors qu’à la base de ce bonheur salarié et de « l'économie mexicaine, la petite entreprise familiale a une tradition de philanthropie envers les communautés d'appartenance de leurs employés - c'est aussi le cas en Inde, mais seulement dans les grands groupes. » Il explique alors que ces entreprises doivent, de par la constitution fournir « santé, clinique et logement à leurs employés ». Concernant la couverture sociale, je peux dire d’expérience qu’elle est loin d’être automatique et que, de plus, elle se divise en plusieurs niveaux selon le barreau de l’échelle sociale auquel vous êtes accrochés. Et, malgré le temps clément du pays, la finesse de la couverture en question laisse mourir bien des hommes et des femmes de ce pays. Il faut aussi prendre en compte que lorsqu’on a le « seguro popular », la sécurité populaire, le premier barreau de l’échelle de la santé, on s’entasse souvent dans les « centros de salud », les centres de soins où il ne vaut mieux pas avoir quelque chose de sérieux. Les femmes par exemple, ne sont pas à l’abris d’une pause « surréaliste » du sterilet ! Les médecins qui suivent les nouveaux nés passent souvent plus de temps à parler de la pluie et du beau temps (ou de la Feria) qu’à examiner les enfants... mais toujours avec ce sourire sympathique.

Quant au logement, il est certainement fait ici référence aux cubes préfabriqués tels que ceux qui moins d'un an après leur inauguration à Aguascalientes étaient inondés. La périphérie de la ville a ainsi vu fleurir des quartiers résidentiels tracés au cordeau qui ressemblent plus à des casernes qu’au paradis du travailleur. J’ai eu l’occasion d’interviewer des habitants de ces préfabriqués, qui même avec le sourire reconnaissent que c'est loin d'être la panacée... surtout quand on n'a pas la nostalgie du capitalisme paternaliste qui semble faire rêver notre chercheur de bonheur. Des maison, dont on dit que lorsqu’un ami passe vous voir, un membre de la famille doit sortir. Dans un pays où les familles sont encore nombreuses, ces habitations se transforment rapidement en boîtes de sardines.

Quant aux conditions de travail des Mexicains, je me contenterais de dire que beaucoup de ceux que je côtoie sont obligés de cumuler les emplois pour finir les fins de mois... qu’avec la crise le chômage a empiré et que l’économie informelle fait ici vivre beaucoup de monde...

La suite de l’article de Mr Ruet donne ensuite une vision idyllique des entreprises mexicaines, qui non contentes d’être des pères pour leurs employés, serait aussi une bonne mère-nature puisqu’elles seraient en pointe sur les questions de protection de l’environnement. Hormi que ce long passage de l’article ne donne la parole qu’aux statistiques et enquêtes patronales, l’auteur de l’article ne fait aucune références aux luttes de nombreuses associations environnementales contre ces « entreprises responsables ».

Mais revenons sur l’idée d’un pays "démocratique" pour expliquer « un peu » le bonheur des Mexicains... Un pays qui ne ferait parler de lui que par ses migrants et la violence des cartels de la drogue. Je dois dire que c’est certainement l’argument le plus choquant dans un pays où les droits fondemmentaux sont baffoués quotidiennement... et pas uniquement par les cartels de la drogue mais aussi par les forces de police et l'armée qui patrouille dans les rues, comme dans ces reportages des années 70' et 80' sur l'Amérique Latine des dictatures. Demandez à Florence Cassez ce qu’elle pense du fonctionnement démocratique de la justice mexicaine... pour prendre un exemple connu des francais. Demandez aux mortes de Ciudad Juarez et à leurs familles ce qu’elles pensent de la démocratie mexicaine... Je laisse le lecteur seul juge en donnant ici quelques exemples récents du fonctionnement démocratique du Mexique :

- Mardi, à Ciudad Juarez, un commando armé a tué un groupe de 8 adolescents qui avait eu l’imprudence (impudence?), de sortir dans un bar, la nuit. C’est vrai qu’en démocratie, il faut savoir se coucher tôt pour aller le sourire aux lèvres travailler dans la joie et la bonne humeur et que ces gredins n’avaient certainement rien à faire dans un bar aussi tard !.. Certainement que les habitants de la malheureuse France, découvriront la joie et le bonheur eux aussi grâce au "travailler plus pour gagner plus" de leur bien-heureux président.

Mais peut-être, me rétorquerez-vous que Ciudad Juarez est une enclave narco dans un pays où règne la paix et l’harmonie... Alors rendons-nous à Oaxaca, cet état indigène du sud du pays au charme reconnu par les touristes du monde entier...

- Prenez note... certainement que ces deux personnes sont mortes de rire, tant le bonheur prend ici aux tripes... Les deux victimes, Alberta Carino, 35 ans, de l'association de développement local Cactus, et Tyri Antero Jaakkola, 25 ans, de l'ONG finlandaise Uusi Tuuli Ry ("Vent nouveau"), sont tombés sous les balles de paramilitaires qui contrôlent une zone de l’état de Oaxaca. Ces deux personnes faisaient partie d’une caravane humanitaire qui devait apporter vivres et médicaments à San Juan de Copala. Ce village indien s’est proclamé autonome il y a peu et a vu, en représailles, son accès (ainsi que l'eau et l'électricité) coupé par des militants de l’Ubisort (Union du bien-être social de la région de Triqui), proche du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel) au pouvoir dans l’Oaxaca. D’autres militants et journalistes qui faisaient partie de la caravane ont également disparu, dont au moins un Allemand. Plusieurs rescapés parlent d’autres morts, dont les corps auraient été cachés par les paramilitaires. Précisons aussi que la police elle-même a les pires difficultés à enquêter puisque les paramilitaires leur refusent l’accès à la zone qu’ils contrôlent... Peut-être que je cherche la petite bête, puisqu’on peut noter que les paramilitaires, responsables de ces assassinats ne font que se battre pour le "bien-être social"... une cause qui ne laissera certainement pas indifférents les auteurs des rapports sur le bonheur des Mexicains !

- Parlons alors d’un évènement, plus proche de moi... J’avais ici-même relayé l’info... le cirque Alegria organisait dimanche dernier une parade anti-corrida en plein cœur de la Feria San Marcos d’Aguascalientes... Tout avait bien commencé, puisqu’un taureau avait décidé d'apporter son soutien aux manifestants en encornant le "plus grand torero" du monde, l’Espagnol José Tomas, la veille au soir. La manifestation a été des plus festives. Près de deux cents personnes ont participé au défilé, déguisés, avec sifflets, pancartes et slogans. Traversant le centre ville, les marcheurs ont pris le chemin de la zone de la Feria. Ils y ont alors présenté un petit spectacle anti-corrida avant d’essayer de se rendre au pied de la grande arène. La police de l'état les en a démocratiquement empêché et a même arrêté et détenu l’un d’eux pendant plusieurs heures pour avoir haussé le ton et demandé que soit respecté leur droit à manifester dans un lieu public.. alors qu’aucune provocation ni dégradation n’avaient été commises... Ou peut-être faudrait-il demander aux militants communistes tabassés le lendemain alors qu'ils diffaient des tracts dans la zone de la Feria? Ou encore à un ami, lui aussi passé à tabac pour avoir demandé aux policiers pourquoi certaines rues de la Feria étaient bloquées alors qu'il s'agit d'un epace public?

Il me semble qu'avant d'annoncer haut et fort que les Mexcains sont parmi les plus heureux du monde, en suivant en cela trois études réalisés par des institutions plus liées à l'économie qu'à la vie des gens, il serait bon de connaître un minimum la vie du pays en question, pour ne pas dire comprendre car on ne comprend jamais vraiment un pays ni ses habitants... Une vie certe éloignée des hautes sphères d'un Mr Slim mais qui est un quotidien certainement plus partagé par les compatriotes souriants de l'homme le plus riche de la planète!

Photos: Défilé anit-corrida dans les rues d'Aguascalientes et le dispositif policier qui l'entourait... par Hélène Michoux.

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