"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

22/05/2012

N'oublions pas Amesys!






Anonymous Tunisie rappelle dans son vidéo-tract posté le 20 mai qu'Amesys, qui a fourni au régime de Kadhafi les moyens de mener sa sanglante répression en facilitant l’espionnage à l'échelle du pays des opposants, a également vendu sa technologie à la Tunisie. Selon les Anon, le système de surveillance mis en place par Amesys serait donc toujours actif.


Hier, 21 mai, la FIDH et la LDH se réjouissaient que la justice se saisisse enfin du dossier Amesys. La plainte avait été déposée en octobre dernier pour "complicité d'actes de torture" en Libye. Les ONG s'étaient étonnées de la lenteur de la justice dans cette affaire, comme le rappelait L'express le 15 mars dernier.
"Il s’agit d’une affaire doublement emblématique : d’une part, parce qu’elle met en cause une entreprise ayant conclu un accord commercial avec un régime dictatorial, lui donnant ainsi les moyens de renforcer sa répression à l’encontre de la population ; d’autre part, parce qu’elle contribuera à faire la lumière sur les crimes graves perpétrés sous le régime de Khadafi", a déclaré Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH.

Rappelons que cette vente d'arme de surveillance massive est l'un des fil qui dépasse du sac de nœuds des relations entre le régime de Kadhafi et l'ex président - et bientôt simple justiciable - Sarkozy. En effet, le contrat passé entre Amesys, filière de Bull, et la Libye est à replacer dans le contexte de soupçons sur un possible financement de la campagne présidentielle victorieuse de Sarkozy par le régime libyen. On retrouve d'ailleurs parmi les personnages ayant un lien avec la vente du système Eagle par Amesys, l'homme d'affaire sulfureux Takieddine, dans le rôle de l'indispensable intermédiaire.

Amesys se défend de toute complicité de torture en arguant d'un rapprochement diplomatique avec Kadhafi à l'époque de la signature du contrat. Comme si le principe même de la surveillance de la population entière d'un pays ne serait choquante que si le régime en question était dictatorial... ce qui semble justifier aux yeux des dirigeants d'Amesys - et de ses concurrents - la vente à un pays fréquentable.
La vidéo des Anonymous tunisiens donne un autre sens à cette histoire. Il ne s'agit pas seulement de faire la lumière sur les événements libyens mais aussi de prévenir de futures répétitions de cette tragique histoire. La Tunisie, le Maroc et d'autres états - plus ou moins autoritaires - figurent dans la liste de clients d'Amesys.
Si en effet cette technologie est susceptible d'être utilisée à des fins de répression à grande échelle, il serait peut-être temps de s'interroger sur le contrôle des ventes de ce genre de technologies. C'est d'ailleurs ce qu'à fait le Parlement Européen en avril par la voix de son rapporteur de la commission des droits de l’homme, Richard Howitt : “Une course est lancée entre ceux qui exploitent les nouveaux médias à des fins de libération et ceux qui cherchent à les utiliser pour la répression. Je n’ai pas peur de dire que Vodafone doit tirer les enseignements d’avoir cédé aux instructions de Moubarak”. Le contrôle de la vente de ce qui pourrait être considéré comme "arme" se retrouve alors propulsé dans le champ politique. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Mais revenons un instant au paradigme de nos vendeurs de surveillance, à savoir que leur technologie ne serait néfaste que sous un régime dictatorial. Ce qui voudrait dire que nos régimes dits démocratiques devraient pouvoir se doter d'une technologie dont l'une des caractéristique est la surveillance de l'ensemble des communications transitant sur Internet ou sur les réseaux téléphoniques d'un pays. Bien sûr la lutte contre le terrorisme et la cyberpédophilie est mis en avant afin de justifier la surveillance des réseaux de communications. Mais pourquoi ce besoin d'une technologie capable de fliquer toute la population?
L'argument de défense d'une dérive dictatoriale porte en elle-même sa propre contradiction, puisqu'une telle dérive est souvent le résultat d'une situation de troubles sociaux. Si on ne pouvait prévoir la dérive sanguinaire de Kadhafi - ce pourquoi il faut tout de même être capable d'une bonne dose de cynisme connaissant l'histoire du général – il faut alors admettre que les dirigeants d'Amesys sont incapables de prévoir une quelconque dérive dictatoriale de l'un de leurs clients.
La conclusion logique est donc qu'il faut imposer un contrôle démocratique sur la vente de ces technologies. Mais poussons la réflexion un peu plus loin. Revenons un instant à la dérive dictatoriale, ce paravent de vendeurs d'armes. S'il y a dérive c'est que la situation postérieure ne relevait pas de la dictature. On peut donc supposer qu'il s'agissait d'un système plus ou moins démocratique auquel il serait "légale" de vendre une technologie de surveillance potentiellement généralisée. La dérive dictatoriale peut résulter d'une évolution autoritaire du régime en place ou de la prise de pouvoir par une fraction totalitaire. Les deux étant souvent le signe d'une tension sociale forte. Or la crise que traverse actuellement le système capitaliste globalisé s'accompagne de l'émergence de mouvements de révolte un peu partout sur la planète. Les mouvements Anonymous, Occupy, les indignés, les révoltés de Grèce ou du printemps arabe démontrent que les peuples sont toujours capable de s'élever contre des gouvernements qui violeraient leurs droits.
Le Québec est depuis plusieurs mois secoué par des manifestations étudiantes. Le gouvernement vient de sortir une loi restreignant gravement les droits de contester et manifester. Alors posons la question aux décideurs – dirigeants d'Amesys ou responsables politiques - serait-il aujourd'hui concevable de vendre ce genre de technologie au Canada? Si il n'était pas possible d'imaginer que Kadhafi puisse utiliser la technologie d'Amesys à des fins autres que la noble lutte contre le terrorisme, il est tout aussi in-envisageable de penser qu'un pays comme le canada puisse dans le cadre d'une lutte pour le maintien de l'ordre avoir recours à une surveillance généralisé de sa population.
 En Europe aussi la surveillance des populations par les moyens de communication se pose et va se poser de plus en plus. L’Italie est secoué par des mouvements contre les impôts et par des actes "terroristes anarchistes". Déjà le gouvernement a rendu possible le déploiement de l'armée à des fins de maintient de l'ordre. Un peu partout la crise du système capitaliste fait émerger des foyers de révolte. Un peu partout l'extrême droite et sa vision autoritaire de la société gagne du terrain. L'arrivée au gouvernement de partis xénophobes, réactionnaire ou sécuritaires se pose avec persistance. Bien sûre loin de moi l'idée de mettre sur un même plan le fichage – même à l'échelle d'une population entière – et des cas de torture tels qu'avérés en Libye. Mais tout de même, et sans aller jusqu'à la dérive totalitaire, le principe d'une surveillance généralisée pose question, et avec plus d'acuité dans le contexte actuel.

Plus qu'un contrôle des ventes de technologies capables d'une surveillance à grande échelle, c'est une interdiction qui doit être imposée. Après tout, certains type d'armes ou de munitions sont prohibées. Bien évidemment ça n'empêchera pas l'utilisation de ces technologies, mais au moins seront-elles illégales. La lutte contre le terrorisme ou la cyberpédophilie ne peut justifier une surveillance généralisée qui serait pour un régime dictatorial une arme de lutte contre ses opposants. En laissant entre les mains de gouvernements de telles armes, nous renonçons de fait au droits qu'a le peuple et chaque portion du peuple à se soulever contre un gouvernement qui violerait ses droits... un gouvernement en pleine dérive totalitaire.




Ni vente libre, ni contrôle, interdisons les systèmes de surveillance massive!

Article 35 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793:
"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoir."

 Paul Moreira a consacré un documentaire, Traqués, à Amesys en Libye qui a été diffusé sur Canal+ en mars dernier.
Pour en savoir plus sur l'affaire Amesys, je vous recommande les articles qu'ont consacré au sujet les sites reflets.info, Owni.fr. Je vous conseille également la lecture de Au pays de Candy de Jean-Marc Manach. Jetez également un œil aux billets du blog de Sersnow.

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Blue Cabinet is a working project to document vendors and manufacturers of surveillance equipment that are used in dictatorships and democracies around the internets like Amesys and Bull.

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