"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

11/04/2020

La légende de Coyolxauhqui


La légende de Coyolxauhqui ou la naissance de la lune aztèque

Les mexicas1 étaient de grands observateurs du ciel ; ils avaient créé de nombreuses légendes pour expliquer les mouvements des astres. La lune, ils l’appelaient Coyolxauhqui, ce qui signifie en náhuatl : celle qui est ornée de clochettes, coyolli, clochette ; xauhqui, qui orne.
D’après le mythe mexica, chaque nuit la lune livrait bataille à son frère Huitzilopochtli (le soleil), qui étaient les enfants de Coatlicue, déesse mère de la terre et régente des Quatre cent méridionaux2, leurs frères, les étoiles du sud.
La légende de Coyolxauhqui et de son démembrement par Huitzilopochtli est l’explication du phénomène des phases de la lune, qui meurt afin de laisser naître le Soleil.


Traduction du SerpentⒶPlumes, d'après le livre Coyolxauhqui, texte Margo Glantz, Un, Dos, Tres por Mi / Ediciones, 2008




Cela fait bien des années, vivait sur la colline de Coatepec, une femme appelée Coatlicue. C’était une déesse, mais en ce temps-là même les déesses se dédiaient à des choses simples : Coatlicue balayait.

Un jour, alors qu’elle passait le balai, tomba du toit un plumage, semblable à un petit poussin, comme une boule de plumes fines. Coatlicue regarda partout pour découvrir d’où venait ce duvet si doux, mais elle ne vit rien et elle le glissa sous son vêtement.
Voilà ce que fit Coatlicue, là-bas sur la colline de Coatepec, la montagne du serpent.
Puis elle oublia et alla chercher ses enfants.
Elle en avait quatre cent ! Ils s’appelaient les quatre cent méridionaux. Elle avait également une fille qui s’appelait Coyolxauhqui, et cette fille portait sur les joues quelques ornements d’or qui tintaient comme des clochettes.
Peu après, Coatlicue se rendit compte qu’elle attendait un enfant et elle ne comprenait pas ce qui se passait, ni d’où venait cet enfant ; ses frères qui ne comprenait pas non plus, avisèrent Coyolxauhqui qui devint folle de jalousie car elle n’aimait pas l’idée d’avoir un autre frère.

Coyolxauhqui leur dit :
- Voyez frères, notre mère va avoir un autre fils, nous aurons un autre frère et moi, ça me met très en colère.
- Tu as raison sœur, nous aussi sommes furieux.
Et il est vrai qu’ils l’étaient, tant, que leurs yeux projetaient comme des étincelles.
Vous imaginez comment flamboieraient 800 étincelles ? Et bien c’est ainsi que flamboyaient les yeux des quatre cent méridionaux, tels des étoiles.
Immédiatement, les méridionaux se réunirent pour se mettre d’accord et ils décidèrent de châtier leur mère car il leur semblait que c’était mal qu’elle leur donne un autre frère et, par dessus tout, il leur semblait terrible de ne pas savoir qui était le père.
Et vous savez qui était le père ?
Et bien, rien de moins que le fin plumage qui tomba dans le ventre de Coatlicue.
Et ce n’était qu’une plume, mais de celle-ci allait naître le puissant Huitzilpochtli, tellement puissant et tellement parfait que depuis le ventre de sa mère il savait tout ce qui se passait sur la terre et aussi, bien sûr, ce que planifiaient ses frères contre elle.

Les quatre cent méridionaux s’habillèrent pour la guerre, ils coiffèrent leurs cheveux et ils les tressèrent et les enroulèrent et ils furent prêts pour punir leur mère et cela rendait Coyolxauhqui très heureuse.
Coatlicue était triste et préoccupée, mais depuis son ventre elle entendit la voix de son fils qui lui disait :
- Ne crains rien, mère, je sais ce que j’ai à faire.
Et Coatlicue se tranquillisa.
Les quatre cent méridionaux exaltaient leur pouvoir et ils s’admiraient dans les étangs pour voir si leurs vêtements étaient élégants et terribles, pour voir s’ils paraissaient des dieux puissants apprêtés pour la guerre, tels des capitaines bien vêtus, avec leurs chevelures parfaites et tressées.

Cuahuitlihcac était l’un des frères et ses paroles n’étaient pas sincères et il allait dire ce que disaient les quatre cent méridionaux à Huitzilpochtli qui l’entendait de l’intérieur du ventre de sa mère. Il entendait la voix de son unique frère fidèle et il répondit :
- Fais attention mon frère, sois vigilent et informe-moi de ce que disent mes frères. Surveille en particulier Coyolxauhqui, car c’est elle qui est la plus en colère, c’est elle qui est toujours jalouse. Mais ne t’inquiète pas, frère, je sais ce que j’ai à faire.
Et enfin, les quatre cent méridionaux se décidèrent à marcher contre leur mère et ils se mirent en marche jusqu’à la colline de Coatepec. En tête, les guidant, allait Coyolxauhqui. C’était la nuit et tous resplendissaient.

Ils paraissaient très forts, bien vêtus, prêts pour la guerre ; ils portaient leurs vêtements de papier, leurs ornements, leurs orties, leurs franges de papiers peints de bleu sombre, tel un ciel de nuit, leurs grelots attachés aux mollets, ces grelots qu’on appelle oyohualli.
Ils allaient ainsi vêtus, et les plus idiots ne se rendaient pas compte que les clochettes informaient de l’endroit d’où ils venaient. Leur frère Cuahuitlihcac savait maintenant qu’il lui fallait prévenir son frère Huitzilpochtli, qui l’entendait depuis le ventre de sa mère.
Les méridionaux marchaient en ordre, en rangs, tels des guerriers, en escouades parfaites, avec leurs flèches de pointes barbues. Et devant allait Coyolxauhqui.

Mais Cuahuitlihcac monta sur la montagne et dit à Huitzilpochtli :
- Ça y est, mes frères arrivent. Fais attention.
Huitzilpochtli lui répondit :
- Surveille-les, dis-moi d’où ils viennent.
Cuahuitlihcac répondit :
Tu n’entends pas les grelots ? Ils viennent de Tzompatitlan.
Et Huitzilpochtli dit une nouvelle fois :
- Par où viennent-ils ?

Alors Cuahuitlihcac lui dit :
- Tu n’entends toujours pas les grelots ? Ils arrivent par le flanc de la montagne.
Et une nouvelle fois Huitzilpochtli lui dit :
- Surveille bien par où ils passent.
Et Cuahuitlihcac répéta :
- Tu n’entends toujours pas les grelots ? Ils arrivent, ils sont dans la côte de la montagne.
- Tu en es sûr ?, demanda Huitzilpochtli.
- Oui, répondit son frère. N’entends-tu pas les clochettes ? Là, ils sont arrivés au sommet.



C’est alors que naquit Huitzilpochtli.

Il revêtit ses parures, son bouclier de plumes d’aigle, ses fléchettes et son lance-fléchettes bleu turquoise. Et alors, il commença à se peindre la face au son des clochettes, au son du bruit des pieds de ses frères qui arrivaient sur la montagne. Et il peignit sur son visage des rayures diagonales avec cette peinture qu’on appelle peinture d’enfants car elle est comme le bleu du ciel au matin, et sur sa tête il mit de fines plumes.
Vous vous souvenez qu’il est l’enfant d’une plume ?
Comme un petit poussin ? Comme une petite boule toute douce, blanche comme la neige des volcans ? Il portait également des sandales couvertes de plumes et ses deux jambes et ses deux bras étaient peints en bleu clair.
Et l’un de ses serviteurs, qui s’appelait Tochancalqui mit le feu au serpent fait de flambeaux, celui qui était au service de Huitzilpochtli, celui qui s’appelait Xiuhcoatl.

Et à l’aide de ce serpent, à l’aide de Xiuhcoatl, il blessa Coyolxauhqui et la jeta à flanc de colline et elle resta là, dépecée sur la colline de Coatepec. Et sa tête roula jusqu’en-bas et de toute part tombaient ses jambes, ses pieds chaussés de sandales, ses mains, son corps.

Huitzilpochtli se leva et pourchassa ses frères, il les poursuivit, il les sépara, il les fit descendre du sommet de la colline de Coatepec, la montagne du serpent.
Et lorsqu’il les poursuivait jusqu’en-bas, jusqu’au pied de la montagne, les méridionaux courraient et le bruit de leurs grelots réjouissait l’air et eux, continuaient à courir comme des lapins blancs avec leurs cheveux défaits, et ils faisaient des tours de colline. Et ils ne pouvaient rien contre lui, en vain ils se retournaient au son de leurs grelots et leurs boucliers étaient frappés et ils ne pouvaient rien contre lui, seul le vent sifflait de contentement au son des clochettes.
Ils ne purent se défendre, ils ne purent rien faire et ils prièrent leur frère :
Assez !

Mais Huitzilpochtli ne se contenta pas de les harceler ; ils leur ôta leurs vêtements, leurs parures et et il se les mit et il s’en orna, il se les appropria, il les fit siens.
Et puis il jeta ses frères au ciel, là où ils brillent toutes les nuits comme des étoiles au milieu de l’azur sombre et parfois on peut entendre le son des clochettes, ce sont celles que Coyolxauhqui portent aux mollets, qui dorénavant est, elle aussi, là-haut dans le ciel et brille chaque nuit, car elle est la Lune.

Huitzilpochtli se lève chaque jour de la colline de Coatepec, d’où on le voit briller, car il est le Soleil.



1Terme utilisé par les Mésoaméricains pour désigner les habitants de Mexico-Tenochtitlan et de Mexico-Tlatelolco, en français on le traduit généralement par aztèque.
2Centzon Huitznáhuac en nahuatl « les quatre cent de près des épines », soit symboliquement, « les innombrables du sud ». Ils sont, dans la mythologie aztèque, les dieux des étoiles du sud.

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