"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

26/06/2011

Mayas: de l'autodestruction à la destruction d'une civilisation


Suite à l'article sur l'autodestruction de la civilisation Maya, et sans doute pour compléter l'information, Le Monde a publié quelques jours plus tard un article intitulé "Commerce de l'or noir et fouilles archéologiques au pays des Mayas". Je le reproduits ici et y ajoute le rapport du collectif Guatemala, dont il est fait mention dans l'article. Vous pouvez également lire sure Le Monde l'entretien avec Sophie Baillon de l'ONG Survival sur les droits des peuples indigènes.



Commerce de l'or noir et fouilles archéologiques au pays des Mayas


LEMONDE.FR | 21.06.11 |

Sous la photo de la mosaïque illustrant la belle affiche qui annonce l'ouverture, mardi 21 juin, au Musée du Quai Branly à Paris, de l'exposition "Maya, de l'aube au crépuscule", on peut lire, en lettres fines : "avec le mécénat de Pérenco". Principal producteur de pétrole au Guatemala, Pérenco est implanté au cœur du parc naturel de la Laguna del Tigre, une zone protégée dans le département du Péten. Depuis quelques années, le groupe franco-britannique revendique une action qui "s'étend au domaine culturel" et évoque ainsi un soutien "actif" aux fouilles archéologiques en terre guatémaltèque.

"Notre savoir-faire est synonyme, pour les Etats, de revenus importants tirés de leurs ressources naturelles. Nous veillons à ce que les populations vivant à proximité des sites où nous travaillons bénéficient de notre présence. Nos projets sociaux et environnementaux sont mis en œuvre en impliquant directement les communautés locales tout en préservant leur culture et leurs valeurs", fait valoir le groupe dans le dossier de presse de l'exposition.

C'est un portrait moins flatteur qu'ont brossé plusieurs associations françaises lors d'une conférence de presse organisée, lundi, à la veille de l'ouverture de l'exposition. Elles y ont présenté le rapport réalisé par le collectif Guatemala, une association française de soutien à la société civile guatémaltèque, sur les conséquences sociales et environnementales des activités de l'entreprise qui a cependant reçu le soutien des conseillers scientifiques de l'exposition. Ainsi, pour l'archéologue américain Richard Hansen, spécialiste des sites mayas, Pérenco s'est toujours montré respectueux et l'impact de ses forages sur l'environnement toucherait seulement 0,02 % de la surface du parc, d'après des chiffres de l'entreprise.

Mais, réplique Nathalie Péré-Marzano, déléguée générale du Centre de recherche et d'information pour le développement (CRID) et coordinatrice du réseau Une seule planète,"plusieurs mois d'enquête sur le terrain, des dizaines d'entretien avec des communautés locales et des représentants associatifs révèlent une distorsion entre le soutien de Pérenco à cette exposition sur la civilisation maya et les activités que l'entreprise mène au Guatemala".

POPULATIONS EFFRAYÉES ET VULNÉRABLES

"Beaucoup dénoncent une forte augmentation de la présence militaire dans la Laguna del Tigre, des nouveaux puits de pétrole percés sur des terres cultivées par des paysans sans que ces derniers soient consultés, des menaces d'expulsions et beaucoup d'intimidations", témoigne Cynthia Benoist, coordinatrice du collectif au Guatemala, qui a mené l'enquête de terrain.

"Six détachements militaires, soit 250 soldats, sont arrivés dans la région pour former ce qu'on appelle maintenant des 'bataillons écologiques', censés sécuriser une zone dangereuse", explique Cynthia Benoist. Auteur d'un documentaire sur la présence de Pérenco au Guatemala*, Grégory Lassalle confie lui n'avoir jamais vu de populations aussi effrayées et vulnérables.

Proche de la frontière mexicaine, le département du Péten est en effet un haut-lieu du trafic de drogue en Amérique centrale. "Mais dans un pays qui a connu 36 ans de guerre civile pendant lesquelles la majorité des massacres ont été commis par des militaires, voir l'armée tenir un rôle de sécurité publique a quelque chose d'effrayant pour ces populations qui sont souvent venues là pour fuir des violences,développe encore Mme Benoist. Pour elles, ces bataillons sont surtout une façon pour l'entreprise de faire primer ses intérêts sur les leurs."

Pérenco reconnaît financer, à raison de 0,30 dollar par baril de pétrole, ces "bataillons verts", qui ne sont rien d'autres que des militaires en armes. "Ces hommes ne sont là que pour préserver la zone et en particulier faire la chasse aux activités illégales, plaide Benoît de La Fouchardière, directeur général de Pérenco Guatemala. Le narcotrafic est très implanté dans cette région, et cela crée beaucoup de tensions : vingt-sept personnes ont été tuées récemment."

"De toute façon, officiellement, le parc de la Laguna del Tigre n'a pas d'habitants,précise Benoît de La Fouchardière. Ces populations sont là de façon illégale, sur des terrains qui ne leur appartiennent pas." Pourtant, si tous les habitants n'ont pas d'acte de propriété – un problème de fond au Guatemala, qui compte de nombreux paysans sans terre – les lieux sont bel et bien habités : 37 communautés de la Laguna del Tigre ont officiellement dénoncé le déploiement militaire dans un communiqué.

SOUPÇONS DE CORRUPTION

En 1989, la région était classée zone protégée. Les communautés implantées avant cette date ont été autorisées à y rester. Et selon le collectif Guatemala, d'autres ont négocié un accord qui leur permet de rester et de cultiver leurs aliments de base, le maïs et le haricot. Mais les sans-terre se disent régulièrement menacés d'expulsion, alors que la loi interdit par ailleurs de construire dans cette zone protégée.

"N'est-ce pas incohérent d'interdire à ces gens un confort minimum au nom de la protection de la nature, alors qu'à quelques mètres, l'entreprise Pérenco a obtenu en 2010 le droit d'exploiter pour quinze nouvelles années ?", s'interroge Cynthia Benoist. Pérenco s'est implanté au Guatemala en 2001, en rachetant une concession octroyée en 1985, pour vingt-cinq ans, à une autre compagnie pétrolière, Basic Ressources. La Laguna del Tigre n'est devenue zone protégée que quatre ans après, ce qui explique l'incongruité de voir une exploitation pétrolière dans ce qui est censé être une réserve de la biodiversité.

"Mais la concession n'était donnée que jusqu'en 2010. On aurait donc pu remettre en cause à cette date l'exploitation, mais ça n'a pas été fait", déplore le député guatémaltèque Anibal Garcia et candidat à la vice-présidence aux côtés de la Prix Nobel de la paix Rigoberta Menchu, pour l'élection présidentielle de la fin de l'année. Le code du pétrole a été rédigé pour préserver au maximum les intérêts des multinationales. Et cela continue aujourd'hui, avec une exploitation pétrolière qui viole une série de lois et de conventions internationales, mais avec l'aval des autorités guatémaltèques."

Plus grande zone humide d'Amérique centrale, seconde d'Amérique latine, la Laguna del Tigre est reconnue comme une zone humide d'importance internationale par la convention de Ramsar qui, en 1997, y a dépêché un groupe d'experts. Dans les conclusions de leur mission, ceux-ci appelaient très clairement à limiter l'octroi de nouvelles concessions après la fin du contrat de 1985.

Pourtant, dans une grande opacité, en 2008, le Congrès guatémaltèque a autorisé la prolongation du contrat. "Nous avons de forts soupçons de trafic d'influence et de corruption des députés", indique Anibal Garcia. En 2010, le ministre de l'énergie et des mines a donc annoncé la prolongation de quinze ans ans du contrat de Pérenco, malgré la désapprobation de trois ministres du gouvernement. Une décision justifiée par le président du Guatemala par les importantes retombées financières envisageables avec l'extension de la production de l'entreprise.

"LES JUGES, LES COURS, SE PLIENT À LA VOLONTÉ DE PÉRENCO"

Pérenco se présente en effet comme "le premier contribuable du Guatemala. Sa contribution en 2010 se monte à 110 millions de dollars [76 millions d'euros], qui représentent près de 3 % du budget de l'Etat". Cependant, relève Anibal Garcia, "ils annoncent ce qu'ils payent au fisc, mais impossible de savoir vraiment combien l'exploitation rapporte à l'entreprise. Tout ceci manque de transparence." "Nous ne communiquons pas ces chiffres. Nous sommes une entreprise privée, rien ne nous y oblige. Nous n'avons de compte à rendre qu'à nos actionnaires", rappelle Nicolas de Blanpré, responsable de la communication de l'entreprise à Paris. Il confie cependant que les bénéfices de l'exploitation se répartiraient à 60 % pour l'Etat guatémaltèque contre 40 % à l'entreprise.

Anibal Garcia, lui, estime que la concession pétrolière n'est pas avantageuse pour l'Etat : "Le contrat prévoit des 'coûts récupérables' : en 2008, ces remboursements ont dépassé les 'royalties' versées à l'Etat de 255 %." Il a fait de nombreux recours pour contester le renouvellement de la concession, sans succès. "Le Guatemala est un pays où règne une horrible impunité. C'est très difficile de lutter sur place. Les juges, les cours se plient à la volonté de Pérenco", fustige-t-il.

Aline Leclerc

Pour en savoir plus

* Le documentaire de Grégory Lassalle Perenco, exploiter coûte que coûte, sera projeté jeudi 23 juin à 19 h 30 au siège d'Amnesty International, 72, boulevard de La Villette, à Paris, en présence du député guatémaltèque Anibal Garcia.

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